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Signatures observationnelles de la sédimentation des grains

4.3 Étude d’un disque d’étoile T Tauri

Afin de détecter les signatures observationnelles de la sédimentation et la migration ra-diale, nous avons calculé les images en lumière diffusée et SEDs des disques de deux manières différentes : (i) en utilisant les profils de densité décrits précédemment et (ii) en forçant tous les grains à suivre la distribution du gaz, afin de fournir un cas de référence, sans sédimenta-tion.

4.3.1 Distribution de poussière

Pour étudier les éventuelles signatures de sédimentation dans un disque entourant une étoile T Tauri, nous reprenons les paramètres des modèles présentés par Barrière-Fouchet et al. (2005), c’est-à-dire une masse stellaire M = 1 M, une masse de disque en gaz de Mdisque = 0.01 M avec un rapport gaz sur poussière de 100, le rayon du disque va de 0.5 à 400 AU et les tailles de grains vont de 1 µm à 1 m par décade.

La figure 4.2 présente les résultats obtenus par Barrière-Fouchet et al. (2005). On observe que les petits grains (. 10 µm) restent très couplés au gaz et le disque de poussière garde une forme évasée. Les gros corps (> 10 m) ne ressentent pratiquement pas les effets du gaz et restent sur des orbites quasi-képlériennes et le disque de poussière correspondant conserve sa structure évasée initiale. Pour les particules de taille intermédiaire, la friction influe fortement la dynamique de la poussière et leur impose un mouvement qui est très différent de celui du gaz, avec des processus de sédimentation et de migration radiale. La sédimentation est la plus efficace pour les grains entre 100 µm et 10 cm et contribue à réduire l’échelle de hauteur du disque de poussière. Elle est suivie d’une phase de migration radiale lorsque les grains sont proches du plan médian. Pour les grains entre 1 et 10 cm, la migration radiale est efficace dans les zones centrales du disque, produisant une couche de poussière très fine, alors que le disque reste évasé dans les zones externes où la sédimentation est moins efficace. Pour les grains plus petits (de 100 µm à 1 mm), la migration est moins efficace (relativement à la sédimentation) et l’augmentation de la densité dans le plan médian est limitée par la pression du gaz : la couche de poussière reste plus épaisse que pour les particules plus grosses. Pour ces mêmes particules, la sédimentation étant efficace même à grands rayons, le sous-disque de poussière tend à s’éloigner de la structure évasée.

La figure 4.3 présente les échelles de hauteur et densité de surface obtenues pour les différentes tailles de grains, dans les cas du disque circumstellaire. La réduction de l’échelle de hauteur des grains est particulièrement marquée entre 1 µm et 1 mm où elle passe d’environ 14 AU à 4 AU à un rayon de 100 AU, typique des zones que l’on peut sonder en lumière diffusée. Des résultats intéressants apparaissent également sur les courbes de densité de surface, en particulier pour les grains de 1 mm. Les parties externes du disque sont dépeuplées, ainsi que les parties centrales, très probablement parce que la migration devient extrêmement efficace dans ces régions et les grains ont tendance a être accrétés vers l’étoile2

.

2Le comportement obtenu dans ces régions ne peut être compris que de façon qualitative. En effet, dans les simulations SPH, un «puits» est introduit au niveau du bord interne, afin d’éviter de calculer les orbites des particules très proches de l’étoile (ce qui allongerait considérablement les temps de calcul, le code ne disposant pas d’un système de pas de temps adaptatif). Ce trou central crée un artefact numérique au bord interne où les densités calculées doivent être considérées avec précaution. Les comportements relatifs des différents grains sont cependant sans doute corrects, l’accrétion dans le puits remplaçant l’accrétion sur l’étoile, même si les échelles de distance ne sont pas exactes.

156 4.3.1 Distribution de poussière

Figure 4.2 – Distribution spatiale des grains en fonction de leur taille, calculée par Barrière-Fouchet et al. (2005). Les figures présentent une coupe du disque dans le plan (r, z) où sont représentés les contours de densité des particules SPH, correspondant aux grains de poussière de tailles comprises entre 1 µm et 10 m. Les barres de couleur indiquent log10(ρ) en g.cm−2. Le contour le plus externe est celui du gaz pour une densité ρ = 1.9 10−22g.cm−2. figure extraite de Barrière-Fouchet et al. (2005).

Étude d’un disque d’étoile T Tauri 157 100 200 0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20

echelle de hauteur (fit total)

r (AU) Hp (AU) 1d−1m 1d−2m 1d−3m 1d−4m 1d−5m 1d−6m 100 200 300 400 10−8 10−7 10−6 10−5 10−4

10−3 densite de surface (fit total)

r (AU) Sigma 1d−1m 1d−2m 1d−3m 1d−4m 1d−5m 1d−6m

Figure 4.3 – Ajustements de l’échelle de hauteur (à gauche) et de la densité de surface (à droite) pour des grains de 10 cm, 1 cm, 1 mm, 100 µm grains ainsi que pour le gaz dans le cas du disque entourant une étoile T Tauri. Figure extraite de Barrière-Fouchet (2005).

4.3.2 Images en lumière diffusée

La figure 4.4 présente les images en lumière diffusée obtenues en bande I avec (à gauche) et sans sédimentation des grains (à droite). Lorsque le disque est vu par le pôle (panneau supérieur), on observe qu’en présence de sédimentation la brillance de surface du disque est sensiblement plus faible. Les profils de brillance (figure 4.5) montrent que la différence s’accentue légèrement lorsque l’on s’éloigne de l’étoile, avec un facteur compris entre 2 et 3 pour les régions centrales du disque alors qu’il atteint environ 6 dans les parties externes. Cette diminution de brillance est due à la disparition des grains de quelques microns, qui ont l’albédo le plus élevé à la longueur d’onde étudiée ici, de la surface τ = 1. Il ne reste alors, dans cette surface, que des grains sensiblement plus petits que la longueur d’onde. Ces grains ont un albédo plus faible et le résultat est une diminution de la quantité de lumière diffusée. Ces résultats, obtenus à partir d’un modèle de sédimentation dynamique, sont en accord avec ceux de Dullemond & Dominik (2004b), qui se basent sur la résolution d’une équation de diffusion à chaque rayon. Ils prévoient que le disque devient de plus en plus faible dans les images en lumière diffusée au cours du temps et devrait être indétectable au bout d’une dizaine de milliers d’années.

Une telle baisse de luminosité des disques a un impact sur notre capacité à les détecter en imagerie et pourrait expliquer, au moins en partie, le nombre important de disques dont la SED indique la présence d’un disque mais dont les tentatives d’obtenir une image ont jusqu’à présent échoué. Le taux de disques détectés est d’environ 5 % dans les campagnes d’observation de HST. De même, un nombre important de disques dont nous connaissons l’existence par des images résolues dans le millimétrique à l’aide du Plateau de Bure, n’ont pu être imagés en lumière diffusée. Il n’est alors pas impossible que les disques que nous détectons en lumière diffusée soient des disques jeunes, dans lesquels le processus de sédimentation n’a pas démarré, auquel cas ces disques ne seraient pas les meilleurs candidats pour essayer de détecter des indices d’une formation planétaire.

Dans le cas où le disque est vu par la tranche (panneau inférieur de la figure 4.4), la géométrie de l’image n’est que marginalement modifiée. La brillance par unité de surface est environ dix fois plus faible que dans le cas sans sédimentation, également à cause de la disparition des grains les plus réfléchissants de la couche de surface. Un effet de cet ordre de grandeur est mesurable sur des observations calibrées en flux mais reste très difficile à

158 4.3.2 Images en lumière diffusée

Figure 4.4 – Images en lumière diffusée avec (à gauche) et sans sédimentation des grains (à droite) du disque modélisé par Barrière-Fouchet et al. (2005). Le panneau supérieur présente les résultats pour le disque vu par le pôle (i ≈ 12.5) et le panneau inférieur pour le disque vu par la tranche (i ≈ 88.5). Les niveaux sont identiques dans les quatre images.

10.0 20. 50. 100.0 10−20 10−19 10−18 10−17 10−16 λ .Fλ (w .m 2 .pix el 1 )

distance à l’étoile (AU)

Figure 4.5 – Profils de brillance en fonction de la distance à l’étoile, avec (ligne pleine) et sans sédimentation (ligne en tirets), dans le cas du disque vu par le pôle.

Étude d’un disque d’étoile T Tauri 159 0.0 0.5 1.0 0 20 40 P ol ar is at io n (% ) cos(i)

Figure 4.6 – Courbes de polarisation avec (ligne pleine) et sans sédimentation (ligne en tirets) en fonction de l’inclinaison.

distinguer d’une différence d’albédo, causée par une composition des grains différente ou la présence d’un manteau de glace autour des grains dans les parties externes du disque par exemple.

Nos simulations montrent un comportement similaire à des longueurs d’onde plus grandes. En particulier, nous n’observons pas de réduction de l’échelle de hauteur du disque, en fonc-tion de la longueur d’onde, plus marquée dans la cas avec sédimentafonc-tion comme nous aurions pu nous y attendre. Cela est probablement dû au fait que l’évolution de la phase de pous-sière n’a été suivie que pendant 8 000 ans, et que nous n’observerons ici que les effets d’une sédimentation limitée, qui reste insuffisante pour déplacer de manière visible la surface τ = 1. La polarisation est très sensible à la taille des grains. Si les gros grains disparaissent des couches de surface, on s’attend à une augmentation de la polarisation. Sur la figure 4.6, sont présentées les courbes de polarisation en fonction de l’inclinaison. La polarisation est systématiquement plus élevée en cas de sédimentation. Pour les disques vus sous de fortes inclinaisons, où les taux de polarisation sont les plus importants, la sédimentation augmente la polarisation de 5 à 10 points de pourcentage, différence qui peut être mise en évidence au vu de la précision des polarimètres. La polarisation peut donc être utilisée comme un diagnostic complémentaire pour rejeter la présence de grains sensiblement plus grands que la longueur d’onde dans les couches supérieures des disques.

4.3.3 Distribution spectrale d’énergie

Parce que la sédimentation des grains vers le plan médian modifie la géométrie du disque et sa capacité à intercepter la lumière de l’étoile, le bilan énergétique peut être modifié et on peut espérer détecter des signatures de la sédimentation dans la SED.

La figure 4.7 présente les SEDs obtenues avec et sans sédimentation. La principale dif-férence est le changement de pente observé entre 20 et 200 µm, avec un indice spectral α = d log(λ.Fλ)/d log(λ) qui passe de -0.78 dans le cas sans sédimentation à -0.89 avec sédimentation. Cette baisse de la SED dans le régime infrarouge lointain s’explique par la di-minution de l’opacité des couches supérieures du disque, ce qui se traduit par une didi-minution de l’énergie stellaire interceptée. La conservation de l’énergie implique alors une baisse égale

160 1.0 10.0 100.0 1000. 10−15 10−14 10−13 10−12 F λ.Fλ (W.m−2)

Figure 4.7 – Distributions spectrales d’énergie du disque T Tauri, avec (courbe pleine) et sans sédimentation (courbe en tirets).

de l’énergie re-rayonnée par le disque.

Ce régime de longueur d’onde tombe dans les fenêtres de Spitzer et bientôt de Herschel. La précision photométrique de Spitzer à 70 µm est insuffisante pour mesurer cet effet mais ce type de mesure sera accessible pour Herschel : la différence de flux prédite est de l’ordre de 50 % vers 100 µm.

On observe un excès d’émission dans l’infrarouge proche et moyen dans le cas avec sédi-mentation. Cet excès est causé par la température plus élevée de la surface du disque en cas de sédimentation. La figure 4.8 montre, par exemple, les profils verticaux de température à des rayons de 2 AU (à gauche) et 100 AU (à droite). Lorsque le disque est stratifié, on observe une température de surface entre 10 et 20 % plus élevée qu’en absence de sédimentation, avec une température qui passe de 250 à 280 K à 2 AU et de 50 à 60 K vers 100 AU.

Cette augmentation de la température de surface va avoir pour conséquence d’agrandir la surface d’émission à une longueur d’onde donnée, expliquant l’augmentation du flux observé. Pour les mêmes raisons, nous nous attendons à observer un phénomène similaire à celui étudié dans le cas d’IM Lup, à savoir une augmentation de la force des raies en présence de sédimentation. Comme nous l’avons déjà évoqué, le code hydrodynamique ne permet pas, pour l’instant, d’échantillonner les parties centrales du disque, à l’origine des raies d’émission des silicates, à cause de la présence d’un trou artificiel à 0.5 AU et des nouvelles simulations seront nécessaires pour analyser plus en détails ces effets.

L’augmentation de la température a en outre des implications sur les mécanismes chi-miques dans le disque. Elle influe sur les taux de réaction et réduit les régions dans lesquelles un manteau de glace peut se former autour des grains, ce qui peut, par exemple, avoir des conséquences sur les taux de déplétion du CO.