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CHAPITRE 1 : Traits d’identité culturelle

1.5 Éthique et catégorisation

Lorsque vient le temps de traiter des traits d’identité culturelle, il reste difficile de ne pas adopter une perspective comparative. Le risque avec une telle démarche est l’essentialisation des différences culturelles qui, lorsque mal interprétées, ou mal comprises, pourraient renforcer les stéréotypes et les préjugés à l’égard de certains groupes ethnoculturels. Ceci est particulièrement vrai pour les personnes qui ne peuvent se fondre dans l’anonymat et l’indifférence du fait de traits d’identité culturelle

54 permettant de les identifier comme migrantes, descendantes d’immigrants ou membres d’une minorité visible. La dépréciation de leur culture peut ainsi être mise au compte de leur phénotype ou rapportée à une infériorité biologique (Moisseeff, 2014). Nous condamnons fortement de telles conclusions. Il en est de même de toutes celles qui trouveraient leur fondement des postulats des auteurs tel que Bolk prétendant que « toutes les races n’auraient pas avec le même degré progressé sur le chemin de l’évolution humaine » (Bolk, 1961, pp. 273-274).

Le malaise entourant la catégorisation réside tout aussi dans la possibilité qu’une telle démarche soit utilisée à des fins de discrimination ou de mise en place de politiques et pratiques contraignantes pour les groupes concernés. En effet, la recherche d’efficience et de réduction des coûts sociaux peut conduire au nom de la gouvernementalité à exercer des contraintes institutionnelles sur les sujets perçus comme potentiellement « à risques ». Par gouvernementalité, on entend cette manière systémique de gérer des populations et des territoires en calculant des probabilités statistiques et des risques et en maniant des « dispositifs de sécurité » (Foucault, 2004a, 2004b). Un des exemples de cette gouvernementalité est reflété par les différents changements introduits au système d’immigration du Canada. La possibilité que le manque de compétences en français ou en anglais puisse compromettre le transfert d'autres compétences et diplômes au Canada a poussé le gouvernement à exiger des tests de langue officiels pour tous les nouveaux immigrants qui entreraient dans le cadre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). L’objectif mis en avant fut l’amélioration de la situation économique des immigrants (Picot & Sweetman, 2012). Aujourd’hui, tout porte à croire que le critère de la langue ne saurait à lui seul expliquer les difficultés d’intégration des personnes ciblées par de telles mesures. En évidence, être très qualifié ou maîtriser la langue ne suffirait pas toujours pour les membres de certains groupes ethnoculturels à s’intégrer sur le marché du travail. Leur nom de famille ou encore leur couleur de peau continue de leur faire obstacle (Boulet & Boudarbat, 2010; Garnett & Fenf, 2010).

Du côté des entreprises, les problèmes de santé mentale au travail sont reconnus comme ayant des répercussions négatives sur la performance organisationnelle (roulement, accidents de travail, baisse de créativité, démotivation, mauvaise ambiance au travail, etc.) (Chaudat & Muller 2011). Ces constats poussent les entreprises sous la

55 pression de la concurrence accrue et de la recherche d’une plus grande productivité à prendre des mesures qualifiées parfois de discriminatoires et dont l’objectif est d’écarter ceux qui pourraient devenir des « troubles ». Il s’agit des personnes plus susceptibles que d’autres de développer des problèmes de santé mentale. Certaines pourront alors voir dans notre thématique un argument pour renforcer de façon négative leurs considérations, dispositifs ou mesures à l’encontre de certains groupes : ce qui serait soit une erreur de compréhension du message que nous tenons à véhiculer, soit une mauvaise interprétation, intentionnelle ou pas du lien établi entre les traits d’identité culturelle et les problématiques sociales visées dans notre recherche. Une telle erreur d’interprétation ignorerait dans le cas des immigrants que ceux désignés comme à risques ou comme des troubles aujourd’hui présentaient pour la plupart un meilleur état de santé que la population générale à leur arrivée. C’est juste au fil des années dans le pays d’accueil que leur santé se serait détériorée (Goguikian Ratcliff & Rossi, 2014). Le lien entre leur état de santé et les conditions dans lesquelles se fait leur processus d’acculturation semblent être esquivés. Pourtant, un emploi précaire ou une forte insatisfaction professionnelle peuvent être tout aussi néfastes que le chômage ; et ces facteurs sont associés à des taux élevés de symptôme de problèmes de santé mentale (Burchell, 1994). Ces considérations, dispositifs et mesures semblent se faire « au prix de l’évitement de l’intervention sur les causes objectives d’une mauvaise santé » (Demailly, 2014, p. 52). C’est ici qu’intervient notre rôle de scientifique. Il nous revient la responsabilité de rendre compte de ces mécompréhensions en documentant et en explicitant ces différences culturelles dans leurs complexités. Les victimes de ces mécompréhensions « n’ont, en effet, pas le luxe de mettre à distance le miroir déformant qu’on leur tend quotidiennement » (Moisseeff, 2014, p. 26). Les traits d’identité culturelle tels que le statut d’immigrant, ou l’appartenance ethnique sont autant de réservoirs de déformation. Au cours de notre recherche, il s’agira moins de regrouper les conditions de travail selon des traits d’identité culturelle. Il sera plutôt question de comprendre dans quelles mesures les traits d’identité culturelle, plus particulièrement l’ethnicité et le statut d’immigrant, pourraient modifier la façon dont le travail s’associe aux symptômes de détresse psychologique et aux symptômes dépressifs. Si nous trouvons au terme de cette recherche des preuves d’une telle modification, alors nous pourrons par la suite réfléchir sur des façons d’optimiser les

56 efforts de prévention des problèmes de santé mentale au travail afin de mieux cibler et définir des interventions répondant à des situations spécifiques en milieu de travail dans lesquelles les traits d’identité culturelle pourraient agir comme un facteur important. Cette recherche est donc un début de réponse sur l’intérêt ou non d’une telle démarche. Notre démarche est une démarche non pas d’exclusion, mais plutôt d’inclusion. Comme le souligne Demailly (2014), éviter de toucher aux causes objectives d’un problème, en tentant de normaliser des comportements et des individus au lieu de simplement normaliser des niveaux de vie et des conditions d’existences contribue sans l’ombre d’un doute à perpétuer des idées fausses au sujet des personnes qui en sont victimes.

Nous tenterons dans le prochain chapitre d’analyser selon la littérature le lien entre les traits d’identité culturelle, le travail et la santé mentale.

CHAPITRE 2 :

Les traits d’identité culturelle, le travail et