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Les barons de la chrétienté orientale. Pratiques du pouvoir et cultures politiques en Orient latin (1097-1229)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE I : Mondes anciens et médiévaux

Laboratoire de recherche UMR Roland Mousnier

T H È S E

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Histoire médiévale

Présentée et soutenue par :

Florian BESSON

le : 4 Décembre 2017

Les barons de la chrétienté orientale

Pratiques du pouvoir et cultures politiques en Orient latin

(1097-1229)

Volume 1 - Texte

Sous la direction de :

Mme Élisabeth CROUZET-PAVAN – Professeure d’histoire à l’Université Paris-Sorbonne

Membres du jury :

M. Martin AURELL – Professeur d’histoire à l’Université de Poitiers M. Michel BALARD – Professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne Mme Élisabeth CROUZET-PAVAN – Professeure d’histoire à l’Université Paris-Sorbonne

M. Florian MAZEL – Professeur d’histoire à l’Université Rennes-II

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Résumé

Les États latins d’Orient, nés après le succès de la première croisade (1095-1099), sont dominés par une aristocratie militaire, catholique et latine, qui revendique une supériorité à la fois sociale, culturelle, économique et politique, laquelle lui donne, dans la logique du temps, un droit à gouverner les autres.

Il s’agit dans ce travail de s’intéresser aux pratiques de pouvoir de cette classe dominante, autrement dit à l’ensemble des actions et des techniques déployées par les seigneurs pour établir, imposer, légitimer et pérenniser leur domination ; le tout dans un long XIIe siècle allant de la fondation du royaume de Jérusalem à l’arrivée en Orient de Frédéric II Hohenstaufen (1229). Ces pratiques – de la construction des châteaux au service militaire, de la justice aux mariages, du conseil au tirage au sort – structurent les jeux de pouvoir et constituent l’essence même de la nature politique de cette société aristocratique.

L’Orient latin est un terrain d’études d’autant plus intéressant que les seigneurs latins, s’ils restent inscrits dans un paysage culturel occidental, savent néanmoins s’adapter aux conditions locales – marquées notamment par une très forte diversité ethnique et confessionnelle – ce qui les pousse à faire preuve d’une réelle inventivité juridique et politique ainsi qu’à emprunter de nombreuses pratiques aux mondes byzantin et musulman.

Dans ce terreau particulier germe alors une culture politique originale, qui ne cesse d’évoluer au fil du siècle et qui se caractérise par une intense circulation du pouvoir, à la fois réelle et symbolique, sans cesse remis en jeu pour mieux irriguer l’ensemble de la société seigneuriale.

Mots-clefs : Orient latin ; croisades ; aristocratie ; féodalité ; seigneurs ; pouvoir ; politique ;

domination sociale.

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Abstract

The Latin East, born in the aftermath of the First Crusade (1095-1099), was ruled by a military, Catholic and Latin aristocracy, which claimed a social, cultural, economic and political superiority.

In this work, I studied the practices of power of this dominant class : the lords deployed diverse actions and techniques to establish, impose, legitimate, and perpetuate their domination, during a long twelfth century (from the foundation of the Kingdom of Jerusalem to the arrival in Orient of Frederick II Hohenstaufen in Orient in 1229).

These practices - ranging from the construction of castles to military service, from justice to marriages, and from council to lottery - structured the games of power and characterized the political nature of this aristocratic society.

The Latin Orient is a rich field of study inasmuch the Latin lords, although they remained part of a Western cultural landscape, nevertheless knew how to adapt to local conditions. These were marked in particular by a very high ethnic and religious diversity, which led the lords to show a real legal and political inventiveness and borrow many practices from the Byzantine and Muslim worlds.

In this peculiar society, an original political culture grew and evolved over the course of the century. It was characterized by an intense circulation of power, both real and symbolic, which flew over the whole seigneurial society.

Keywords : Latin East; Crusades; aristocracy; feudality; lords; power; policy; social

domination.

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Remarques générales

Noms

J’ai choisi d’utiliser la graphie française et contemporaine des noms latins et grecs, en optant arbitrairement pour une seule orthographe lorsque plusieurs sont employées par l’historiographie : Godefroy de Bouillon et pas Godefroi ni Godefroid, Milon de Plancy et pas Miles, etc. La langue anglaise distingue entre Amalric (roi de Jérusalem de 1163 à 1174) et Aimery (roi de Chypre puis de Jérusalem de 1198 à 1205), mais le français privilégie Amaury pour les deux souverains, version que j’ai retenue ici.

Pour les noms arabes, afin d’éviter des versions trop occidentalo-centrées, j’utilise une graphie française respectant au mieux les prénoms : on trouvera donc par exemple Salāh ad-Dīn et pas Saladin.

Pour les noms de ville, j’utilise le plus souvent, pour des raisons de lisibilité et pour permettre l’identification rapide des lieux, les noms français contemporains et non pas ceux employés par les sources médiévales : Jaffa et pas Joppé, Tibériade et pas Tabarie, etc. En cas de flottement, j’ai systématiquement suivi la version la plus fréquemment utilisée par l’historiographie récente.

Transcription

Les termes venus de l’arabe ont été volontairement réduits et sont essentiellement des noms propres. J’ai opté pour une transcription simple indiquant les voyelles longues (ā, ī et ū transcrivant respectivement les ا, les ي et les و) mais qui ne distingue pas les lettres emphatiques ou interdentales (c’est-à-dire ث ,غ ,ظ ,ط ,ض ,ص ,خ ,ح et ذ, qui sont donc respectivement notées h, r, s, d, t, t, r, s et z).

Sources abrégées

On trouvera plus loin, après la présentation générale des sources, une liste des abréviations utilisées ainsi que les références complètes des sources auxquelles elles correspondent.

Annexes

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Table des matières

Remarques générales ...5

Remerciements ... 19

Introduction ... 23

Un temps de folie ... 23

Dessiner des cultures politiques ... 25

Actualité de la recherche ... 29

L’Orient latin et l’Occident médiéval, un même monde ... 33

Présentation des sources ... 41

1) Chroniques latines ... 41

a/ Les chroniques de la première croisade ... 41

1° Les premières chroniques ... 41

2° Après la croisade : mémoire et réécritures ... 42

b/ Les chroniques des autres croisades ... 43

1° La deuxième croisade ... 43

2° La troisième croisade ... 43

3° La quatrième croisade ... 44

4° Les cinquième et septième croisades ... 44

c/ Chroniques produites en Orient ... 45

1° Guillaume de Tyr et ses continuateurs ... 45

2° Gautier et Philippe : les seigneurs qui prennent la plume ... 46

3° Textes divers produits en Orient ... 46

2) Récits de pèlerinage ... 47

3/ Chroniques orientales ... 48

a/ Les auteurs grecs ... 48

b/ Les auteurs arméniens et syriens ... 49

c/ Les auteurs arabes ... 50

4) Chartes ... 52

5) Lois ... 53

Sources citées en abrégé ... 55

Chroniques latines ... 55

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8 Chroniques orientales ... 59 Chartes ... 60 Lois ... 63 Lettres ... 63 Bible ... 63

PARTIE I:FABRIQUER L’ESPACE……….65

Chapitre 1 : Fiefs, domaine royal et seigneuries : l’espace politique des États latins d’Orient... 67

1) Tenir la terre... 68

a/ Les mots pour dire le fief... 68

1° Feodum ... 68

2° Terram ... 74

3° Seigneurie, baronnie, dominium ... 75

b/ Le fief et le seigneur ... 77

1° Le fief au cœur de la fidélité... 77

2° Le fief au cœur de l’identité aristocratique ... 78

3° Tenir en bourgeoisie... 82

4° Sine servitium ... 86

c/ Faire fief : l’exemple de la seigneurie du comte Josselin... 89

1° La fabrication progressive d’une seigneurie discontinue ... 89

2° Un marché des fiefs ... 92

3° Un royaume en plusieurs parties ... 96

4° La recherche d’une cohérence ... 98

2) « Et le roi se réserva pour lui... » : la question du domaine royal ... 101

a/ Historiographie du domaine royal ... 101

b/ Appréhender et cartographier le domaine royal ... 104

1° Carré de villes ... 104

2° Un domaine très fluide ... 106

3° Des biens divers ... 109

c/ Les nobles du roi ... 111

d/ Une comparaison : les domaines du prince d’Antioche, du comte de Tripoli et du roi de France ... 112

3) Le royaume et les seigneuries, une histoire cartographiée ... 115

a/ Cartographier l’espace féodal ... 115

1° L’intérêt d’une représentation cartographique ... 115

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3° Les principes directeurs ... 118

b/ 1099-1118 : les premiers temps ... 119

1° La carte politique ... 119

2° La carte féodale ... 123

3° Une comparaison : l’exemple de la conquête de l’empire byzantin en 1204 .... 127

c/ La progressive mise en place d’une carte féodale (1118-1174) ... 129

1° Vers l’apogée du royaume ... 129

2° Un paysage politique mobile ... 132

3° Trois évolutions majeures ... 134

d/ Les temps difficiles (1174-1192) ... 137

e/ Après la chute (1192-1228) ... 139

Conclusion de chapitre ... 143

Chapitre 2 : Pratiques et maîtrises de l’espace ... 145

1) Les lieux du pouvoir ... 146

a/ Églises et monastères ... 146

b/ Tenir l’espace par les châteaux ... 149

1° Les « clés de la terre » : châteaux et contrôle de l’espace ... 149

2° Le château comme centre administratif et économique ... 154

3° Faire construire un château : mémoire, pouvoir et ordre social ... 156

c/ Tenir les châteaux par les forteresses : l’exemple de la Tour de David ... 157

d/ Tenir les forteresses par les portes ... 160

1° Un symbole de la ville... 160

2° Contrôler les portes ... 162

3° Enjeux économiques ... 162

4° Marquer (par) les portes ... 163

2) Circuler et contrôler ... 165

a/ Un espace à la mesure des chevauchées ... 165

1° Vitesse et maîtrise spatiale ... 165

2° Pratiques et mentalités... 166

3° Circuler pour gouverner son fief ? ... 170

b/ Un roi en selle ... 173

1° Des mouvements incessants ?... 173

2° De Jérusalem à Antioche ... 176

3° Le centre et le circuit : une remarque sur la spatialisation du pouvoir ... 177

c/ Refuser le passage, contrôler son espace... 178

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2° Être « sire de sa terre » ... 180

3) Faire frontière... 183

a/ Placer et penser les frontières ... 183

1° Une querelle historiographique : de la ligne aux pôles ... 183

2° Des frontières imaginées ou héritées ... 186

3° Des frontières fleuves... ... 189

4° ...ou des « frontières liquides » ? ... 191

b/ Que font les frontières ? ... 194

1° Le sens de la coupure ... 194

2° Le pouvoir, le droit et les émotions : qu’est-ce qui change en franchissant une frontière ? ... 196

c/ La délimitation comme appropriation : le prisme de l’échelle locale ... 198

1° Bornes et bornages ... 198

2° La mémoire, le consensus et la domination ... 201

3° S’approprier la terre ... 204

Conclusion de chapitre ... 207

PARTIE II:CONTROLER LES HOMMES………..209

Chapitre 3 : « Ne suis-je pas le roi d’ici ? » : penser l’autorité royale ... 211

1) S’asseoir sur le trône de David ... 212

a/ La majesté royale ... 212

1° Majestate, auctoritate, potestate : dire la puissance royale ... 213

2° Les symboles du pouvoir royal ... 216

3° « Rege excepto » ... 220

4° Le roi, suzerain des États latins ? ... 223

b/ Être roi dans la Ville du Christ ... 228

1° Roi de quoi ? Les réponses de la titulature royale... 228

2° Une royauté sacrée ... 231

3° « Un si saint royaume » ... 234

2) Le roi et ses hommes ... 241

a/ Le roi entouré ... 241

1° Administration et officiers du roi ... 241

2° La domus royale ... 247

3° L’accès à la personne du roi, enjeu politique majeur ... 252

b/ L’invisible ligesse... 256

c/ Le service militaire, un enjeu capital ... 261

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11

2° « La semonce du roi »... 265

3° « Un nombre fixé de chevaliers »... 267

4° « Toujours prêts » ... 269

d/ Le restor, du don à l’institution ... 273

1° Le cheval, un objet précieux ... 273

2° Le cheval, symbole de supériorité sociale ... 275

3° L’origine du restor ... 277

4° Le restor et le roi ... 278

3) Propria et publica : le roi et le royaume ... 282

a/ Les biens du roi ... 282

1° Les hauts-lieux du pouvoir royal ... 282

2° « Les biens et le droit du roi sont la même chose » ... 284

3° Poids et monnaies ... 286

4° « Les droitures du roi » ... 287

b/ Le royaume, propriété du roi ? ... 290

1° Le roi propriétaire ... 290

2° Le roi souverain ... 294

c/ Penser et gouverner le royaume ... 297

1° Des chevaliers-chameaux... 297

2° La couronne et le royaume : métaphysique politique ... 299

3° Servir le commun ... 304

Conclusion de chapitre ... 306

Chapitre 4 : Tenir le glaive de justice ... 309

1) La violence de la domination ... 310

a/ La violence des seigneurs ... 310

1° Penser la violence médiévale ... 310

2° « En braves chevaliers, ils ne cessaient de faire périr des Turcs » ... 313

3° « S’il advient qu’un chevalier homme lige batte un bourgeois... » ... 315

4° Violence et pouvoir ... 318

b/ Le pouvoir de faire faire ... 320

1° Déléguer sa violence ... 320

2° Un faire au carré ... 322

c/ Privilèges et protection : le seigneur intouchable ... 323

1° Des privilèges cruciaux ... 323

2° Impossibles condamnations ... 327

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2) « Gouverner et justiser » ... 333

a/ Justices, justiciers et justiciables ... 334

1° Les différentes cours ... 334

2° Un devoir de justice ... 337

3° « Tous les barons du royaume [...] ont le pouvoir de faire juger... » ... 340

4° Dire le droit, construire le vrai ... 343

5° La justice est-elle rentable ? ... 346

b/ Crimes et châtiments ... 349

1° Que punit-on ? ... 349

2° Les cas réservés du roi ... 353

3° L’éclat des supplices ? ... 355

c/ Mettre en scène le jeu des pouvoirs par la justice ... 359

1° Au cœur d’une affaire : prince justicier, chanoines tenaces et moines absents . 359 2° Justice des hommes, justice de Dieu ... 361

3° « Seigneur de la loi »... 364

4° Faire circuler la justice ... 368

Conclusion de chapitre ... 372

Chapitre 5 : L’économie seigneuriale ... 375

1) Capter les biens, contrôler les hommes ... 376

a/ La question du servage ... 376

1° Où sont les serfs ? ... 376

2° Une paysannerie libre ? ... 380

b/ Au cœur de la rente féodale ... 385

1° Des corvées ... 385

2° « Ce qu’ils devront rendre » ... 387

3° Le poids des villes ... 392

4° Les routes et les gens ... 397

2) L’argent, un rouage féodal ... 401

a/ L’argent et la féodalité ... 401

1° Historiographie de l’argent ... 401

2° L’Orient latin, une société fortement monétarisée... 403

b/ Le goût des deniers ... 407

1° L’argent dans les dons ... 407

2° Être seigneur et être riche ... 409

3° « Celui qui peut prendre, qu’il prenne » ... 412

(13)

13

1° Argent du roi, richesse de tous ... 416

2° « Nous voulons un homme qui ait besoin d’argent » : le prince et la dette ... 420

3° Le prix de la fidélité ... 424

4° Le coût du service ... 428

d/ Les fiefs-rentes, un élément sous-estimé ... 432

1° Définir le fief-rente ... 432

2° Le fief-rente : l’or plus que la terre... ... 436

3°... ou la terre plus que l’or ? ... 438

Conclusion de chapitre ... 440

PARTIE IIII:JOUER LE POUVOIR………..443

Chapitre 6 : Une société agonistique ... 445

1) Une émulation perpétuelle ... 447

a/ Terrains et formes de la compétition ... 447

1° « Il ne supportait jamais d’être le second » ... 447

2° Vœux et paris : le discours et les rivalités ... 450

3° Jouer (à) la guerre ... 453

4° Le don comme compétition ... 456

b/ Une société du paraître ... 461

1° La gloire, l’honneur et la réputation ... 461

2° Apparence et apparat ... 465

3° Le spectacle d’une orientalisation calculée ... 470

c/ Contrôler les émotions ... 475

1° Les émotions de la rivalité... 476

2° Le miroir et la pieuvre : l’art de la dissimulation ... 480

3° Le monde est-il un théâtre ? ... 484

d/ Une comparaison : la cour byzantine ... 487

2) Révoltes et conflits ... 491

a/ Les révoltes : défier le roi, jouer l’autorité ... 492

1° Révoltes et révoltés ... 492

2° Des niveaux de révolte ... 495

3° « Puisqu’ils ne s’aimaient pas, et se disputaient le royaume... » : tentations et limites du rejet de l’autorité royale ... 499

4° Punir les révoltés ... 502

b/ Les conflits au cœur de la société seigneuriale ... 506

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14

2° Différentes modalités du conflit ... 508

3° Une culture de l’assassinat ?... 510

4° Gagnants et perdants : un système visqueux ? ... 514

3) Rétablir la concorde ... 517

a/ L’art de la réconciliation ... 518

1° « Nous ferons la paix, car la haine n’est pas bonne » ... 518

2° Pardonner, un devoir aristocratique ... 522

3° La recherche du compromis ... 526

b/ Médiations et médiateurs ... 530

1° Une culture de l’arbitrage ... 530

2° Arbitris electis : choisir ceux qui choisissent ... 532

3° La médiation, une source de puissance ... 535

4° Le clergé comme faiseur de paix ... 538

Conclusion de chapitre ... 542

Chapitre 7 : Se distinguer ... 545

1) Inclusions et exclusions ... 547

a/ Les limites du groupe aristocratique ... 547

1° Être noble, naître noble : une société d’héritiers ... 547

2° L’adoubement, un rite d’institution ... 553

3° « L’âge de gouverner » : jeunes et régents ... 557

4° La retraite à soixante ans ? ... 563

b/ Images de l’exclusion... 567

1° « Que nul étranger n’entre dans le royaume de Jérusalem » ... 567

2° « Il avait rompu avec nous en jurant fidélité aux Turcs » : le risque du contact avec l’autre ... 571

3° « Il retourna à la charrue de misère » : la faute et l’infamie... 576

c/ Des chevaliers lépreux, une originalité de l’Orient latin ... 578

1° L’ordre de Saint-Lazare ... 578

2° Seigneurs et lépreux ... 581

3° Une lecture culturelle ... 583

2) Hiérarchies et ordre social ... 586

a/ Dire la supériorité sociale ... 586

1° Milites ... 587

2° Nobiles et barones... 589

3° Dominus ... 591

(15)

15

b/ « Ceux-ci sont tous dominés par les Francs et les Latins » : être seigneur dans une

société plurielle ... 598

1° Fidèles et infidèles : les non-Latins font-ils partie du royaume ? ... 600

2° Dominer les non-Latins ... 602

c/ L’opposition structurante : nobles et non-nobles ... 608

1° « Il n’y a, chez eux, de prééminence et de préséance que pour les cavaliers » . 608 2° Barones et burgenses : un monde clivé ? ... 615

3° Des tensions sociales ... 617

4° Des élites, une domination ... 619

d/ La question de la mobilité sociale ... 623

1° Une mobilité sociale limitée mais réelle ... 623

2° Des ascensions politiques ... 628

Conclusion de chapitre ... 630

Chapitre 8 : Faire groupe ... 633

1) Parties et partis : quand la noblesse choisit un camp ... 634

a/ « Car un vieux proverbe dit : ceux qui se ressemblent s’assemblent facilement ». 635 1° Du complot à l’accordance ... 635

2° S’associer pour un but : faucons contre colombes ... 637

3° S’associer autour d’intérêts convergents ... 639

4° L’ennemi de mon ennemi... ... 643

b/ Des groupes extrêmement mouvants ... 644

1° Suivre le meilleur parti ... 644

2° Des acteurs à part entière des jeux de pouvoir ... 646

3° L’art de ne pas prendre parti ... 647

2) Autour du seigneur ... 649

a/ Au cœur de la mesnie seigneuriale ... 650

1° Dire et définir l’entourage du seigneur ... 650

2° Identifier des entourages ... 655

3° « S’il trouve trois chevaliers qui veulent le servir » : des fidélités fluctuantes . 658 b/ L’entourage du seigneur, vecteur de circulations ... 661

1° Le népotisme comme pratique politique ... 661

2° Récompenser pour fidéliser ... 663

3° Faire circuler l’information ... 665

c/ Sociabilités et solidarités ... 670

1° « C’est de ton affaire qu’il s’agit lorsque la maison voisine est en feu » ... 670

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16

3) « Car il était de grand lignage, et hautement apparenté » ... 677

a/ Le lignage et les parents ... 677

1° La place des parents ... 678

2° La race ... 683

b/ Les mariages ... 689

1° La mise en place progressive d’une « société des seigneurs » à l’échelle de l’Orient latin ... 689

2° Limiter les mariages ? ... 693

3° Contrôler la nuptialité des vassales ... 695

c/ La place des femmes ... 702

1° « Allons secourir les dames » ... 702

2° « On la prit et on la donna » : faire circuler la femme ... 705

3° La femme active... 710

4° « Vous êtes une femme, il convient que vous ayez un mâle qui vous aide à gouverner » ... 713

5° Un pouvoir au féminin ?... 715

Conclusion de chapitre ... 720

Chapitre 9 : Les voix des seigneurs ... 723

1) « Les Latins sont de grands bavards » : rôle et place de la parole ... 724

a/ Diffuser et enregistrer l’information ... 724

1° La volonté de savoir ... 724

2° Gérer l’écrit : information et administration ... 727

3° Diffuser l’information ... 731

b/ Oralité et autorité ... 734

1° « Tous les chrétiens marchaient à la voix du duc » ... 734

2° Le serment ... 738

c/ Le goût des palabres ... 744

1° « Conseiller est le devoir du chef » ... 744

2° « Vous êtes très habile avec les mots » ... 750

3° « Autant d’hommes, autant d’avis » : faire circuler la parole ... 755

4° Les mots contre le pouvoir ... 761

2) Prendre une décision ... 764

a/ « On convoqua une cour générale et tous les grands s’y rendirent » ... 764

b/ « Ils firent un seigneur par élection »... 768

c/ « Ils choisirent trois cent personnes qui en choisiraient douze autres » : délégation et élection indirecte ... 774

(17)

17

3) Partages et mises en commun ... 781

a/ « Le reste, ils doivent le partager entre eux à parts égales » ... 782

1° Le partage des devoirs militaires ... 782

2° « Per militias partes » : répartir le butin ... 787

3° « Se partager le pays entre eux comme on pèse dans une balance » ... 794

4° Partager les fiefs... 798

b/ Partager le pouvoir ... 803

1° Refuser le pouvoir ... 803

2° La couronne de Jérusalem et ses circulations ... 807

3° « Il exigea qu’elle partage le royaume avec lui » ... 810

Conclusion de chapitre ... 815

Conclusion ... 817

(18)
(19)

19

Remerciements

En 2015, un article écrit à plusieurs mains par une équipe de sociologues soulignait que la solitude du doctorant était « une expérience socialement instituée » par les cadres mêmes de la préparation du doctorat1. En lisant cet article, je suis empreint d’un immense sentiment de reconnaissance pour toutes les personnes qui, tout au long de ces quatre ans de thèse, ont fait en sorte que cette conclusion ne s’applique jamais à moi. La longueur de ces remerciements me rappelle avec force la chance que j’ai eue.

Et il me faut d’abord remercier Mme Élisabeth Crouzet-Pavan, ma directrice de master puis de thèse, qui me suit depuis ce jour de septembre 2009 où je suis entré dans son bureau et, ce faisant, dans le monde de la recherche. Ses remarques, ses conseils, ses critiques ont forgé ce travail, mais ce sont aussi ses encouragements, sa bienveillance et son soutien sans faille que je souhaite ici distinguer et remercier le plus sincèrement possible.

Je remercie également les membres de mon jury de thèse, MM. Martin Aurell, Michel Balard, Florian Mazel, Philippe Sénac et Mme Isabelle Ortega, qui me font le plus beau compliment qu’on puisse faire dans nos disciplines : m’avoir lu. Je suis d’autant plus sensible à l’honneur qu’ils me font que leurs travaux respectifs structurent et sous-tendent cette thèse. Les études de M. Michel Balard sont tout simplement incontournables dès que l’on travaille sur l’Orient latin, tant elles sont nombreuses et couvrent tous les domaines : c’est d’ailleurs grâce à son manuel que j’ai découvert cet espace et cette période. Les travaux de M. Martin Aurell m’ont d’abord fait rêver à la Bretagne arthurienne avant de m’amener à réfléchir sur l’idéologie chevaleresque et l’identité nobiliaire ; parmi tous ses ouvrages, ses livres consacrés à la critique des croisades ou aux chevaliers lettrés ont beaucoup joué dans ma réflexion. De M. Florian Mazel, j’ai pris ma volonté de travailler sur l’espace, entendu comme construction sociale permanente. L’ouvrage de Mme Isabelle Ortega sur la Morée latine est un modèle du genre qui n’a cessé de nourrir mes idées et mon travail : celui-ci se veut moins une réponse qu’un prolongement de ces questionnements appliqués à un autre espace. Quant à M. Philippe Sénac, il m’a apporté la sensibilité à un espace de frontière, ainsi que la volonté, sans cesse reforgée au feu des évènements récents, de travailler sur les échanges et les contacts entre l’Occident et l’Islam. Professeur du TD que j’ai donné pendant quatre ans, M. Philippe Sénac a joué un rôle absolument crucial dans mon parcours, et je ne crois pas exagérer en disant qu’il a été un véritable modèle, sur le plan scientifique comme pédagogique.

Ma reconnaissance va évidemment aux institutions dans le cadre desquelles cette thèse s’est déroulée : l’UMR Roland Mousnier et l’École Doctorale 1 « Mondes anciens et médiévaux » de l’Université Paris-Sorbonne. Je tiens à remercier en particulier M. Paul Demont, directeur de l’ED 1 pendant mes années de thèse, ainsi que les secrétaires de ces institutions, Mme Farida Vidal et Mme Naima Djaoud, puis Mme Noéline Zembouligame, car leur formidable compétence a été pour beaucoup dans le déroulé sans heurts de cette thèse. Un grand merci également au service des doctorats de Paris-Sorbonne, ainsi qu’aux personnels de l’UFR d’Histoire de Paris-Sorbonne, en particulier à M. Alain Tallon. Enfin, je remercie Mme

1 Marina CHAO, Carlotta MONINI, Signe MUNCK, Samuel THOMAS, Justine ROCHOT et Cécile VAN DE VELDE,

« Les Expériences de la solitude en doctorat. Fondements et inégalités », Socio-logos, n° 10, 2015, en ligne

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Virginie Thibaud, du service communication de Paris-Sorbonne, pour son ouverture à nos projets et son enthousiasme permanent.

Plusieurs institutions m’ont fait l’honneur de financer mes recherches en m’octroyant une bourse, et je remercie la Fondation Bettencourt Schueller, la Fondation des Treilles et la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur Public. Une place particulière pour le Centre de Recherche Français de Jérusalem, qui m’a par deux fois accueilli dans des conditions tout simplement parfaites. La gentillesse et la disponibilité de Laurence Muchnino et Lyse Baer méritent toute ma gratitude, et je remercie Julien Loiseau pour sa générosité, dans tous les sens du terme.

Certains remerciements sont anonymes, mais n’en sont pas moins vifs : aux personnels des bibliothèques de l’ENS de la rue d’Ulm, de la BIS, de la BSG, et de la bibliothèque Aimé Césaire, un immense merci, pour tous ces livres prêtés, et pour vos sourires.

Plusieurs chercheurs ont accepté de me communiquer des articles, des chapitres ou leur thèse, avant leur parution officielle ou alors qu’ils n’étaient pas trouvables autrement, et de répondre à mes questions et à mes remarques : M. Andrew Buck, Mme Heather Crowley, Mme Deborah Gerish, Mme Marie Guérin, Mme Maud Harivel, M. Robert Kool, M. Thomas Lecaque, M. Kevin Lewis, Mme Fanny Madeline, M. Michel Senellart et M. Bogdan Smarandache. Je les en remercie très sincèrement et j’espère avoir fait bon usage de leurs travaux. Moez Dridi et Matthieu Tillier ont bien voulu vérifier quelques-unes de mes traductions en arabe, s’attirant ainsi ma reconnaissance éternelle – les erreurs qui restent sont de moi... J’ai eu le plaisir d’échanger avec Charles Cawley du site MedLands et je le remercie de l’attention qu’il a porté à mes remarques. Mme Fanny Madeline et M. Léonard Dauphant ont répondu à mes questions de méthode sur la cartographie, et les cartes de cette thèse leur sont donc redevables.

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J’ai enseigné pendant quatre ans et demi au sein d’équipes qui m’ont non seulement toujours très bien accueilli, mais surtout beaucoup appris. Je remercie donc très sincèrement mes collègues : Mme Cécile Bresc, M. Moez Dridi, M. Xavier Hélary, Mme Claire Lamy, Mme Sumi Shimahara et, à Metz, M. Léonard Dauphant et Mme Christine Barralis. Je veux également remercier les étudiant.e.s que j’ai pu avoir, de la L1 aux khôlles d’agrégation clandestines : j’ai pris énormément de plaisir à leur faire cours, et ai là aussi beaucoup appris d’eux.

J’ai eu la chance immense de profiter des conseils et des exemples d’un grand nombre de chercheurs, qui m’ont éclairé par leurs réponses et par leurs exemples, notamment M. Thierry Dutour, M. Julien Loiseau, M. Romain Telliez, M. Matthieu Tillier. En remontant un peu le temps, je remercie M. Éric Vallet, dont les cours d’Islam médiéval à l’ENS ont joué dans mon goût de l’Orient, renforcé par les cours d’arabe de la regrettée Mme Houda Ayoub et de M. Ziad Bou Akl. À l’ENS toujours, je remercie également Mme Nathalie Koble, M. Jean-François Lassalmonie, mon tuteur, M. François Menant, pour son inépuisable générosité, M. Rahul Markovits et Mme Sylvia Estienne.

Je termine ce travail de mémoire en citant Mme Béatrix Recorbet, qui m’a fait découvrir le Moyen Âge en historien, et M. Dominique Horvilleur, dont les cours resteront toujours la vibrante incarnation de l’intelligence : je leur dois d’être ici, et je leur adresse mes plus vifs remerciements.

La thèse n’est pas qu’une somme de mots : derrière chaque phrase se tiennent des personnes qui m’ont entouré, épaulé, soutenu. Beaucoup ont relu cette thèse, en partie ou en entier – certains même plusieurs fois... Catherine Kikuchi, Pauline Guéna, Annabelle Marin (la team Actuel Moyen Âge, et tellement plus), Pauline Ducret (du Sinaï à Varanasi), Jan Synowiecki (pour les sushis et l’histoire environnementale), Adrien Carbonnet, Maxime Fulconis, Axelle Brémont-Bellini : tou.te.s ont contribué à faire de cette thèse un formidable parcours riche en amitiés. Plusieurs de mes réflexions se sont nourries de discussions avec d’autres doctorants, notamment Alexandre Giunta, Julie Pilorget, Stéphanie Richard et Pierre Verschueren. Le soutien de William Blanc, à la fois personnel et institutionnel, a beaucoup compté (même s’il a choisi de ne pas citer Fionavar). Merci aussi au Collectif Doctoral pour ces heures inoubliables de débats et d’actions, surtout à Simon Vacheron, Solange Arber, Justine Le Floc’h, Pierre Porcher, Axelle Brémont-Bellini et Salomé Paul. Un immense merci enfin à Questes et aux Questeurs, en particulier à Sarah Delale, Jean-Dominique Delle Luche, Pauline Lambert (ici), Pauline Bouchaud (trop de Pauline) et Nicolas Garnier.

D’autres ne sont pas historiens, mais méritent tout de même que je fasse un effort pour les citer ici : Tom (que je remercie deux fois plus que la personne suivante), mon frère Lilian (que je remercie deux fois plus que la personne précédente – calcule-moi ça...!), David (merci pour les soirées jeux) et Hugo (vingt-cinq ans cette année, non ?), ainsi que Corinne et Manu (vous ne savez pas à quel point), et bien sûr mes parents et grands-parents. Merci d’avoir fait semblant de vous intéresser à la vie de Godefroy de Bouillon et d’avoir accepté mes absences à répétition... Laura occupe une place toute particulière dans cette liste, pour notre amour partagé de l’Épiphanie, et des possibles du passé.

Du passé à l’avenir : je termine en remerciant Marine, forcément, qui a joué le rôle d’ancre –

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Introduction

Un temps de folie

En 1228, une étrange scène se déroule dans le palais royal de Nicosie, sur cette île de Chypre conquise par les Latins depuis une trentaine d’années. Face à Frédéric II Hohenstaufen, récemment arrivé en Orient, Bohémond IV, prince d’Antioche et comte de Tripoli, se livre à une curieuse pantomime : « il contrefit le fou et le muet, criant très fort "Ah ! Ah ! Ah1 !" ». Scène mystérieuse, qui voit l’un des principaux seigneurs de l’Orient

latin, face à l’empereur du Saint Empire Romain germanique, faire le fou, un état qui renvoie moins, au Moyen Âge, à un dérèglement mental qu’à une violence à la fois morale et symbolique2.

La folie, du reste, s’est déjà infiltrée depuis plusieurs années dans les sources qui racontent ces aventures qui ne sont pas encore nommées croisades. Ambroise, auteur d’une belle chronique rimée de la troisième croisade, ouvre son poème en rappelant que la défaite des croisés, incapables de reprendre Jérusalem, doit être attribuée à « notre folie3 » ; quelques temps après, le moine de Montaudon écrit de même, en s’adressant directement à Dieu et en faisant référence à la troisième croisade, « il est fou, celui qui vous suit dans cette bataille4 ! ».

Plusieurs décennies plus tard, en 1268, Rutebeuf met dans la bouche de son « décroisé », qui tente de convaincre le croisé de ne pas partir, l’accusation suivante : « vous irez outre-mer, car vous avez prêté hommage à la folie5 ». Même si le croisé finit par l’emporter et par convaincre son ami réticent, reste que Rutebeuf témoigne d’un réel discrédit de l’idée même de croisade : on est loin de l’enthousiasme délirant qui, en 1095, soulève les foules pour les jeter sur ce qu’on appelle encore à ce moment « la route de Jérusalem ». Même si l’idée de croisade continue pendant plusieurs siècles à structurer en profondeur les imaginaires de l’Orient et à sous-tendre de nombreux projets plus ou moins fantaisistes de reconquête6, le

sentiment de croisade tend dès cette époque à se racornir rapidement. Ces critiques se nourrissent des déboires du temps : la troisième croisade, lancée après la reconquête de Jérusalem par Salāh ad-Dīn ibn Ayyub en 1187, n’a abouti qu’à un échec quasi-total. Si le royaume de Jérusalem trouve un second souffle en se réarticulant autour de l’île de Chypre,

1 Philippe de Novare, Guerre de Frédéric II, § 134, p. 48 : « le prince se tint à mort et dezerité ; si contrefist le

malade et le muet, et crioit trop durement : "A ! a ! a !" ».

2 Muriel LAHARIE, La Folie au Moyen Age, XIe-XIIIe siècles, Paris, Léopard d’Or, 1991.

3 Ambroise, p. 2, v. 11-16 : « Ki retrait la mésaventure / Qui nos avint, e par dreilure. / L’autre an en terre de

Sulie / Par nostre surfaite folie, / Que Deus ne volt plus consentir / K’il ne la nos feist sentir » (je souligne).

4 Die Dichtungen Mönchs von Montaudon, édition Otto KLEIN, Marbourg, Elwert’sche Verlagsbuchhandlung,

1885, n° 2, p. 34, v. 44 : « Fols es quius sec en mesclaigna ! ». Voir Martin AURELL, Des Chrétiens contre les

croisades, XIIe et XIIIe siècles, Paris, Fayard, 2013.

5 Rutebeuf, « La Disputaison du croisé et du décroisé », in Onze poèmes de Ruteboeuf concernant la croisade,

édition Julia BASTIN et Edmond FARAL, Paris, Geuthner, 1946, p. 84-94, ici p. 89, v. 99-100 : « vous ireiz outre

meir laÿs / qu’a foli aveiz fait homage ».

6 Voir Géraud POUMAREDE, Pour en finir avec la croisade. Mythes et réalités de la lutte contre les Turcs aux

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demeure, un peu partout en Occident, le sentiment diffus d’une croisade très meurtrière livrée pour peu de résultats7. En 1268, lorsque Rutebeuf prend la plume, la situation semble encore pire : le sultan mamelouk Baybars a repris le port de Jaffa, puis, surtout, la ville d’Antioche, dont la conquête avait occupé les croisés pendant de longs mois en 1098. À ces conquêtes musulmanes qui effacent lentement mais sûrement les États latins de la carte s’ajoutent des divisions politiques. En 1193-1194, ce sont les rois de France et d’Angleterre, hier alliés sur les rivages de l’Orient, qui s’affrontent mutuellement. En octobre 1268, après la défaite de Tagliacozzo, Conradin Hohenstaufen, roi de Jérusalem, est exécuté sur l’ordre de Charles d’Anjou, qui s’empare du même coup de la couronne de Jérusalem en persuadant Marie d’Antioche de renoncer à ses droits. L’impérialisme angevin remplace, en Orient, la tutelle impériale ; c’est un changement dynastique brutal, qui provoque d’intenses déchirements au sein de la noblesse latine d’outremer et obère encore un peu plus les chances de celle-ci de parvenir à résister aux Mamelouks d’Égypte. Folie, donc, en 1194 comme en 1268, lorsque les villes péniblement conquises par les croisés tombent les unes après les autres et que les rois d’Occident, pris dans leurs propres conflits, se désintéressent du sort de la Terre sainte. Mais ce n’est pas ce sentiment de perte, dicté par l’urgence des temps, qui sous-tend la folie de Bohémond IV : celle-ci, comme le met bien en valeur l’auteur du récit, n’est en effet que

contrefaite.

En arrivant en Orient, Frédéric II, empereur du Saint Empire, roi de Sicile et roi de Jérusalem par son mariage avec Isabelle – et grand-père de ce Conradin qui perdra la couronne en même temps que la tête – a convoqué à Nicosie l’ensemble des nobles du royaume de Jérusalem, d’Antioche et de Tripoli pour lui prêter hommage. C’est que la présence de Frédéric II en Orient n’a rien d’une paisible expédition : non seulement l’empereur s’est mis à dos Jean de Brienne, son beau-père, en le dépossédant brutalement de la couronne de Jérusalem, mais surtout il s’oppose violemment, dès son arrivée, à Jean d’Ibelin, seigneur de Beyrouth et longtemps régent du royaume. Ajoutons à cela que Frédéric II se retrouve dans la délicate situation de mener une croisade en étant excommunié : au moment où il rencontre Bohémond d’Antioche, le pape Grégoire IX lève une taxe d’un dixième pour financer une croisade... dirigée contre Frédéric II lui-même8. En s’imposant à Jérusalem, Frédéric va placer la papauté dans la situation très délicate d’avoir à s’opposer au roi de la Ville sainte9.

Convoqué à Nicosie, Bohémond IV « s’est cru mort et déshérité » : on connaît en Orient les méthodes pour le moins expéditives de Frédéric II10. Quelques semaines auparavant, il a en effet profité d’un grand banquet donné à Limassol pour forcer Jean

7 Je renvoie sur ce point à la thèse récemment soutenue de Mathieu RAJOHNSON, L’Occident au regret de

Jérusalem. L’image de la Ville sainte en chrétienté latine (1187-fin du XIVe siècle), thèse de doctorat, sous la

direction de Catherine Vincent, Université Paris-X, 2017, p. 100-103.

8 Björn WEILER, « Gregory IX, Frederick II, and the Liberation of the Holy Land, 1230-9 », Studies in Church

History, 2000, no 36, p. 192-206.

9 Thomas W. SMITH, « Between Two Kings: Pope Honorius III and the Seizure of the Kingdom of Jerusalem by

Frederick II in 1225 », Journal of Medieval History, 2015, vol. 41, no 1, p. 41-59.

10 Florence TANNIOU, « "Esgart de court", "espee forbie". Droit et violence dans les Mémoires de Philippe de

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d’Ibelin, sous la menace de ses soldats, à reconnaître son autorité. Mais Bohémond est un vieux roublard. En 1228, il a lui-même cinquante-six ans, vingt-deux de plus – toute une vie, à cette époque – que l’empereur. Il est comte de Tripoli depuis près de quarante ans, prince d’Antioche depuis trente ans, le premier seigneur à unir les deux entités politiques. Au cours de sa longue carrière, il a fait face à une révolte nobiliaire, a triomphé d’une redoutable querelle de succession, a écarté son neveu Raymond-Rupen du pouvoir, s’est battu contre les Byzantins, les Arméniens, les Turcs, les Mamelouks, a enterré une épouse et deux fils. Lui-même a été excommunié plusieurs fois. Bohémond IV, que l’on surnomme le Borgne, n’entend pas se laisser aveugler par ce Frédéric II que l’on baptise déjà la « stupeur du monde11 », encore moins renoncer à des biens qui sont dans sa famille depuis ce

Bohémond Ier, prince de Tarente, dont il porte le nom. Aussi pense-t-il à feindre la folie pour

échapper au serment qu’on attend de lui. Le stratagème réussit : si l’on peut, comme le dit Rutebeuf, prêter hommage à la folie, on n’attend visiblement pas de recevoir l’hommage d’un fou. Bohémond parvient à quitter discrètement Nicosie pour se réfugier sur ses terres, hors d’atteinte de l’empereur. La ruse, évidemment, évoque trop celle d’Ulysse cherchant à échapper à la guerre de Troie pour ne pas éveiller la méfiance de l’historien, toujours aux aguets de ces échos qui bien souvent disent l’apocryphe.

Mais qu’importe la véracité, à jamais inatteignable, de l’évènement : l’histoire est trop belle pour ne pas s’en servir. Car elle semble dessiner, presque idéalement, les objectifs de ce travail de thèse.

Dessiner des cultures politiques

L’enjeu est en effet de comprendre les actes, les paroles, les gestes des seigneurs, pour voir comment ils composent une grammaire politique particulière. Il s’agit bien d’une grammaire, un ensemble de règles qui structurent un langage politique maîtrisé par tous les acteurs du temps : lorsque Bohémond fait le fou, il choisit consciemment une posture qui lui permet d’échapper à une cérémonie d’hommage dont il ne veut pas. Et Frédéric II, dont l’on peut légitimement penser qu’il n’est guère dupe de la comédie qu’on lui joue, n’a d’autre choix que de le laisser repartir sur ses terres, car les formes ont été respectées.

Mais qui sont ces « seigneurs » ? Comment les définir ? Il convenait pour ce faire d’adopter une approche résolument phénoménologique de ces seigneurs, comme l’a fait récemment Maïté Billoré dans son étude de l’aristocratie normande12 : les seigneurs sont

avant tout ceux qui disent l’être. À cet égard, il faut souligner d’emblée que le roi est entièrement inclus dans cette définition. S’il revendique bien, comme on le verra, une autorité plus grande que celle de ses fidèles, reste qu’elle est de la même nature, passe par les mêmes techniques, se dit par les mêmes mots. Aussi étudiera-t-on dans le même mouvement la royauté et la noblesse, qui partagent les mêmes pratiques et la même identité et forment ensemble un continuum de la domination. Si l’on veut en donner des critères plus objectifs, on

11 Voir évidemment Ernst KANTOROWICZ, L’Empereur Frédéric II, Paris, Gallimard, 1998.

12 Maïté BILLORE, De Gré ou de force. L’aristocratie normande et ses ducs, 1150-1259, Rennes, Presses

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peut dire que la noblesse est cette toute petite frange de la population – pas plus d’un pour cent de la population globale13 – qui détient l’essentiel des pouvoirs politiques, de la richesse économique et qui revendique une supériorité sociale leur donnant un droit à gouverner. D’où le terme d’aristocratie : la société féodale est une société qui ne cesse de prétendre que ce sont effectivement les meilleurs qui dirigent. À la domination sociale s’ajoute donc un discours visant à la légitimer, qui exige de travailler autant sur les pratiques de pouvoir que sur les mots qui permettent de les exprimer. Aussi ai-je cherché en permanence à étudier d’abord le vocabulaire des sources, pour partir le plus possible des mots et de leurs significations.

Le titre de cette thèse annonce de fait le balancement qui est au cœur de ce travail : il s’agit d’étudier à la fois des pratiques de pouvoir et des cultures politiques. La focalisation sur les pratiques, souvent négligées au détriment des prestigieuses théories, a récemment été remise à l’honneur par Thierry Dutour, qui rappelle avec force l’importance de travailler sur les conceptions communes, les gestes acceptés, les pratiques banales, autant d’éléments qui constituent l’essence même de la nature politique d’une société donnée, autant, si ce n’est plus, que les traités philosophiques du temps14. Pour autant, impossible de ne travailler que sur ces pratiques, dans la mesure où on n’y a accès qu’à travers leurs descriptions, c’est-à-dire à travers le double filtre de l’écrit et d’un écrit, qui plus est, monopolisé d’une façon presque totale par le clergé. Ces textes expriment de fait des visions du pouvoir, souvent convergentes, parfois contradictoires, en fonction des moments de rédaction ou de la personnalité de leurs auteurs. Se dégagent donc également des cultures politiques15, riches et complexes et que l’on

ne prétendra pas pouvoir cerner intégralement. C’est ce dialogue entre les théories et les pratiques qui est au le sujet principal de cette thèse. Bref, pour le dire simplement, je chercherai moins à faire une histoire politique de l’Orient latin, bien connue depuis longtemps, qu’à faire une histoire du politique dans l’Orient latin.

Deux références théoriques majeures structurent et nourrissent cette réflexion. La première est la vision foucaldienne du pouvoir, entendu moins comme un bien que l’on possède que comme quelque chose qui s’exerce dans un tissu social, se créant des points d’appuis, produisant des effets concrets, cherchant à déjouer les résistances16. Le geste

fondateur de Michel Foucault consiste à placer « au centre de l’analyse non le principe

13 Il est très difficile d’évaluer la population des États latins d’Orient. À partir de calculs assez douteux parfois, et

en extrapolant énormément à partir des quelques chiffres connus, Joshia RUSSEL, « The Population of the Crusader States », in Harry W. HAZARD, Norman P. ZACOUR et Kenneth M. SETTON (dir.), A History of the

Crusades, vol. V, The Impact of Crusades on the Near East, Madison, University of Wisconsin Press, 1985,

p. 295-314 estime la population de toute la région syrienne à un peu plus de deux millions et demi d’habitants au

XIIe siècle, dont environ les deux-tiers sont sous contrôle latin. Or les États latins alignent au maximum 2 000

chevaliers sur le champ de bataille, et ce en comptant les importants contingents fournis par les ordres militaires. Même en tenant compte du fait que pour un chevalier en âge de porter les armes il peut y avoir cinq ou six membres de sa famille qui ne le font pas, il est impossible de trouver plus de quelques milliers de nobles. On peut donc penser que la noblesse représente moins de 1 % de la population totale, voire même à peine 0,5 %.

14 Thierry DUTOUR, Sous l’empire du bien : « bonnes gens » et pacte social (XIIIe-XVe siècle), Paris, Garnier,

2015 ; je pense surtout à une communication présentée le 19 novembre 2015 dans le séminaire d’Élisabeth Crouzet-Pavan et intitulée « L’idée républicaine ».

15 Thomas N. BISSON (dir.), Cultures of power. Lordship, Status, and Process in Twelfth-Century Europe,

Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1995.

16 Voir Marc ABELES, « Michel Foucault, l’anthropologie et la question du pouvoir », L’Homme, 2008,

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général de la loi, ni le mythe du pouvoir, mais les pratiques complexes et multiples de "gouvernementalité"17 ». La référence à Foucault permet de sortir de la question binaire qui sous-tend l’essentiel des recherches sur le paysage politique de l’Orient latin : plutôt que de se demander qui détient le pouvoir, le roi ou la noblesse, il convient de s’interroger sur les conditions d’exercice de ce pouvoir, sur la façon concrète dont il fonctionne. Pour le dire autrement, il convient de se centrer sur l’analyse et moins sur l’identification. L’un des terrains les plus porteurs pour ce changement de perspective est celui des fiefs et de la carte féodale. De nombreuses études, depuis le XIXe siècle, se caractérisent en effet par une approche prosopographique : on cherche à savoir qui détient quel fief à tel moment. Au contraire, je chercherai davantage à me demander ce que « détenir un fief » signifie, comment on peut l’exploiter, le mettre en valeur, le contrôler, le transmettre, le partager. Dans cette nouvelle analyse du fief, plusieurs axes majeurs retiennent toute mon attention : la perception de l’espace, le contrôle du territoire, l’appréhension des limites et des frontières. Il s’agit de comprendre le fief non plus seulement comme un objet que l’on donne, mais aussi comme un territoire que l’on habite, qu’on investit, qu’on charge de valeurs stratégiques ou symboliques. D’où l’importance des nombreuses cartes que j’ai réalisées afin de cartographier un ensemble de phénomènes très variés, des itinéraires royaux aux factions aristocratiques. Michel Foucault invite à considérer trois « niveaux » dans l’analyse du pouvoir : « les relations

stratégiques, les techniques de gouvernement et les états de domination18 ». C’est ce dialogue

entre trois aspects du pouvoir qui constitue le noyau de cette thèse. Pour rester sur le fief, point de départ de la réflexion car fondation de tout le système socio-politique qu’est la féodalité, le fait d’en tenir un rend redevable d’un certain nombre d’obligations vis-à-vis du seigneur. Celui-ci sait en jouer assez finement, et les rois de Jérusalem, comme l’a magistralement démontré Steven Tibble dans un ouvrage dont la postérité est hélas restée quasi nulle19, savent manipuler la carte féodale pour protéger au mieux leurs intérêts. Il s’agira donc d’étudier les rapports entre d’une part des techniques de gouvernement – ce que Michel Foucault appelle des dispositifs de pouvoir – et de l’autre des stratégies, des jeux de pouvoir, des rapports de force qui « rendent instables et réversibles20 » les premières.

La seconde référence est constituée par un ensemble de travaux anthropologiques, au premier rang desquels il faut citer Pierre Clastres et ses recherches sur les « sociétés contre l’État21 ». Pierre Clastres a en effet l’immense mérite de rappeler qu’un ensemble de

17 Michel FOUCAULT, « Preface to the History of Sexuality », in Michel FOUCAULT, Dits et écrits, vol. IV,

1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 578-584, ici p. 582. Sur le concept de gouvernementalité, voir Pierre LASCOUMES, « La Gouvernementalité : de la critique de l’État aux technologies du pouvoir », Le Portique. Revue

de philosophie et de sciences humaines, 2004, no 13-14, en ligne (https://leportique.revues.org/625, ressource

accédée le 5 août 2017).

18 Michel FOUCAULT, « L’Éthique de soi comme pratique de liberté », in Michel FOUCAULT, Dits et écrits,

vol. IV, op. cit., p. 708-729, ici p. 728.

19 Steven TIBBLE, Monarchy and Lordships in the Latin Kingdom of Jerusalem, 1099-1291, Oxford, Oxford

University Press, 1989.

20 Michel FOUCAULT, « Preface to the History of Sexuality », art. cit., p. 582.

21 Pierre CLASTRES, La Société contre l’État, Paris, Éditions de Minuit, 2011. Je ne suis du reste pas le seul à

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structures sociales, économiques et politiques que l’on pourrait a priori être tenté de voir comment des manques peuvent en réalité être des choix. Les seigneurs médiévaux choisissent, ne serait-ce qu’inconsciemment mais pas seulement, les stratégies matrimoniales qu’ils déploient, les techniques qu’ils utilisent pour contrôler l’espace, les façons d’encadrer les paysans ou de régler des conflits. Affirmer cela est particulièrement nécessaire pour l’époque féodale, souvent vue comme une période négative, dans le double sens du terme : à la fois une période noire, marquée par la violence et le chaos, et une période en négatif, pensée par rapport à cet État dont elle est supposée manquer. Or, tout comme l’apparente immobilité des sociétés dites primitives cache en réalité un ensemble de stratégies complexes visant à empêcher au maximum le changement social, de même la violence de la société féodale, sous toutes ses formes, de la guerre à la domination des serfs, du duel judiciaire aux rébellions aristocratique, participe en réalité d’un « ordre seigneurial22 ».

Autrement dit, cette culture politique est sous-tendue par de nombreuses structures sociales, économiques, juridiques et culturelles qu’il convient d’étudier tout à tour. Ainsi de l’économie seigneuriale, des alliances entre nobles, des mariages, du système de parenté. Il s’agira également, le plus possible, de pointer les convergences entre ces différents aspects, pour souligner comment tous se tiennent ensemble pour faire la cohérence du système seigneurial. Ce qui ne revient pas à nier pour autant les contradictions et les décalages, ni les évolutions historiques souvent majeures au fil de la période. Le XIIe siècle est une période extrêmement riche d’un point de vue politique, juridique et culturel23, et l’Orient latin ne fait

pas exception. Des évolutions aussi cruciales que la redécouverte progressive du droit romain, l’élaboration d’une culture courtoise, la multiplication des écrits documentaires y jouent un rôle aussi important qu’elles peuvent le faire à Paris, à Bologne ou à Londres.

Or, précisément, ce sont ces changements que l’historiographie a trop peu su voir. Entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle, les historiens ont en effet principalement vu l’Orient latin comme l’exemple d’une « féodalité pure24 », « un système

presque idéal du féodalisme25 », en imaginant une terre coupée de l’Occident, dans laquelle la féodalité aurait donc pu se développer en vase clos, comme dans une boîte de pétri. Même après que de telles vues ont peu à peu été amendées ou contredites, la plupart des grandes sommes sur l’histoire de l’Orient latin, de René Grousset à Joshua Prawer en passant par Claude Cahen ou Jean Richard, livrent en effet, lorsqu’il s’agit de décrire les institutions politiques des différents États latins, une vision figée dans le temps, largement dérivée des Assises de Jérusalem, ces grands textes rédigés dans la seconde moitié du XIIIe siècle. Cela revient à plaquer sur le XIIe siècle une vision postérieure, cachant la complexité des jeux de

Universitaires du Mirail, 2014 et surtout de Paulin ISMARD, La Démocratie contre les experts. Les esclaves

publics en Grèce ancienne, Paris, Éditions du Seuil, 2015.

22 Pour reprendre le titre de Dominique BARTHELEMY, L’Ordre seigneurial, Paris, Éditions du Seuil, 1991. 23 Voir Dominique BARTHELEMY, « La Renaissance du XIIe siècle n’aura pas lieu », Bibliothèque de l’école des

chartes, 1996, tome 154, livraison 2, p. 607-624 ; idem, « La Mutation de l’an 1100 », Journal des savants,

2005, no 1, p. 3-28.

24 Emmanuel G. REY, Les Colonies franques de Syrie aux XIIe et XIIIe siècle, Paris, A. Picard, 1883, p. 1.

25 John J. LA MONTE, Feudal Monarchy in the Latin Kingdom of Jerusalem, 1100 to 1291, Cambridge,

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pouvoir et le dynamisme de ce que l’on ne peut qu’appeler une vie politique, au sens plein du terme. Il ne s’agit pas pour autant, évidemment, de nier l’importance d’un certain nombre de travaux antérieurs. Les ouvrages de Joshua Prawer, de Jonathan Riley-Smith, le livre de Steven Tibble, les articles de Jean Richard, de Hans Mayer et d’Alan Murray sont des références cruciales souvent citées tout au long des pages qui suivent. Tous ces travaux sont les étais de cette recherche, solides, nécessaires, structurants, permettant d’exploiter le minerai tiré de ce gisement.

Actualité de la recherche

Les croisades sont, depuis longtemps, l’un des sujets les plus étudiés par les médiévistes et il ne peut être question ici de ne serait-ce qu’effleurer l’énorme bibliographie qui leur est consacrée26. Je préfère plutôt souligner à quel point le paysage historiographique a évolué entre le moment où j’ai commencé cette thèse et le moment où je la termine, ce qui reflète le nouveau dynamisme d’un champ historiographique alimenté par un grand nombre d’articles et de colloques27. Il serait trop long de citer in extenso tous ces travaux, que l’on

retrouvera dans la bibliographie finale, aussi ne mentionnerai-je ici que les livres parus depuis septembre 2013. En quatre ans, de nombreux ouvrages majeurs sont en effet parus sur le sujet, au premier rang desquels on peut citer celui d’Élisabeth Crouzet-Pavan, consacré à la façon délicate et ambivalente dont se pense et s’établit un pouvoir terrestre sur la Ville sainte28.

L’ouvrage de Guy Perry sur Jean de Brienne vient combler une période peu étudiée29, tandis

que celui de Pierre-Vincent Claverie remet en lumière le rôle majeur joué par le pape Honorius III30, que Thomas Smith devrait également étudier dans un livre à paraître prochainement31. Timo Kirschberger revient quant à lui sur les Latins installés en Orient en

26 Giles CONSTABLE, « The Historiography of the Crusades », in Angeliki E. LAIOU et Roy P. MOTTAHEDEH

(dir.), The Crusades from the Perspective of Byzantium and the Muslim World, Washington D.C., Dumbarton Oaks Research Library and Collection, 2001, p. 1-22.

27 Comme le montre bien Pierre-Vincent CLAVERIE, « Les Nouvelles tendances de l’historiographie de l’Orient

latin (2005-2014) », Le Moyen Âge, 2015, vol. CXXI, n° 3, p. 704-741. On mesurera la différence par rapport Michel BALARD, Nicoara BELDICEANU, Irène BELDICEANU-STEINHERR, Gilbert DAGRON, Alain DUCELLIER,

Michel KAPLAN et Jean RICHARD, « Byzance, l’Orient chrétien et le monde turc », in L’Histoire médiévale en

France. Bilan et perspectives. Actes du XXe congrès de la SHMESP, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 331-361 et

Michel BALARD, « Introduction. Croisades et Orient latin : un bilan des recherches », Cahiers de recherches

médiévales et humanistes, 1996, no 1, p. 7-13, et même par rapport à Abbès ZOUACHE, « Écrire l’histoire des

croisades, aujourd’hui, en Orient et en Occident », in Rania ABDELLATIF, Yassir BENHIMA, Daniel KÖNIG, Elisabeth RUCHAUD (dir.), Acteurs des transferts culturels en Méditerranée médiévale, Munich, Oldenbourg, 2012, p. 120-148.

28 Élisabeth CROUZET-PAVAN, Le Mystère des rois de Jérusalem, Paris, Albin Michel, 2013.

29 Guy PERRY, John of Brienne, King of Jerusalem, Emperor of Constantinople (1175-1237), Cambridge,

Cambridge University Press, 2013.

30 Pierre-Vincent CLAVERIE, Honorius III et l’Orient (1216-1227). Étude et publication de sources inédites des

Archives Vaticanes (Asv), Leiden, Brill, 2013.

31 Thomas W. SMITH, Curia and Crusade. Pope Honorius III and the Effort to Recover the Holy Land, Brepols, à

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utilisant le concept d’ethnogenèse pour penser la formation d’une identité commune32. Hans

Mayer continue ses travaux sur les sources en livrant un ouvrage important sur la Cour des Bourgeois et les notaires33. La traduction du livre de Michael Köhler rend accessible son travail très complet sur la diplomatie entre Latins et musulmans34. La thèse de Kevin Lewis sur le comté de Tripoli35 et celle d’Andrew Buck sur la principauté d’Antioche36 ont été publiées il y a tout juste quelques semaines et promettent de renouveler en profondeur notre compréhension de ces États latins souvent peu connus. Signalons enfin la soutenance il y a quelques semaines de la thèse de Mathieu Rajohnson, qui s’attache à l’image de Jérusalem en Occident après sa reprise par Salāh ad-Dīn37.

Au niveau des sources, Leonora Neville a proposé une biographie d’Anne Comnène qui permet de mieux comprendre son Alexiade38. De même, Philip Handyside a publié sa

thèse sur les traductions françaises de Guillaume de Tyr, s’attaquant en particulier à défricher la complexe tradition manuscrite de ce texte39. L’édition critique de la Chanson des Chétifs, la seule chanson de geste rédigée en Orient latin, vient compléter notre connaissance du cycle de la croisade40. La mise en ligne à l’automne 2016 du site internet Revised Regesta Regni

Hierosolymitani Database, qui vise à l’exhaustivité, rend les chartes de l’Orient latin

beaucoup plus accessibles, même s’il nécessite encore un énorme travail avant d’être véritablement fonctionnel. La publication toute récente des actes du colloque tenu à Orléans en mai 2015 sur les Assises de Jérusalem rappelle l’importance de ces textes41. On attend

enfin un ouvrage de Benjamin Kedar, annoncé depuis quelques années, sur la vie culturelle et intellectuelle de l’Orient latin.

Le monde musulman médiéval est lui aussi bien travaillé, avec notamment les ouvrages de Julien Loiseau sur l’Égypte mamelouk42, de Christophe Picard sur la

32 Timo KIRSCHBERGER, Erster Kreuzzug und Ethnogenese. In novam formam commutatus – Ethnogenetische

Prozesse im Fürstentum Antiochia und im Königreich Jerusalem, Göttingen, Niedersachs V&R Unipress, 2015

33 Hans E. MAYER, Von der Cour des Bourgeois zum öffentlichen Notariat Die freiwillige Gerichtsbarkeit in den

Kreuzfahrerstaaten, Wiesbaden, Harrossowitz Verlag, 2016.

34 Michael A. KÖHLER, Alliances and Treaties between Frankish and Muslim Rulers in the Middle East:

Cross-cultural Diplomacy in the Period of the Crusades, Leiden, Brill, 2013.

35 Kevin James LEWIS, Sons of Saint-Gilles: the Counts of Tripoli and Lebanon in the Twelfth Century, Londres,

Routledge, 2017.

36 Andrew D. BUCK, Principality of Antioch and Its Frontiers in the Twelfth Century, Rochester, Boydell Press,

2017.

37 Mathieu RAJOHNSON, L’Occident au regret de Jérusalem. L’image de la Ville sainte en chrétienté latine

(1187-fin du XIVe siècle), op. cit.

38 Leonora NEVILLE, Anna Komnene. The Life and Work of a Medieval Historian, New York, Oxford University

Press, 2016.

39 Philip HANDYSIDE, The Old French William of Tyre, Leiden, Brill, 2015.

40 Carol SWEETENHAM, The Chanson des Chétifs and Chanson de Jérusalem: completing the Central Trilogy of

the Old French Crusade Cycle, Farnham, Ashgate, 2016.

41 Jérôme DEVARD et Bernard RIBEMONT (dir.), Autour des Assises de Jérusalem, à paraître.

42 Julien LOISEAU, Les Mamelouks, XIIIe-XVe siècle. Une expérience du pouvoir dans l’Islam médiéval, Paris,

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