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R ÉCITS ET TRAJECTOIRES DE CONVERSION : DITS ET NON DITS DU DISCOURS

L’important degré de standardisation observé au sein du grand nombre de récits de conversion collectés souligne la force illocutoire de ces discours : ainsi, le verbe construit la conversion. De fait, le récit de conversion opère la remise en ordre d’un monde perturbé par le changement de paradigme, fût-il soudain ou progressif. En dépit de la redondance des mises en intrigue de la conversion, les discours suggèrent des variations et des tensions qui reflètent l’idiosyncrasie et la non-linéarité des parcours.

a) La standardisation du récit : quête du sens et de l'essence

Comme chaque conversion s'inscrit dans une histoire et un ensemble qui lui donne sens, identifier les étapes et chronologies de ces parcours semble la démarche la plus appropriée pour distinguer des tendances parmi les mouvements de conversion. Nos données valident en effet l'hypothèse d'une trajectoire de conversion-type, composée d'étapes-clés standards, quoique négociées de façon variable par les converties.

i) Des trajectoires-types

Âgée de 21 ans, Juliette vit dans un quartier populaire de Paris, elle étudie la sociologie. Convertie à l’islam depuis 3 ans, elle décrit son parcours :

« J’ai toujours eu beaucoup d’affinités avec les Maghrébins, au collège, on s’entendait super bien. Une de mes copines d'origine algérienne a commencé à pratiquer, elle avait toujours été croyante mais elle ne pratiquait pas. Cette fille m’impressionnait car elle avait une forte personnalité. À l’adolescence, elle était cool, mais elle tergiversait pas sur certaines choses : respect aux parents, virginité, des principes comme ça et je me suis rendue compte que c’était l’islam qui lui donnait tout ça. Avant je pensais que l’islam était une religion pour les Arabes, mais j’ai commencé à m’intéresser, elle m’a donné des livres, on discutait beaucoup, le Qu’ran, etc. Puis dans le groupe, les Maghrébines ont recommencé à pratiquer et toutes les Françaises se sont converties : environ 10, maintenant on est comme des sœurs de sang ».

Amélie est Québécoise, elle est âgée de 30 ans et travaille comme responsable dans un centre d’appels montréalais tout en poursuivant ses études en administration. Convertie depuis 2 ans, elle dit avoir toujours cru en Dieu, mais n’avoir jamais

« vraiment » pratiqué une religion en particulier. Elle a rencontré Mourad, un immigrant d'origine marocaine il y a 4 ans. Quoique non pratiquant, ce dernier se conformait à certaines valeurs, il refusait par exemple le concubinage avant le mariage. Particulièrement intriguée par son comportement qu’elle qualifie de « très calme en tout temps », Amélie décida d’en savoir plus sur l’islam. Elle s’adressa alors à une femme musulmane, car « j’avais besoin de savoir, c’est comment l’islam dans la vie d’une femme. Parce que, veut veut pas, on voit qu’il y a plus d’obligations, c’est plus dur pour la femme... »

(1) Les étapes de la conversion

Ces deux itinéraires de conversion, collectés respectivement en France et au Québec, illustrent de façon significative les trajectoires de conversion rapportées par la plupart des femmes rencontrées. Ces parcours s’organisent généralement en plusieurs étapes et regroupent, à divers stades et degrés, et selon une chronologie variable, les éléments suivants : rencontre avec une personne-clé ou un agent de conversion musulman de naissance, pratiquant ou non (amie, amoureux, collègue, voisin, parent par alliance) (1), cheminement personnel et recherche d’informations sur l'islam à l'aide de l'outil Internet, la lecture du Qu’ran jouant un rôle souvent déclencheur, apparition progressive de la conviction de l'existence de Dieu et de la véracité de l'islam (2), craintes et hésitations devant les changements induits par la conversion dans le quotidien, dans les relations sociales et dans la vie personnelle, recul temporaire (3), création de nouveaux liens sociaux avec des musulmans pratiquants, de naissance ou converties (4), adoption progressive de pratiques et de valeurs musulmanes (5), décision d'entrer dans l'islam et profession de foi prononcée dans des circonstances souvent inattendues (6), socialisation dans l'islam via un apprentissage intensif du corpus de croyances et de pratiques (leçons suivies dans des mosquées) et construction d'une appartenance à la communauté musulmane via un mode de sociabilité plus ou moins exclusif avec des « sœurs » musulmanes, changement graduel de comportement et incorporation de pratiques sociales, rituelles, vestimentaires et alimentaires dans le quotidien (7), annonce et manifestation relativement formelle de la conversion dans le cercle social non musulman (famille, milieu de travail, espace public) (8), gestion des éventuels conflits, et négociation

identitaire avec l’environnement d’origine et d’adoption et, éventuellement, port du foulard (8).

Tout en s'inspirant du modèle par étapes proposé par Rambo (1993), ce schéma souligne l’influence du contexte social et politique qui met constamment au défi le processus d’apprentissage et d’affirmation de la nouvelle identité choisie. Par ailleurs, et à l’instar de nombreuses études réalisées en Europe et en Amérique du Nord, nous observons que le processus de conversion à l’islam débute généralement par une rencontre avec un musulman de naissance. S’ensuit une étape de construction de la croyance qui s’opère le plus souvent, par une démarche rationnelle de reconnaissance de la vérité de l’islam. Elle se poursuit finalement dans l’apprentissage et l’incorporation de modes d’agir et de penser propres à une interprétation personnelle de l’éthique musulmane. Les répondantes rencontrées dans le cadre de cette recherche se situent à diverses étapes de ce parcours-type. Autour de ce canevas se tissent une variété de trajectoires qui se déclinent différemment selon les générations, les profils personnels, les situations matrimoniales et les milieux sociaux. Les répondantes les plus intégrées dans des milieux musulmans se convertissent habituellement à la mosquée, ou devant témoins dans des espaces privés. Les femmes plus isolées géographiquement ou socialement, étant peu en contact avec des musulmans de naissance, préfèrent entrer dans l’islam au cours d’une prière personnelle adressée directement à une entité qu'elles appellent Dieu ou Allah. Par exemple, au moment de notre rencontre dans une mosquée, Anaïs (Québec) est en relation avec un Musulman de naissance et s'informe sur l'islam dans un but de conversion éventuelle, sans en avoir touché mot à aucun membre de son entourage. Noémie (Québec), la jeune femme qui lui dispense des leçons sur le Qu’ran est entrée dans l'islam depuis plusieurs années, elle est fortement impliquée dans la communauté de sa mosquée, mais cherche encore à établir une harmonie familiale avec ses parents qui acceptent difficilement son choix, notamment son absence lors de la célébration de Noël. Marie- Anne (France) qui est entrée dans l’islam récemment, concubine avec un Algérien, lors de l'entrevue, elle évoque les tensions que le manque de pratique de son partenaire, et en particulier sa réticence au mariage, génère dans sa démarche religieuse. De son côté, Patricia (France), une convertie de longue date, explique avoir

quitté son conjoint tunisien non pratiquant peu après sa conversion, et s'être remariée avec un Algérien qui respecte avec fidélité et assiduité les préceptes musulmans.

Finalement, bien que les motifs de conversion invoqués semblent relativement redondants, c'est le sens qui est apporté à chacune de ces étapes qui en révèle la réelle portée sociale et subjective.

(2) Multiplicité des trajectoires (a) Des expériences d’altérité

Les trajectoires de conversion se construisent habituellement autour de la reconnaissance de la vérité de l’islam, puis de l’incorporation de l’identité musulmane. Plusieurs femmes ont expérimenté au cours de leur vie diverses identités, affiliations ou marqueurs religieux (jupes longues et coiffures juives par exemple), certaines ont vécu leur enfance en milieux sectaire, hippie ou évangéliste. En fait, bon nombre d'entre elles ont exploré différentes traditions religieuses (taoïsme, évangélisme, judaïsme), spirituelles (bouddhisme, Nouvel Âge), voire éthiques (végétalisme), ce qui nous amène à élargir le concept de « conversion career » de Richardson (1978) à des voies non seulement religieuses, mais aussi éthiques. En France comme au Québec, pour presque toutes les femmes, le parcours de conversion se mêle également à une expérience d’altérité. Celle-ci est réalisée soit dans une optique d’ouverture à l’Autre liée à des séjours touristiques, ou à des voyages de coopération à l’étranger, soit dans un milieu local hybride, au sein d’unions mixtes ou de quartiers résidentiels multiculturels, soit enfin dans un contexte virtuel de communauté imaginée (Umma) tissée de liens Internet.

L’adoption de l’islam s’inscrit également dans un espace global qui, en France, est rarement exempt des mémoires coloniales; c'est à ce niveau que se diffusent et s’échangent divers éléments culturels propices à la formation de nouvelles identités. Ainsi, Dominique vit à Paris, elle est séparée de son ex-mari d’origine égyptienne rencontré en France. Grâce à son emploi au sein d'une entreprise de télécommunications, elle peut maintenir un contact quotidien avec sa fille qui réside désormais au Caire avec son père. Dominique s’est convertie lors d’une visite familiale en Égypte. Latifa pour sa part, dit s'être sentie interpellée par l’activité

rituelle d’une confrérie soufie lors d’un séjour en Inde; elle poursuit aujourd'hui sa vie parisienne tout en pratiquant au sein de la tariqa qu’elle a trouvée dans sa ville, mais aussi en Inde, à l'occasion de pèlerinages.

(b) Trajectoire de conversion et trajectoire amoureuse au diapason ? La progression dans l’islam s'opère souvent parallèlement à d’autres parcours personnels liés à la vie sociale, familiale, et en particulier amoureuse, comme le note également Sultan en Suède (1999). En attestent les multiples comparaisons que les répondantes établissent entre leurs trajectoires religieuse et sentimentale. Les femmes mariées de notre échantillon sont presque toutes unies à des musulmans de naissance, rarement à d’autres convertis, il est donc tentant de faire correspondre trajectoires de conversion et trajectoires d'unions mixtes. Pourtant, presque la moitié des répondantes se sont converties avant de se marier ou sont encore célibataires; plusieurs d’entre elles auraient toutefois vécu des échecs sentimentaux avec des musulmans de naissance qu’elles ne confient pas toujours facilement. Wohlrab-Sahr (2006) relève le même constat auprès de femmes converties en Allemagne et aux États-Unis. À l’encontre des stéréotypes dominants qui considèrent le désir d’épouser un homme musulman de naissance comme l'incitatif principal à l'adoption de l'islam, nous observons que ce sont généralement les converties qui encouragent leur partenaire à revenir à leur identité religieuse d'origine, et à pratiquer plus assidûment. Invalidant l’hypothèse d’une instrumentalisation de la conversion, certaines femmes établissent une cohérence entre l’attirance envers un musulman, et envers l’islam. Par exemple, Anaïs, qui est fiancée à un Libanais pratiquant, associe ses sentiments pour son partenaire à sa personnalité et à son comportement qui, eux-mêmes, incarnent les valeurs musulmanes.

Nos données ne valident donc pas la distinction que le sociologue Allievi (1998) établit entre les conversions relationnelles liées à des rencontres, parfois opérées selon une logique instrumentale, des conversions rationnelles ou intellectuelles, fondées sur l'individu et sa quête de sens. Ce mode de classification nous semble par ailleurs difficilement applicable dans le cadre d'une étude empirique, en effet, comment distinguer les femmes qui se convertissent dans le cadre d’une union mixte ? Auprès

de converties établies en Angleterre, aux Pays-Bas et en Afrique du sud, Badran (2006) note la convergence des itinéraires rationnels et relationnels, comme Jensen (2008) au Danemark, et Roald (2004) en Scandinavie. Toutes nos répondantes ont également, dès le début de leur parcours, socialisé plus ou moins intimement avec un ou une musulman(e) de naissance. À cet égard, Roald suggère qu'un tel contact personnel constitue un préalable nécessaire à la conversion, permettant de dépasser la mauvaise presse dont l'islam et les musulmans pâtissent actuellement.

Parmi les femmes entrées dans l’islam après leur rencontre avec un musulman de naissance, nous préférons distinguer celles dont le conjoint est non-pratiquant, leur situation nous paraissant plus révélatrice. En effet, dans plusieurs cas, les deux partenaires découvrent l’islam en couple dans le cadre d’un travail de déconstruction de la mixité ethnique de l’union, visant à rapprocher les partenaires autour d'une homogamie de valeurs qui devient homogamie religieuse par la conversion de la femme (Mossière soumis). Dans d’autres situations observées surtout en France auprès de couples mariés depuis plusieurs années et ayant des enfants, la conversion de l'épouse s'inscrit dans la trajectoire de retour du mari à sa religion d'origine, dans un contexte global de résurgence du religieux et de renouveau de l’islam. L’enjeu de la transmission identitaire et de l’harmonie familiale joue alors un rôle pivot dans les discours de conversion. En outre, quoique les jeunes mariées restent majoritaires dans notre échantillon, les femmes divorcées et remariées présentent les trajectoires les plus significatives pour notre analyse. Ayant d’abord connu l’islam par l’intermédiaire d’un musulman de naissance observant une forme essentiellement culturelle de sa religion, elles s’en détournent finalement, les jugeant peu ou pas assez pieux, avant de s’unir avec un second musulman de naissance, pratiquant de façon plus orthodoxe. Plus que la trajectoire sentimentale, ce sont les enjeux des traditions ethniques et familiales, des normes sexuelles, des pratiques de concubinage et des modes de transmission identitaire aux enfants qui orientent les trajectoires d’union mixte, et forgent un grand nombre d'histoires de conversion, comme il sera discuté dans le chapitre 6.

(3) Des profils-types ?

Outre les parcours sentimentaux, certaines catégories sociales et culturelles participent également de tendances observées parmi les trajectoires de conversion. Ainsi, les initiées de la voie soufie appartiennent majoritairement aux milieux intellectuels, parfois adeptes d'une perspective culturelle, voire orientaliste de l'islam; en France, bon nombre d'entre elles se réclament de l'héritage philosophique de l’intellectuel René Guénon. Par ailleurs, les conversions des femmes quadragénaires sont généralement associées à des relations mixtes, qu'il s'agisse du retour du conjoint à sa religion d'origine, ou encore de l'union de femmes célibataires, souvent monoparentales, avec un musulman pratiquant, parfois rencontré sur Internet. Finalement, et en dépit de la présence de quelques femmes plus âgées et converties de longue date qui font figure de précurseurs autant que de doyennes, la majorité des conversions recensées concernent des jeunes femmes âgées dans la trentaine et moins, au point que l'on peut parler d'un véritable phénomène générationnel. Mouvement de protestation sociale, quête de repères ou de spiritualité, ou nouveaux modes de sociabilité, ces parcours de plus en plus spontanés seraient donc religieux autant que politiques, dans un contexte où, depuis les années 1980, l'islam est devenu omniprésent dans les discours publics. Bien que ces tendances s'observent autant en France qu'au Québec, elles semblent plus marquées dans l'hexagone, où les conversions de jeunes sont concentrées dans les milieux plus modestes, voire défavorisés, des banlieues françaises.

Par ailleurs, l'observation empirique fait apparaître quelques attributs partagés par une majorité de femmes rencontrées dans les espaces étudiés : généralement en quête d’une mystique ou de repères, êtres passionnés et engagés, éprises de justice et pragmatiques, elles aiment présenter une image rebelle et anticonformiste d'elles- mêmes. La plupart disent entretenir une forme de croyance ou de foi antérieure à la conversion, ou pour le moins un questionnement qui les rend réceptives à l’islam, alors perçu comme la continuité d’une vie religieuse déjà présente. À cet égard toutefois, comme dans l'étude de Haddad (2006) réalisée aux États-Unis, l'éducation religieuse des répondantes varie de contextes athée et séculier, aux milieux chrétiens les plus fervents et engagés politiquement, en passant par diverses tendances Nouvel

Âge. Certaines femmes ou « serial converts » (Haddad 2006) ont d'ailleurs exploré diverses traditions religieuses avant d'arrêter leur choix sur l'islam. L’expérience de quelques déconverties que nous avons rencontrées suggère que cette option ne pourrait être que temporaire dans leur trajectoire.

(4) Discours normatifs et standardisés

Bien que colorés par les profils et caractères des femmes rencontrées, les discours de conversion donnent à voir un ensemble de thèmes récurrents qui soulignent autant les facteurs d'attraction de l'islam, que les motifs de désaffection du mode de vie occidental. Parmi eux : la discipline quotidienne et la logique des prescriptions islamiques, la démarche spirituelle entamée suite à la conversion, la redéfinition des concepts de pudeur et de piété, le style de vie centré sur la famille, l'importance accordée aux rôles d'épouse et de mère et aux valeurs conservatrices, la force des liens familiaux et communautaires notamment avec d'autres femmes, la distinction des responsabilités et devoirs entre hommes et femmes, l'effondrement des valeurs familiales, l'individualisme jugé excessif des sociétés contemporaines, les modèles de sexualité dominants en Occident et l'asservissement de la femme à son corps devenu objet sexuel, la critique culturelle du matérialisme, les expériences de discrimination et les difficultés d’expression de leur religiosité dans l’espace public. Ces thématiques se manifestent de façon systématique au sein des discours recueillis en France, au Québec, ainsi que dans la majorité des pays occidentaux comme la littérature en fait état (Bourque 2006; Haddad 2006; Sultan 1999; Vroon 2007). En effet, en Suède, Roald (2004) identifie des facteurs liés tant aux attraits particuliers de l'islam, une religion logique, un enseignement rejetant l'irrationnel abusif de la Trinité chrétienne, qu'aux expériences subjectives, d'enfance malheureuse, de crise ou de rébellion personnelle, de rencontre marquante ou d'union mixte. Au Danemark, Jensen (2008) trouve des motifs systémiques : engouement culturel pour l'altérité, critique sociale et politique exprimant une indignation envers l'injustice sociale et des sentiments de solidarité envers les populations oppressées, rejet du matérialisme, du capitalisme et de la « dégénérescence du monde moderne ». Les discours des converties rencontrées en France semblent valider les observations de Jensen au Danemark, évoquant ainsi la

possibilité d'une convergence européenne pour certains aspects du phénomène de conversion à l'islam. Les Québécoises converties privilégient cependant la dimension de la quête religieuse, un motif également recueilli à divers degrés dans toutes les enquêtes empiriques, sans égard au contexte spatial et temporel.

Comme les récits visent ultimement à convaincre l'interlocuteur du bien-fondé et de l’authenticité de la démarche de conversion, les preuves scientifiques du caractère divin du Qu’ran sont constamment rappelées. Par ailleurs, les converties mettent l’accent sur l'unicité du Dieu des trois religions monothéistes et sur la continuité des messages de leurs prophètes respectifs. Leur discours est par conséquent construit autour d'une critique du christianisme, de l'aberration de la Trinité qu'il prône, et de sa prétention dogmatique, par opposition à l'attitude consensuelle et pragmatique de l'islam. Le caractère monothéiste du christianisme est d'ailleurs remis en question dans la mesure où Jésus étant considéré comme le fils de Dieu, il est lui-même rendu divin. Le caractère construit et standardisé de ce discours apparaît auprès des converties les moins orthodoxes, puisque la description de leurs pratiques religieuses fait état de bricolages individuels, alors que la récitation des hadiths et des sourates est parfois mêlée au « Notre Père », que le « Salut Marie » est adapté à l'islam, et que la représentation de Dieu comme d'une entité commune à l'humanité permet de faire lien avec l'héritage chrétien. Ainsi, l'imam d'une mosquée montréalaise habitué à recevoir des candidats à la conversion explique avoir modifié la shahada (l'acte de foi musulman) prononcée par les apostats du christianisme, de façon à y inclure que Jésus est le fils de Marie (et non celui de Dieu). Alors qu'une telle standardisation des récits s’avère propice à l'identification d'idéaux-types wébériens, nous montrerons que ces discours sont construits et incorporés par les converties par mimétisme, ainsi que par diverses techniques d'apprentissage de l'islam, au service d'une herméneutique du soi (chapitre 5).

(5) Les enjeux

Les récits collectés évoquent de façon redondante les stigmates que l’imaginaire public impose à l'islam dans les pays occidentaux, ainsi que les représentations dominantes associant altérité musulmane et altérité ethnique. Ces thématiques