• Aucun résultat trouvé

Écriture
déceptive
et
ruse
intertextuelle
:


1.3 Savoir
et
ruse
dans
le
Roman
de
Thèbes
:


1.3.3 Écriture
déceptive
et
ruse
intertextuelle
:


La critique a déjà souligné le rapport étroit qui pouvait exister entre la figure de l’engineor dans les romans antiques et celle de l’écrivain134. Il s’agissait alors de traiter la

facette « technique » du personnage de l’engineor, c’est-à-dire son habileté à fabriquer avec art des machines de guerre ou des œuvres d’art. Ce « type » d’engineor correspond à celui qui entre en scène au moment de la capture de Daire. Il s’agit d’un « ingénieur » au sens moderne qui parvient à faire s’effondrer la tour en en minant les fondations135. Benoît de Sainte-Maure, dans le Roman de Troie, développe particulièrement l’analogie entre les architectes, « fabricant[s] de pierre » et leur maîtrise technique et celle de l’écrivain, « fabricant des mots »136. Dans cette optique, l’engineor n’a plus rien à voir a priori avec le trompeur félon dont nous avons dressé le portrait en ouverture de cette partie. Le substantif engineor n’est plus chargé de connotations négatives. Bien au contraire, ce substantif est, dans Troie

133 Point de vue aujourd’hui partagé par la quasi totalité des spécialistes du Roman de Thèbes. Nous aurons

l’occasion de souligner plus précisément les rapports entre la leçon proposée par Thèbes et la pensée chartraine dans la suite de cette étude.

134 Cf. notamment C. Croizy-Naquet, Thèbes, Troie et Carthage. Poétique de la ville dans le roman antique au

XIIe siècle, Paris : Champion, 1994 et V. Gontero, Parures d’or et de gemmes, Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 2002. Pour une synthèse de l’analogie entre engineor et écrivain dans les romans antiques, voir F. Mora-Lebrun, Metre en romanz…, op.cit., p. 417-424.

135 Sur la polysémie du mot engineor, voir R. W. Hanning, « Engin in Twelfth-Century Romance : an

Examination of the Roman d’Énéas and Hue de Rotelande’s Ipomedon », Yale French Studies, 51 (1974), p. 82- 101. R. W. Hanning signale notamment que « Engineor can mean a maker of machines, the planner of a project, and the devil (the great deceiver !). » (note 4 p. 83).

notamment, associé à d’autres bien plus positifs comme dotor ou maistre et flanqué d’adjectifs mélioratifs dénotant l’étendue de son savoir et de sa maîtrise tel sage ou soverain137. C. Croizy-Naquet restreint cependant l’analyse de cette analogie destinée à faire de l’engineor un personnage positif double du clerc écrivant au seul Roman de Troie, remarquant que les auteurs de Thèbes et d’Énéas « ne signalent que fort peu l’existence des constructeurs. Celui de Thèbes désigne un ingénieur (v. 7741-7742). Encore ne qualifie-t-il pas ses compétences. Dans l’Énéas, le même terme engineor (v. 1111) est employé pour identifier le constructeur du cheval de Troie, avec une économie de qualificatifs comparables »138. Ne mentionnant pas Daire le Roux, la critique semble donc distinguer catégoriquement l’engineor trompeur et l’engineor ingénieur, seul à même de figurer métaphoriquement l’écrivain.

Toutefois, l’auteur de Thèbes ne sépare pas ainsi les deux « types » d’engineor. En opposant à la ruse de Daire la maîtrise de l’ingénieur qui fait s’effondrer la tour, le texte souligne le parallèle entre les deux engin.

Plus significatif encore sur ce point est l’épisode de Monflor que nous avons analysé plus haut. Les quatre comtes de Venise ne sont-ils pas des engineors au sens positif du terme, puisqu’ils témoignent d’un sens de la stratégie, d’une sagesse et d’un savoir remarquables ? Mais ne peut-on pas également les rapprocher des trompeurs rusés dans la mesure où ils utilisent une stratégie fondée sur la dissimulation et le mensonge ?

Par ailleurs, si le clerc s’apparente dans le Roman de Troie aux engineors dans son art de la construction romanesque, dans le Roman de Thèbes, l’auteur use d’une stratégie d’« écriture déceptive » qui fonctionne à la manière des ruses des comtes de Venise ou de Daire le Roux. La structure de l’épisode de Monflor rappelle les étapes du discours trompeur des engineors. Celui-ci est en effet toujours composé de deux parties : dans un premier temps, l’engineor séduit son interlocuteur en utilisant un code référentiel commun propre à attirer son assentiment (ainsi l’utilisation du vocabulaire juridique et moral par la femme de Daire pour convaincre ce dernier de livrer la tour), dans un second temps, l’engineor opère un renversement qui déçoit parce qu’il dévoile une réalité différente de l’apparence du discours et achève de tromper la « victime » de la ruse. Comparons maintenant

137 Cf. par exemple le vers 16650 du Roman de Troie : « trei sage engeigneor » ou les vers 22405-06 : « Li

soverain engeigneor / E cil qui sont maistre dotor ».

la structure de l’épisode de Monflor aux différentes ruses du roman à la lumière de cette grille de lecture :

Stratégie des comtes de Venise (v. 3339-3430) Discours de Daire le Roux à Étéocle (v. 7522-7610) Structure de l’épisode de Monflor (v. 2945-3729) Séduction Simulation de fuite

devant les habitants du château / infiltration d’un chevalier qui fait croire à l’arrivée prochaine de renforts.

Hommage au royaume de Thèbes ; rappel des hauts faits d’Œdipe.

Récit de batailles qui reprend les codes de la chanson de geste. Exaltation de la prouesse des chevaliers.

Déception Les « renforts » sont en réalité des assiégeants qui profitent de la surprise pour s’emparer du château. Proposition de paix avec Polynice / évocation du parjure d’Étéocle. Dénonciation de la violence et de l’inconscience des bachelers / remise en cause des valeurs de l’épopée.

Le processus d’écriture déceptive consiste à remployer des motifs littéraires et à jouer avec leur signification initiale pour en renverser la connotation. Ainsi la bravoure et la puissance des chevaliers épiques deviennent inconscience et brutalité, ainsi l’engineor roux devient un homme d’honneur respectueux du serment, un traître loyal en somme. C’est pourquoi l’écriture du Roman de Thèbes – tout du moins des deux épisodes que nous avons jusqu’à présent traités – peut être rapprochée de ce que V. Guenova appelle la « ruse intertextuelle »139, c’est-à-dire « la démarche abusive qui consiste à tromper par le jeu des relations intertextuelles qu’établit toute œuvre […] avec d’autres textes »140. Ce jeu sur l’intertextualité prend bien souvent la forme de la parodie, comme c’est le cas dans les textes qu’étudie V. Guenova. L’effet produit est comique, le lecteur constatant l’écart entre le texte

139 Cf. V. Guenova, La Ruse dans le Roman de Renart…, op.cit., chap. IV : « La ruse intertextuelle », p. 193-

286.

récrit et sa source qui apparaît dès lors sous un jour ridicule141. Dans le Roman de Thèbes, on ne peut pas parler de parodie ou de pastiche de l’épopée ; l’effet recherché n’est pas de provoquer un rire moqueur chez le lecteur ni d’imiter un modèle admirable, mais plutôt de renverser les valeurs traditionnellement véhiculées par la chanson de geste afin de susciter une réflexion et de proposer une nouvelle éthique. Toutefois, il peut sembler pertinent de parler de « ruse intertextuelle » pour le Roman de Thèbes dans la mesure où l’intertextualité fonctionne à partir du processus séduction/déception et témoigne ainsi de la malice de l’auteur. En outre, la convocation de références littéraires antérieures amène précisément le lecteur à s’interroger sur le statut et le bien-fondé de l’utilisation de l’engin.

En effet, nous avons vu que Daire le Roux rappelait sous certains aspects Ganelon, le traître de la Chanson de Roland. Pourtant, son ambiguïté empêche le lecteur de considérer Daire comme un personnage exclusivement négatif et de trancher définitivement sur son statut de traître. La reprise explicite dans le Roman de Thèbes de deux scènes de la Chanson de Roland explicitant le caractère félon de Ganelon participe, au moyen de la ruse intertextuelle, de la réflexion sur le statut moral de l’engin et de ses rapports avec la sagesse et le savoir.

La première reprise d’une scène de la Chanson de Roland est la dispute entre le sage Othon et le jeune Atys lors du conseil d’Adraste qui fait suite au siège de Monflor (v. 3745 à 4036). Ce dialogue est en réalité une récriture de la scène de conseil des laisses 12 à 25 de la Chanson de Roland142. B. Ribémont a déjà souligné le parallèle structurel qui existe entre les deux textes :

On peut en outre comparer les deux scènes, d’un point de vue structurel, dans les deux textes ; on ne peut que remarquer le parallèle :

1. Charlemagne et Étéocle convoquent le conseil. 2. Roland et Atys prennent la parole en premier. 3. Roland et Atys défendent la guerre.

4. Roland et Atys montrent leur orgueil, leur intransigeance et leur colère.

5. Sont opposés à cet avis belliqueux Naimes, Olivier et Othon, représentants de la modération.

6. L’assemblée des barons accepte un compromis. 7. Se pose la question du messager.

141 Ainsi la reprise des motifs épiques dans le Roman de Renart. 142 Éd.cit., p. 38-50.

8. S’en suit une querelle mettant en évidence des problèmes féodaux, de lignage. 9. Les barons acceptent la mission des messagers.143

Cette reprise a tout d’abord été perçue par la critique comme une exploitation de la matière épique destinée à amplifier le texte de Stace. Cependant, il me semble qu’il s’agit plus d’un jeu destiné à remettre en cause la posture des personnages épiques que d’une récriture servile144. En effet, si la symétrie structurelle entre la Chanson de Roland et Thèbes est manifeste, du point de vue du statut et de la fonction des personnages, on peut noter des différences frappantes.

Dans la scène de la Chanson de Roland, six personnages interviennent contre quatre dans le Roman de Thèbes. Si l’on peut calquer les positions des personnages de l’épopée sur celles de ceux du roman, comme le fait B. Ribémont, en considérant qu’Étéocle reprend celle de Charlemagne par son rang de roi, Atys celle de Roland en raison de sa fougue et de son envie de poursuivre le combat, Othon de Ganelon par son opposition farouche à Atys et sa volonté de paix, Jocaste de Naimes, Olivier et Turpin par leurs rôles de médiateurs, les caractères et l’éthique de ceux-ci ne se répondent pas parfaitement entre les deux textes, ce qui entraîne des divergences d’interprétation notables.

En effet, dans la Chanson de Roland, les personnages sont essentiellement des « figures types » aux valeurs et comportements archétypaux et monolithiques145. Ainsi Charlemagne incarne l’autorité ; jurant sur sa barbe – signe de son expérience –, il interdit à tel ou tel de se rendre chez l’ennemi :

Respont li reis : « Ambdui vos en taisez ! Ne vos në il n’i porterez les piez.

Par ceste barbe que veëz blancheier, Li duze per mar i serunt jugez ! »

Franceis se taisent : as les vus aquisez ! (v. 259-63)

143 B. Ribémont, « Introduction », Qui des sept arz set rien entendre… Études sur le Roman de Thèbes, Orléans,

Paradigme, 2002, p. 32.

144 L. G. Donovan a tout de même bien démontré que la scène de conseil de Thèbes n’était pas une « récriture

servile » de la Chanson de Roland dans la mesure ou l’auteur de Thèbes attirait davantage l’attention sur la psychologie des personnages, leur conférant ainsi une individualité dont ne jouissent pas ceux de la chanson de geste. (L. G. Donovan, Recherches sur le Roman de Thèbes, Paris : SEDES, 1975, p. 200 sq.)

145 Cf. Ian Short, La Chanson de Roland, « Introduction », éd.cit., p. 16 : « C’est peut-être à propos des

personnages que le lecteur aura le plus de difficulté à se faire aux habitudes et aux procédés du texte épique médiéval. La notion même de personnage doit être remise en question : mieux vaudrait parler de figures types. Effectivement, l’action prime si bien l’actant dans l’épopée que celui-ci n’a guère la possibilité de revêtir l’épaisseur et la cohérence psychologiques que l’on reconnaît encore aujourd’hui comme indispensables à la caractérisation littéraire. »

Personne n’ose le contredire ou s’élever contre lui ; c’est à lui que revient de prendre la décision finale. Roland de son côté est le jeune chevalier preux et conquérant, il n’existe que pour continuer d’étendre l’empire de son oncle :

Il dist al rei : « Ja mar crerez Marsilie ! Set anz ad pleins qu’en Espaigne venimes. Je vos cunquis e Noples et Commibles ; Pris a Valterne et la tere de Pine

E Balasguéd et Tüele e Sebilie. […]

Faites la guerre cum l’avez enprise, En Sarraguce menez vostre ost banie, Metez le sege a tute vostre vie,

Si vengez cels que li fels fist ocire ! » (v. 196-213)

S’il est belliqueux et guetté par l’orgueil, il suscite l’admiration par sa loyauté et sa dévotion à la cause commune. Par ailleurs, le droit est de son côté puisque la suite des événements lui donne raison. Naimes et Olivier, partisans de la paix, figurent la sagesse et la modération qui complètent la vigueur guerrière de Roland. Sans s’opposer frontalement au neveu de Charlemagne, ils redoutent cependant son ardeur. Ainsi Olivier s’adressant à Roland :

Vostre curages est mult pesmes et fiers :

Jo me crendreie que vos vos meslisez. (v. 256-57)

Enfin, Ganelon est l’archétype du traître. Immédiatement présenté comme tel (« Guenes i vint, ki la traïson fist » v. 178), sa méfiance à l’égard de Roland se distingue de celle d’Olivier car il voue une haine farouche au héros de la chanson. Sa volonté de paix est vite effacée par son désir de vengeance :

Quant ço veit Guenes qu’ore s’en rit Rollant, Dunc ad tel doel pur poi d’ire ne fent – A ben petit quë il ne pert le sens – E dit al cunte : « Jo ne vus aim nient :

Sur mei avez turnét fals jugement. » (v. 303-07)

Ganelon possède également toutes les caractéristiques de l’engineor : égoïste, planificateur, habile orateur et menteur invétéré.

L’auteur du Roman de Thèbes, dans sa transposition structurelle de cette scène de conseil, reprend les caractères de chaque personnage de la chanson de geste pour les redistribuer entre ses propres protagonistes, rendant ces derniers beaucoup moins unitaires. Ainsi, si Othon calque la position de Ganelon face à Roland en s’opposant à la vigueur d’Atys et subissant les railleries du jeune chevalier, il n’est pas présenté comme un traître mais comme un « sage », cousin de Platon (v. 3780) – de la même lignée donc que l’auteur du

roman –, rappelant dès lors davantage Olivier. Il partage toutefois avec Ganelon l’éloquence, attribut du trompeur :

Othes respondi par contrere,

conme cil qui le sot bien fere (Thèbes, v. 3961- 62)

[Ganelon] Par grant saver cumencet a parler Cume celui ki ben faire le set (Roland, v. 426- 27)

Les deux hommes n’utilisent cependant pas cette qualité aux mêmes fins. Ganelon dans les vers que nous venons de citer est face à Marsile et non à Charlemagne ; son discours est destiné à convaincre le Sarrasin de tuer Roland. Othon quant à lui a recours à la rhétorique afin d’échapper à la mission de messager. Ganelon n’avait pu s’y opposer, tant il impossible dans la Chanson de Roland de contredire la volonté du roi, même pour un félon :

Carles conmandet que face sun servise : En Sarraguce en irai a Marsilie ; Einz i ferai un poi de legerie

Que jo n’esclair ceste mei grant ire. (v. 298-302)

Ces vers signalent que Ganelon n’obéit pas par loyauté, mais par une soumission contrainte mâtinée de rancœur et de désir de vengeance. Othon en revanche n’hésite pas à refuser les ordres d’Étéocle. Son argumentation n’est pas manipulatrice, mais empreinte de raison. Il refuse au motif qu’Étéocle a déjà tendu une embuscade à Tydée, messager de Polynice. Pourquoi Polynice accepterait-il dès lors d’accueillir pacifiquement une ambassade thébaine ?

Rejetant la proposition d’Atys de l’envoyer en ambassade auprès de l’ennemi, Othon reprend la position de Ganelon. Cependant, tout dans son discours l’oppose au traître épique. Il signale tout d’abord sa fidélité à Étéocle, se disculpant ainsi de toute accusation de trahison ou de rébellion.

D’une rien vos veull contredire que je vous ai ci oï dire, que mon seignor tant vilannoie pour lui fere rien ne voloie. Por mon seingnor ai ge mout fet, meinte paines et meint mal tret et receü meintes colees

et autretant pour lui donnees. Onc d’aller ne me fist proier

Il témoigne de plus d’une mesure et d’un sens de l’honneur remarquables, acceptant même d’offrir réparation à Atys si celui-ci a été blessé par ses paroles146 alors que Ganelon réagit avec emportement aux sarcasmes de Roland et n’y répond que par sa vengeance sournoise ; on ne peut donc accuser Othon d’être mû par des rancœurs personnelles.

Son argumentation tourne autour des notions de droit et de tort, notions fondamentales de la chanson de geste. Le mot droit ouvre et clôt son intervention (v. 3976 et v. 4010). Othon ne se situe pas du côté du roi Étéocle, mais du côté de la justice. Aussi toute sa justification est-elle tournée vers une accusation prouvant qu’Étéocle a eu tort de piéger Tydée lors de la première ambassade. Le messager argien est présenté comme un modèle de chevalerie, il est « preux », « courtois » et « sage » (v. 3996). En revanche, les hommes d’Étéocle étaient enivrés au moment de l’attaque :

Grieu nos tranmistrent un message hardiz et preuz, cortois et sage. […]

A la cour vint, le roi trova, parla a lui, puis s’en torna. Quant s’en aloit par son chemin, nostre houme orent beü du vin, es chevax montent sel porsurent ;

en com mal eure, Dex, il murent ! (v. 3995-4004)

Cette précision met en lumière le contraste entre un Tydée droit et honorable et des Thébains dénués de mesure et de raison. Les Argiens apparaissent ainsi comme les tenants du droit et les Thébains rappellent plus les perfides Sarrasins de la chanson de geste que l’armée de Charlemagne. Enfin et surtout, Othon s’oppose à Ganelon dans la mesure où il affirme sa position clairement et sans détour (v. 3989 : « mes ore nel quier pas celer ») là où le baron de Charlemagne tente de dissimuler sa haine et annonce à demi-mot sa trahison (Roland, v. 300- 301 : « Einz i ferai un poi de legerie / Que jo n’esclair ceste meie grant ire. »). Cette différence entre les deux personnages est marquée par la réaction des assemblées respectives : là où les Français raillent et se méfient de Ganelon (Roland, v. 334-35), au moment où Ganelon laisse tomber le gant transmis par l’empereur (« Dïent Franceis : “Deus ! que purrat ço estre ? / De cest message nos avendrat grant perte.” »), les Thébains, convaincus, rallient Othon :

Par la sale tuit en conseillent, dïent que pas ne s’en merveillent

se Othes ne vet cele part ou cuide avoir si grant regart ; car autretel dïent li tuit,

nul d’eus n’ire ja sanz conduit. (v. 4011-16)

La différence entre Étéocle et Charlemagne éclate aux yeux du lecteur. Bien que roi dirigeant le conseil, le fils d’Œdipe n’a pas l’autorité de l’empereur français ; la décision finale est prise contre son gré :

Ethïoclés souspire et plore quant voit que tuit li corent sore. Estre son gré l’otroie a fere,

car mout est fel et deputere. (v. 3869-72)

Les défauts de Ganelon (irritabilité, fourberie, rancune) dont n’a pas hérité Othon glissent vers le roi thébain. C’est lui qui désire se venger traîtreusement des siens :

« Mors sui, se n’em praing vengement des traiteurs qui par destroit

me font partir demi mon droit. […]

Que fust seur aux la force moie,

mout volentiers m’en vengeroie. (v. 3874-80)

Comme Ganelon, il est calculateur et fourbe, il masque sa colère et trompe son monde en affichant une fausse mesure. Ainsi intervient-il dans la dispute entre Othon et Atys pour les exhorter, à la manière de Charlemagne, à ne pas se quereller au sein du conseil, mais en espérant en son for intérieur que les débats s’enveniment :