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L’étude des manuscrits implique la mise en relation de tous les éléments d’analyse les concernant, à la fois internes et externes. Ces vingt dernières années, il y a eu en Angleterre un grand essor de ce type d’études, en particulier sous l’impulsion de Derek Pearsall225. Les articles portant sur tel ou tel manuscrit de Piers Plowman ont été très nombreux, et les soucis de mettre en relation un certain nombre de problèmes soulevés par le poème et sa diffusion sont de plus en plus importants226. À la fin des années 1980, Marie-Claire Uhart a effectué une thèse sur l’étude systématique des manuscrits et de la réception de Piers Plowman227. Cependant, son auteur adopte une perspective assez différente de la nôtre, qu’elle revendique au demeurant. Selon elle, “la lecture a plus d’importance que le lecteur”228 et son analyse a consisté à étudier les différentes réponses repérables dans les manuscrits : organisation, annotations et variantes textuelles. Elle s’inspire en grande partie des théories de la réception, et en particulier de celle de Hans Jauss. Cependant, elle n’en a retenu qu’un aspect et ne s’est

224 J. Coleman, Public Reading and the Reading Public in Late Medieval England and France, Cambridge, 1996. Voir aussi les travaux de Brian Stock sur les communautés textuelles, et plus généralement, sur la place de l’oral dans la tradition écrite (The Implications of Literacy, Princeton, 1983).

225 Voir dans la bibliographie les nombreux ouvrages qu’il a rédigé ou édité dans ce domaine.

226 Voir notamment les diverses études de Ralph Hanna et de Kathryn Kerby-Fulton – qui sont par ailleurs parfois opposés.

227 M.C. Uhart, “The Early Reception of ‘Piers Plowman’”, Doctoral Dissertation, University of Leicester, 1988. Je lui dois beaucoup pour cette partie.

pas vraiment attachée au concept de l’horizon d’attente des lecteurs. Il nous semble que ce parti pris exclut une approche complémentaire de la diffusion du poème, d’autant que tout au long de son développement, l’auteur de cette étude ne fait que très peu de liens entre les différents types de lectures repérés dans les manuscrits et les conditions socio-économiques – et culturelles – de leur production. Pour ne prendre qu’un exemple, elle n’évoque à aucun moment le statut des scribes du poème, qui est pourtant un élément important du processus de diffusion des poèmes, même si cela est très difficile à déterminer. Elle revendique le fait que pour comprendre un texte – en particulier un texte littéraire – les réponses contemporaines sont un élément fondamental, ce qui est tout à fait juste, mais l’étude de ces réponses ne peut pas, nous semble-t-il, être détachée de l’étude de ceux qui les font. Dans ce cadre, les travaux de Kathryn Kerby-Fulton sur les lecteurs professionnels, notamment à partir de l’étude du manuscrit Douce 104 (le seul manuscrit de Piers Plowman ayant un programme d’illustration229) me paraissent plus fructueux, même s’ils sont controversés230.

Au total, les nombreux apports de ce courant de recherche sont souvent dispersés et il convient de se placer ici dans une perspective de synthèse, sous un angle historique.

Une véritable étude de la diffusion n’est possible, on l’a vu, que pour Piers Plowman, dans la mesure où les autres œuvres ne subsistent plus que dans un ou deux manuscrits. En revanche, pour ces dernières, certains manuscrits – des compilations – sont célèbres et ont été bien étudiés, ce qui nous fournit quelques informations. Le traitement sera donc séparé. Par ailleurs, au risque de répétitions, il m’a paru plus clair de présenter d’abord les différentes informations données par les manuscrits, tels que la chronologie, la présentation, le contenu, la provenance et la destination, sous forme synthétique231, avant de tenter une synthèse conclusive prenant en compte les autres éléments permettant de définir une audience.

LES MANUSCRITS DE PIERS PLOWMAN.

Le nombre de manuscrits de Piers Plowman est considérable pour l’époque puisqu’il en subsiste 52, plus six fragments (dont deux du XVIIe siècle qui ne sont pas ici pris en compte)232. Seules deux œuvres vernaculaires contemporaines de Piers dépassent ce total :

229 N°40 dans l’annexe.

230 Kathryn Kerby-Fulton définit les lecteurs professionnels ainsi : “Professional readers are those whose job it was to make decisions about the copying, illustration, editing, correcting and annotating of a text on behalf of the medieval reader or consumer” (K. Kerby-Fulton, D. Despres, Iconography and the Professional Reader : The Politics of Book Production in the Douce Piers Plowman, Minneapolis, 1998, p. 2-3). Voir ci-dessous, p. 82-85.

231 Les données détaillées par manuscrit sont présentées dans l’annexe 2. Nous avons sélectionné celles qui nous paraissaient importantes pour notre propos, ne prétendant pas à une étude codicologique exhaustive, souvent effectuée, et qui dépasse nos compétences. Par commodité, les manuscrits sont numérotés.

les Canterbury Tales de Chaucer avec plus de 80 manuscrits233, et The Prick of Conscience, avec plus de 100 manuscrits234. On peut donc d’ores et déjà avancer, sans trop de risque d’erreur, que Piers Plowman a connu un grand succès.

Cet ensemble de manuscrits n’est pas homogène et plusieurs groupes se distinguent. Il existait trois versions, A, B et C, un peu différentes les unes des autres235. Ces versions – même si leur histoire est controversée – permettent de définir des traditions ou des familles de manuscrits236. La version A se retrouve seule dans 10 manuscrits, la version B dans 15 et la version C dans 18. Par ailleurs, dans 9 manuscrits, il y a des mélanges de versions, ce qui complique encore les choses du point de vue de la tradition textuelle et de la diffusion. Le mélange le plus courant est la version A en entier complétée par la fin de la version C (7 copies).

• La chronologie des manuscrits.

Elle est souvent très approximative. Il est en effet difficile de donner des datations précises, puisqu’en l’absence de dates sur les manuscrits eux-mêmes237, seule l’étude codicologique peut nous fournir des informations. L’essentiel des copies est donc daté au demi-siècle près238. Quoi qu’il en soit, cette chronologie implique que l’on n’étudie pas seulement le public contemporain de l’œuvre, mais aussi le public postérieur. Dans notre cas, la grande majorité des manuscrits date du XVe siècle et il y a même quelques copies datant du XVIe siècle.

233 C. A. Owen, The Manuscripts of the Canterbury Tales, Cambridge, 1991.

234 R. E. Lewis, A. McIntosh, A descriptive guide to the manuscripts of the Prick of Conscience, Oxford, 1982. 235 Annexe 1, p. 613.

236 Pour certains, il existe également une version Z.

237 A quelques exceptions près : le Douce 104 (n°40) daté de 1427 et le Digby 145 (n°51) daté de 1531-32.

238 Nous avons suivi les chronologies données par les éditeurs de l’édition Athlone, ainsi que celle de Ralph Hanna dans sa présentation de William Langland (Aldershot, 1993), qui est un peu différente. Nous avons par ailleurs noté en annexe les divergences d’autres auteurs, lorsqu’il y en a.

Graphique 1 : La répartition chronologique des manuscrits239.

Il reste 5 manuscrits dont on est à peu près sûr qu’ils soient du XIVe siècle. Ils suivent donc de près la composition de l’œuvre. Ils peuvent même en être contemporains puisque la composition du poème s’est étalée sur plusieurs décennies. Le premier (n°1) daterait des environs de 1370240. Il est intéressant de noter que les deux suivants sont des versions C. C’est la version définitive qui a, semble-t-il, eu au départ la plus large circulation, peut-être de par la volonté de l’auteur, mais il est impossible de savoir dans quelle mesure il a contrôlé cette circulation précoce. Les débats à ce sujet sont importants241. 16 manuscrits sont datés de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle. Ils témoignent également de cette circulation précoce. Il subsiste entre 23 et 25 manuscrits de la première moitié du XVe siècle242, ce qui implique que le succès ne s’est pas démenti. Les derniers manuscrits (seconde moitié du XVe, première moitié du XVIe siècle) sont d’autant plus intéressants qu’ils sont contemporains des débuts de l’imprimerie. L’œuvre est d’ailleurs imprimée en 1550243. Cependant, la majorité des manuscrits s’inscrit dans un grand demi-siècle suivant la création de l’œuvre, ce qui permet tout de même une certaine homogénéité – au moins chronologique – dans les conclusions sur l’audience.

239 Copies complètes et fragments.

240 Encore que cette date soit controversée (voir ci-dessous, p. 80). 241 Kerby-Fulton, “Piers Plowman”, op. cit., p. 517.

242 Les dates des n°43 et 47 sont controversées (annexe 2, p. 661 et 663).

243 The Vision of Pierce Plowman, éd. R. Crowley, Londres, 1550 (STC 19906, 19907, 19907a).

0 5 10 15 20 25

• La présentation des manuscrits.

L’étude matérielle des manuscrits peut apporter de nombreuses informations sur la manière dont était perçu le poème (la réception) autant que sur sa diffusion.

 Dimensions.

Graphique 2 : Les dimensions des manuscrits.

La grande majorité des manuscrits est de taille moyenne. Parmi les copies classées dans la première catégorie (> 29 x 19 cm), deux manuscrits se distinguent réellement par leur grande taille244, les n° 4 et 5. Le n°4, le Vernon mesure plus de 54 cm sur 39 (et a dû peser 22 kilos lorsqu’il était complet). C’est un des plus grands manuscrits – si ce n’est le plus grand du XIVe siècle245. Il devait sans doute se trouver sur un pupitre. Le n°5, qu’on appelle le Liber Glastoniensis, mesure lui 44 cm sur 30. Ils sont tous les deux épais : 355 feuilles pour le Vernon (mais 406 au départ), 420 pour le second. Deux manuscrits, les n°23 et 47, ne sont pas inclus dans ce graphique à cause de leur taille atypique (env. 30 x 13 cm).

Le nombre de feuillets est très variable. 21 ont moins de 100 feuilles, 24 ont entre 100 et 200 feuilles, 6 ont plus de 200 feuilles. Mais ces chiffres sont à nuancer : certains manuscrits conservés aujourd’hui sont des parties de manuscrits plus anciens, et inversement, d’autres sont des assemblages plus récents, ce qui nous conduit à la question de la composition.

 Composition.

La plupart des manuscrits ont été reliés bien après leur copie. Parmi eux, il y a des manuscrits factices, composés de plusieurs parties, écrites à des époques ou dans des lieux

244 Et leur contenu abondant.

245 Avec le Simeon qui lui est associé. Voir ci-dessous, p. 97.

0 5 10 15 20 25 30 35 > 28 x 19 cm 21-28 x 15-19 cm < 21 x 15 cm

différents (le n°32 par exemple). Cela complique encore l’étude de leur diffusion (mais peut également apporter un éclairage intéressant). D’autres sont des manuscrits hétérogènes, composés d’unités codicologiques (booklets) rédigés à la même époque, mais qui ont pu circuler individuellement, comme les n° 1 et 27246. Ceux-là proviennent vraisemblablement d’ateliers professionnels, mais il est difficile de distinguer entre ceux qui sont produits délibérément et ceux qui sont reliés ensuite par une personne privée. Leur distinction aide néanmoins à affiner l’étude de la circulation des textes247.

 Support.

Tableau 1 : Les supports selon les versions. Nombre de manuscrits

par version

Parchemin Papier Parchemin + Papier A 248 17 9 7 2 B 15 12 3 C 18 18

La grande majorité des manuscrits sont en parchemin, 39 au total. Par ailleurs, dans plus de la moitié des cas, le parchemin est décrit comme étant de bonne qualité (22/39). Deux copies mélangent papier et velun. L’un des deux, le n°27, est d’ailleurs composé de cahiers encartés qui ont circulé séparément ; des feuilles de velun protègent le papier. Dans le cas du n°29, un cahier de papier suit quatre cahiers de parchemin. Les manuscrits en papier, au nombre de 10, sont très minoritaires avant 1450. Inversement, les plus tardifs sont pratiquement tous en papier. Ces chiffres reflètent bien ce que certains ont appelé la révolution du papier, au moins pour l’Angleterre, qui se généralise en effet dans la deuxième moitié du XVe siècle249, grâce à son coût réduit.

Par ailleurs, comme le montre le tableau, ce ne sont pratiquement que des manuscrits de la version A qui sont en papier. Selon Roderick Lyall, ce serait peut-être le signe d’une audience

246 Ezio Ornato la définit comme “un certain nombre de cahiers écrits constituant un ensemble homogène” (“La production livresque au moyen Age : Problèmes et méthodes d’évaluation”, dans La face cachée du livre médiéval, E. Ornato et alii, Rome, 1997, p. 163-177, p. 167) ; voir aussi R. Hanna, Pursuing History. Middle English Manuscripts and their Texts, Stanford, 1996, p. 21.

247 Voir ci-dessous, p. 76-82.

248 Ces chiffres prennent en compte les manuscrits où la version A est suivie de la version C.

249 R. J. Lyall, “Materials : The paper revolution”, dans Book, production and publishing…, op. cit., p. 11-30. Il note que “even as early as the close of the fourteenth-century, a quire of paper (twenty-five sheets) cost no more than the average skin, but it gave eight times as many leaves of equivalent size” (p. 11).

différente des trois versions250. Cela soulève la question d’une audience différentielle selon les versions, sur laquelle il nous faudra revenir. Cependant, ce sont aussi les manuscrits les plus tardifs, et il est donc logique qu’ils soient en papier.

 Présentation et décorations de la page.

On peut distinguer, à des fins pratiques, la mise en page du texte de la décoration. Cette distinction est en grande partie artificielle. Les initiales font par exemple partie intégrante des éléments permettant de se repérer dans le texte, de même que, fréquemment, les illustrations251.

Tableau 2 : L’organisation de la page252.

Intitulé initial Intitulé final Têtes de passus Latin253

Rouge 9 13 22 + 1* 15 + 1* Souligné ou encadré254 1 11 14 + 3* Espacé 1 5 Non distingué 2 + 1 ( ?) 6 9 Aucun 22 3 1 + 1** 14 + 2*

* de manière irrégulière ; ** = ligne blanche. Manuscrits acéphales : 4.

Manuscrits mutilés de la fin : 9.

Tableau 2 bis : La distinction des paragraphes. Paragraphes

Pieds de mouche (généralement rouge et/ou bleu)

21 + 13*

Espacés 4 + 1**

Aucun 13

* = irrégulier ; **également marqué. Tableau 3 : Les initiales.

Lettrine initiale Lettrine de début de passus

Aucune 2 + 1 ( ?) 3

Encre principale 3 3

250 Ibid, p. 14.

251 Cf. K. Scott, “Design, decoration and illustration”, dans Book, production and publishing…, op. cit., p. 31-64. 252 Les fragments ne sont pas pris en compte.

253 Les noms et certaines expressions sont parfois signalées, mais quand de tels signalements existent, c’est systématique pour le latin ; j’ai donc jugé que c’était représentatif.

1 couleur 15 10 + 2* 2 couleurs 14 23 3 couleurs et plus 9 + 2 ( ?) 2 Avec Ornementations 14 19 Décorées 10 1 + 2* Réservées 3 6 * de manière irrégulière.

Le n°15 possède une décoration incomplète.

En matière d’organisation, pratiquement tous les manuscrits ont les points communs suivants. Si les intitulés initiaux sont minoritaires, les subdivisions sont presque toujours marquées, en rouge ou soulignées et il y a très fréquemment un intitulé final. Les paragraphes sont souvent marqués en bleu ou en rouge, mais souvent de manière irrégulière ; les citations en latin sont généralement incluses dans le texte, mais sont souvent soit en rouge, soit soulignées ou encadrées, ainsi que, plus rarement, les noms propres.

On trouve des initiales au début du texte dans 43 copies, la plupart du temps assez simples, à l’encre rouge ou bleue rehaussée de rouge. 10 d’entre elles sont décorées. Il y a des initiales de début de chapitre dans 40 manuscrits, la plupart du temps en bleu orné de rouge (19 cas). Elles ne sont que très rarement décorées. Dans plusieurs cas enfin, nous trouvons des initiales réservées.

Treize manuscrits possèdent des décorations plus élaborées. Pour sept d’entre eux, la première page est décorée, le plus souvent par des bordures à rinceaux, intégrant la lettrine initiale (n°3, 8, 14, 20, 24, 26, 33) ; le n°4 a également une page décorée de cette manière, mais elle est située au milieu du texte. Cinq manuscrits ont quelques décorations simples, souvent des esquisses à la plume (n°2, 16, 22, 24, 33). Seuls trois manuscrits ont des enluminures. Les n°9 et 20 n’en ont qu’une, chacun au début du texte (un laboureur pour le premier, un homme rêveur pour le second)255. Seul un manuscrit possède un véritable programme d’illustrations au lavis, 74 au total. C’est le MS Douce 104 (n°40), qui a été décrit en détail256, et sur lequel nous reviendrons.

Nous sommes donc en présence d’une majorité de manuscrits qui ne sont pas très luxueux, surtout si on les compare à certains manuscrits contenant des œuvres de Chaucer ou

255 Elles sont reproduites dans l’article de Kathleen Scott, “The Illustrations of Piers Plowman in Bodleian Library MS. douce 104”, YLS 4, 1990, p. 1-86.

256 Piers Plowman : A Facsimile of Bodleian Library, Oxford, MS Douce 104, éd. D. Pearsall et K. Scott, Cambridge, 1992 ; K. Kerby-Fulton, D. L. Despres, Iconography and the Professional Reader : The Politics of Book Production in the Douce Piers Plowman, Minneapolis, 1998.

de Gower, plus fréquemment enluminés (même si ce n’était pas la règle)257. Quelques points intéressants sont dignes d’attention. D’une part, beaucoup d’entre eux, même s’ils ne possèdent pas de programme de décoration, sont été soigneusement exécutés. En outre, il y a un souci constant de l’organisation de la page, qui selon Marie-Claire Uhart serait l’indice que le texte était surtout copié pour être lu258. Enfin, le fait que, pour les manuscrits en parchemin, celui-ci soit souvent de bonne qualité, suggère que c’étaient des manuscrits qui possédaient une certaine valeur.

• Production et diffusion.

Il est difficile de reconstituer la production et la distribution des manuscrits. Une minorité d’entre eux nous fournit des informations précises. Cependant, de récentes études sur d’autres manuscrits pour lesquels des recoupements et des hypothèses sont possibles, ont apporté quelque éclairage sur le sujet.

La provenance des manuscrits.

La provenance géographique des copies est difficile à préciser pour la plupart des manuscrits. L’indice essentiel à ce propos est l’identification du dialecte utilisé par les scribes, que l’on peut souvent déceler en surimpression des dialectes des auteurs. Depuis plusieurs années, l’Edinburgh project tente de cartographier les dialectes des différents manuscrits anglais259. En ce qui concerne les copies de Piers Plowman, le classement est surtout l’œuvre de Michael Samuels260. Il faut noter que tous les dialectes n’ont pas été identifiés, et en particulier ceux où la version A est suivie de la version C261.

Les manuscrits de la version A sont situés à la périphérie (au nord et à l’est du pays). Selon l’auteur de cette étude, cela montre une situation déjà connue selon laquelle les versions les plus anciennes se trouvent à la périphérie d’une culture. Il ne précise pas son propos, mais il est vraisemblable que cette situation est liée au fait qu’il devait être plus difficile d’avoir accès aux copies les plus récentes lorsque l’on était éloigné des centres de production, car les manuscrits voyagent peu.

Les copies de la version B sont localisées de manière prédominante à Londres et dans les régions alentours, et d’après les formes, souvent mixtes, une majorité d’entre elles aurait

257 Scott, “Design, decoration and illustration”, op. cit. 258 Uhart, “The Early Reception…”, op. cit., p. 29-39.

259 Cf. A. McIntosh, M. L. Samuels, M. Benskin, A Linguistic Atlas of Late Middle English, 4 vol., Aberdeen, 1986. C’est l’élément principal de ce projet, mais il y a aussi beaucoup d’articles et de recherches non publiées.

260 M. L. Samuels, “Dialect and Grammar”, dans A Companion to Piers Plowman, éd. J. Alford, Berkeley, 1988, p. 201- 22.

été l’œuvre de scribes de ces contrées venus s’installer à Londres. Michael Samuels ne liste que peu de manuscrits de cette version, mais les données supplémentaires confirment cet ancrage262. En outre, un manuscrit classé par lui comme provenant du sud de l’Essex aurait en fait été produit à Londres, d’après des signes autres que dialectaux, comme le contenu ou la provenance du papier. C’est le manuscrit Huntington 114 (n°27)263. Ce cas est particulièrement intéressant car le scribe de cette copie est connu pour avoir participé à la réalisation de deux autres manuscrits, qui contiennent tous deux de la poésie allitérative264. C’est un des éléments sur lequel Ralph Hanna s’appuie pour sa théorie de la diffusion de la poésie allitérative en dehors des Midlands, et notamment à Londres265.

Les manuscrits de la version C enfin se distinguent par une concentration notable autour des Malvern Hills (Midlands), probable région d’origine de l’auteur. C’est un des principaux éléments qui a conduit à penser que Langland était retourné dans cette région à la fin de sa vie, et qu’il y avait été patronné266.