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6. M ÉTHODOLOGIE ET CADRE THÉORIQUE

6.4 Éléments pour la définition d’une culture visuelle

Le contexte historique dans lequel s’inscrivent des dispositifs techniques du regard ainsi que les dispositifs « muséologiques » et pédagogiques ou encore celui des décors intérieurs, doit être pris en considération dans la définition de l’usage des images et de la culture visuelle, afin d’en comprendre la pleine complexité et de bien la situer dans son actualité. Toutes les approches théoriques contemporaines sur la construction identitaire à partir de la configuration du récit, lorsqu’elles sont appliquées aux sources visuelles et textuelles du corpus, contribuent à cerner la culture visuelle des

72 Jonathan Crary, Techniques of the Observer. On Vision and Modernity in the 19th Century, Cambridge, MIT Press,

1990, 184p. ; Id., Suspensions of Perceptions. Attention, Spectacle and Modern Culture, Cambridge, MIT Press - October Books, 2000, 409p.

73 Jean-Louis Déotte, L’époque des appareils, Paris, Éditions Lignes et Manifestes, 2004, 363p.

74 Le développement de la science et des technologies au XIXe siècle permet l’apparition de nouveaux appareils et de

nouveaux dispositifs d’observation, par exemple, la photographie, le daguerréotype, le stéréoscope, la lanterne magique et le zootrope permettant de voir une image en mouvement.

75 L’apparition des nouveaux dispositifs d’observation transforme les habitudes du regard et, par extension, la

transformation de l’attention et de la notion de spectacle, ainsi que la façon dont se déroule un spectacle. Le public vit de nouvelles expériences visuelles en regardant, par exemple, une image en mouvement projetée sur un écran, dans une salle complètement noire, comparativement aux périodes antérieures où une image devait se regarder à la lumière ambiante et selon une notion de spectacle complètement différente.

76 Yves Bergeron, op.cit., p.50. Parmi ses démonstrations, on compte aussi le téléphone, le télégraphe, la phonographie,

prêtres et de leur institution sur le thème de Rome. Les ensembles du corpus permettent de dégager la structure d’un récit constitutif d’une identité individuelle et collective et d’une image mentale idéale et mythique construite, ainsi que sa portée à travers les collections. Ainsi, nous étudions les récits et les images-souvenirs de voyages à titre d’indices de la conception de Rome chez un individu. Les biens matériels incarnant l’image de Rome, particulièrement les albums d’estampes et de photographies, sont compris comme de véritables composantes d’un « récit imagé ». Pour comprendre la narrativité de ce récit, nous étudions l’intertextualité et la sémantique entre les images d’un album conjointement à celles des récits écrits par les prêtres. Ces constructions narratives textuelles et imagées traduisent une conception formée par ses relations et développée par son inscription dans des réseaux et des mondes communs. De plus, certaines images de la Ville éternelle ont été accrochées dans les espaces communs de l’institution. Toutes ces images sont ensuite récupérées et intégrées au sein d’une macro-construction globale de collections et d’archives. Le croisement des objets (physiques) et les images (symboliques) avec les commentaires ethnographiques consignés dans les archives sont générateurs de données permettant une étude phénoménologique des expériences esthétiques et sensibles. C’est en analysant ces expériences sensibles, vécues par des personnes s’identifiant au Séminaire, à Rome ou devant des représentations de Rome, que nous pourrons définir l’aspect romain de la culture visuelle au sein de l’institution.

L’ensemble des sources visuelles et textuelles précise déjà les contours d’un imaginaire sur Rome caractérisé par un discours humaniste chrétien. Le paganisme en ruine, pittoresque et sublime est récupéré, réapproprié et valorisé par les prêtres selon l’idée de l’héritage historique préchrétien et paléochrétien, désormais partie intégrante de l’histoire collective des catholiques. Ainsi, les ruines ne sont plus seulement des signes de l’empire ou de la République romaine, mais des signes précurseurs du christianisme. Ce sentiment fait cependant écho à des commentaires historiques sur Rome rédigés quelques siècles auparavant.

[…] tout ce qui a existé antérieurement au christianisme, sur le site de Rome, n’a été en fait que l’ébauche du présent. Loin d’être un archétype qui suscite le regret, l’antiquité[sic] est répétition générale, comme un premier fruit, encore imparfait, issu des mains du Démiurge. Par conséquent, avec une générosité et des efforts pour lui obscurs, le paganisme n’a fait que préparer les matériaux nécessaires à la splendeur des églises de Rome. Tout s’est donc passé " comme si, en vérité, tout le travail de la pierre fait par l’Antiquité dût être converti en pierre angulaire, rocher, fondement de l’Église, les colonnes étant les futurs Apôtres, dont la doctrine soutient le temple de la

religion chrétienne, les pyramides, les Évangélistes, et toutes les autres pierres les saints Martyrs " L’œuvre entière du paganisme n’est qu’hommage rendu à Dieu […]77.

Les récits et les repères visuels de la Rome moderne et du Vatican célèbrent, quant à eux, l’autorité millénaire que constitue le Saint-Siège, centre physique et ontologique d’une cosmogonie et d’un « système monde » chrétien. La Rome photographiée, elle, montre le souvenir de la pérégrination, complément idéalisé des récits manuscrits des prêtres. La culture visuelle est ainsi une approche qui nous permet, d’approfondir la résonnance de l’image chez l’humain. Précisons que lorsque les images sont vues par un sujet regardant, elles sont transformées en « images remémorées », qui trouvent dès lors un nouveau lieu dans une « réserve iconique personnelle ». C’est le médium-support78 qui façonne l’attention du regardeur, puisque celui-ci dispose d’une structure (physico-technique) et d’un aspect historique donné, c’est-à-dire son aspect « visuel », qui est à distinguer de son aspect « visible ». Ce médium-support rend présente une chose ou une personne absente ou disparue. La perception d’une image est conditionnée par la situation culturelle d’une personne et soumise globalement aux changements culturels79.

Afin de démontrer notre hypothèse, le corps de la thèse se déroule en trois parties. La première porte sur Rome comme image-objet. C’est-à-dire que la ville est traitée en fonction de ses représentations de celle-ci contenues dans les collections du Séminaire de Québec. Ces images-objets ont pu être rapportées de voyages ou avoir été utilisées pour leur préparation. La seconde porte sur une Rome

« en configuration ». À partir du journal de voyage de Benjamin Pâquet80, nous pouvons constater

comment se construit l’image mentale de la ville pour un prêtre. Lors du voyage, certains prêtres vivent la confrontation entre l’idée imagée de Rome avant leur départ et l’image réelle de la ville. La troisième partie porte sur la visualité de Rome et la mise en place d’éléments qui permettent de construire notre

77 Gérard Labrot, L’image de Rome. Une arme pour la contre-réforme. 1534-1677, Seyssel, Champ Vallon, 1987, coll. :

« Époques », p.303. L’auteur cite Capaccio, G.C. sans en donner la référence.

78 Belting distingue le médium de l’image, qui, elle, n’est en aucun cas attachée à celui-ci. Il appelle le « médium-support »,

le dispositif que l’œil perçoit et qui produit une image chez le sujet regardant (l’humain). Les images sont donc à l’intérieur du corps humain, lieu où elles prennent forme et signification, et qui justifie l’appellation d’une approche « anthropo- logique » des images. Le corps est ainsi compris comme producteur et récepteur d’images, et la clé d’une relation tripartite entre le « médium-support », qui diffuse une entité visuelle, le sujet qui regarde ou reçoit celle-ci, et l’image générée par la conscience de ce sujet.Belting, op.cit., p.30.

79 Ibid., p.30 à 44.

80 Le journal de voyage de Pâquet (ASQ, MS674) se situe durant une courte période s’échelonnant de 1863 à 1866. Sa

compréhension oblige l’élargissement de la période de la thèse en amont et en aval de la production du document, soit de 1860 à 1900. Les parties de la thèse sont d’ailleurs organisées en conséquence, afin d’analyser la préparation au voyage, l’expérience vécue et la collecte d’objets à Rome, les représentations de Rome au Séminaire. Ce cadre nous permet de penser la culture visuelle à la fois dans la durée du séjour de Pâquet et dans ses prolongements au Séminaire.

définition d’une culture visuelle au sein de l’institution. C’est à cette étape que nous analysons les affects et les expériences esthétiques et sensibles vécues à Rome, devant des œuvres d’art ou des monuments, ou au loin, à Québec devant des représentations conservées au Séminaire et qui signifient l’idée ou la référence à Rome, centre du monde chrétien. Une fois tous les éléments bien mis en place pour répondre à la problématique de départ, la conclusion de la thèse sera alors en mesure de présenter ce que nous entendons par la définition d’une culturevisuelle de Rome par la représentation au Séminaire.

Pour mener à bien cet exercice académique, l’étude des objets et des images du corpus doit être le point de départ de notre cheminement. Ainsi, la première partie de la thèse présente une sélection des images et des objets les plus signifiants représentant la Rome antique, la Rome moderne et la Rome vaticane, conservés dans les collections du Séminaire de Québec qui ont été placés sous la garde du Musée de la civilisation en 1995.

PARTIE I : Rome dans ses images : la collection

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