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En quoi les écoles alternatives se proposent-elles comme solutions à ce décalage et ces solutions

5. Analyse et interprétation des résultats

5.3 En quoi les écoles alternatives se proposent-elles comme solutions à ce décalage et ces solutions

Cependant, tous les axes ne sont pas aussi faciles à privilégier les uns que les autres. Cela dépend en grande partie du degré d’investissement de l’enseignant.

5.2.3 Le décalage entre l’idéal des enseignants et le système public

Il existe effectivement dans les conceptions des enseignants ayant travaillé au public un décalage entre le triangle pédagogique idéal et le triangle pédagogique à l’école publique.

Le lien entre l’idéal des enseignants et le mouvement de l’Education nouvelle est évident. Celui entre la pédagogie traditionnelle et l’école publique peut se faire également, mais avec davantage de prudence : en effet, les enseignants précisent bien que le triangle traditionnel n’est pas une fatalité à l’école publique, bien qu’il semble être fortement encouragé de manière implicite.

5.3 En quoi les écoles alternatives se proposent-elles comme solutions à ce décalage et ces solutions sont-elles en lien avec les tensions et réponses de la forme scolaire ? Afin de répondre à cette question et maintenant que le décalage entre le triangle pédagogique dans l’idéal et à l’école publique a été démontré, il est nécessaire de vérifier si l’école alternative dans laquelle les enseignants travaillent correspond à leur idéal.

5.3.1 Le « triangle pédagogique alternatif »

Un premier élément à rappeler est que toutes les écoles alternatives dans lesquelles travaillent les enseignants interrogés se basent sur la théorie d’un ou plusieurs pédagogues ayant participé au développement du mouvement de l’Education nouvelle (voir tableau 3). Ainsi, les écoles s’étant construites en fonction de leur modèle pédagogique, cela paraît logique que l’un de leurs objectifs soit de correspondre à l’un des triangles pédagogiques de l’éducation nouvelle tels que décrit par Vellas (2007). Les résultats obtenus correspondent à ce postulat : on voit dans les propos de tous les enseignants que l’école alternative dans laquelle ils enseignent correspond effectivement à leur idéal personnel. On peut, sur la base de leurs dires, estimer que les relations privilégiées sont les mêmes dans leurs idéaux respectifs que dans l’école alternative où ils enseignent.

De plus, dans le cas des enseignants ayant travaillé à l’école publique, il est clair que le triangle pédagogique tel qu’il est mis en place à l’école alternative leur convient mieux que l’école publique. A partir de là, il est également possible d’émettre l’hypothèse qu’il en va de même pour les deux enseignants n’ayant pas l’expérience de l’école publique, c’est-à-dire E2 et E5. En effet, ils ont malgré tout une vision critique du système public et leur idéal est proche de ceux d’autres enseignants (E4 pour E2 et E1, E6.1 et E6.2 pour E5). Cela semble plausible mais ne peut évidemment pas être affirmé avec certitude.

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5.3.2 Comparaison entre le triangle pédagogique idéal des enseignants, l’école alternative et l’école publique

On constate que le triangle pédagogique dans l’école alternative correspond effectivement davantage à l’idéal des enseignants que l’école publique. Il existe également une corrélation entre le modèle

pédagogique sur lequel l’école alternative est basée etle type de triangle pédagogique qui y est mis en

place. Cela tendrait à démontrer que les raisons qui ont poussé les enseignants interrogés à préférer leur école à l’école publique sont, au moins en partie, liées au triangle pédagogique : en effet, si l’école publique n’interdit pas la mise en place d’un triangle pédagogique en particulier, elle semble implicitement favoriser l’axe enseigner alors qu’elle rend difficile l’application des axes former et

apprendre. Les écoles alternatives au contraire, suivant le modèle pédagogique sur lequel elles sont

basées, privilégient clairement un axe en particulier. Il est ainsi plus facile pour les enseignants de travailler dans une école dont les méthodes favorisent la mise en place de leur triangle pédagogique idéal qu’à l’école publique.

Même E3, qui n’a cité aucune raison pédagogique l’ayant poussée à quitter l’école publique (cf. tableau 4) retrouve davantage son triangle pédagogique idéal dans l’école où elle enseigne actuellement qu’à l’école publique. Ainsi, et même si les raisons d’ordres pédagogiques n’étaient pas pour elle les plus importantes, elles ont peut-être joué un rôle aussi dans sa décision de quitter le système public.

Nous avons maintenant démontré l’existence, dans les conceptions des enseignants interrogés, d’un décalage entre leur idéal pédagogique et l’école publique. Nous avons également pu constater que les écoles alternatives semblent être des solutions à ce décalage puisqu’elles permettent la mise en place du triangle pédagogique idéal de chacun des enseignants interrogés.

Cependant, il n’est pas possible, sur la base du triangle pédagogique, de dire pourquoi les écoles alternatives semblent être une solution à ce décalage. En effet, même si le triangle a permis de mettre en lumière les principales raisons qui poussent les enseignants interrogés à préférer leur école alternative à l’école publique, il n’est en lui-même pas la cause de leur refus d’enseigner au public. Il semblerait que la réponse à notre question est à chercher dans les éléments implicites qui rendent la réalisation de leur triangle pédagogique idéal difficile à l’école publique, alors que la mise en place du triangle de la pédagogie traditionnelle y est encouragée. En effet, ces éléments implicites sont en toute logique absents ou du moins, diminués dans les écoles alternatives puisque ces dernières permettent la réalisation d’un triangle pédagogique favorisant les axes apprendre ou former.

Il s’agit donc à présent, de comprendre quels sont ces éléments implicites. Une possible réponse pourrait venir des tensions de la forme scolaire, ainsi que des réponses qui leur sont données.

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5.3.3 Les difficultés à mettre en place le triangle pédagogique idéal à l’école publique ont-elles un lien avec les tensions de la forme scolaire et leurs réponses ?

Afin de répondre à cette question, il nous faut revenir sur les tensions de la forme scolaire et leurs réponses. Les tensions sont présentes aussi bien à l’école publique que dans les écoles alternatives mais sont ressenties à un degré d’intensité fluctuant. La différence fondamentale entre l’école publique et les écoles alternatives se trouve dans la manière de répondre à ces tensions. Dans les sous-chapitres suivants, nous avons donc tenté dans un premier temps de clarifier la dynamique qui lie les réponses entre elles. Puis, dans un deuxième temps, nous avons mis en lien les tensions et leurs réponses avec le triangle pédagogique idéal et le triangle pédagogique public tels que décrits par les enseignants interrogés.

5.3.3.1 Des réponses qui soutiennent d’autres réponses

Les réponses 1 mise des programmes en objectifs, 10 autonomie des établissements et 11 coopération

accrue entre enseignants méritent d’être développées plus en profondeur. En effet, ces trois réponses

semblent avoir une importance capitale pour les enseignants : non seulement elles répondent en soi à plusieurs tensions mais elles soutiennent et permettent également aux autres réponses d’être applicables. Ainsi, la réponse 1 mise des programmes en objectifs semble être primordiale pour les enseignants (sauf E2, E6.1 et E6.2 qui n’en parlent pas directement). Se baser sur des objectifs au lieu d’un programme détaillé permet une certaine liberté quant à la manière d’aborder les apprentissages. On peut en déduire que la réponse 1 soutient la mise en œuvre des réponses 2 mettre l’accent sur les compétences, 3

insistance sur les méthodes actives et constructivistes, 5 démarches de projets et pratiques sociales de référence, 6 décloisonnement des disciplines et 8 pédagogies différenciées.

La réponse 11 coopération accrue entre enseignants est fortement liée à la réponse 8 pédagogies

différenciées car permet par exemple le co-enseignement et de décloisonner les classes pour travailler

en sous-groupes. La réponse 11 semble également permettre de rassembler les enseignants et leurs collègues sous une bannière commune, de se libérer ainsi de la pression implicite de la tension 7 instituer

le maître comme contremaître et d’appliquer l’ensemble des autres réponses de manière efficace et

transparente.

Et enfin, la réponse 10 autonomie des établissements apparaît comme indispensable à l’application de toutes les autres réponses. Une gestion décentralisée des établissements et une certaine autonomie donne aux enseignants la possibilité de mettre en œuvre l’ensemble des réponses décrites par Maulini et Perrenoud (2005) et de contrecarrer ou du moins affaiblir les tensions inhérentes à la forme scolaire. Ainsi, les réponses 1 mise des programmes en objectifs, 10 autonomie des établissements et 11

coopération accrue entre enseignants sont à interpréter comme constituant la base indispensable à une

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5.3.3.2 Des réponses qui encouragent l’axe apprendre

Il apparaît que toutes les réponses aux tensions inhérentes à la forme scolaire ont trois éléments pour vecteur commun : elles sont au service de la relation que l’élève entretient avec le savoir, elles insistent sur le sens donné aux apprentissages et tendent à renforcer le lien entre l’école et le monde dans lequel cette dernière s’insère.

Les réponses 3 et 4 insistance sur les méthodes actives et constructivistes et travail par problèmes et

situations, 5 démarches de projet et pratiques sociales de référence, 6 décloisonnement des disciplines

et 9 coopération accrue avec les parents sont utilisées par les enseignants (sauf E3 pour la réponse 3 et E2, E4, E5 pour la réponse 6) pour donner du sens aux apprentissages scolaires et les ancrer au mieux dans la vie active. Les réponses 2 mettre l’accent sur les compétences, 7 nouvelles modalités

d’évaluation et 8 pédagogies différenciées servent aux enseignants (sauf E5 pour la réponse 2) à

améliorer la qualité de la relation que l’élève entretient avec le savoir. Et enfin, les réponses 1 mise des

programmes en objectifs, 10 autonomie des établissements et 11 coopération accrue entre enseignants

permettent aux enseignants (sauf E2, E6.1 et E6.2 pour la réponse 1) d’appliquer les réponses susmentionnées.

Les réponses aux tensions de la forme scolaire mettent clairement l’accent sur la relation élève-savoir et s’insèrent donc dans le triangle pédagogique privilégiant l’axe apprendre, autrement dit le triangle préconisé par le mouvement de l’Education nouvelle avec lequel le triangle pédagogique idéal des enseignants interrogés (sauf E3) coïncide.

5.3.3.3 Des réponses qui renversent le triangle pédagogique traditionnel

Les réponses aux tensions de la forme scolaire pratiquées par les enseignants privilégient donc l’axe

apprendre du triangle pédagogique. Privilégier cet axe, c’est placer l’enseignant à la place du mort et

nommer l’élève comme l’acteur central du triangle pédagogique. Cela correspond aux principes de l’Education nouvelle qui favorise les deux axes qui incluent l’élève comme sujet : l’axe apprendre et l’axe former (Vellas, 2007). Cela est à comprendre comme un renversement du triangle pédagogique traditionnel qui privilégie les axes instaurant l’enseignant comme acteur central (Vellas, 2007) : l’axe

enseigner et l’axe former. Renverser le triangle pédagogique traditionnel pour placer l’élève au centre

comme le font les enseignants rencontrés, c’est tenter de s’émanciper des tensions inhérentes à la forme scolaire. Ainsi, les tensions semblent être fortement liées aux méthodes d’enseignement traditionnelles. Or, d’après les conceptions des enseignants interviewés, le triangle pédagogique traditionnel serait majoritaire, voire encouragé à l’école publique. Cela nous laisse penser que l’école publique peine à se délier des tensions de la forme scolaire. Il s’avère ainsi que les difficultés à mettre en place le triangle pédagogique idéal des enseignants interrogés, à savoir un triangle avec l’axe former privilégié pour E3 et un triangle privilégiant l’axe apprendre pour E1, E2, E4, E5, E6.1 et E6.2, sont effectivement liées aux tensions inhérentes à la forme scolaire. Il nous reste encore à clarifier en quoi les réponses à ces tensions sont plus évidentes à mettre en place dans les écoles alternatives étudiées qu’à l’école publique.

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5.3.3.4 Des enseignants qui mettent l’élève au centre

Nous arrivons ici au cœur même de la problématique de cette recherche : quelles raisons pédagogiques poussent certains enseignants de Suisse romande à préférer une école alternative à l’école publique ? Les éléments de réponse ont été développés tout au long de ce travail, il s’agit ici de les rassembler et de les synthétiser.

Pour cela, nous rappelons que toute forme scolaire de socialisation, qu’elle soit alternative ou non, partage des caractéristiques communes et contient des tensions qui lui sont inhérentes (Maulini & Perrenoud, 2005). Ces tensions, lorsqu’elles restent sans réponses, semblent favoriser un enseignement relevant de la pédagogie traditionnelle qui met l’accent sur la relation entre l’enseignant et le savoir, autrement dit, l’axe enseigner (Vellas, 2007). Or les enseignants interrogés s’inscrivent tous dans le mouvement de l’Education nouvelle qui place l’élève au centre de ses préoccupations : le triangle pédagogique idéal de l’Education nouvelle privilégie prioritairement l’axe apprendre, suivi de l’axe

former (Vellas, 2007) et coïncide en cela avec les réponses aux tensions de la forme scolaire décrites

par Maulini & Perrenoud (2005).

Les écoles alternatives où travaillent les enseignants interrogés permettent l’application des réponses aux tensions plus facilement qu’à l’école publique, cela grâce à l’autonomie de ces écoles qui laisse davantage de liberté au niveau du programme et atténue la pression des délais, ce qui permet d’aborder les apprentissages différemment.

De plus pour les enseignants interrogés, travailler dans une école alternative signifie partager le projet et la vision pédagogique de l’école et cela les rassemble, eux et leurs collègues, sous une bannière commune. De cela découle une collaboration qui se révèle nécessaire pour soutenir la mise en œuvre des réponses aux tensions.

Les raisons ayant poussé ces enseignants à préférer leur école alternative à l’école publique comportent donc bien des aspects pédagogiques. Ces aspects découlent cependant de causes sociologiques. En effet, nous pouvons ici faire un lien avec le rôle et le but de l’école. A l’école publique, le but principal reste socio-politique (HarmoS, 2007) : on forme des citoyens pour leur permettre de s’intégrer à la société. Les écoles alternatives des enseignants interrogés, bien que ne reniant pas totalement un but socio-politique de l’école (voir sous-chapitre 4.4), poursuivent prioritairement un autre objectif : l’épanouissement de l’individu lui-même, pour lui-même. Pour elles, ainsi que le disait Rousseau (Gremont & Tardif, 1996), l’homme n’est pas un moyen, mais une fin.

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