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État, politiques publiques, coopératives et économie solidaire

Brésil

5. État, politiques publiques, coopératives et économie solidaire

second en visant une plus grande égalité sociale par la mise en œuvre de formes économiques démocratiques et autogestionnaires.

Bien que l'adhésion de la principale centrale syndicale à l'idée d'économie solidaire ait représenté un grand pas en avant, ce n'est pas un thème qui fait l'unanimité, y compris entre les syndicats affiliés à la CUT.

Des divergences subsistent autour de la conception de coopérative, soit elle est perçue comme solution au chômage, soit elle est mise en cause en tant que forme précarisée de relation de travail. En dehors de la CUT, il n'existe aucune systématisation du débat, chaque syndicat agissant en conformité avec son interprétation de la question chômage/précarisation ou d'alternatives possibles.

Dès sa création, l'UNISOL entre en compétition, dans le champ du

« nouveau» coopérativisme, avec l'ANTEAG, jusqu'alors l'unique représentante des entreprises et des travailleurs des unités autogestionnaires.

Cette compétition va conduire à des conceptions distinctes, bien que pas toujours claires, du développement et de la mise en place de ce genre d'entités.

5. État, politiques publiques, coopératives et économie

En même temps qu'elles se multiplient, ces coopératives doivent affronter la faible réglementation du secteur, ce qui sera, pour elles, la source d'un grand nombre de problèmes. L'absence de cadre légal conduit le Ministère public du Travail et de la Justice à mener des actions souvent contradictoires dans le contrôle des pratiques des coopératives. Il les empêche par exemple de participer à certains appels d'offre publics et en annule d'autres considérés comme frauduleux, en se basant sur une légalité tout à fait formel1e et sur l'interprétation de ce qu'est une coopérative. Sa référence est la législation du travail et le statut du salariat.

Ceci nous conduit à un autre thème constitutif du champ: la formation des entreprises coopératives présente des contradictions et des formes diverses, comme le constatent de nombreuses études de cas sur les caractéristiques de l'autogestion proposée et sa réalité.

6. Approche empirique des reprises d'usines: diversité, limites et contradictions

Àpartir de la fin des années 1990, ANTEAG/FASE commenceà publier des recherches réalisées sur les reprises d'usines. Ces études réalisées par divers auteurs (Valle, 2002; Vieitez et DaI Ri, 2001 ; ANTEAG, 2000), traitent des potentialités et des limites des diverses expériences liées à des usines en faillite, transformées en coopératives à la suite de la mobilisation des travailleurs. La majorité des cas étudiés porte sur des usines qui entrent à nouveau sur le marché avec succès et sur des expériences de travailleurs pratiquant l'autogestion et sur les difficultés qu'ils rencontrent. Les problèmes notés par Storch (1987) à propos de situations européennes, réapparaissent: faible niveau de capitalisation, problème de liquidités, équipements obsolètes, problèmes de gestion à cause de l'inexpérience ou même le désintérêt des travailleurs, maintien ou reproduction des hiérarchies, incompréhension de ce que signifie une coopérative et même l'autogestion, conflits entre les travailleurs associés et les travailleurs salariés se trouvant dans le même espace, âge avancé des travailleurs et difficulté de renouvellement des associés. Il y a donc des problèmes mais aussi des aspects positifs: les travailleurs ont une plus grande participation dans les décisions, moins de stress au travail, et ils sont plus satisfaits de leurs conditions de travail.

La diversité des situations qui ont conduit à la transformation des usines en coopératives se retrouve dans la façon dont les travailleurs les perçoivent.

De nombreuses coopératives ont été organisées par les travailleurs eux-mêmes à la suite du retard dans les paiements, de la faillite de l'entreprise. Grèves, manifestations, occupations, affrontement avec la police sont des éléments qui ont marqué la transformation de l'usine.

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Certaines usines ont commencé à fonctionner comme coopératives et c'est progressivement que les bâtiments ou même les équipements ont été rendus à leurs propriétaires par décision judiciaire (Holzmann, 2001 ; ANTEAG, 2000). D'autres encore sont des endowed cooperatives, selon l'appellation de Cornforth (Cornforth, 2007; Lima, 2004), c'est-à-dire des coopératives par dotation. Le propriétaire suggère aux travailleurs de transformer l'usine en coopérative. Parfois il sous-traite une partie du travail qui est confiée à la nouvelle entité, ou même lui transfère des secteurs de l'usine. Le degré de présence ou d'influence de l'ancien propriétaire joue sur le niveau d'autonomie de la nouvelle coopérative ou même sur l'engagement politique des travailleurs vis-à-vis du syndicat et du projet d'économie solidaire (Cortletti, 2009 ; Menezes, 2008 ; ANTEAG, 2000).

À partir des études de l'ANTEAG, ou même simultanément, un grand nombre d'études de cas furent réalisées. La plupart du temps, elles ont apporté des données nouvelles concernant les difficultés de l'autogestion, les reprises d'usines réussies, la permanence d'anciens conflits ou l'émergence de nouveaux.

L'État a appuyé des usines, comme dans l'ABC pauliste, et dans d'autres États, ou même favorisé la réussite de la reprise d'une l'usine et sa réinsertion dans le marché; sa participation a été accompagnée du recrutement de salariés, représentant parfois plus de la moitié des travailleurs de la coopérative. Dans le Rio Grande do Sul, certaines usines de chaussures, transformées en coopératives, ont gardé leurs cadres et même la direction, d'autres ont changé leur encadrement réduisant en grande partie la participation des travailleurs. D'autres encore sont devenues des sous-traitantes d'autres entreprises afin de pouvoir survivre (Lima, 2007).

Selon l'engagement avec le syndicat, celui-ci se fait soit l'intermédiaire dans un processus de sous-traitance soit le propagateur des idées de l'économie solidaire. Dans ces cas, l'incubation, ou l'accompagnement de l'usine, a établi que les travailleurs salariés ne pouvaient rester avec ce statut au-delà d'une certaine limite dans le temps. Ils doivent alors devenir des associés afin que soit préservé le caractère de coopérative ou de travail autogestionnaire.

En Argentine, le mouvement de reprise d'usines s'est développé avec l'effondrement de l'économie en 2000. Les mouvements sociaux ont occupé diverses usines, proposant l'autogestion comme alternative à la crise du capitalisme. Avec la reprise économique dans la période qui a suivi, les usines occupées ont dû affronter les dilemmes que posaient la sauvegarde de l'entreprise, la recherche d'un appui de l'État pour la faire fonctionner et les difficultés de son insertion ou de son maintien sur le marché. Au Brésil, au contraire, la reprise des usines n'a pas été provoquée par un mouvement de masse, elle s'est effectuée de façon ponctuelle à partir des années 1990 et ce n'est que progressivement qu'il y eut organisation, non pas d'un mouvement, mais d'une alternative en réponse à une faillite.

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En 2002, apparaît le Mouvement des usines récuperees, lié à des mouvements semblablesàceux de pays comme l'Argentine et le Venezuela mais avec des positions plus àgauche. Au Brésil, trois usines occupées par les travailleurs luttent pour leur nationalisation, dans une direction opposée donc à la ligne de l'économie solidaire, qui préconise l'appui de l'État mais pas la nationalisation.

Comme nous l'avons affirmé plus haut, le lien avec la CUT ou les syndicats engagés sur la voie de l'économie solidaire conduitàune plus ou moins grande observation des principes autogestionnaires dans les entreprises, qui fréquemment finissent par rompre avec les institutions qui les appuient comme ANTEAG et UNI SOL, àcause de désaccords sur la gestion des usines et des coopératives. Cet abandon fait perdre à l'usine ouà la coopérative son étiquette d'entreprise solidaire, entraînant son exclusion des forums communs.

Par ailleurs, des recherches menées auprès des travailleurs de ces usines, ayant un engagement politique plus ou moins affirmé, montrent qu'il n'existe pas nécessairement de relation entre cet engagement et la façon dont ils perçoivent, ou adhèrent aux idées d'autogestion/économie solidaire. Ce sont majoritairement les travailleurs ayant lutté pour la reprise de l'usine qui adhèrent à ces idées; ils participent davantage à la gestion, intégrant même le niveau de la direction et les secteurs administratifs, ce qui est moins le cas parmi les travailleurs de base de l'usine. La taille de l'usine et/ou de la coopérative est une variable importante qui a eu une incidence sur le degré de participation et d'engagement des travailleurs. Il en est de même de l'âge.

La plupart du temps, la moyenne d'âge des travailleurs est élevée. En général, ce sont des travailleurs qui ont un long temps de service en usine et qui restent dans la coopérative car il leur est difficile de retrouver une place sur le marché du travail. La résistance face à la perte de leur emploi, la disposition à lutter pour le garder caractérisent les travailleurs ayant vécu les débuts des coopératives, et ils continuent à en défendre leur caractère collectif et autogestionnaire. Il n'en est pas de même pour les nouveaux associés ou même parmi les travailleurs recrutés avec la perspective de devenir plus tard des associés. Il faut dire que les slogans du mouvement ouvrier et syndical présentent l'autogestion plus comme une absence d'alternative qu'une priorité.

Les interprétations de la condition de classe de ces travailleurs, maintenant des associés, posent avec pertinence le problème de la continuité de la « condition ouvrière». Autrement dit peut-on souscrire au maintien ou à la construction d'une identité forgée dans l'expérience antérieure, sans que soit toujours prise en compte la nouvelle situation représentée par la condition d'ouvrier-propriétaire? Ceci se voit clairement dans la relation, parfois conflictuelle, entre syndicat et usines récupérées dans lesquelles les travailleurs finissent par ne plus s'identifier au statut de travailleur salarié, remettant en cause l'affiliation syndicale. Les syndicats, tout en se proposant

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de représenter les travailleurs associés, cherchent eux à défendre les intérêts des travailleurs salariés des coopératives contre les possibles excès des nouveaux patrons, les travailleurs associés.

7. Approche empirique des coopératives sous-traitées par des entreprises

Parallèlement aux nombreuses recherches menées sur des reprises d'usines, d'autres études, mais à une échelle moindre, portent sur les coopératives qui s'organisent pour sous-traiter du travail industriel ou des services. Le secteur de la chaussure et de la confection a été, et continue à l'être, particulièrement représentatif de ce processus.À partir de la deuxième moitié des années 1990, nous disposons d'un ensemble de recherches conduites dans les États du Nord-Est (Lima 1996; Moreira, 1997; Reis, 2007), à Sao Paulo (Mondadore, 2007 ; Georges et Rizek, 2008 ; Georges et Freire, 2007), dans le Parana (Sousa Lima, 2009) et dans le Rio Grande do Sul (Lima, 2008).

Comme dans le cas des reprises d'usines, ces études soulignent différents points : la précarisation du travail dans les coopératives des villes de l'intérieur ou dans la périphérie de capitales d'État (Sao Paulo), qu'elles soient formalisées ou non, la création d'emplois dans des régions sans tradition industrielle, l'organisation de coopératives par des syndicats, l'accompagnement de ces coopératives par des entités comme l'ANTEAG, la prestation de services par ces coopératives à des organismes publics, la participation, du moins des directions, à des formations et forums d'économie solidaire, la sous-traitance pour de grandes entreprises avec l'exportation de produits et lien avec l'OCB (Organisation des Coopératives au Brésil), absence de liens avec un organisme coopératif, situations d'informalité totale et intégration à des réseaux formels d'entreprises. En général, la coopérative apparaît comme une option d'emploi, formalisée ou non, et la majorité des travailleurs affirment ne se trouver là que parce qu'ils n'ont aucune autre possibilité d'emploi formel.

Le secteur des services a été moins étudié. Il existe toutefois quelques recherches dans le domaine de la santé, parmi des infirmières hospitalières (Oliveira, 2007), aussi parmi des consultants et divers professionnels, qui s'organisent pour travailler en coopératives. Ces entités, qui sont extrêmement diverses aussi, sont connues en tant que coopératives de travail, et assument la réalisation de services.

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