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Mme C se présente à la première consultation relativement anxieuse, très gênée d’être en retard, donnant de multiples justifications sur l’horaire du bus qu’elle a raté. La présentation est peu soignée. Elle présente une hyperesthésie émotionnelle et a les larmes aux yeux à plusieurs reprises. Elle dit venir « pour ses gestes répétitifs, pour tout ». Elle explique que son médecin généraliste a diagnostiqué chez elle un TOC il y a une dizaine d’années. Elle était allée consulter un psychiatre quelques séances, mais avait du interrompre car elle avait pris cette initiative sans en parler à son mari, lequel a une vision très péjorative de la psychiatrie et un comportement très autoritaire sur elle. Mme C ne travaillant pas, le règlement des séances sans en parler à son mari était trop compliqué. Elle n’a jamais pris de traitement médicamenteux. Le TOC s’est progressivement aggravé au fil des années, lui prenant petit à petit de plus en plus de temps, l’empêchant de poursuivre sa profession de coiffeuse, jusqu’à occuper la quasi-totalité de son temps dans la journée, soit plus de 8 heures par jour lors de cette première évaluation.

Mme C vit donc avec son mari, avec lequel existe une conjugopathie importante, celui-ci la dénigrant beaucoup lorsqu’il la voit effectuer ses rituels, la traitant de « folle ». A noter que toute la prise en charge actuelle s’est effectuée sans que le mari n’en ait connaissance. Mme C a une fille de 26 ans, agent de police, plutôt soutenante, et un fils de 18 ans en terminale vivant encore à la maison. Ce sont ses enfants qui l’ont aidée au départ à prendre conscience du caractère pathologique de ses TOC, en lui faisant remarquer que ce qu’elle faisait n’était pas normal. Lorsqu’un jour elle a répondu agressivement à son fils qui

venait la perturber dans la réalisation d’un rituel, elle dit avoir culpabilisé et pris conscience qu’elle « avait un problème. » Elle s’est décidée ce jour à consulter devant le retentissement social important qu’engendre ce TOC qui ne lui laisse plus aucun temps libre. Elle ne sort de chez elle plus que pour rendre visite à sa mère, et vit très isolée. Il existe un retentissement thymique également, avec beaucoup d’autodépréciation, de découragement et de fatalisme, une humeur triste, une anhédonie.

Lorsqu’on lui demande de décrire en quoi consistent ses TOC, elle a du mal à savoir par où commencer : « c’est pour tout ! ». Voici la description de ses principaux TOC :

-Le rangement de la vaisselle : que ce soit pour la ranger dans le lave-vaisselle, ou du lave-vaisselle au placard, cela lui prend plus d’une heure. En effet, outre le fait qu’elle lave plusieurs fois la vaisselle avant de la mettre au lave-vaisselle, il faut ensuite qu’elle la dispose dans un ordre et à une position précise : les verres, les tasses, les assiettes, les couverts triés et séparés en couteaux, fourchettes, cuillères, chaque ustensile à une place bien définie. Une fois que tout est bien disposé, elle effectue plusieurs vérifications visuelles : verres, tasses, assiettes, couteaux…Des rituels similaires s’appliquent pour le rangement ensuite dans le placard, avec à la fin plusieurs réouvertures et fermetures du placard pour effectuer des vérifications visuelles. Mme C ne décrit pas d’obsession particulière associée, et a bien conscience du caractère excessif et inutile de ses vérifications : « Je le vois que c’est bien rangé, mais c’est plus fort que moi, il faut que je reprenne ». « Je sais au fond de moi que ça ne sert à rien mais je n’arrive pas à faire autrement. C’est comme si quelqu’un ou quelque chose me poussait à le faire ». En faveur du modèle neurocomportemental, elle décrit une impériosité à ritualiser, sans que cela ne soit sous-tendu par des obsessions ni de l’anxiété. En effet, même si elle est très souvent anxieuse, elle ne décrit pas une séquence temporelle des rituels survenant forcément après l’anxiété. En effet, cette patiente décrit la réalisation de rituels de manière systématique et très automatisée tout au long de la journée, et n’évoque l’anxiété qu’au second plan, ce qui conforte l’hypothèse de la primauté des rituels.

-Le pliage et le rangement du linge propre dans le placard : il s’agit des rituels lui prenant le plus de temps. En effet, le pliage et le rangement d’un simple T-shirt est ritualisé en quatorze temps. Bien souvent, un sentiment d’insatisfaction persistant après avoir déposé le T-shirt dans le placard, le T-shirt rangé est ressorti et déplié et ces quatorze temps sont alors repris à zéro. Une fois le linge déposé dans le placard, Mme C effectue plusieurs vérifications

visuelles, dans un ordre précis, d’arrière en avant dans le placard, jusqu’à ce qu’elle ressente qu’elle peut arrêter, indépendamment du nombre de vérifications ou de la perfection de l’alignement. Elle ne sait pas décrire précisément ce qu’elle vérifie. Selon la lecture de la théorie neurocomportementale, il semblerait qu’elle doive ritualiser jusqu’à ce que son cerveau ait pu « vidanger » son excitabilité.

-Le classement des papiers : Ranger un document ou une facture dans un classeur, va également engendrer de nombreuses vérifications. Tout d’abord, il y a la vérification visuelle du type de papier, de sa date, puis la disposition à son emplacement dans le classeur. Il y a ensuite une vérification visuelle des feuillets précédents et suivants (« janvier, février, mars,

avril….janvier, février, mars, avril…etc ») Si la tension poussant à ritualiser est encore forte le papier est ressort du classeur et tout est recommencé. Quand le classeur sera remis sur son étagère, il y a une vérification visuelle, puis parfois tout est à nouveau ressorti et rerangé.

-Poster un chèque nécessite là encore le même type de rituel de vérification : le contenu du chèque sera vérifié plusieurs fois, puis le chèque sera mis dans l’enveloppe puis ressorti, revérifier, remis dans l’enveloppe plusieurs fois. Une fois l’enveloppe cacheté, le chèque sera vérifié par transparence. L’adresse et le timbre seront vérifiés. Lors du dépôt dans la boite aux lettre, il y aura la vérification que l’enveloppe a bien été déposée au bon endroit.

-Départ de la maison : Chaque départ de la maison nécessitera un tour de vérifications d’au moins 30 minutes : portes, fenêtres, robinets, lumière, fermeture des tubes de crème/dentifrice…Là encore Mme C n’identifie pas d’obsession associée, n’imagine pas de scénario catastrophe en cas d’oublis, mais décrit un mal-être, une tension qui la pousse à ritualiser.

Ainsi, quasiment chaque geste de la vie quotidienne semble entravé par ce sentiment de nécessité de ritualiser permanent. La description de ces rituels ont demandé beaucoup d’efforts à Mme C, car suscitant un sentiment de honte important.

En fin de consultation, il lui est demandé pour la séance suivante de réaliser un relevé d’auto-observations de ses comportements sur une partie d’une journée. Le projet de mise en place d’un traitement médicamenteux est abordé, ainsi que la proposition de la prendre en charge en psychothérapie.

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ème

consultation : poursuite de la description du TOC et abord de la