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Le concept d'imitation en droit pénal : approche de synthèse du juridique au philosophique

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Le concept d’imitation en droit pénal : approche de

synthèse du juridique au philosophique

Yoanna Sifakis

To cite this version:

Yoanna Sifakis. Le concept d’imitation en droit pénal : approche de synthèse du juridique au philosophique. Droit. Université de Bordeaux, 2017. Français. �NNT : 2017BORD0764�. �tel-01724692�

(2)

1

THÈSE PRÉSENTÉE POUR OBTENIR LE GRADE DE

DOCTEUR DE

L’UNIVERSITÉ DE BORDEAUX

ÉCOLE DOCTORALE DE DROIT (ED N°41)

SPÉCIALITÉ DROIT PRIVÉ ET SCIENCES CRIMINELLES

par Yoanna SIFAKIS

Le concept d’imitation en droit pénal

Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Marc TRIGEAUD

Soutenue le 1er décembre 2017

Membres du jury :

Monsieur Christophe BLANCHARD, Professeur à l’Université d’Angers, rapporteur Monsieur Philippe CONTE,

Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, rapporteur Madame Valérie MALABAT,

Professeur à l’Université de Bordeaux Madame Vanessa VALETTE ERCOLE,

Maître de Conférences HDR à l’Université Perpignan Via Domitia Monsieur Jean-Marc TRIGEAUD,

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3

L’Université de Bordeaux n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions exprimées dans cette thèse. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

(5)
(6)

5

R

EMERCIEMENTS

Je remercie tous ceux qui m’ont aidée dans ce travail de recherche pendant ces cinq dernières années.

Je remercie mes amis pour leur enthousiasme et leur énergie.

Je remercie Benjamin pour sa patience et ses encouragements.

Je remercie mes parents et mon frère pour leur soutien.

Je remercie Monsieur le Professeur Jean-Marc Trigeaud qui m’a encouragée, par son écoute patiente et bienveillante, à adopter une grande liberté de pensée et à dépasser les moments de doute grâce à ses conseils avisés.

(7)
(8)

7

S

OMMAIRE

PREMIERE PARTIE : L’IMITATION UNILATERALE

T

ITRE

I :

L’

IMITATION UNILATERALE DES ATTRIBUTS IDENTIFICATOIRES

C

HAPITRE

I :

L’

IMITATION UNILATERALE D

UNE PERSONNE

C

HAPITRE

II :

L’

IMITATION UNILATERALE D

UN PERSONNAGE

T

ITRE

II

:

L’

IMITATION UNILATERALE D

UNE CHOSE

C

HAPITRE

I :

L’I

MITATION D

UNE CREATION

C

HAPITRE

II :

L’

IMITATION DE LA CHOSE GARANTE DE LA CONFIANCE DU PUBLIC

SECONDE PARTIE : L’IMITATION PLURILATERALE

T

ITRE

I :

L’

IMITATION PLURILATERALE HORIZONTALE

CHAPITRE I

:

L

IMITATION HORIZONTALE DANS UNE PLURALITE D

'

INDIVIDUS

CHAPITRE II

:

L

IMITATION HORIZONTALE DANS UNE MULTITUDE D

INDIVIDUS

T

ITRE

II :

L’

IMITATION PLURILATERALE VERTICALE

C

HAPITRE

I :

L'

IMITATION PLURILATERALE VERTICALEOU L

IMITATION PROVOQUEE

C

HAPITRE

II :

L’

ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITE DU PROVOCATEUR ET DU PROVOQUE

(9)
(10)

9

A

VERTISSEMENT

La lecture des seuls intitulés de paragraphes en caractères italiques, référée à la table analytique des matières jointe en annexe, devrait permettre de suivre plus facilement la trame des analyses de cette thèse. Certains paragraphes n’ont pas été nommés, dans la mesure où ils n’ont valeur que de chapeaux ou de transitions entre les développements.

Au sein des développements eux-mêmes, certains passages en gras, ainsi que des points de conclusions réguliers, constituent plutôt une mise en lumière des éléments de compréhension relatifs au concept d’imitation en droit pénal.

(11)
(12)

11

L

ISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

AJ pén. Actualité juridique pénale

B. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation B. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CA Cour d'appel Cass. Cour de cassation CE Conseil d’Etat

CEDH Cour Européenne des Droits de l’Homme Cons. Const. Conseil Constitutionnel

Conv. EDH Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales

CJUE Cour de Justice de l’Union Européenne D. Recueil Dalloz

D. P. Dalloz périodique Dr. pén. Revue droit pénal éd. Edition

Gaz. pal. La Gazette du Palais

Infra Ci-dessous J.-Cl. Juris-Classeur

JCP G Juris-Classeur Périodique – La semaine juridique, Edition Générale

JO Journal Officiel

L. Loi

LPA Les Petites Affiches Op. cit. Opus cité

p. Page

Req. Requête

Rep. pén. Répertoire pénal Rép. civ. Répertoire civil S. Recueil Sirey

s. Suivant

(13)
(14)

13

I

NTRODUCTION

1. Première définition de l'imitation. Du latin imitatio1, la notion d’imitation est marquée

par une ambiguïté fondamentale. Dans le langage courant et au sens premier, le terme désigne l'action d'imiter2 quelque chose ou quelqu’un. Il s'agit alors de reproduire artificiellement

une matière, un objet ou de faire une copie d'un objet de valeur. Ou bien imiter renvoie à l'action de reproduire l'allure, le comportement, le mouvement, le bruit de quelqu'un ou d'un animal. Les synonymes admis dans les dictionnaires sont ceux de copier, mimer, contrefaire. Dans ce cas, l'imitation correspond à l'action de prendre pour modèle3. Dans un tout autre sens, ce terme désigne le résultat de l'action d'imiter4. Il s'agit ici de l'objet créé par reproduction, ou bien de l’allure, du comportement copié sur le modèle. Et les synonymes correspondants sont alors : la copie, le calque, la contrefaçon.

De ce fait, comme le souligne justement Mme Pascale TREFIGNY, « il n'est pas très

facile de donner de l'imitation une définition précise et satisfaisante, car les dictionnaires traduisent des approches ambiguës, ou en tous cas différenciés, de la notion »5.

Dans un premier temps, nous pouvons cependant retenir que l'imitation renvoie au comportement de reproduire, ou produire à partir d'un modèle, que celui-ci soit un objet ou un être vivant. Et cette notion désigne alors autant le comportement lui-même que son résultat, observable, et qui peut-être un objet mais aussi une allure, un mouvement, ou une action complète, etc. Ainsi toute imitation comporte-t-elle à la fois un aspect comportemental et personnel, et un aspect matériel et concret.

Pour notre part, nous avons choisi d'analyser ce concept dans son versant corporel et

comportemental. Nous entendons l'imitation comme l'action, réalisée par un individu, pour

reproduire une action (et son résultat) d'un autre individu. Notre étude s'attache ainsi à l'aspect humain de l'imitation. Plus précisément, nous nommerons et différencierons d'une part, comme « imitateur » ou « mime » la personne qui prend pour modèle et imite, et d'autre part, comme « imité » ou « modèle » celle qui est ou a été imitée. Dans cette perspective, derrière tout objet copié, tout mouvement ou action reproduite, il nous sera possible d'évoquer l'individu imitateur,

1F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin – Français, 1934, V° Imitabilis, Imitamen, Imitatio, Imitator. 2E. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française, 1873, V° Imitation.

3E. LITTRÉ, id., V° Imiter. 4E. LITTRÉ, id., V° Imitation.

5P. TREFINGY, L'imitation : contribution à l'étude juridique des comportements référentiels, Strasbourg : Presses

(15)

14

mais également de rechercher la personne créatrice de l'objet ou responsable de l'action originale c'est-à-dire le modèle ou le donneur de modèle.

2. Approche de l’étude : du juridique technique à une critique philosophique. A la suite des philosophes Antiques6, de nombreux travaux en sciences humaines7 ont souligné le rôle de l'imitation, que ce soit au cours du développement de l'enfant ou des apprentissages (psychologie génétique) ou encore pour analyser les phénomènes de groupes (psychologie sociale). Il n'en est pas de même dans le domaine du droit, où les recherches se révèlent peu nombreuses. C'est pourquoi il nous semble intéressant d'appréhender l'imitation en droit pénal.

Notre approche est à double sens. D'une part, nous nous interrogerons sur l'apport de ce concept pour la compréhension et l'analyse de certains actes antisociaux. D'autre part, nous rechercherons le traitement juridique de ces actes et ce qu'il peut nous apprendre sur l'imitation. Rappelons qu'un concept est le résultat d’une conception, comprise comme la faculté de comprendre les choses8. Pour notre part, notre démarche procédera du juridique technique à

une critique philosophique. Car c'est bien le repérage et l’analyse de certains comportements d'infractions qui conduira notre réflexion philosophique pour construire le concept d’imitation en droit pénal, et plus particulièrement au droit pénal général et spécial9.

3. L'imitation, une notion juridique ? Le droit ne méconnaît pas l'imitation, mais celle-ci n'est pas à proprement parlé une notion juridique et il n'existe pas de définition juridique de ce terme. Celui-ci par exemple n'est retrouvé que quatre fois dans le Code de la propriété intellectuelle et jamais dans le Code pénal, comme si très peu d’infractions relevaient d’un phénomène d'imitation. Toutefois, certains travaux de thèse présentent une analyse de l'imitation de choses et d'idées au regard de droits spécifiques tel que le droit de la propriété intellectuelle ou encore en droit pénal.

4. L'imitation en droit de la propriété intellectuelle. Mme Pascale TREFIGNY, étudiant l'imitation comme comportement référentiel, a ainsi défini l'imitation comme le fait de « chercher à reproduire, copier ; reproduire ou copier plus ou moins bien, un objet de copie,

6V. infra n° 11 et s. 7V. infra n° 32 et s.

8 E. LITTRE, Dictionnaire de la langue française, op.cit., V° Concept et Conception.

9 Nous avons plus particulièrement décidé dans cette étude d’étudier le comportement illicite d’imitation. Ainsi

nous avons choisi de pas analyser l’imitation en procédure pénale, branche du droit pénal, qui trouve pour objet le procès répressif.

(16)

15 dont l'imitateur a eu préalablement connaissance »10.

Plus précisément, l'imitation peut avoir différents objets : la nature, autrui et la production d'autrui. Comme l'auteur, il nous paraît peu opportun d'étudier la nature dans notre sujet11. L'imitation intéressant la matière juridique est donc celle tournée vers la personne et sa production. Et dans cette optique, ce serait parce que l'imitateur entretient une confusion que son comportement devrait être réprouvé. La thèse de Mme Pascale TERFIGNY consacre une grande partie à l'imitation conçue comme la reproduction/copie de la chose d'autrui, et une plus restreinte à l'imitation de la personne d'autrui.

5. L'imitation en droit pénal : une question de ressemblance et d'apparence. D’autres auteurs évoquent la notion d'imitation en matière pénale au travers notamment du port illégal de costumes, d'uniformes ou de décorations réglementés par l'autorité publique12, ou encore la

contrefaçon de monnaie, de sceaux ou de titres ou autres valeurs fiduciaires13. Ils estiment que seule l'infraction de port illégal de costumes, uniformes ou décorations présentant une ressemblance avec ceux réservés aux fonctionnaires de la police nationale ou aux militaires14,

peut être qualifiée « infraction d'imitation »15, en excluant le port illégal de costumes véritables. L'imitation est alors comprise comme une ressemblance entre deux objets matériels sans se référer à un comportement. Dans le même ordre d'idée, la contrefaçon de monnaie, de sceaux, de titres ou autres valeurs fiduciaires, est définie comme une « infraction d'imitation », s'agissant de copier l'objet de la contrefaçon16. Ainsi les auteurs entendent-ils l'imitation au sens matériel du terme, c'est-à-dire au regard de l'objet imitant, et non du comportement.

M. le Professeur Philippe CONTE, dans son étude de la notion d'apparence en droit pénal17 , définit également l'imitation comme le résultat matériel d'une infraction mais en précisant que « l'imitation, la copie peuvent être plus ou moins fidèles au modèle, de la simple

10P. TREFIGNY, L'imitation : contribution à l'étude juridique des comportements référentiels, op. cit., p. 12. 11V. P. TREFIGNY, op. cit., p. 12.

12Art. 433-14 et 433-15 C. pén. 13Art. 442-1 et s. C. pén.

14On remarquera que si l'article 433-14 du Code pénal prévoit le port illégal de costume, uniforme ou décoration

réglementée par l'autorité publique, l'article 433-15 du même Code sanctionne le port illégal de costume, uniforme ou décoration ressemblant aux fonctionnaires de police nationale ou aux militaires.

15 V. notamment A. BOUZON-ROULE, Uniforme – Costume, Rép. pén., 2014, n° 30 et s. ; C. RIBEYRE,

Usurpation de signes réservés à l’autorité publique, art. 433-14 à 433-16, J.-Cl. Pénal Code, 2013, fasc. 20, n° 5, 49 et 54.

16V. notamment M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial, Paris : Dalloz, 2014, 7ème éd., n° 847, p. 980.

17 Ph. CONTE, L'apparence en droit pénal, Thèse Bordeaux, 1984. L’apparence en droit pénal, par principe,

explique certaines procédures comme l’enquête de flagrance. Mais l'apparence ne saurait s'arrêter là, comme le montre M. le Professeur Philippe CONTE ; V. également M. VASSEUR, Des effets en droit pénal des actes nuls ou illégaux d'après d'autres disciplines, RSC 1951, p. 1 et s.).

(17)

16

esquisse à la reproduction approchante, voire au décalque parfait, toute la gamme des nuances est possible »18. Il introduit ainsi l'idée selon laquelle l'imitation produit une apparition de la réalité correspondante, dont il convient d'apprécier l'apparence19, c'est-à-dire « la ressemblance entre l'apparition et la réalité correspondante »20.

Cet auteur critique notamment la théorie classique de l'apparence qui n'aborde cette notion que sous l'aspect des effets qu'elle peut produire, à savoir une croyance erronée qui peut avoir des conséquences juridiques. Il démontre que cette approche subjective de l'apparence peut et doit être complétée d'une approche objective. L'apparence doit être définie en elle-même car elle « naît [...] d'une ressemblance, suffisante, entre ce qui est vu – l'apparition - et la réalité correspondante »21. Dans le cas de l'imitation d'un objet protégé, cela signifie que si elle est suffisamment apte à causer une méprise dans l'esprit du public, elle doit être sanctionnée22.

Plus précisément, le Professeur Philippe CONTE distingue une apparence subjective et une apparence objective, qui déterminent deux procédés d'appréciation du seuil minimum de ressemblance nécessaire pour conclure à l'existence de l'apparence. L'apparence subjective se déduit de son effet « sur tout individu, conforme à un prototype de référence choisi »23. Elle

peut être « trompeuse » si elle conduit à une confusion de l'apparition avec la réalité ; et l'auteur parle d'une « aptitude à provoquer une méprise »24. Toutefois, l'apparence subjective n'exclue

pas le doute et elle peut également être « vraisemblable ». L'apparence vraisemblable suppose qu’« entre plusieurs interprétations de l'apparition, l'observateur se sentira autorisé à choisir l'une plutôt que les autres, parce qu'elle ressemblera suffisamment à une réalité pour qu'elle lui semble vraisemblablement exacte : la vraisemblance suppose en effet une “apparence de vérité”25 ». L'apparence objective, quant à elle, correspond à la situation de fait présentant une ressemblance certaine, évidente, avec la réalité envisagée sans référence à la subjectivité d'un

18Ph. CONTE, op. cit., n° 20, p. 27.

19Ph. CONTE, L’apparence en droit pénal, op. cit., n° 17, p. 22. Le Professeur considère qu'« il n'y a pas apparence

à l'évidence lorsque l'apparition reflète fidèlement la réalité, qu'elle rend, ce faisant, apparente : l'apparence suppose un écart entre l'apparition et la réalité », et donc pour lui il ne faudrait « pas parler d'apparence là où l'apparition exprime le réel ».

20Ph. CONTE, id., n° 7, p. 22. 21Ph. CONTE, id., n° 926, p. 1080.

22V. Ph. CONTE, id., n° 389, p. 484, pour un exemple sur l'étude de la méprise causée par le port d'un costume ou

d'un uniforme ressemblant.

23Ph. CONTE, id., n° 926, p. 1080. L'apparence ne saurait se déduire d'interprétations subjectives différentes de

l'apparition.

24V. Ph. CONTE, ibid.

25Ph. CONTE, id., n° 21, p. 28. Le professeur rapporte la définition de la vraisemblance selon le dictionnaire

alphabétique et analogique de la langue française P. ROBERT (cf. LITTRE, qui définit le vraisemblable comme « ce qui paraît vrai », ce « qui a l'apparence de la vérité »).

(18)

17 observateur26.

Le Professeur CONTE étudie alors, à travers l'analyse de l'apparence subjective, la contrefaçon qu'il définit parfois comme une imitation notamment en matière de contrefaçon littéraire et artistique27, ou encore le risque de confusion généré par le port d'un costume ou un uniforme ressemblant à l'original28.

6. Absence de définition claire de l'imitation. Malgré leur intérêt, ces travaux soulignent la difficulté d’analyser l'imitation en matière juridique. En effet, celle-ci étant conçue majoritairement comme la copie d'une chose, seule l'infraction de contrefaçon renvoie directement à un tel comportement. Or, ce terme étant lui-même polysémique, les auteurs introduisent une distinction parmi les différentes contrefaçons : celle de reproduction et celle d'imitation, la première étant une duplication servile voire quasi-servile et la seconde une copie non servile (ressemblante). Ainsi retrouvons-nous souvent l’idée que l'imitation n’est pas une reproduction à proprement parlé, alors même que la contrefaçon serait parfois entendue comme une « sorte d'imitation »29. Si l'on s'en tenait à la compréhension doctrinale de l'imitation, il

faudrait considérer qu'elle est une reproduction sans pour autant en être une puisqu' elle ne se réfère qu'à la copie ressemblante d'une chose. Surtout, un seule des versants de l'imitation ne semble avoir été abordé par les auteurs, l'imitation matérielle.

Si le terme imitation n'est pas totalement méconnu du droit, il ne bénéficie donc pas d’une définition claire en tant qu'élément compréhensible du droit. C'est donc par un approfondissement de la notion d'imitation que doit débuter cette étude, afin de comprendre avant toute chose ce qu'elle recouvre hors du droit, autrement dit sa signification en termes de comportement30.

7. Imitation et philosophie. DESCARTES souligne que « toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines s(f)ont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui

26Ph. CONTE, id., n° 932, p. 1082. Autrement dit, pour l’auteur, « il suffit que, dans l'univers matériel, tout se soit

extérieurement passé comme cela se serait passé si l'élément de la légalité envisagé avait été juridiquement réel ».

27 Ph. CONTE, L’apparence en droit pénal, op. cit., n° 291, p. 345. Le Professeur CONTE considère que

« contrefaire c'est imiter l’œuvre d'autrui », reprenant la définition du Robert qui définit « contrefaire » comme l'action de « reproduire par imitation ».

28Ph. CONTE, id., n° 389, p. 484.

29V. par ex. M.-L. RASSAT, Droit pénal spécial, op. cit., n° 841, p. 902.

30Théorie de la signification d'Occam. V. C. Michon, Nominalisme : la théorie de la signification d’Occam, Paris :

(19)

18

sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ». Par cette dernière, l'auteur entend « la plus haute et la plus parfaite morale qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n'est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu'on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu'on ne peut apprendre que les dernières »31.

Le concept d’imitation parait convenir particulièrement à la démarche philosophique ainsi définie car cette notion a été étudiée dans de nombreux champs scientifiques. En appliquant la métaphore de DESCARTES à notre domaine d’étude, et si le concept d’imitation est un des fruits de « l’arbre philosophique », nous ne pouvons l’atteindre qu’en suivant les branches des mathématiques32, de l'art33, de la robotique34, de la psychologie génétique35, de la psychologie sociale36 et anthropologie37(influences sociales), de la neurobiologie38

(neurones-miroirs), de la sociologie et la criminologie39, etc. Cette liste des domaines et sciences qui se sont intéressés à l’imitation n’est pas exhaustive et nous n’aurions pas pu intégrer toutes les branches concernées de cet arbre imposant dans une thèse. Le droit pénal constituant notre branche privilégiée pour appréhender le concept d’imitation, nous avons choisi les domaines qui nous paraissent être les plus pertinents pour, dans un premier temps, parvenir à une définition plus complète de cette notion, adaptable par la suite à l’analyse des faits juridiques.

8. Choix d'une méthode de recherche. Il nous semble en effet que seule une analyse

31R. DESCARTES, Les principes de la philosophie, écrits en Latin, trad., Paris : P. Prault, 1651, p. 23.

32V. notamment F. PIEROBON, Kant et les mathématiques : la conception kantienne des mathématiques, Paris :

Vrin, 2003.

33V. notamment A. CHRYSOSTOME QUATRIEME, dit DE QUINCY, Essai sur la nature, le but et les moyens

de l'imitation dans les beaux-arts, Paris : Treuttel et Würtz, 1823.

34 V. notamment Ken PREPIN, Développement et modélisation de capacités d’interactions homme-robots :

L’imitation comme modèle de communication, Ken Prepin, Thèse Paris, 2008 ; Ph. GAUSSIER, S. MOGA, J.-P. BANQUET, Des boucles perception-action à l'imitation : une approche ascendante de l'apprentissage par imitation en robotique, Imiter pour découvrir l'humain, Paris : PUF, pp. 153-188.

35V. notamment J. PIAGET, Les théories de l'imitation, Suisse : S. éd., 1935 ; J. PIAGET, La construction du réel

chez l'enfant, Lausanne : Delachaux et Nistlé, 6ème éd., 1998 ; J. PIAGET, La formation du symbole chez

l'enfant, Paris : Delachaux et Nistlé, 1998.

36V. notamment, A. BANDURA, Psychological modeling : Conflicting theories, Chicago : Aldine-Atherton, 1971 ;

A. BANDURA, L'apprentissage social, trad. J.-A. RONDAL, Bruxelles : Mardaga, 1980 ; MOORE, MELTZOFF, ZAJONC.

37V. notamment G. GEBAUER, C. WULF, Mimesis : culture, art, société, trad. N. Heyblom, Paris : Les Editions

du Cerf, 2005.

38V. notamment RIZZOLATI, infra n°36 et s.

39 V. notamment G. TARDE, Les lois de l'imitation, Réimpression, Paris : Editions Kimé, 1993 ; G. TARDE,

L'opinion et la foule, Paris : PUF, 1ère éd., 1989 ; G. LE BON, Psychologie des foules, Paris : Edition Félix Alcan,

9ème éd., 1905 ; S. SIGHELE, La foule criminelle, Essai de psychologie collective, Paris : Félix Alcan

(20)

19

préalable de l'imitation issue de quelques apports des autres champs disciplinaires nous permettra, au vu de l'absence de définition précise en droit, d'en dégager sinon le sens universel du moins quelques éléments de compréhension. Il ne s'agit pas ici d'appliquer au droit pénal les théories de l'imitation des autres disciplines au risque de conduire à une interprétation abusive. Nous nous efforcerons davantage d'ébaucher un schéma conceptuel des composantes du comportement pour orienter et organiser notre recherche de l'imitation dans le champ pénal.

Nous avons en effet choisi de ne pas réduire l'imitation au constat d'un simple résultat ou effet mais de la concevoir comme un comportement dont il convient de rechercher les expressions possibles en matière pénale.

Pour cela, parce que l'imitation comportementale trouve une dimension cognitive ainsi

que sociale, nous présenterons dans cette introduction les contributions des sciences humaines et sociales qui soulignent l'importance de l'imitation pour le développement de l'individu et les apprentissages, ainsi que pour analyser les phénomènes d'interactions sociales (Section I). Nous pourrons alors proposer une définition schématique et plus nuancée de l'imitation, en précisant notamment les éléments qui la constituent, lorsqu'elle est conçue comme un comportement et non comme son résultat (Section II).

SECTION I : DE LA MIMESIS A L'IMITATION. COMPREHENSION DE L'IMITATION PAR LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

9. L'imitation issue de la mimesis. La question de l'imitation chez l'homme n'est pas récente. Dès l'Antiquité, les questions sur ce thème intriguent déjà les grands classiques sous le terme de mimesis. Certes, la traduction de cette notion par le terme imitation suscite encore aujourd'hui bien des controverses ; mais son adaptation contemporaine, lorsqu'elle s'appuie sur l'héritage des anciens, permet de concevoir l'imitation comme une expression comportementale de la mimesis (I). Conçue comme un comportement, l'imitation a fait l'objet d'études dans tous les champs des sciences humaines, où elle apporte des éléments pour comprendre les mécanismes qui régissent le développement humain (II) et les interactions sociales ou antisociales (III).

(21)

20

I. L'imitation conçue comme une expression de la mimesis

10. Mimesis et imitation, des concepts intimement liés. Historiquement, c'est sous le terme de mimesis que les philosophes Antiques ont tenté de comprendre les actes de reproduction d'un modèle. Toutefois, sa traduction par le terme « imitation » a été critiquée par des auteurs qui soulignent sa fonction représentative. C'est pourquoi des auteurs comme MM. les professeurs Gunter GEBAUER et Christoph WULF40 ont cherché à réhabiliter la notion de mimesis, tout en la distinguant de l'imitation. Ils ont notamment étudié son évolution dans la pensée occidentale et démontré qu'à chaque période historique, une interaction de conditions complexes produit « une forme particulière de mimesis »41. Ainsi, lorsqu’elle est introduite par les philosophes classiques, la mimesis est conçue comme une aptitude à évoluer dans la vie sociale grâce à ses fonctions esthétiques comme dans le domaine de l'éducation. Alors qu'au moyen âge par exemple, la mimesis permet d'intégrer les valeurs héritées de l'Antiquité et du christianisme pour les « réinterpréter »dans un contexte social où la référence à Dieu et au Christ régit toutes les activités humaines42.

Sans prétendre être exhaustif, nous avons cherché pour notre part à approfondir la notion de mimesis, telle qu'elle fut introduite originellement par PLATON et ARISTOTE (Paragraphe 1) et telle qu'elle est conçue par des auteurs plus contemporains dans ses rapports avec l'imitation (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les classiques et la mimesis : les deux fonctions de la mimesis

11. L’approche philosophique du concept de mimesis. Introduit par PLATON, le concept de mimesis a été repris et développé par ARISTOTE et les enseignements de ces deux grands philosophes sont toujours précieux pour comprendre le processus et la finalité de l'imitation. PLATON et ARISTOTE ont étudié le rôle de la mimesis dans le domaine de l’apprentissage et

40 V. Notamment C. WULF, Penser les pratiques sociales comme rituels : ethnographie et genèse de communautés,

trad. N. Heyblom, Paris : L'Harmattan, 2004 ; C. WULF, L'anthropologie de l'homme mondialisé : histoire et concepts, Paris : CNRS éditions, 2013.

41 J.-P. FISCHER, J.-B. PERRET, La mimesis sociale : l'approche historique de Gunter Gebauer et Christoph

Wulf, in Hermes, La Revue, 1998/1, n° 22, p. 64.

42 V. notamment R. BOURNEAUF, Erich Auerbach, Mimésis, la représentation de la réalité dans la littérature

occidentale, in Etudes littéraires, vol. 2, 1969, p. 381. Le Professeur BOURNEAUF explique comment, à partir des textes d’Homère et de la Genèse, AUERBACH a traduit les « rapports au monde », a démontré que le christianisme a fait éclater les distinctions rhétoriques des genres et des styles léguées par l’Antiquité, réapparaissant, au XVIIème siècle. Il se questionne sur les forces historiques qui s’assimilent à la littérature

(22)

21

de l’éducation (A), mais également dans celui de l’esthétisme et de l’art (B).

Mimesis, apprentissage et éducation

12. Mimesis et éducation. PLATON souligne l'importance de l'éducation dès le IIIème livre de La République43. Et pour le philosophe classique, la mimesis permet l'éducation car elle

oblige l'individu à établir une relation entre le monde et lui-même, au cours de l'enfance et tout au long de la vie. Mimesis d'hommes réels mais aussi de personnages imaginaires, tels que la poésie les conçoit, ont un effet éducatif. Elle exerce, dans ce sens, une influence déterminante sur l'univers des représentations des jeunes. Par conséquent, elle doit être contrôlée car elle peut également influencer leur façon d'agir : seuls des hommes exemplaires, susceptibles d’être imités, doivent être présentés aux adolescents.

Cependant, pour PLATON, la mimesis ne permet pas d’atteindre la véritable connaissance car elle relève du faux. La célèbre allégorie de la caverne illustre la pensée du philosophe44: Les hommes enchaînés dans la caverne recherchent la vérité par l'observation des ombres des hommes qui sont au dehors. Ils pensent atteindre le véritable savoir alors qu'il ne s'agit que de croyances et d'opinions. Les ombres ne sont que des imitations de ce qui se passe à l'extérieur. Il est donc nécessaire de « sortir de la caverne » pour connaître la vérité et atteindre la source de la connaissance représentée par le soleil. Ainsi, pour PLATON, la mimesis c'est-à-dire ici la représentation du réel ne peut prétendre conduire à la connaissance vraie, la vérité à laquelle il est sensible.

13. Mimesis et apprentissage. ARISTOTE, au contraire, développe une conception positive de la mimesis, à laquelle il attribue une fonction d’apprentissage. Selon lui, les hommes « diffèrent des autres animaux en ce qu'ils sont des êtres forts enclins à imiter et qu'ils commencent à apprendre à travers l'imitation »45, et c'est donc parce que « tous les hommes ont

naturellement le désir de savoir »46 que « le fait d'imiter est inhérent à la nature humaine dès l'enfance »47. Ainsi, si pour PLATON imiter ne rapproche pas de la connaissance de la vérité,

pour ARISTOTE c'est bien cette action qui le permet.

43PLATON, La République, trad. nouvelle R. BACCOU, Paris : Garnier Frères, 1950.

44PLATON, La République, trad. nouvelle R. BACCOU, Paris : Garnier Frères, 1950, pp. 25-26. 45ARISTOTE, Poétique, in Poétique et Rhétorique, trad. C.-E. RUELLE, Paris : Garnier Frères, 1922. 46ARISTOTE, La Métaphysique, trad. A. PIERRON, C. ZEVORT, Paris : Ebrard, Joubert, t. 1, 1840, p. 2. 47ARISTOTE, Poétique, in Poétique et Rhétorique, trad. C.-E. RUELLE, Paris : Garnier Frères, 1922, p. 6.

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Parce que la mimesis permet une représentation du réel, les deux classiques ont également abordé cette notion dans ses rapports avec l'esthétisme - pour PLATON - et l'art en général - pour ARISTOTE - en livrant une réflexion sur les différentes fonctions de la mimesis.

Mimesis, esthétisme et art

14. L’art de la tragédie. PLATON nous livre une distinction conceptuelle sur le résultat possible d'une reproduction par imitation. Et la manière dont ARISTOTE décrit l'art de la tragédie nous paraît particulièrement intéressante pour notre étude du comportement d'imitation, c'est pourquoi nous développerons davantage ses positions en la matière.

15. La fonction esthétique de la mimesis. L'art de la copie ou du simulacre. Dans le Sophiste48 , PLATON décrit ainsi plusieurs mimesis auxquelles il attribue une fonction esthétique. L'art fabrique des images ; et il distingue deux types de mimesis : l'art de copier ou reproduire l'objet tel qu'il est en réalité et l'art du simulacre qui déforme le modèle de telle façon qu'il en fasse apparaître l'image pour un spectateur favorablement placé. PLATON considère que la deuxième forme de mimesis attire paradoxalement plus que la première car elle est plus persuasive. Dans le Cratyle, il développe ces deux aspects de la mimesis au sens esthétique, en distinguant l'art de la copie conforme et l'art de l'apparence illusoire49.

16. La mimesis n'est pas une simple copie. D'une part, l'art de la copie cherche à reproduire l’image d'un objet tel qu'il est en réalité en respectant ses proportions et ses mesures réelles. La copie emprunte au modèle ses proportions « en longueur, largeur et profondeur, et en y ajoutant les couleurs convenables »50. Si la reproduction est parfaite, la copie étant identique au modèle,

comment distinguer l’original du résultat de l’imitation ? Pour PLATON, la copie doit rester seconde par rapport à l'original, et ne pas chercher à remplacer l'original. Il faut donc également entendre comme reproduction la copie qui ne cherche pas à se confondre au modèle – elle est une autre image. Et pour le philosophe, pour obtenir une image, il ne faut pas reproduire toutes les caractéristiques de l'objet imité, sinon l'image serait le modèle51. La bonne copie est celle

48PLATON, Le sophiste, in Œuvres de Platon, trad. V. COUSIN, Paris : Rey et Gravier, t. XI, 1837. 49PLATON, Cratyle, in Œuvres de Platon, trad. V. COUSIN, t. XI, Paris : Rey et Gravier, 1837, p. 134. 50PLATON, Le sophiste, in Œuvres de Platon, trad. V. COUSIN, t. XI, Paris : Rey et Gravier, 1837, p. 219. 51V. PLATON, Cratyle, op. cit., p. 134. PLATON, aborde la question de la distinction du modèle et de l'image du

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qui traduit l'essence de l'objet représenté, en dégageant les caractéristiques distinctives du modèle. Elle doit viser la ressemblance et non l'identité. PLATON nous enseigne ainsi que ce n'est pas le résultat qui fait la mimesis mais bien une intentionnalité52 de l'imitateur, qui trouvera plus ou moins un résultat parfait ou ressemblant.

17. L'art du simulacre. D'autre part, l'art du simulacre est la reproduction de l'apparence de la chose53. Il reproduit l'objet tel qu'il apparaît aux sens, par exemple un seul côté d'un objet si celui-ci est peint. Le modèle est grandement déformé mais la copie se fait passer pour le modèle par tromperie. Il s’agit d’un simulacre, qui se donne pour la réalité qu’il n’est pas. Pour PLATON, les artistes ne reproduisent pas la réalité mais une apparence de la réalité, en utilisant les séductions du sensible54. Il dénonce la supercherie de l'artiste qui imite l'objet réel, ou du sophiste qui imite la vérité55. L'imitation ici crée une apparence de la réalité, en laissant croire

qu'elle est la réalité.

18. La fonction représentative de la mimesis : la nature innovante de l'art. Par la suite, c'est en voulant démontrer l'importance de l'art dans la vie des hommes qu'ARISTOTE a évoqué la notion de mimesis56. Pour le philosophe, l'art est une activité proprement humaine, donc à

même de permettre la compréhension de la nature de l'Homme57 . Il le définit comme tout procédé de fabrication d'objets utiles ou beaux, matériels ou intellectuels.

19. La mimesis n'est pas une simple copie. L'art produit des réalités qui peuvent ou non exister, selon la volonté et la capacité à produire de l'artiste. L'objet d'art reste inférieur à l'objet naturel. L'imitation ne cherche pas à produire une copie des choses naturelles, car ce serait impossible, mais plutôt à reproduire un procédé, des actions, pour réaliser une fin, qui peut donc comporter des erreurs. La nature est donc un modèle à imiter mais dans son fonctionnement,

complètement la chose imitée ».

52Nous orthographierons l'intentionnalité dans son sens commun. Mais nous n'ignorons pas que dans la théorie de

la connaissance, l'intentionalité s'écrit avec un seul « n », lorsqu'elle est entendue dans un sens cognitif, c'est-à-dire la conscience visant un chose.

53PLATON, Le sophiste, op. cit., p. 218.

54PLATON, id., p. 220. Pour PLATON, les artistes s'inquiètent peu de la vérité et ils donnent à leurs œuvres, les

proportions qu'ils « jugent devoir faire le plus bel effet ».

55PLATON, dans Le Sophiste, dépeint quelque peu l'image du sophiste. Pour lui, ils peuvent parfois faire obstacle

à la science. L'étranger finit par « ranger » le sophiste dans l'art de tromperie. V. PLATON, id., p. 222.

56V. notamment ARISTOTE, Poétique, in Poétique et Rhétorique, trad. C.-E. RUELLE, Paris : Garnier Frères,

1922.

57ARISTOTE, Poétique, op. cit., p. 6. Cette imitation, pour ARISTOTE, permet notamment la différenciation de

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par des actions qui conduiront à des objets imitant des objets naturels mais aussi des objets que la nature est impuissante à produire (un meuble à partir d'un tronc d'arbre ou encore une statue à partir d'un bloc de marbre)58. L'art s'accomplit au regard de la nécessité ou de la vraisemblance de la nature. Et si l'art imite la nature, il ne peut le faire que par l'intermédiaire du langage des hommes59. La mimesis suppose « l'existence d'une nature muette, qu'aucun nom ne parviendrait à révéler et que seul le langage parviendrait à rendre visible »60.

L'art n'est donc pas simple imitation comprise comme copie de la nature. Il produit une présence qui se réfère à une réalité existante sans la copier à l'identique puisque le procédé pour représenter cette réalité diffère suivant les arts.

20. Une production innovante. La conception aristotélicienne de la mimesis est particulièrement illustrée par son étude de l'art de la tragédie. Comme la musique, cet art fait partie de la catégorie de la mimesis, qui est plutôt à entendre comme « représentation » ou « re-présentation ». Ce qui intéresse ARISTOTE ce n'est pas le rapport au modèle mais bien les moyens utilisés pour représenter le modèle. Pour lui, « la tragédie est une imitation non des hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ; et en effet, le bonheur, le malheur, réside dans une action, et la fin est une action, non une qualité »61. La tragédie est

donc imitation d'actions, « imitation de gens qui agissent »62.

L'art de la tragédie est donc mimesis, représentation d'actions (par le biais d'hommes en actions), mais elle ne se contente pas de les imiter. Une tragédie obéit à des règles de « mise en intrigue »63 et elle ne reproduit pas une situation réelle mais propose une organisation des faits en un système, un tout, qui a « un commencement, un milieu et une fin »64. Les actions ne doivent pas se suivre indifféremment mais s'enchaîner selon un lien de causalité, logique ou probable. La tragédie doit dire « de manière cohérente la signification de toute vie humaine »65. ARISTOTE, pour M. Donini PIERLUIGI, « attend de la tragédie un plaisir fondé sur

58V. PLATON, La République, in Œuvres de Platon, trad. V. COUSIN, Paris : Rey et Gravier, t. IX et X, 1837, p.

238 et s, parlant de l'artisan qui fabrique des meubles.

59V. F. ANKAOUA, Mimesis et Logos. De la scène comme lieu d'une traduction, Insistance, vol. 4, n° 1, 2010, p.

98 et s.

60F. ANKAOUA, id., p. 98.

61ARISTOTE, Poétique, op. cit., p 14. 62ARISTOTE, id., p 16.

63Selon l'expression de P. RICOEUR, Temps et récit, 1. L'intrigue et le récit historique, Paris : Seuil, t. 1, 1983. 64ARISTOTE, Poétique, op. cit., p. 96

65D. PIERLUIGI, Mimesis tragique et apprentissage de la phronésis, Les Études philosophiques, vol. 67, n° 4,

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l'intégration des émotions et de la connaissance »66 ; et « quel que soit le côté exceptionnel ou inhabituel des événements racontés, c'est dans cette possibilité offerte au spectateur ou au lecteur de s'identifier à un personnage tragique, que consiste l'universalité de la tragédie »67.

L'art de la tragédie ne consiste donc pas à raconter ou imiter la réalité mais à s'en inspirer pour décrire ce qui pourrait se passer. Il s'agit de créer une histoire crédible, une fiction

vraisemblable parce qu'elle a l'apparence, non pas de la réalité mais d'une réalité vraisemblable. Ce qui sous-entend que si le poète racontait une histoire réelle mais incroyable,

comme peut parfois en produire la nature, il ne produirait pas une bonne tragédie.

La tragédie est donc imitation d'hommes en actions mais une imitation innovante,

créatrice. Ce qui intéresse ARISTOTE, c'est le pouvoir évocateur de la tragédie, la possibilité

qu'elle offre, par mimesis, de mieux comprendre le réel, « le pourquoi des vicissitudes qui sont représentées »68.

21. Les effets de la mimesis. Un des effets de la tragédie, parce qu'elle met en scène un enchaînement de faits vraisemblables, auquel le spectateur ou le lecteur pouvait s'attendre, est le plaisir de partager sensations et connaissances. Ce plaisir esthétique mène à la catharsis. La tragédie pour ARISTOTE doit émouvoir, susciter « crainte et pitié »69. C'est en éprouvant des

émotions fortes que le spectateur ou le lecteur s'identifie au héros et que l'histoire lui paraît vraisemblable. Cependant, il vit en représentation, par mimétisme, ses émotions et ne les subit pas en les vivant réellement pour lui-même. C'est dans ce sens que la tragédie réalise, selon ARISTOTE, une « épuration » des émotions. Elle est une imitation d'hommes en actions qui permet au spectateur en les contemplant et en ressentant les émotions attachées à ces actions, de se les représenter et de les connaître.

22. Le double versant de la mimesis. Selon les conceptions des deux classiques, nous pouvons relever que la mimesis renvoie à deux types d’objets modèles : imitation d’une chose, plus particulièrement évoquée par PLATON, ou bien celle d’une personne, à laquelle s’attache plus précisément ARISTOTE dans son étude de l’imitation des hommes et de leurs actions. Les

66V. D. PIERLUIGI, id., p. 442. L’auteur tente de révéler « le plaisir propre » de la tragédie que décrit ARISTOTE

et qui doit d'abord être un « plaisir de type fondamentalement cognitif » (1448 b 16), ensuite, un « plaisir lié à une « connaissance antérieure » de l'objet imité » (1448 b 17) puis un « plaisir qui vient à la suite de diverses émotions qui ont été précédemment suscitées par l'objet imité ».

67D. PIERLUIGI, id., p. 444 68D. PIERLUIGI, id., p. 446.

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deux auteurs reconnaissent à la mimesis une fonction éducative70 et d’apprentissage71 mais aussi une fonction esthétique72 et artistique73 . Dans tous les cas, la mimesis conduit à une reproduction qui peut être parfaite, exacte mais aussi à une copie ressemblante.

Notons enfin une différence fondamentale entre les deux classiques : PLATON souligne l’aspect négatif de la mimesis qui ne permet pas d’accéder à la connaissance « vraie » et qui peut, lorsqu’elle est simulacre, entraîner une tromperie. ARISTOTE s’attache davantage aux aspects positifs de la mimesis, source des apprentissages et des créations humaines, donc essentiellement productive, voire innovante. L’étude ultérieure des textes classiques a parfaitement illustré la richesse et la complexité du concept de mimesis. Assimilée au terme d’imitation par les premiers traducteurs, d’autres l'ont traduit directement par le terme représentation. Cependant, des auteurs ont réfuté ces équivalences, imitation ou représentation étant des termes trop réducteurs selon eux74. Et certains se sont attachés à trouver une définition

de la mimesis plus adaptée à notre époque.

Paragraphe 2. L'adaptation contemporaine de la notion de mimesis : la mimesis, plus qu'une simple imitation

23. Distinction entre mimesis et imitation. Si certains traducteurs des textes classiques ont remplacé le terme de mimesis par celui d'imitation, des auteurs contemporains ont souligné l'importance de distinguer les deux notions pour éviter maints contresens.

Héritée des anciens, l'approche philosophique contemporaine de ce concept met l'accent tantôt sur la fonction représentative de la mimesis, tantôt sur sa fonction de reproduction d'un modèle (A). Et dans ces nouvelles descriptions des processus mimétiques, où l'imitation joue un rôle non exclusif, on retrouve la même opposition observée chez les classiques, entre une approche centrée sur la fonction de cohésion sociale de la mimesis (B) et une autre qui y situe l'origine de la violence (C). 70 Pour PLATON. 71 Pour ARISTOTE. 72 Pour PLATON. 73 Pour ARISTOTE.

74 V. notamment G. ROMEYER-DHERBEY, Les choses mêmes : la pensée du réel chez Aristote, Lausanne :

Editions L'Age d'Homme, 1983, p. 136. L’auteur considère que l'imitation est à distinguer de la ressemblance. « Ou plutôt il existe une ressemblance extérieure et une ressemblance profonde, et cette dernière peut se passer de la stricte similitude. L'imitation superficielle peut en fait constituer une dissemblance profonde, comme on le voit dans la caricature ». Nous retiendrons de ces propos que l'imitation peut comprendre une innovation et permettre ainsi, si elle s’éloigne grandement du modèle, une chose nouvelle, même si elle est influencée par une autre.

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27 La fonction symbolique de la mimesis

24. Une fonction représentative. Mme le Professeur Catherine PERRET est catégorique pour distinguer la mimesis de l’imitation. Elle définit en effet la mimesis comme « une pratique qui règle le rapport entre les images et les choses, qui dispose et qui stabilise la structure représentative de notre monde et constitue la réalité humaine comme double, simultanément réelle et fictive »75. Pour elle, « la mimesis n'est pas une imitation » mais plutôt « un acte dont l'agent doit se dérouler en auteur, un acte médiatisé par une fiction, un acte qui suppose une désidentification »76. « La fonction de la mimesis n'est ni l'imitation, ni l'expression, mais la symbolisation qui constitue la catharsis, en tant que sublimation de l'affect. Mimesis et catharsis sont ainsi les deux faces d'une seule et même opération »77.

C'est la fonction de représentation du réel qui est soulignée par l'auteur, tout comme Paul RICOEUR pour qui « il faut donc entendre imitation ou représentation dans son sens dynamique de mise en représentation, de transposition dans les œuvres représentatives. […] Si nous continuons à traduire mimesis par imitation, il faut entendre tout le contraire du décalque d’un réel préexistant et parler d’imitation créatrice. Et si nous traduisons mimesis par représentation, il ne faut pas entendre par ce mot quelque redoublement de présence »78.

25. L'imitation, cas particulier de représentation. De même, à partir de l'analyse de toutes les significations données à la mimesis au cours de l'histoire, y compris contemporaine, MM. les Professeurs GEBAUER et WULF ont effectué une synthèse de « l'ensemble des phénomènes que recouvre le concept » et soulignent que « la mimesis n'est pas fondée sur la similarité et l'imitation n'en est qu'un cas particulier »79. Elle est « par nature intermédiaire », « étirée entre deux mondes symboliques ». Car « le monde empirique n'est rien en lui-même. Il nécessite, pour être compris, la création mimétique d'un monde second — que ce soit pour expliquer ses images, révéler ses principes, reconstruire ce qu'il induit ou éprouver ses structures »80. La mimesis permet à un individu, mais aussi à un groupe ou à une société de produire et s'approprier une représentation seconde du monde empirique. C'est pourquoi la

75C. PERRET, Les porteurs d'ombre. Mimesis et modernité, Paris : Belin, 2001, p. 257. 76C. PERRET, id., p 258.

77C. PERRET, id., p 260.

78P. RICOEUR, Temps et récit, 1. L'intrigue et le récit historique, op.cit., p. 69.

79 J.-P. FISCHER, J.-B. PERRET, La mimesis sociale : l'approche historique de Gunter Gebauer et Christoph Wulf,

in Hermes, La Revue, 1998/1, n° 22, pp. 63-66.

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notion traverse toutes les disciplines qui étudient l'humain.

Au cours de ses expériences de vie, par mimétisme, l'individu se construit une

représentation du monde empirique, non identique par conséquent à ce monde premier, mais symbolique. La mimesis est donc « un mécanisme d'interprétation qui isole un objet ou

un événement de son contexte habituel et produit une perspective de réception qui diffère de celle dans lequel le monde de référence était perçu »81.

Le concept de mimésis sociale

26. La définition de la mimesis sociale. Selon MM. les Professeurs GEBAUER et WULF, la mimésis82 intervient dans presque tous les domaines de la pensée et de l'action humaine, comme « la cognition et l'action, les systèmes symboliques, les médias de communication, la relation entre le moi et les autres »83. Les auteurs parlent de « mimésis sociale », décrite comme un processus complexe qui permet de construire un monde, monde réel et sensible, à partir d'un premier monde (empirique, fictif ou même symbolique, du passé ou d'ailleurs) mais en l'interprétant selon un contexte nouveau84. Les êtres humains n'évoluent pas seulement dans le monde réel et sensible (composé d'actions, de sons, d'écrits, de rituels, etc.) mais dans les deux mondes. Car le monde second se réfère toujours au premier tout en proposant une nouvelle manière de voir les choses.

L'agir mimétique intervient dans toutes les interactions sociales car il est à la base

de la relation entre le moi et les autres. Il se manifeste notamment dans le domaine de l'éducation, de la construction de l'identité et dans l'intégration et la cohésion des groupes sociaux. « Dans l’agir mimétique, un individu produit son propre monde, mais il se réfère pour cela à un autre monde qui est déjà là – en réalité ou en représentation »85. Et les membres des groupes sociaux

81J.-P. FISCHER, J.-B. PERRET, id., p. 65.

82Nous noterons que dans les textes contemporains le terme est orthographié « mimesis » ou « mimésis », avec un

accent, selon les auteurs. Nous l'écrirons sous la deuxième forme pour une appréciation contemporaine de la notion.

83J.-P. FISCHER, J.-B. PERRET, op. cit., p. 66.

84 G. GEBAUER, C. WULF, Mimesis : culture, art, société, trad. N. Heyblom, Paris : Les Editions du Cerf, 2005,

p. 477 ; V. également D. JEFFREY, Mimesis et rituels dans l’anthropologie historique de Gunter GEBAUER et Christoph WULF, Théâtralité et société : positions de la sociologie, Cahier de recherche sociologique, n° 51, automne 2011, p. 33

85G. GEBAUER, C. WULF, Mimesis : culture, art, société, op. cit., p. 477 ; V. également D. JEFFREY, Mimesis

et rituels dans l’anthropologie historique de Gunter GEBAUER et Christoph WULF, Théâtralité et société : positions de la sociologie, Cahier de recherche sociologique, n° 51, automne 2011, p. 33.

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« se reflètent « mimétiquement les uns dans les autres »86 pour élaborer, par le jeu de leurs ressemblances et de leurs différences, leur identité et leur système de représentation et de compréhension du monde.

27. Mimésis et apprentissages sociaux. Dans la continuité de PLATON et d'ARISTOTE, les Professeurs GEBAUER et WULF ont mis en évidence le rôle de la mimésis dans les apprentissages, car c'est par mimétisme que les individus acquièrent la connaissance des habitudes et des rôles qu'ils auront à tenir en société. Son étude importante sur les rituels démontre par exemple comment ces pratiques sociales permettent la transmission des savoirs culturels d'une communauté. Qu'il s'agisse de rituels d'habitudes (salutations ou organisation des repas par exemple), de rituels calendaires (Noël, fête nationale) ou de rituels de passage accompagnant les grands événements de la vie (de la naissance à la mort, du monde des élèves à celui des actifs puis des retraités), la participation de l'individu à des mises en scène ritualisées (la décoration du sapin, la remise de diplôme, etc.) lui permet de se construire une représentation du monde auquel il appartient. Pour la communauté, le rituel a pour fonction essentielle d'induire des émotions communes et ainsi de cimenter la cohésion sociale de ses membres. Il peut également être organisé pour contenir les émotions individuelles sous une forme socialement admise (les rites funéraires par exemple). Pour l'individu, les rituels représentent un moyen d'adopter des attitudes et conduites adaptées à son milieu en toutes circonstances. Pour autant, et davantage encore à l'époque actuelle, il peut les interpréter librement de façon personnelle.

28. Mimésis sociale et imitation. La notion de mimésis ainsi conçue permet de comprendre que l'imitation ne peut se réduire à la reproduction à l'identique d'un comportement

apparent. En effet, d'une part, l'individu construit son identité en essayant à la fois de

ressembler à ceux qui l'entoure et de s'en différencier. D'autre part, si mimer autrui est d'abord, selon les auteurs, un acte corporel consistant à imiter ses gestes, ses expressions, attitudes, etc., c'est également une tentative pour reproduire les émotions et les intentions contenues dans ces expressions corporelles. L'acte mimétique comprend donc toujours une part d''interprétation

par l'imitateur, qui peut conduire à des erreurs mais aussi « des choses nouvelles »87 . Et l'imitation peut alors comporter des ajouts ou des soustractions par rapport au modèle, être

86Ibid.

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30 plus ou moins efficace pour atteindre l'effet attendu.

La notion de mimésis sociale souligne donc que l'imitation, cas particulier du

phénomène mimétique, est à la fois référence à un modèle et une interprétation de ce modèle, qui peut être identique ou différente, nouvelle. Il reste à déterminer si l'on considère

le résultat, le « monde second », comme inférieur ou supérieur au modèle.

Mimésis et violence sociale

29. Le désir mimétique. René GIRARD, quant à lui, a tenté d'élaborer une « théorie mimétique de la violence ». Il situe l'origine de la violence dans la mimésis par un rapport triangulaire, le désir étant non direct mais indirect. Pour cet auteur, l'homme est animé d'un

désir d'appropriation mimétique : il imite autrui parce qu'il désire le même objet, non

partageable et peu importe sa désirabilité. « Le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur un désir modèle ; il élit le même objet que ce modèle ; « le sujet attend de cet autre qu'il lui dise ce qu'il faut désirer, pour acquérir cet être » 88. De ce fait, une rivalité mimétique naît et

entraîne la violence89, car autrui devient un obstacle à l'appropriation de l'objet du désir. Selon l’auteur, la solution que l'homme a trouvée pour contrer cette violence, qui est contagieuse, est la nomination d'une victime émissaire (“bouc émissaire”) : le sacrifice est la seule manière de « polarise[r] les tendances agressives sur des victimes réelles ou idéales, animées ou inanimées mais toujours non susceptibles d'être vengées ». Ces victimes sont prises hors du groupe voire sont choisies parmi les animaux. Ainsi pour éviter une violence de tous contre tous, on autorise une violence ponctuelle et nécessaire pour la communauté.

30. Critiques du désir mimétique. La mimésis de GIRARD semble être plutôt inconsciente, voire déterminée chez l'homme. Ce qui a d'ailleurs entraîné quelques critiques de la théorie girardienne. En effet, des auteurs ont pu lui reprocher de poser une thèse « totalitaire » et généraliste qui ne pouvait pas expliquer toutes les violences. Ainsi selon M. le Professeur Richard KEARNEY, la théorie de GIRARD ne peut pas être un mécanisme mimétique universel. En effet, il existe d'autres formes de violences, certains sacrifices ne pouvant être expliqués par

88R. GIRARD, Violence et sacré, Paris : Hachette littératures, 1998, p. 217.

89R. GIRARD parle de « double bind » : le modèle dit « imite-moi » et en même temps « ne m'imite pas » (R.

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ce désir mimétique90. Plus durement, M. Luc DE HEUSH considère cette thèse comme une « conception psychologique arbitraire de la vie sociale »91 . Cela étant, il a largement été reconnu à René GIRARD l'explication d'autres points tels que le désir consumériste ou encore le processus de désignation du coupable en tant de crise92.

31. L'imitation, expression corporelle de la mimésis. Au regard des travaux des philosophes, classiques ou plus contemporains, l'imitation comportementale paraît

constituer l'expression corporelle de la mimésis, processus complexe qui établit une relation

entre deux entités ou deux Êtres. Elle se présente elle-même comme un processus dynamique qui sous-tend le rapport entre un modèle, réel ou fictif, et son mime, et qui laisse ouverte la problématique de l'influence éventuelle du modèle sur l'imitateur et de la marge de liberté que conserve ce dernier dans l'acte mimétique. Plus fondamentalement, la mimésis et l'imitation soulèvent la question de leur effet sur les interactions sociales, perçu selon les auteurs comme positif (cohésion et nouveauté) ou plus négatif (générateur de violence).

Nous retiendrons pour notre part que le comportement d'imitation est l'aspect

observable d'un processus où la représentation mentale d'un modèle, élaborée par l'imitateur, amène celui-ci à produire des actes pour reproduire entièrement ou partiellement, parfaitement ou imparfaitement, les caractéristiques du modèle. Nous

pouvons alors parler d'une influence du modèle sur le mime mais également d'une représentation du modèle par le mime puisque le résultat de l'imitation fait référence au modèle tout en reflétant l'interprétation subjective qu'en a réalisée l'imitateur. Le modèle peut ainsi être reproduit, transformé voire donner lieu à une production nouvelle - mais qui fait toujours référence au modèle.

A la suite des grands philosophes qui ont rapporté la fonction de la mimesis dans l'éducation et les apprentissages, les sciences humaines ont plus particulièrement étudié le comportement d'imitation et mis en avant son rôle dans le développement de l'individu.

90R. KEARNEY, Terrorisme et sacrifice : le cas de l'Irlande du Nord, Esprit, avril 1979, p. 41. 91L. DE HEUSCH, Le Sacrifice dans les religions africaines, Paris : Gallimard, 1986, pp. 35-36.

92On pense à la tendance actuelle de certains groupes sociaux, d'attribuer la responsabilité de leurs difficultés à

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32

II. Imitation et développement individuel

32. Imitation et sciences sociales. De nombreux travaux en sciences humaines ont contribué à mettre en évidence le rôle de l'imitation dans les apprentissages et l'évolution de l'être humain. Les observations des psychologues spécialistes du développement (Paragraphe 1) ont été étayées par de récentes découvertes en neurologie (Paragraphe 2) tandis que la psychanalyse reconnaît à l'imitation un rôle primordial dans la construction de la personnalité (Paragraphe 3).

Paragraphe 1. L'homme naît imitateur : apports de la psychologie génétique

33. Le rôle fondamental de l'imitation. La psychologie génétique est l’étude des facteurs - et de leur interaction – permettant le développement cognitif, affectif et social d’un individu. Parmi les processus de maturation psychologique de l’être humain, les auteurs reconnaissent à l’imitation un rôle fondamental dans les apprentissages et la socialisation de l’enfant. En premier lieu, étant admis que l’imitation s’acquiert avec l’entourage, les psychologues ont cherché à déterminer à partir de quel moment le jeune enfant possède la capacité à imiter.

34. Une compétence précoce, voire innée. Le psychologue généticien et épistémologiste PIAGET a démontré, par l’observation minutieuse de très jeunes enfants, l’apparition et le développement très précoce de l’imitation chez l'être humain93. A partir d'un mois en effet, l’enfant est capable de répéter des mouvements qu’il a découvert sur son propre corps – on parle d’« imitation intrapersonnelle ». Et très rapidement, il est en mesure de répéter des mouvements et expressions de son entourage - « imitation interpersonnelle » - et parviendra plus tard à une « imitation intériorisée » ou « imitation représentative » c'est-à-dire en l'absence du modèle94.

93 V. sur ce point, G. KUGIUMUTZAKIS, Le développement de l'imitation précoce de modèles faciaux et vocaux,

in Enfance, t. 49, n°1, 1996, pp. 21-25. Le professeur investigue sur les phénomènes d'imitation précoce faciale et vocale de l'enfant dans l'environnement familial à partir de la première heure après l'accouchement jusqu'à l'âge de 6 mois.

94V. J. PIAGET, La formation du symbole chez l'enfant, op. cit. PIAGET conceptualise l'évolution de l'enfant en

une succession de stades, de la naissance à l'adolescence, notamment pour décrire le développement de l’intelligence. L'imitation y tient un rôle considérable, apparaissant au stade sensori-moteur de la naissance à deux ans, lui-même divisé en six sous-stades pendant lesquels l'enfant apprend progressivement à imiter, jusqu'à pouvoir reproduire une action en l'absence du modèle, celui-ci étant mentalement intériorisé.

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Prévalente jusqu'aux années 70, cette conception piagétienne d'un apprentissage précoce de l'imitation a cependant été remise en cause par d'autres psychologues qui ont pu mettre en évidence un phénomène d'imitation dès les premières heures suivant la naissance95. Un auteur rapporte les constatations de MELTZOFF et MOORE96 démontrant que l'enfant, dès ses douze premiers jours, peut reproduire des gestes sur une partie de son corps invisible pour lui tel que son visage. Et selon ces chercheurs, le nouveau-né âgé de quelques heures peut imiter les actes humains97 . Ces observations suggèrent que la capacité imitative est peut-être innée mais l'expérience recensée limite sa conclusion à des comportements non complexes98.

Un débat sur l'imitation divise encore les chercheurs mais il est possible aujourd'hui d'affirmer que, selon la théorie de l'imitation néonatale, il existe bien une capacité d'imitation dès la naissance99. L'homme naît imitateur.

35. Imitation, développement et transmission de modèles de comportements. Au regard de la psychologie du développement, l'imitation s'exerce d'abord sur soi puis conduit progressivement à la reproduction des actes d'autrui. Pour MELTZOFF et MOORE, « l’imitation est un fondement biologique de la culture qui assure la préservation et la transmission intergénérationnelle des modèles acquis de comportements »100 . Ces auteurs

soulignent « l’importance des fonctions et du rôle psychologiques de l’imitation, sans laquelle la culture ne pourrait survivre ni l’esprit humain atteindre le niveau qui est le sien »101.

95En 1945, R. ZAZZO avait déjà constaté chez son propre fils un tel phénomène (V. R. ZAZZO, Le problème de

l'imitation chez le nouveau-né, Enfance, t. 10, n° 2, 1957, p. 135). Mais la remise en question de la théorie de l'imitation chez PIAGET se produisit dans les années 70 avec MARATOS (V. O. MARATOS, Trends in the development of imitation in early infancy, T. G. BEVER (dir.), Regressions in Mental Development : Basic phenomena and theories, New Jersey : Laurence Arlbaum Associates, 1982, pp. 81-101), et surtout MELTZOFF et MOORE (A. N. MELTZOFF, M. K. MOORE, Imitation of facial and manual gestures by human neonates, n° 198, 1977, pp. 75-78).

96A. N. MELTZOFF, M. K. MOORE, Imitation of facial and manual gestures by human neonates, n° 198, 1977,

pp. 75-78.

97 Certains suivront les constatations de MELTZOFF et MOORE, d'autres au contraire les critiquerons. V.

notamment E. S. SPELKE, K. BREINLINGER, J. MACOMBER, K. JACOBSON, Origins of knowledge, Psychological Review, n° 99, pp. 605-632.

98Il ne s'agit cependant que de gestes et d'actions non complexes notamment les mouvements de la tête.

99Pour MELTZOFF et MOORE, le déclin de l'imitation observé à 3-4 mois ne signifie pas que l'enfant en a perdu

la capacité et ils évoquent une interprétation incorrecte des faits. Selon ces auteurs, si l'enfant de cet âge n'imite pas systématiquement lors de ses rencontres sociales (contrairement aux plus jeunes), c'est parce qu'il a la capacité de privilégier les moments où l'adulte recherche des jeux typiquement interactifs (agiter la tête, gazouiller, etc.). C'est la perception, nouvellement acquise, des attentes sociales d'autrui qui interfère avec la motivation de l'enfant à imiter. De même, les auteurs insistent sur la coexistence très précoce de l'imitation de soi et d'autrui (notamment des expressions du visage, dès les premières heures de la vie). V. A. N. MELTZOFF, M. K. MOORE, Imitation of facial and manual gestures by human neonates, op. cit., pp. 75-78.

100 A. N. MELTZOFF, M. K. MOORE, Imitation et développement humain : les premiers temps de la vie, Terrain,

n° 44, 2005, pp. 71-90, dans le résumé de leur article.

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