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Quelle échelle est pertinente pour provoquer un report modal dans le secteur du fret ?

II Les enjeux actuels de la planification régionale des transports

C) Développement durable, report modal et intermodalité

3) Quelle échelle est pertinente pour provoquer un report modal dans le secteur du fret ?

C’est une question d’autant plus importante que les Régions n’avaient jusqu’ici que des prérogatives limitées en matière de transport de marchandises, et donc une faible expérience. Quelques pionnières (comme Languedoc-Roussillon, Haute-Normandie) se sont risquées dès les années 1980 à financer des plates-formes logistiques multimodales, des chantiers de transport combiné ou des modifications de gabarit de certains tunnels. D’autres comme l’Aquitaine, la Bretagne, le Centre, Champagne-Ardenne, etc. ont inscrit des opérations de ce type dans les contrats de plan État – Région 2000-2006. Mais on ne peut parler de politique régionale de fret formant un tout cohérent, sauf peut-être dans le cas particulier du Nord - Pas de Calais qui a produit en 1995 un Schéma régional spécifique pour les marchandises (SRM).

Les transports de marchandises peuvent difficilement faire l’objet de politiques de transfert modal pour l’importante proportion de flux à courte distance. En effet, comme pour les voyageurs se pose le problème de la durée des ruptures de charge proportionnellement à la durée totale, à comparer elle- même aux temps de parcours purement routiers. De plus, il faut intégrer dans ce raisonnement le

89 Bilan de la desserte ferroviaire du Quart Nord-est toulousain ; test de satisfaction clientèle et mesure du

potentiel de développement, Démoscopie, 1996.

90 Cette démarche a été engagée en décembre 1996 à la demande des directeurs “ Transport ” du Ministère de

l’Équipement. Une démarche prospective et plurimodale devait en premier lieu permettre de dresser un diagnostic du système de transport en région. Sur la base de cette analyse, il s’agissait ensuite d’identifier les interventions souhaitables de l’État en matière d’infrastructures, d’équipements et de services à l’horizon 2015, compte tenu des objectifs énoncés au niveau national.

désormais très faible maillage des gares ouvertes au trafic de fret sur le réseau SNCF, même dans des régions densément occupées, et la couverture très partielle du territoire par le réseau des voies navigables. Le potentiel de développement est donc limité et ne concerne que des trafics de niche comme le transport des déchets ménagers vers les usines de retraitement. De plus, le report modal ne se décrète pas dans un contexte plutôt libéral ; il ne peut être qu’encouragé par des incitations diverses ou provoqué par des mesures de rééquilibrage de la concurrence entre modes. Mais ce genre d’action s’effectue davantage à des niveaux de décision supérieurs à celui de la Région.

En cherchant à provoquer un transfert modal au profit des modes non routiers, les pouvoirs publics s’attaquent à forte partie, dans la mesure où une part importante du système productif contemporain repose sur des transports de charges camionnables entre lieux de production, de transformation, d’assemblage et de distribution, sur des distances croissantes du fait de l’ouverture des frontières. L’élargissement à court terme de l’Union Européenne ne peut que renforcer cette tendance. Dans un récent Livre blanc91, la Commission européenne fait valoir que “ si aucune mesure d’envergure n’est

prise d’ici 2010 dans l’Union des quinze pour utiliser plus rationnellement les avantages de chaque mode de transport, l’augmentation du seul trafic de poids lourds atteindrait près de 50 % par rapport à son niveau de 1998 ” (p. 9). Au plan national, les simulations effectuées tant par le Service

économique et statistique du Ministère de l’Équipement (DAEI-SES) que par le Laboratoire d’Économie des Transports (LET) font apparaître une croissance de la part de marché du transport routier de marchandises qui ne serait que légèrement retardée par des mesures de “ régulation volontariste ”. Ainsi, le partage modal des flux intérieurs à l’horizon 2015, selon le modèle SES, privilégierait la route à hauteur de 78 % dans le meilleur des cas et de 84 % dans le scénario le plus libéral contre 75 % en 1992. La part de marché de la route calculée par le LET s’établirait entre 87 et plus de 89 % pour un pourcentage de départ de 76 % (1992)92.

Le Livre blanc déjà cité donne une idée de la variété des mesures susceptibles de contribuer à un commencement de rééquilibrage des parts de marché des différents modes :

• Revitaliser le rail en instaurant une concurrence entre compagnies ferroviaires, en renforçant l’harmonisation technique des réseaux, en investissant prioritairement sur la suppression des goulets d’étranglement et en soutenant le développement d’un réseau de lignes dédiées au transport de fret, etc.,

• Assainir les pratiques d’une partie de la profession du transport routier (dumping, non-respect des réglementations) et protéger cette dernière vis-à-vis des chargeurs qui refusent toute révision des tarifs, même justifiée,

• Prendre des mesures d’harmonisation technique et d’interopérabilité entre systèmes, nécessaires pour le développement du trafic des conteneurs,

• Développer et harmoniser les systèmes tarifaires d’usage des infrastructures en prenant en compte les coûts externes et en veillant à une égalité de traitement entre opérateurs et entre modes de transport (les critères seraient les mêmes), harmonisation de la fiscalité des carburants professionnels tant entre pays qu’entre modes,

• Promouvoir le cabotage maritime comme mode de substitution au transport routier sur certaines liaisons partie (la Commission propose de développer dans ce but des “ autoroutes de la mer ”).

À l’échelle nationale, les Schémas de services collectifs déclinent approximativement les mêmes thèmes93. S’y ajoutent des objectifs que nous pourrions qualifier de sectoriels comme :

91 La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix, Bruxelles, 12 septembre 2001. 92 Source de l’ensemble de ces chiffres : Interface Transport, Les prévisions de trafics urbains et interurbains de

voyageurs et de trafics marchandises à l’horizon 2015, La Documentation française, mars 1998. Cette publication rassemble trois études réalisées pour le Commissariat Général du Plan.

93 Il s’y ajoutait un objectif de doublement du trafic ferroviaire trop ambitieux pour être réaliste : il a été abandonné

• l’amélioration des dessertes terrestres des ports français, • le développement sélectif d’“ autoroutes ferroviaires94”,

• la gestion des conflits entre le trafic de transit et le trafic local au niveau des grandes agglomérations ou des corridors les plus chargés.

Ce sont ces objectifs qui paraissent les plus aisément abordables à l’échelle régionale : stimulées par l’État, notamment à l’occasion des négociations des contrats de plan, les Régions doivent être en mesure d’établir des priorités et éventuellement de trouver des avantages “ collatéraux ” aux investissements à finalité fret pour les réseaux dont elles ont la charge. Une déviation d’agglomération dédiée au fret ferroviaire libère par exemple des sillons pour les TER en zone centrale. D’une façon générale, tout investissement de capacité justifié par des besoins fret augmente la capacité de l’axe ou du nœud considéré pour l’ensemble des circulations. Les interactions moins positives doivent être également gérées : le maintien voire le développement de plates-formes multimodales d’éclatement au cœur d’une agglomération implique peut-être des conflits d’usage avec les services régionaux de voyageurs sur les parcours d’accès.