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Chapitre 4 : Résultats et Discussion

4.3 Étude des facteurs socioéconomiques

L’échantillonnage s’est déroulé entre le 10 juin et le 10 juillet 2015. Bien que certaines contraintes provoquées par des inondations ainsi que des tumultes sociaux aient restreint les déplacements, des petits producteurs de sept villages ont été rencontrés en entrevue. Les entrevues de forme semi-structurée suivies de discussions libres ont permis aussi la visite de huit sites de production agricole de nos participants. Trois ONG locales ont été rencontrées ainsi qu’une rencontre d’un professionnel avec une ONG internationale basée au Québec. La distribution des entrevues a permis de couvrir une grande partie du territoire maya de Toledo et la distribution des entrevues selon les villages est présentée sur la Figure 22. Nous pouvons y voir aussi les différentes proportions des entrevues selon les groupes d’âge et les groupes ethniques. Nous avons eu une seule répondante. Ceci reflète la division des tâches dans la communauté maya où les hommes ont la majorité des tâches décisionnelles en rapport à l’agriculture.

Figure 22 : distribution des entrevues selon l’ethnie, l’âge et le village

Le contenu des entrevues a été analysé selon quatre rubriques, celles-ci bien que reliées par la relation entre différents thèmes, sont bien définies. La distribution des rubriques selon les thèmes est présentée à la Figure 23. La disponibilité du matériel

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végétal est d’une importance capitale pour la propagation d’une espèce. Cette rubrique présente la perception des petits producteurs rencontrés quant à leur facilité à obtenir ce matériel, mais aussi à la disponibilité de sources formelles pour pourvoir en cas de besoin les graines ou les plants nécessaires. La rubrique « gestion et tenure des terres » permet d’obtenir un portrait des conflits en temps et en espace qui pourraient survenir lors de l’implantation du système agroforestier. La volonté du producteur est plus subtile et découle, entre autres, de ses pratiques agricoles, mais aussi de la connaissance et de la compréhension de nouvelles pratiques proposées. Cette rubrique est en forte interrelation avec celle de la confiance du producteur. Celle-ci est variable vis-à-vis de nouvelles pratiques, mais aussi des organisations locales qui en font la promotion.

72 4.3.1 Répondants étant petits producteurs

Un des aspects importants lors de ces entrevues était d’établir les capacités de production de plantules d’arbres par les petits producteurs. La disponibilité des plantules pour la plantation passe soit par leur propagation ou soit par leur acquisition. La majorité des répondants, soit 88%, a déjà fait la production et la plantation d’arbres et arbustes. Certains l’ont observé et pratiqué uniquement dans leur famille lorsqu’ils étaient jeunes. Ils sont confiants de leur capacité de produire des jeunes arbres à l’aide de graines. Ceci implique des connaissances dans le maintien d’une pépinière artisanale. Le cacaoyer est l’espèce la plus produite par les producteurs rencontrés, mais plusieurs ont aussi produit des arbres d’ombrage et d’accompagnement comme l’acajou (Swietenia macrophylla) et le cocotier (Cocos nucifera). Les arbres pour la production de bois semblent privilégiés alors que les fruitiers autres que le cacaoyer sont rarement mentionnés. La culture du cacao est en plein essor dans la province de Toledo et principalement dans les communautés mayas (Emch, 2003). La majorité a désigné la production de jeunes arbres à l’aide de sacs comme étant la technique à utiliser comme observé sur la Figure 24. Selon eux, ils peuvent mieux s’occuper des jeunes arbres et aussi les protéger des ravageurs comme l’agouti. Cependant, plusieurs ont spécifié qu’ils utilisent aussi la plantation directe avec des semences. Cela est plus rapide selon eux et la plantation de plus d’une graine permet ensuite de sélectionner les meilleures pousses.

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Figure 24 : Activités agricoles et techniques envisagées pour la production de jeunes arbres

La principale source de semences est différente selon les pratiques agricoles. Pour les cultures vivrières, la source des semences repose sur l’autosuffisance du petit producteur qui garde une partie de sa récolte. Dans le cas du maïs au Bélize, il a été observé que 87% des producteurs utilisant leurs propres semences ont utilisé la même lignée sur une période de 16,5 ans en moyenne (Bernstein et Herdt, 1977). En cas de surplus ou de besoin, 76% des producteurs semblent enclins à échanger ou partager leurs semences, surtout au sein de leur communauté. Dans le cas de la production d’arbres, la récolte de semences en milieu naturel est commune et presque tous vont chercher des semences ‘’in the bush’’, soit dans les forêts environnantes, comme présenté sur la Figure 25. Ces résultats concordent bien avec ce qui est observé dans divers ouvrages, soit que les sources informelles de semences sont beaucoup plus privilégiées chez les petits producteurs (Cornelius et al., 2010). La présence d’un bon couvert forestier et d’une grande réserve forestière dans la province de Toledo permet, comme dans la province de Cayo, d’obtenir un couvert forestier au-delà de 70% en 2010 (Cherrington et Ek, 2010). Ce couvert forestier permet encore la récolte en territoire naturel de la majorité des espèces

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recherchées par les petits producteurs. Selon les répondants, les petits producteurs ont accès à un nombre adéquat de semences et n’ont donc pas besoin de s’en procurer ailleurs.

Figure 25 : Provenance et partage des semences utilisées

Cependant, l’attrait des plants améliorés pour la production de cacao est bien présent surtout chez les producteurs associés à la coopérative TCGA. Ceux-ci font l’achat de plants greffés et de semences améliorées à l’aide de prêts par la coopérative. Ceci est beaucoup plus important dans les cas des entrevues avec des producteurs cultivant majoritairement du cacao. Dans le cas de ceux récoltant eux- mêmes leurs semences de cacaoyer, ceux-ci semblent moins enclins à partager leurs semences et préfèrent protéger la capacité de leurs meilleurs arbres producteurs.

Peu de répondants connaissent des sources de semences et de plants formelles, bien que des pépinières et certaines ONG locales en produisent dans la province. Un aspect intéressant est que l’un des participants a mentionné qu’avant l’indépendance du Belize en 1981, il y avait une meilleure disponibilités d’essences dû à la présence de pépinières gérées par l’État. Il reste que des pépinières

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commerciales existent à Toledo dont l’une offrant une grande variété à Hellgate, mais aussi à Stan Creek et Springfield, dans les provinces voisines. Elles ne sont pas mentionnées ou connues par les répondants. Elles ne sont cependant pas accessibles sans un moyen de transport motorisé.

Les pratiques agricoles de nos différents participants sont variées. La majorité d’entre eux cultivent le maïs, mais aussi le cacao. Peu de répondants ont des activités agricoles reposant sur une seule espèce, mais certains se sont spécialisés ou favorisent fortement un type de culture, principalement vivrière. Le maïs est cultivé en majorité sur brûlis et l’utilisation de légumineuses arborées ou herbacées a été mentionnée par trois des participants pour l’amélioration des rendements. Le cacao semble être l’activité principale pour l’obtention de revenus. Cependant, d’autres denrées comme la noix de coco pour la production d’huile, les courges à graines nommées localement ‘’Pepitos’’ ainsi que le café sont aussi cultivés pour la vente. La culture du maïs, du riz, des fèves et des courges est majoritairement de subsistance et n’est pas pour la vente. Ceci reflète bien les pratiques régionales dans la littérature (Wilk, 1984). Il reste que la distribution dans le temps de ces pratiques peut se mettre en conflit avec l’implantation du système agroforestier en couloir comme il a été observé dans la section 4.2.

L’aspect le plus important ressortant des entrevues est que bien que les répondants aient désigné la production de plantules en sac comme étant la meilleure technique pour obtenir des plants vigoureux d’arbres, ils ont en majorité désigné la plantation directe de semences comme la technique qu’ils utiliseraient pour l’érection de ce système. Cette polarisation a été drastique dans certains cas, indiquant que cela serait impossible à effectuer en utilisant des sacs. La raison stipulée est la distance à parcourir pour arriver aux endroits propices à la culture du maïs. La distance associée à l’absence de moyens de transport pour se déplacer, autres que la marche à pied ou la pirogue dans certain cas, rend le transport des semis en sacs très ardu. Une réponse résumant ce fait par un de nos participants étant : ‘’ Cela me prend deux heures de marche pour me rendre à ma parcelle de culture de maïs‘’, implique que le transport de plants d’Inga en sacs serait fort difficile, voire

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improbable pour la plupart de nos répondants. L’augmentation de la distance des champs de maïs a été influencée par la démographie nécessitant une augmentation des superficies agraires, mais aussi la transformation de champs adjacents aux villages pour la culture du cacao ou les pâturages. La transformation des terres avoisinant les villages est la principale source de déforestation des zones naturelles dans la région (Emch et al, 2005). Les petits producteurs rencontrés ont en fait une maison dans le village et un lieu de culture à l’extérieur de celui-ci. Un répondant ayant des terres cultivées avoisinant sa maison indique qu’il ferait la propagation dans des sacs comme il le fait avec le cacao. Ce répondant avait plus de mille plants de cacaoyer en pépinière pour implanter proche de sa maison. Ceci démontre la capacité de certains répondants de produire une grande quantité de plants.

Dans le cas d’un système comme la culture en couloir avec l’Inga, certains répondants sont au courant du système et de sa promotion par certaines ONG locales. Quelques-uns d’entre eux ont visité le site de démonstration présent au MMRF ou ont participé à une rencontre d’information avec Ya’axche faisant un projet pilote bordant des aires protégées. La réception du système par les producteurs ayant connaissance de celui-ci est diverse, passant d’un intérêt vis-à-vis les sites de démonstration pour en voir les résultats, de l’expérimentation personnelle avec une espèce locale ou le déni de la technique la qualifiant de folie. Il est reconnu que l'ouverture individuelle du fermier à l'agroforesterie est cruciale au succès de projets d'agroforesterie (Lutz, 1998). Bien que la majorité des petits producteurs rencontrés cultivent des systèmes agroforestiers, une appréhension vis-à-vis du système découle de la quantité d’arbres à l’hectare. Une seconde appréhension est la présence de techniques efficaces d’amélioration de la production du maïs ayant déjà été en promotion auprès d’eux, comme l’utilisation de rotation de légumineuses comme Mucuna pruriens. Le fait de changer une pratique qui vient d’être améliorée peut-être un élément dissuasif évident. Surtout que la rotation avec Mucuna pruriens est une solution moins coûteuse et moins compliquée pour améliorer la récolte de maïs. Cela montre que bien que la capacité technique de produire des plantules d’arbres semble acquise chez les répondants, l’effort supplémentaire pour l’érection du système en couloir semble être un effet dissuasif.

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Il est intéressant d’observer que sur les sites agricoles visités, la morphologie des plantations est différente de la vision occidentale de l’agriculture qui est beaucoup plus géométrique et ordonnée. La plantation en rangs est presque inexistante, la densité fluctue selon la topographie et les parcelles sont de formes diverses. La plantation s’effectue par la création de petite dépression à l’aide d’un bâton où une demi-douzaine de semences sont déposées (Bernsteain et Herdt, 1977). Ceci découle de la pratique de l’agriculture sur des terres marginales ou sur des pentes abruptes. Cependant, cela n’empêche pas certains producteurs rencontrés d’utiliser des techniques semblables à la culture en couloir.

À la suite d’une session d’information quelques années auparavant, l’un des répondants a décidé de faire la taille d’une espèce d’Inga locale sur une plaine alluviale et d’y faire sa production de maïs. Dans ce cas, les Ingas étaient déjà présents sur le site, mais il en a favorisé la propagation en protégeant les nouvelles pousses pour produire ensuite plus de paillis. Un second producteur rencontré fait la culture du maïs en combinaison avec Gliricidia sepia dû au fait qu’il a remarqué que la production était meilleure le long de ces haies vives de cette espèce qu’il taille à chaque année. Il a ensuite ajouté des arbres par pieux vivants issues de ses haies pour améliorer sa production et en fait la taille précédant le semis du maïs. Il ne pense pas y planter des Ingas car Gliricidia sepia se propage facilement avec des pieux vivants. Le fait de se tourner vers des espèces locales est intéressant, mais reflète aussi que les sources de semences disponibles sont principalement les territoires naturels de la région. Une plus grande confiance envers les espèces locales est courante et facilite souvent l’acceptation d’un nouveau système agroforestier. Les sources informelles de semences peuvent pourtant être adéquates, tant que les espèces visées sont accessibles sur le territoire et non surexploitées par coupe sélective (Weber et al. 2001). Dans le cas de l’espèce Inga edulis, cette espèce est absente du territoire. Pourtant le genre Inga est présent sur le territoire et est connu pour ses qualités de bois de feu (Lemckert et Campos, 1981). Les espèces locales sont exploitées dans ce sens au Belize. La recherche d’espèces locales d’Inga compatibles pourrait en améliorer la disponibilité informelle pour pourvoir à l’érection du système par les petits producteurs dans la région.

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Les organisations locales connues par les petits producteurs sont principalement celles ayant le plus d’activités dans leurs communautés respectives. La TCGA ayant une plus grande importance dans les communautés Mopan alors qu’un organisme comme Ya’axche y est peu connu, car plus actif à l’est dans les communautés kekchi. Ceci démontre la portée restreinte des organisations sur le territoire et près de 35% des répondants ne connaissaient pas d’organisation active sur leur territoire autre que le TCGA. Pourtant, plusieurs répondants estiment que des formations sont des services importants offerts par les ONG locales et une augmentation de la disponibilité de formation serait appréciée. Dans la littérature, l’apport des ONG peut exister sous diverses formes, mais une aide sur le long terme semble d’être une importance majeure sur la pérennité des systèmes agroforestiers issus d’un programme d’adoption. Souvent les suivis des programmes lorsqu’ils existent, sont légers et principalement axés sur les préoccupation opérationnelles (Scherr et Muller, 1991b ; Current et al., 1994; Lutz et Scherr,1995). On accorde trop souvent une faible priorité à l'extension avec peu d'investissement réel et une mise en œuvre avec un personnel non formé dans des techniques de communication (Glendinning et al., 2001). Pourtant dans plusieurs projets, beaucoup de fermiers ont estimé que l'aide technique et la formation étaient insuffisantes et qu'ils auraient profité de plus de visites de contrôle (Fisher et al. 2002). Il reste que la méfiance envers de nouveaux programmes est stipulée dans quelques entrevues, qualifiant parfois ceux-ci de ‘’false talking ‘’. L’impression existe aussi que de participer à de nouveaux programmes n’est pas nécessairement avantageux. Dans le cas de la culture en couloir, la nécessité de preuves concrètes d’amélioration est stipulée par la plupart des répondants et la démonstration du système en promotion est recommandée avant toute chose.

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Dans le cas des entrevues avec des professionnels, soit d’organismes locaux ou international, certaines disparités existent. Les professionnels rencontrés étaient issus d’organisations bien différentes. L’une œuvrant pour la conservation (Ya’axche conservation trust), l’une dans la promotion de la permaculture (MMRF), la troisième est un regroupement de producteurs (TCGA) et la dernière, une ONG internationale œuvrant avec les producteurs agricoles (SOCODEVI).

Dans le cas des organismes locaux, selon un professionnel d’une organisation de producteurs comme le TCGA, l’optique économique est plus importante alors que pour une organisation de conservation comme Ya’axche, les pratiques agricoles sont plus axées sur la protection des territoires naturels par la création de zones tampons. La culture en couloir avec l’Inga edulis devient alors un outil pour la conservation, mais qu’en est-il du petit producteur à l’extérieur des zones visées par celle-ci ? La protection contre les feux hors contrôle lors des brûlis est un point important apporté par le MMRF et Ya’axche pour la raison d’adopter ce système. De nombreuses plantations de cacao ont été détruites au cours de la dernière décennie par ce fléau et les zones de conservations sont menacées par les feux égarés. Ceci devient alors un intérêt pouvant rassembler toutes les organisations sur le territoire. Toutes les organisations locales rencontrées possèdent aussi une pépinière desservant leurs membres participants. Celles-ci opèrent soit par la vente de plants, soit par la distribution gratuite lors de programmes d’extension rurale ou de conservation. L’échange de semences entre différentes sources informelles semble être le moyen d’obtenir la majorité des essences produites dans les ONG. L’acquisition de semences d’arbres élites chez des producteurs est aussi pratiquée. Cependant pour les organisations de producteurs de cacao comme le TCGA, le CATIE est une source de plants améliorés et ceux-ci peuvent être vendus aux petits producteurs par des prêts Kiva remboursés ensuite par la production de cacao. Cela s’applique que dans le cas des cacaotiers pour l’instant.

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Dans le cas de l’Inga edulis, la disponibilité des semences est plus problématique car lors des entrevues, la seule source de graines d’espèces compatibles connue pour la culture en couloir était le verger à graine du MMRF qui ne possède que quelques arbres matures. Cependant, la recherche d’espèces locales compatibles était en cours en 2016 pour la production de plants en pépinière par l’une des organisations faisant la promotion. Cette absence de sources formelles adéquates ou informelles de graines d’Inga edulis ne semblait pas concerner outre mesure les promoteurs du programme. La promotion se faisait en partie par des fonds obtenus par subventions et la production des plants dans ce cas était gratuite ainsi que leur distribution.

Divergeant sur cette question, certains professionnels rencontrés sont en désaccord avec la distribution gratuite car cela ne permet pas un investissement personnel du producteur obtenant les plants. Ce manque d’investissements risque à court ou à long terme de donner lieu à un laisser-aller et au dépérissement de la plantation ou même à l’abandon des plants avant leur plantation. Ceci est aussi observé largement dans la littérature lorsque la culture en couloir et des haies vives sont mises en œuvre avec des subventions de projet. Souvent, les structures établies ne sont pas correctement gérées quand les fonds de projet sont terminés (Pierre et al., 1995). Le travail avec un regroupement de producteurs ou une communauté serait un avantage inhérent pour augmenter la volonté et les capacités des participants selon nos répondants professionnels. Bien souvent les petits producteurs n’utilisent uniquement que les ressources disponibles dans leur communauté et ne peuvent ou ne cherchent pas de ressources extérieures. L’installation de pépinières dans certaines communautés est une option intéressante et est déjà en essor.

Il est certain que la capacité de produire des plantules est différente dans le cas d’une organisation où la présence de salariés et de moyens de transport transforme

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