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État de santé des communautés benthiques récifales

Afin d’estimer l’état de santé des communautés coralliennes, une méthode d’estimation visuelle de celle-ci, proposée par Bouchon et al., (2004) a été utilisée. L’état de santé du récif étudié est évalué sur une échelle comprenant quatre classes. Celles-ci sont basées sur l’évaluation des principales menaces qui pèsent sur les communautés coralliennes dans la région Caraïbe, c’est-à-dire : 1) l’eutrophisation des eaux côtières qui provoque une compétition intense entre les coraux et les peuplements de macroalgues (Fig. 2) ; 2) un phénomène d’hypersédimentation qui tend à étouffer les coraux par envasement (Fig. 3).

La première classe correspond à une communauté corallienne en excellente condition : les coraux ne présentent pratiquement pas de signes de nécrose et le peuplement végétal est constitué par un gazon algal. La seconde classe caractérise un récif en relativement bon état : les coraux présentent peu de signes de nécrose, des macro-algues se développent, envahissant progressivement les fonds entre les coraux qui demeurent non impactés par celles-ci, et (ou) des signes d’envasement du fond entre les coraux apparaissent. La classe 3 correspond à un récif dégradé : de nombreux coraux sont plus ou moins nécrosés, les macro-algues commencent à s’implanter directement sur les coraux et (ou) un envasement important des fonds est observable, la vase se dépose également sur les coraux qui ont du mal à s’en débarrasser. La classe 4 s’applique à un récif très dégradé : la majorité des coraux sont morts et ceux-ci, ainsi que le reste des fonds, sont envahis par des macro-algues et (ou) sont couverts de vase. Cette classification reflète bien la dynamique de dégradation des récifs caraïbes sous influence anthropique.

86 Figure 2 : Compétition avec les macroalgues.

87 L’état de santé des communautés benthiques récifales a été établi à l’aide de la méthode décrite sur les 21 sites étudiés en plongée lors de cette étude. De plus, cette méthode a également été appliquée à partir de l’examen de photographies sous-marines ou de vidéo. Ainsi, 8980 photographies et 223 vidéos prises par les membres de l’expédition Madibenthos autour de la Martinique ont pu être exploitées. Ce travail a permis de sélectionner 268 sites autour de la Martinique pour lesquels le matériel photographique et (ou) vidéo était suffisamment abondant et cohérent pour déterminer leur état de santé. Le résultat de ce travail fait l’objet de la figure 4.

Les communautés, sont dans l’ensemble, en meilleur état sur la côte Caraïbe que sur la côte atlantique. Les causes principales de dégradation sont l’eutrophisation des eaux côtières qui conduit à un remplacement des peuplements coralliens par des algues et, dans les baies, un phénomène d’hypersédimentation qui tue les coraux par envasement.

Figure 4 : État de santé, sur une échelle décroissante de 1 à 4, des communautés benthiques récifales autour de la Martinique.

Sur les 268 sites étudiés, seuls 19 % correspondent à des communautés coralliennes en bon état (classe 1). Dix sept pour cent peuvent être considérées comme étant en relativement bon état (classe 2), c’est- à-dire qu’il sont déjà marqués par une prolifération de macroalgues, qui n’affecte pas encore directement les coraux et (ou) par un début d’envasement du substrat. En cas d’amélioration de la qualité des eaux, ce type de communautés a encore des chances de repasser en classe 1. Quarante et un pour cent des sites sont situés en classe 3 : ils présentent des atteintes importantes des coraux qui apparaissent colonisés par des macroalgues qui tendent à les étouffer et (ou) qui doivent lutter contre un envasement important. Il n’est pas sûr qu’une amélioration de la qualité des eaux permette à ces peuplements coralliens de retourner à un état normal. Enfin, pour 23 % des sites les peuplements coralliens sont totalement détruits. Même en cas de retour à une bonne qualité des eaux côtières, la reconstitution des peuplements coralliens détruits risque de prendre des décennies.

88 Il peut être licite de se demander si la distribution de l’état de santé des communautés coralliennes était influencée par la profondeur. Cette variable environnementale pourrait agir de deux façons antagonistes : 1) la décroissance de l’éclairement au fur et à mesure que la profondeur augmente est susceptible de freiner la croissance des macroalgues et de freiner ainsi la compétition avec les coraux ; 2) la diminution de l’agitation de l’eau avec la profondeur pourrait favoriser l’apparition d’un phénomène d’hypersédimentation au niveau des peuplements coralliens.

Une analyse de variance de rangs (test de Kruskal-Wallis) a été utilisée pour tester la variabilité de la distribution des quatre classes de santé des récifs dans les tranches bathymétriques suivantes : 0-5 m ; 6-9 m ; 10-14 m ; 15-20 m ; 21-29 m et 30-45 m. Le test n’a pas permis de mettre en évidence une influence de la profondeur sur l’état de santé des communautés coralliennes (K = 5,980 ; p = 0,308). Il était également intéressant d’examiner les différences de répartition de l’état de santé des communautés coralliennes entre les côtes caraïbes et atlantiques de l’île. Les résultats sont présentés sur la figure 5. Les communautés coralliennes des côtes atlantiques apparaissent comme étant les plus dégradées : celles situées en classe 1 (bon état) ne représentent que 1 % et celles en classe 2 (relativement bon état) 9 %. Cinquante pour cent des sites sont en classe 3 (dégradés) et 39 % en classe 4 (très dégradés). Les causes de ces mauvais scores sur les côtes atlantiques proviennent de l’existence d’une hypersédimentation importante dans les baies, qui sont nombreuses sur cette côte, et de l’abondance des macroalgues liées à une eutrophisation des eaux des lagons et de la partie interne de la barrière récifale atlantique. Ces mauvais scores sont également dus au fait que les pentes externes de la barrière récifale atlantique sont majoritairement occupées par des champs de sargasses qui supplantent les peuplements coralliens. Toutefois, ce dernier phénomène n’est pas récent, puisqu’il avait été déjà été décrit en 1982 par Bouchon et Laborel (1986).

Figure 5 : Distribution de l’état de santé des communautés coralliennes sur les côtes caraïbes et atlantiques de la Martinique.

89 Les communautés récifales en meilleur état sont situées sur la côte caraïbe de l’île où 30 % des sites inventoriés sont en bon état (classe 1) et 22 % en relativement bon état (classe 2). Ils sont localisés sur la côte, au nord et au sud de la baie de Fort-de-France. Cependant, 35 % des communautés coralliennes de la façade caraïbe sont dégradées (classe 3) et 13 % très dégradées (classe 4). Les sites les plus dégradés (eutrophisation et hypersédimentation) sont situés dans la baie de Fort-de-France, dont le bassin versant représente près de la moitié de la surface de l’île et draine une partie importante des pollutions de l’île, ainsi que dans la baie du Marin.

Cette étude conduit à un bilan alarmant de l’état de santé des communautés récifales de la Martinique, puisque sur 268 sites étudiés, 64 % d’entre eux présentent des communautés coralliennes gravement dégradées.

Le remplacement progressif des coraux par les algues dans les communautés benthiques récifales provient de causes multiples.

Les sels minéraux, nitrates et phosphates, sont indispensables au développement des algues. Là où ils apparaissent en abondance, la croissance de celles-ci peut dépasser le centimètre par jour. Les coraux bâtisseurs de récifs coralliens ont une croissance de l’ordre du millimètre au centimètre par an et ne peuvent donc entrer en compétition avec les algues pour occuper les fonds marins. C’et pourquoi ils se sont installés dans des zones océaniques naturellement pauvres en nitrates et phosphates. L’introduction artificielle de ces sels minéraux au niveau des récifs va conduire au remplacement progressif des coraux par les algues. Cela se fait par le rejet en milieu marin d’eaux usées non (ou mal) épurées, par l’emploi immodéré d’engrais et par l’érosion des sols qui contribue à exporter des sels minéraux vers les récifs coralliens.

Normalement, il existe des mécanismes biologiques de contrôle de la croissance des algues sur les récifs. Il s’agit de leur broutage par des animaux herbivores. Chez les poissons, les poissons-perroquets (Scaridae) et les poissons-chirurgiens (Acanthuridae) jouent un rôle dans le contrôle de la croissance algale. Malheureusement, ils font l’objet d’une surpêche importante qui diminue leur action régulatrice de façon drastique. Au niveau des animaux benthiques, les oursins, et tout particulièrement les oursins diadèmes, représentent également un facteur de contrôle important du développement des algues. Or, en 1983, une épizootie a frappé massivement cette espèce dans la Caraïbe et, actuellement, les populations d’oursins diadèmes ne se sont pas reconstituées à leur niveau d’abondance originelle, réduisant ainsi l’importance de leur rôle régulateur vis-à-vis des algues. L’action en synergie de ces différents phénomènes est responsable de la régression observée des coraux au profit des algues.

Dans les baies abritées, l’hypersédimentation représente souvent le phénomène dominant responsable de l’altération des communautés coralliennes.

Les coraux constructeurs de récifs sont des animaux qui vivent en symbiose avec des algues qui, par leur activité photosynthétique, couvrent près de 80 % de leurs besoins alimentaires. Or, l’importation massive de sédiments dans les baies a, pour première conséquence, une augmentation de la turbidité de l’eau qui diminue le pouvoir photosynthétique de leurs algues symbiotiques. La deuxième conséquence est l’hypersédimentation qui tend à recouvrir les coraux par un dépôt de vase. Ceux-ci peuvent mettre en œuvre certains mécanismes capables, dans une certaine mesure, de les débarrasser de ces sédiments. Mais, lorsqu’ils dépensent plus d’énergie à lutter contre l’hypersédimentation qu’ils n’en reçoivent de leurs algues symbiotiques, ils dépérissent et meurent.

Si l’on considère le rôle clé des coraux en tant que constructeurs des récifs coralliens, ce phénomène va entraîner à moyen terme une disparition des services écosystémiques des sites ainsi dégradés. Rappelons que les récifs et les communautés coralliennes jouent un rôle physique de protection des rivages contre les houles cycloniques, présentent une valeur patrimoniale importante liée à leur biodiversité élevée et jouent un rôle économique important au niveau de la pêche et également au niveau du tourisme.

Il est impératif de prendre des mesures urgentes pour rétablir un niveau acceptable de la qualité des eaux côtières de l’île de la Martinique. Ces mesures doivent porter sur le contrôle des rejets en mer

90 d’eaux susceptibles de provoquer une eutrophisation et, par conséquent le remplacement des coraux par des algues. Cela passe par l’amélioration du fonctionnement des stations d’épuration, la diminution de l’assainissement privé, la réduction de l’usage massif d’engrais au niveau agricole. Par ailleurs, il est également nécessaire de prendre toutes mesures susceptibles de réduire l’érosion des sols et leur exportation vers la mer. Ce phénomène entraîne une hypersédimentation, une augmentation de la turbidité et également une eutrophisation des eaux côtières par la libération en mer des nutriments (nitrates et phosphates) contenus dans les sols exportés. Un tel travail passe par un contrôle strict de la destruction des forêts terrestres et des mangroves qui constituent un piège naturel vis-à-vis des sédiments exportés et également par un contrôle des travaux de terrassement et (ou) de dragage susceptibles d’accentuer ces phénomènes.

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