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3. Nature et évolution des écoulements gravitaires sous-marins

3.3. Caractéristiques physiques des écoulements gravitaires sous-marins

3.3.2. Les écoulements non cohésifs

Si la contrainte matricielle est très faible à nulle, les écoulements sont non cohésifs (fig. 7).

Les écoulements hyperconcentrés

Si la flottabilité et les interactions entre grains sont dominantes, les écoulements sont dits hyperconcentrés (Mulder & Alexander 2001a) (fig. 7). Comme les écoulements précédents, ils se déplacent sans frottement significatif à la base (« hydroplanning »). Cette catégorie regroupe les courants de turbidités de haute concentration ou haute densité voire les écoulements de débris sableux (e.g. Kuenen 1966, Middelton 1967, Middelton & Hampton 1976, Shanmugam 2002).

Les dépôts d’écoulement hyperconcentrés sont généralement massifs, de granulométrie de silt à gravier, sans érosion à la base, sans granoclassement ou à granoclassement inverse (Nichols 1995, Lowe & Guy 2000). Le granoclassement inverse est lié à la faible vitesse de la partie basale de l’écoulement et au régime d’écoulement laminaire. La présence de particules cohésives dans l’écoulement peut induire la création de nombreuses structures de liquéfaction, de fluidification et d’échappement d’eau, ainsi que des déformations internes (slumps) et des phénomènes de charge. Les dépôts peuvent présenter de grands clastes d’argiles flottés, de nombreux blocs rigides ou déformés

Les écoulements concentrés

Lorsque les phénomènes de turbulence commencent à être aussi importants que les interactions entre grains et que la flottabilité, les écoulements sont considérés comme concentrés (Mulder & Alexander 2001a) (fig. 7). Ces écoulements sont plus dilués que les écoulements précédents. La base de l’écoulement peut être caractérisée par un transport intense de sédiments (particules de granulométrie de grossier à gravier) formant un tapis de traction (fig. 8). Dans la partie inférieure de l’écoulement, la concentration de sédiments étant très importante, l’écoulement se comporte comme un écoulement hyperconcentré (laminaire) (fig. 8). À l’inverse, la partie supérieure est sujette à une incorporation d’eau qui favorise le mélange et donc une diminution de concentration permettant la création de turbulences (fig. 8). Un écoulement concentré constitue donc un écoulement stratifié (fig. 8). Il peut exister un fort découplage entre les différentes parties de l’écoulement (Piper & Normark 1983, Masson 1994). Ce fractionnement de l’écoulement engendre des écoulements secondaires dont les caractéristiques peuvent être différentes de celle de l’écoulement original.

Les dépôts d’écoulements concentrés se caractérisent par une base fortement érosive surmontée par un ensemble massif à sable ou gravier constituant une séquence Ta de Bouma (fig. 9) (Bouma 1962) ou une séquence S1-S2 de Lowe (Lowe 1982) (fig. 6). La présence d’un granoclassement inverse unique ou répétitif est possible (e.g. Lowe 1982, Postma et al. 1988, Pickering et al. 1989, Hiscott 1994, Sohn 1995, 1997, Sohn 2000). L’origine de ce classement inverse est à relier soit à des variations dans les conditions de mouvement, soit à des apports sédimentaires variables pendant l’écoulement (Hand 1997), ou encore à des pulsations de l’écoulement ou des bouffées turbulentes (Hiscott 1994).

Si la partie basale de l’écoulement montre une faible concentration en sédiments et si la durée de vie de l’écoulement est suffisamment longue, des figures de traction (e.g. rides, mégarides, antidunes) peuvent se développer (e.g. Lowe 1982, Cremer 1983, Savoye et al. 1993, Migeon 1997, Morris et al. 1998). La partie supérieure et la queue de l’écoulement étant de nature plus turbulentes, les dépôts associés se caractérisent par des dépôts de type séquence Tc-e sur le sommet (Bouma 1962) (fig. 9).

Figure 7 : Diagramme schématique définissant les différentes catégories d’écoulements gravitaires sous-marins indiquant le mécanisme de support des particules dominant, la forme idéalisée des écoulements, un profil de vitesse type, ainsi qu’un log schématique des dépôts correspondants (modifié d’après Mulder & Alexander (2001a)).

Figure 8 : Ecoulement concentré stratifié avec une partie basale au mouvement laminaire, une partie supérieure au mouvement turbulent, et une partie sommitale correspondant à un nuage de sédiments en suspension (modifié d’après Shanmugam (2002)).

Figure 9 : Structure d’une séquence idéale de dépôt issue d’un écoulement turbiditique sableux en déplétion et ralentissement : la séquence de Bouma (d’après Bouma (1962)).

Les écoulements turbiditiques

Si les phénomènes de turbulences agissent seuls ou sont prépondérants, l’écoulement correspond à un courant de turbidité s.s. (Mulder & Alexander 2001a) (fig. 7). Le seuil maximum de concentration en sédiments pour que les turbulences soient le mécanisme principal de transport correspond à 9% du volume total de l’écoulement (Bagnold 1962).

Il est encore possible de diviser les écoulements turbulents suivant la durée de l’écoulement en (1) flots turbiditiques instantanés (tête unique), (2) flots turbiditiques de plus longue durée (tête et corps) et (3) écoulements turbiditiques quasi-constant (corps dominant) (fig. 7) (Mulder & Alexander 2001a). La différence entre ces 3 écoulements tient essentiellement dans la diminution du temps de la phase d’accélération temporelle (Kneller 1995).

Mulder & Alexander (2001a) notent que la première catégorie d’écoulement représente des phénomènes très rares.

Les flots turbiditiques de longue durée peuvent produire des dépôts correspondant aux séquences Tb-d (fig. 9) de Bouma (Bouma 1962). L’érosion est possible à la base de l’écoulement si le courant subit une accélération par augmentation du gradient de pente. Le volume total de sédiments transporté par ce type d’écoulement est très réduit. L’épaisseur des dépôts sera faible sauf si la zone

de dépôt est très restreinte ou la magnitude de l’écoulement très élevée (Rothwell et al. 1992). Dans tous les cas, l’épaisseur du dépôt sera toujours faible par rapport à l’épaisseur de l’événement. Seuls les événements les plus constants sur un certain temps, associés avec un corps d’écoulement mieux développé, pourront créer des structures sédimentaires bien définies.

Les écoulements turbiditiques quasi-constants correspondent aux écoulements hyperpicnaux (Mulder & Alexander 2001a). Ces écoulements se forment à l’embouchure des rivières par différence de densité entre le mélange eau/sédiment et l’eau ambiante lors d’épisodes de crues intenses. Ces courants se propagent directement dans le bassin. Ces phénomènes peuvent être continus sur des périodes variant de quelques heures à plusieurs mois (Mulder & Syvitski 1995, 1996). Les dépôts associés peuvent correspondre à des séquences Tb-d (fig. 9) (Bouma 1962) évoluant d’une zone à granoclassement inverse surmontée par une unité à granoclassement normal, vers un dépôt de type similaire mais possédant un intervalle épais à granulométrie uniforme. Cette granulométrie uniforme est liée à la stabilité de l’accélération temporelle du courant (Kneller & Branney 1995).

Les dépôts hyperpicnaux peuvent aussi correspondre à des dépôts où la partie granocroissante est partiellement voire totalement érodée. L’accroissement du taux d’érosion interne apparaît dans les positions proximales. Lorsque l’écoulement est stable et en déplétion (Kneller 1995), les dépôts peuvent contenir des rides chevauchantes (courant constant de faible vitesse associé à un taux de sédimentation important). Si la charge sédimentaire décroît ces rides sont remplacées par des rides asymétriques (i.e. lamination entrecroisée). Il est important de noter que la concentration en sédiment ainsi que la vitesse d’écoulement des courants hyperpicnaux sont faibles (Mulder & Alexander 2001a).

3.4. Conclusion

Les 4 grandes catégories d’écoulement et les principales caractéristiques des dépôts associés sont résumées dans le tableau 1. L’analyse de faciès que nous conduirons par la suite sera basée sur la classification proposée par (Mulder & Alexander 2001a).

Tableau 1 : Principales catégories d’écoulements et caractéristiques majeures des dépôts associés selon (Mulder & Alexander 2001a).

Il est important de noter que chaque catégorie d’écoulement constitue un continuum en termes de variation des propriétés physiques et tout écoulement peut posséder plusieurs caractéristiques en même temps et changer de caractéristiques au cours de son transport (Mulder & Alexander 2001a).

Par exemple un écoulement hyperconcentré peut se transformer progressivement en un écoulement concentré par entraînement de fluide et dilution. Ce même écoulement concentré, de nature supercritique, toujours par entraînement de fluide et incorporation de sédiments par érosion se transformera en écoulement partiellement turbulent. Lors de son arrivée sur une pente plus faible ou par élargissement du canyon dans lequel il circule, cet écoulement deviendra déplétif et sub-critique, et se transformera en écoulement totalement turbulent (Mulder & Alexander 2001a). Cette évolution des écoulements correspond au schéma d’évolution proposé par (Mutti 1992) (fig. 10).

Malgré d’importantes controverses concernant la traduction des faciès de dépôts en terme des propriétés physiques des écoulements (e.g. Kneller & Buckee 2000, Mulder & Alexander 2001a,

Shanmugam 2002, Dasgupta in press), les écoulements de densité sous-marins constituent un excellent point d’approche pour analyser l’impact des escarpements de failles synsédimentaire.

En effet ils correspondent à des processus dynamiques, de nature variée, mélangeant par exemple des écoulements laminaires et turbulent dans le même événement. Et comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, ils se caractérisent aussi par une extrême sensibilité à la présence de topographies sous-marines et ceci quelle que soient l’ampleur de ces dernières (e.g. Komar 1971, Pantin & Leeder 1987, Kneller et al. 1991, Edwards 1993, Alexander & Morris 1994, Lane-Serff et

al. 1995 , Kneller & McCaffrey 1999, Kneller & Buckee 2000, Mulder & Alexander 2001b ).

Ainsi, nous pouvons nous attendre à ce que les escarpements de failles synsédimentaire puissent avoir un fort impact sur la dynamique de ces écoulements et la nature des faciès déposés.

Figure 10 : Schéma évolutif montrant les transformations d’un écoulement gravitaire le long de son parcours, d’amont en aval suivant une pente progressive idéale. L’écoulement passe d’une nature cohésive à une nature totalement turbulente (d’après (Mutti 1992)).

Chapitre 2 : Impact d’un obstacle sur les écoulements gravitaires

sous-marins

Chapitre 2 : Impact d’un obstacle sur les écoulements gravitaires

sous-marins

Le comportement d'un écoulement gravitaire sous-marin en présence d'un obstacle est influencé par les paramètres propres de l’écoulement (Kneller 1995, Kneller & Branney 1995). C’est-à-dire : (1) son épaisseur, (2) la granulométrie des sédiments qu’il transporte, (3) l’importance des mouvements verticaux, conséquence de l’existence des phénomènes de turbulence, (4) sa stratification en densité, (5) sa durée de vie et (6) son paramètre d’accélération temporelle.

L’importance de l'obstacle est déterminée par le rapport entre sa hauteur et l'épaisseur de l’écoulement (soit la tête ou la queue de l’écoulement), sa forme (linéaire ou arrondie) et son orientation par rapport à la direction de l’écoulement.

En fonction de la nature de l'écoulement et de son état d'énergie, l'obstacle modifiera de façon variable le paramètre d’accélération spatiale de l’écoulement. Ce paramètre est le facteur déterminant dans les processus de dépôt. Il est un facteur prépondérant dans le contrôle de la répartition des faciès, de la granulométrie des dépôts, de la géométrie des corps sédimentaires (Kneller & Buckee 2000).

En fonction de l’orientation de l’obstacle par rapport à la direction de l’écoulement, nous pouvons définir trois secteurs majeurs : une secteur amont en opposition par rapport à la direction de propagation de l’écoulement, un secteur correspondant à l’obstacle lui-même et un secteur aval qui ne fait pas opposition à la propagation de l’écoulement.