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Propos introductifs

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Propos introductifs

« [L’Union européenne] repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre »2.

« En dépit des efforts répétés qu’elle a déployés depuis près de deux ans afin d’engager un dialogue constructif avec les autorités polonaises dans le contexte du cadre pour l'état de droit, la Commission a conclu aujourd’hui à l’existence d'un risque clair de violation grave de l’état de droit en Pologne […]. À la suite des réformes judiciaires menées en Pologne, l'appareil judiciaire du pays est à présent sous le contrôle politique de la majorité au pouvoir »3.

1. Tenus à quelques années d’intervalle par deux institutions emblématiques de l’Union européenne – la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « Cour de justice ») et la Commission européenne (ci-après « Commission ») –, ces deux propos témoignent d’une tension insoluble. Alors que la première de ces institutions met au cœur de son narratif relatif à la construction européenne une communauté de valeurs partagées par les États membres et une confiance mutuelle qui, prétendument, en découle, la seconde constate l’existence « d’un risque clair de violation grave » d’une de ces valeurs par un des États membres.

2. Le constat ainsi établi par la Commission n’est, au demeurant, pas isolé. En effet, nul ne l’ignore : l’Union européenne est désormais en proie à une crise des valeurs. Révélée par un enchaînement d’enjeux majeurs auxquels les États membres et l’Union européenne sont actuellement confrontés tels que la crise économique ou migratoire, le défi sécuritaire soulevé par la vague d’attentats en Europe ou encore la montée du populisme dans plusieurs États membres4, cette crise se manifeste par des remises en cause de plus en plus fréquentes des valeurs sur lesquelles la construction européenne est, selon le discours des institutions, fondée5. En particulier, deux États – la Hongrie et la Pologne – font face à ce qui peut être qualifié de « constitutional backsliding »6. Ce phénomène est attesté par l’objectif affiché des gouvernements en place qui consiste à établir, dans ces États, des autocraties électoralistes7. En

2 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 168.

3 Communiqué de presse de la Commission européenne du 20 décembre 2017, « État de droit : la Commission

européenne prend des mesures pour défendre l’indépendance de la justice en Pologne », disponible ici :

https://europa.eu/rapid/press-release_IP-17-5367_fr.htm (consulté le 28 octobre 2019).

4 Voy., notamment, W. SADURSKI, Poland’s constitutional breakdown, Oxford, Oxford University Press, 2019 ;

L. PECH et K.L. SCHEPPELE, « Illiberalism Within: Rule of Law Backsliding in the EU », Cambridge Yearbook of

European Legal Studies, 2017, pp. 3-47 et P. BLOKKER, « Populism as a constitutional project », International

Journal of Constitutional Law, 2019, pp. 536-553.

5 Selon l’article 2 du TUE, « l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de

démocratie, d'égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».

6 Cette expression est empruntée à J.-W. MÜLLER, « Should the EU Protect Democracy and the Rule of Law inside

Member States? », European Law Journal, 2015, pp. 141-160.

7 Voy., sur ce processus, notamment, L. PECH et K.L. SCHEPPELE, « Illiberalism Within », op. cit., pp. 3-47;

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cherchant à fragiliser, de manière systémique, les limites encadrant le pouvoir exécutif et à asseoir à long terme le pouvoir du parti politique actuellement dominant8, ces gouvernements se comportent ouvertement comme de véritables ennemis de la démocratie libérale. Hors les cas extrêmes de la Hongrie et de la Pologne, la crise des valeurs trouve également des manifestations, à moindre échelle, dans un nombre croissant d’États membres.

3. Pourtant, la sémantique de la confiance mutuelle entre les États membres n’a jamais été aussi présente dans les discours officiels de l’Union européenne, au point d’ailleurs d’être qualifiée de « buzzword »9 par certains observateurs. Depuis le 20 décembre 2017 – date à laquelle la Commission a proposé au Conseil d’adopter une décision constatant l’existence d’un risque clair de violation grave de l’état de droit en Pologne – on recense pas moins de trente arrêts de la Cour de justice qui font référence au principe de confiance mutuelle et à la communauté de valeurs sur lequel il repose.

4. C’est ce paradoxe qui est à l’origine de la présente étude.

5. On peine, en effet, à ne pas conclure que cette situation détériore – légitimement d’ailleurs – le climat de confiance entre les États membres. À l’image de l’adage selon lequel « on ne parle jamais autant d’eau que dans le désert », doit-on voir dans la montée en puissance de la confiance mutuelle un « excès de vocabulaire »10 symptomatique du climat de méfiance entre les États membres ? Cette interrogation, suscitée par le contexte politique qui trahit des divisions fondamentales entre États membres quant au sens de l’intégration européenne et des valeurs qui la fondent, révèle l’urgence d’une réflexion approfondie relative à la confiance que ces derniers sont supposés se témoigner ainsi qu’aux conséquences juridiques qui y sont attachées dans les différents domaines du droit de l’Union.

6. Les présents propos introductifs entendent contextualiser la présente étude (I), en formuler les hypothèses et thèse principales (II) et apportent les précisions méthodologiques qui s’imposent (III).

I. Une brève mise en contexte de la présente étude

7. Absent des traités fondateurs de l’Union européenne, le principe de confiance mutuelle a été, pour la première fois, invoqué dans la jurisprudence de la Cour de justice à l’aube des années septante, afin de mettre un terme au dédoublement des contrôles sanitaires nationaux de produits circulant dans le marché intérieur11. Il a par la suite été sollicité de fmanière explicite à propos de la coopération européenne judiciaire civile et pénale, ainsi que dans le domaine de la politique commune d’asile. Ce n’est toutefois que depuis les années 2000 qu’il connaît un

comment éviter l’activation de l’Article 7 », in E. BRIBOSIA et al. (dir.), L’Europe au kaléidoscope - Liber

amicorum Marianne Dony, Bruxelles, Editions de Université libre de Bruxelles, 2019, pp. 131-151.

8L. PECH et K.L. SCHEPPELE, « Illiberalism Within: Rule of Law Backsliding in the EU », op. cit., p. 8.

9 N. CAMBIEN, « Mutual Recognition and Mutual Trust in the Internal Market », European Papers, 2017, p. 97. 10 H. LABAYLE, « Droit d’asile et confiance mutuelle : regard critique sur la jurisprudence européenne », Cahiers

droit européen, 2014, p. 501.

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véritable avènement dans le discours juridique des institutions de l’Union12. En témoigne

l’éditorial daté de 2006 de la prestigieuse revue European Constitutional Law Review consacré à la confiance mutuelle, où il est affirmé sans ambages que : « [m]utual trust lies at the heart

of the European Union »13.

8. Il est indéniable que la confiance est un élément indispensable pour toute action commune entre plusieurs partenaires14. Traduit en principe juridique de l’Union européenne, la confiance semble constituer un instrument d’intégration séduisant : parce que les États membres doivent se faire confiance en raison de leur appartenance commune à l’Union européenne, ils doivent pouvoir coopérer de manière approfondie malgré les disparités substantielles et procédurales de leurs systèmes juridiques. Ainsi, les États membres ont, dans certaines circonstances, tantôt la faculté, tantôt l’obligation, d’accorder leur confiance dans des autorisations de mise sur le marché de produits accordées par d’autres États membres, dans des jugements rendus en matière civile et pénale par des autorités judiciaires étrangères ou encore dans la manière dont sont pris en charge les demandeurs d’asile dans les autres pays de l’Union. Les frontières juridiques dans l’espace européen sont par là atténuées, voire fictivement « supprimées ». De ce fait, le principe de confiance mutuelle participe, pour reprendre les termes de la Cour de justice, à la « raison d’être » de l’Union : la constitution d’un espace sans frontières15.

9. Cette « admissibilité réciproque » de la façon dont les États membres administrent le droit de l’Union ainsi que leur droit national se justifie – à tout le moins selon le discours juridique européen – par le socle de valeurs communes, énoncées à l’article 2 du TUE, qu’ils sont supposés partager. Étant donné que les États membres adhèrent aux mêmes valeurs, il y a lieu de « croire » en l’adéquation des solutions se dégageant dans leurs ordres juridiques respectifs. Le principe de confiance mutuelle apparaît ainsi constituer une traduction juridique l’« in varietate concordia »16, cher au projet européen, dans l’aménagement des relations interétatiques au sein de l’Union européenne.

10. Sans surprise, la littérature scientifique s’est déjà penchée avec attention sur ce principe du droit de l’Union. Peuvent ainsi être dénombrées plusieurs études approfondies, doctorales pour certaines, relatives au principe de confiance mutuelle en droit pénal européen17, en droit

12 N. CAMBIEN, « Mutual Recognition and Mutual Trust in the Internal Market », op. cit., pp. 93 – 115 et M.

WELLER, « Mutual trust within judicial cooperation in civil matters: a normative cornerstone – a factual chimera – a constitutional challenge », NIPR, 2017, p. 6.

13 « Editorial: Mutual trust », European Constitutional Law Review, 2006, pp. 1-3.

14 L. FRIEDEN, « Introduction », in G. DE KERCHOVE et A. WEYEMBERGH (dir.), La confiance mutuelle dans

l’espace pénal européen, Bruxelles, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2005, pp. 13-14.

15 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 192.

16 Il s’agit de la devise de l’Union européenne, que l’on peut traduire par la locution « unis dans la diversité ».

Initialement insérée dans le texte du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe (article I-8), elle est désormais évoquée dans la déclaration n°52 incorporée au traité de Lisbonne adoptée par seize des vingt-sept États membres.

17 Voy., notamment, A. WILLEMS, Mutual trust as a core principle of EU criminal law. Conceptualising the

principle with a view to facilitate mutual recognition in criminal justice matters, Bruxelles, thèse défendue à l'ULB

et à la VUB, 2017 ; D. GERARD, Managing diversity in the European Union: Cooperation, Convergence and

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européen de l’asile18 ou encore traitant de principes connexes, tels les principes de

reconnaissance mutuelle19, de solidarité20 et de coopération loyale21. S’ajoutent à celles-ci de nombreux articles de doctrine qui, pour la plupart22, traitent de la tension entre l’application du principe de confiance mutuelle et la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne23.

11. Pourquoi, dès lors, s’intéresser à ce thème dans la perspective de conduire une étude originale et susceptible d’intéresser la communauté juridique ? Le point de départ de notre

confiance mutuelle dans l’espace pénal européen/Mutual Trust in the European Criminal Area, Etudes

européennes, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2005.

18 L. LEBOEUF, Le droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthémis, 2016 et H. BATTJES

et al., The principle of mutual trust in European asylum, migration and criminal law: Reconciling trust and fundamental rights, Utrecht, Forum, 2011.

19 L. KLIMEK, Mutual Recognition of Judicial Decisions in European Criminal Law, Cham, Springer, 2017;

W. VAN BALLEGOOIJ, The nature of Mutual Recognition in European Law: Re-examining the notion from an

individual rights perspective with a view to its further development in the criminal justice area, Cambridge,

Intersentia, 2015 et C. JANSSENS, The Principle of Mutual Recognition in EU Law, Oxford, Oxford University

Press, 2013.

20Voy., notamment, R. COMAN, A. WEYEMBERGH et L. FROMONT (dir.), Les solidarités européennes. Entre enjeux,

tensions et reconfigurations, Bruxelles, Larcier, 2019 et A. GRIMMEL et S. GIANG, Solidarity in the European

Union A Fundamental Value in Crisis., Cham, Springer Verlag, 2017.

21 M. KLAMERT, The principle of Loyalty in EU Law, Oxford, Oxford University Press, 2014.

2222 Voy., cependant, M. SCHWARZ, « Let’s talk about trust, baby! Theorizing trust and mutual recognition in the

EU’s area of freedom, security and justice », European Law Journal, 2018, pp. 124-141; P. CRAMÉR, « Reflections

on the Roles of Mutual Trust in EU Law », in M. DOUGAN et S. CURRIE (dir.), 50 years of the European treaties:

looking back and thinking forward, Essays in European law, Oxford, Hart Publishing, 2009, pp. 43-62; N.

CAMBIEN, « Mutual Recognition and Mutual Trust in the Internal Market », op. cit., pp. 93 – 115; X. GROUSSOT,

G. PETURSSON et H. WENANDER, « Regulatory Trust in EU Free Movement Law: Adopting the Level of Protection of the Other? », European Papers, 2016, pp. 865-892 ; D. GÉRARD, « Mutual Trust as Constitutionalism? », in

Mapping Mutual Trust: Understanding and Framing the Role of Mutual Trust in EU Law, Florence, MWP

Working Papers, 2016, pp. 69 -79 ; T. WISCHMEYER, « Generating Trust Through Law? – Judicial Cooperation in the European Union and the “Principle of Mutual Trust” », German Law Journal, 2016, pp. 339-382. ; M. FARTUNOVA, « La coopération loyale vue sous le prisme de la reconnaissance mutuelle : quelques réflexions sur

les fondements de la construction européenne », Cahiers droit européen, 2016, pp. 193-220 et G. MAJONE,

« Mutual Trust, Credible Commitments and the Evolution of Rules for a Single European Market », EUI Working

Papers, 1995, pp. 1-33.

23 Voy., entre autres, E. XANTHOPOULOU, « Mutual Trust and Rights in EU Criminal and Asylum Law: Three

Phases of Evolution and the Uncharted Territory beyond Blind Trust », Common Market Law Review, 2018, pp. 489-510; K. LENAERTS, « La vie après l’avis: Exploring the principle of mutual (yet not blind) trust », Common

Market Law Review, 2017, pp. 805-840; E. BRIBOSIA et A. WEYEMBERGH, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux : “back to the future” », Cahiers droit européen, 2016, pp. 469-522; M. FARTUNOVA-MICHEL et C.

MARZO, « La notion de reconnaissance mutuelle : entre confiance et équivalence », in M. FARTUNOVA-MICHEL et

C. MARZO (dir.), Les dimensions de la reconnaissance mutuelle en droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2017 ; D. SPIELMANN, « L’étendue du contrôle du respect des droits fondamentaux à l’aune de l’expérience judiciaire comparée », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2017, pp. 897-952. S. NEVEU,

« Reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux : quelles limites à la coopération judiciaire pénale ? », Revue

trimestrielle des droits de l’homme, 2016, pp. 119-160; N. VERBRUGGHE, « The Role of the Mutual Trust Principle in the Dublin System », in A. HOC, S. WATTIER et G. WILLEMS (dir.), Human Rights as a Basis for Reevaluating

and Reconstructing the Law, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 475-486; E. DUBOUT, « Une question de confiance : nature juridique de l’Union européenne et adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme », Cahiers

de droit européen, 2015, pp. 73-113 ; H. LABAYLE, « Droit d’asile et confiance mutuelle : regard critique sur la

jurisprudence européenne », op. cit., pp. 501-535 ; F. MARCHADIER, « La suppression de l’exequatur affaiblit-elle la protection des droits fondamentaux dans l’espace judiciaire européen ? », Journal européen des droits de

l’homme, 2013, pp. 348-381 et F. TULKENS et O. DE SCHUTTER, « Confiance mutuelle et droits de l’homme. La

Convention européenne des droits de l’homme et la transformation de l’intégration européenne », in Mélanges en

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réflexion s’enracine dans l’avis 2/13 de la Cour de justice rendu le 18 décembre 201424 qui offre

à ce principe, déjà bien ancré en droit de l’Union, une vigueur renouvelée, et ce – nous l’avons déjà souligné – en dépit du climat de méfiance général qui semble aujourd’hui animer les États membres au sein et à l’égard de l’Union européenne.

12. Abondamment commenté25, cet avis porte sur la compatibilité avec le droit de l’Union du projet d’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme. En discussion depuis les années 1970, l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme avait déjà fait l’objet d’une tentative avortée dans les années 1990. Dans son avis 2/94 rendu en 199626, la Cour de justice avait considéré qu’il n’existait pas de base légale pour réaliser une telle opération juridique. Le traité de Lisbonne pallia cette lacune27, en insérant l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union

européenne (ci-après « TUE ») en vertu duquel « l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ». Il fit ainsi de l’adhésion une obligation28, dont la mise en œuvre a été enclenchée en 2010 par des négociations entre le Conseil de l’Europe et la Commission29. Après quatre ans de discussions, un projet d’accord a

été scellé et présenté à la Cour de justice afin d’obtenir un avis sur la compatibilité de celui-ci avec les traités30. Rendu par la Cour de justice réunie en assemblée plénière, l’avis a répondu à cette question par la négative.

13. Bien qu’il se soit attiré les critiques de nombreux observateurs pour avoir entravé le processus d’adhésion31, l’avis 2/13 n’en constitue pas moins l’une des décisions les plus

emblématiques de la jurisprudence européenne post-années 2000. La Cour de justice y entreprend en effet une longue exégèse de nombreuses dispositions du droit de l’Union, dévoilant ainsi sa vision de la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne, des relations entre la « petite » et la « grande » Europe et, plus fondamentalement, de la construction européenne elle-même. L’avis 2/13 contribue ainsi à en définir les contours constitutionnels32

24 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 192.

25 Voy., notamment, B. DE WITTE et S. IMAMOVIC, « Opinion 2/13 on accession to the ECHR : defending the EU

legal order against a Foreign Human Rights Court », European Law Review, 2015, pp. 683-705; P. EECKOUT,

« Opinion 2/13 on EU Accession to the ECHR and Judicial Dialogue: Autonomy or Autarky », Fordham Int’l L.J., 2015, pp. 955-992; J.P. JACQUÉ, « Pride and/or prejudice ? Les lectures possibles de l’avis 2/13 de la Cour de

justice », Cahiers de droit européen, 2015, pp. 19-46 et H. LABAYLE et F. SUDRE, « L’avis 2/13 de la Cour de

justice sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme : pavane pour une adhésion défunte ? », Revue Française de droit administratif, 2015, pp. 3-20.

26 CJUE, avis 2/94 du 26 mars 1996, ECLI:EU:C:1996:140.

27 M. LOPEZ-ESCUDERO, « Contrôle externe et confiance mutuelle : deux éléments clés du raisonnement de la Cour

de justice dans l’avis 2/13 », Revue des affaires européennes, 2015, pp. 93-107.

28 Art. 6, paragraphe 2, du TUE.

29M. LOPEZ-ESCUDERO, « Contrôle externe et confiance mutuelle : deux éléments clés du raisonnement de la Cour

de justice dans l’avis 2/13 », op. cit., p. 93.

30 La procédure d’avis est prévue à l’article 218, paragraphe 11, du TFUE.

31 Voy., notamment, B.H. PIRKER et S. REITEMEYER, « Between Discursive and Exclusive Autonomy – Opinion

2/13, the Protection of Fundamental Rights and the Autonomy of EU Law », Cambridge Yearbook of European

Legal Studies, 2015, pp. 168-188. Contra: D. HALBERSTAM, « “It’s the Autonomy, Stupid!” A Modest Defense of

Opinion 2/13 on EU Accession to the ECHR, and the Way Forward », German Law Journal, 2015, pp. 105-146.

32 J.-P. JACQUE, « Que faire après le non à l’adhésion? », Blog Droit de l’Union européenne, 2017. Si l’on peut

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au cœur desquels il place le principe de confiance mutuelle. Il décrit, en effet, le principe de confiance mutuelle comme étant un principe d’« importance fondamentale »33 découlant des « caractéristiques spécifiques » et de l’autonomie du droit de l’Union34. Selon la formule de la Cour déjà évoquée, celui-ci participe à la « raison d’être de l’Union »35 en ce qu’il rend possible la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures36. En effet, il impose « notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit »37.

14. Or, selon la Cour, le projet d’accord d’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme est, entre autres, susceptible de mettre à mal le principe de confiance mutuelle et, dès lors, les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union. Elle estime en effet que « [d]ans la mesure où la [Convention européenne des droits de l’homme], en imposant de considérer l’Union et les États membres comme des Parties contractantes non seulement dans leurs relations avec celles qui ne sont pas des États membres de l’Union, mais également dans leurs relations réciproques, y compris lorsque ces relations sont régies par le droit de l’Union, exigerait d’un État membre la vérification du respect des droits fondamentaux par un autre État membre, alors même que le droit de l’Union impose la confiance mutuelle entre ces États membres, l’adhésion est susceptible de compromettre l’équilibre sur lequel l’Union est fondée ainsi que l’autonomie du droit de l’Union »38.

15. En parallèle à ce discours de type intégrationniste, l’avis 2/13 contribue également à nourrir ce qu’A. Bailleux a judicieusement qualifié de « récit des valeurs »39. Ce récit constitue une mise en mots de la représentation que se fait la Cour de justice d’un « imaginaire commun » selon lequel l’Union européenne repose sur une communauté de valeurs, partagée par l’ensemble des États membres. Prenant appui sur l’article 2 du TUE, en vertu duquel « [l]’Union

particulier depuis l’échec du traité constitutionnel, nous considérons, avec J. Verhoeven, qu’il n’est pas pour autant inexact ou inadéquat d’utiliser l’adjectif « constitutionnel » pour faire référence aux instruments qui instituent l’Union européenne (J. VERHOEVEN, « A propos des compétences “constitutionnelles” de l’union », Droits, 2007,

vol. 45, n° 1, pp. 89-108.89). En effet, d’un point de vue formel, la procédure de révision des traités est plus contraignante que celle des normes de droit dérivé (art. 48 TUE). D’un point de vue matériel, le droit primaire de l’Union comprend des règles ayant pour objet « primo, l’organisation, le fonctionnement et les compétences des organes supérieurs », « secundo, le système des sources en vigueur », « tertio, les droits fondamentaux des individus et des groupes », « quarto, les buts assignés à l’activité des pouvoirs publics compétents » (A. BAILLEUX

et H. DUMONT, Le pacte constitutionnel européen : Fondements du droit institutionnel de l’Union, Bruxelles,

Bruylant, 2015. , p. 162). Cette controverse n’a par ailleurs pas en tant que tel d’incidence sur notre propos dans la mesure où celui-ci s’attèle simplement à démontrer que le principe de confiance mutuelle se voit revêtir une importance particulière au sein de l’ordre juridique de l’Union. Voy., pour l’adoption d’une démarche similaire en relation avec les droits fondamentaux, A. BAILLEUX, Les interactions entre libre circulation et droits

fondamentaux dans la jurisprudence communautaire: essai sur la figure du juge traducteur, Bruxelles, Presses de

l'Université Saint-Louis - Bruxelles, 2009, p. 23 ; voy. également, M.L. FERNANDEZ ESTEBAN, The rule of law in

the European Constitution, La Haye, Kluwer Law International, 1999. pp. 7 et s.

33 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 191. 34 Ibid., point 258.

35 Ibid., point 172. 36 Ibid., point 191. 37 Ibid., point 191. 38 Ibid., point 194.

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est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes », la Cour de justice fait, en effet, de l’existence d’une communauté de valeurs unissant les États membres un axiome de la construction européenne40. Comme le souligne E. Bernard, le récit judiciaire des valeurs fait valoir « non seulement que les valeurs sont l’essence, les fondations de l’édifice juridique que constitue l’Union, mais également que ces valeurs sont partagées, communes à tous les États membres et reconnues comme telles par chacun d’eux »41. C’est précisément cette « prémisse » qui, aux yeux de la Cour de justice, « implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre »42.

16. Comme nous l’avons souligné, l’étude que l’on se propose de mener trouve son origine dans ces affirmations et, en particulier, dans la formulation de « l’importance fondamentale » que revêt le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union, de son rôle, apparemment transversal, de moteur de l’intégration européenne et de la relation étroite qu’il entretient avec le socle de valeurs communes sur lequel est fondée l’Union43.

17. Avertis et instruits des études sectorielles relatives au principe de confiance mutuelle auxquelles nous faisions ci-avant référence, il nous semble désormais utile de questionner ces

dicta de manière plus générale44. Force est en effet de constater que si l’expression « confiance mutuelle » connaît un succès grandissant dans le langage juridique de l’Union, cette notion demeure en manque criant de conceptualisation. De ce constat découle une question simple dont la résolution apparaît pourtant résolument complexe : qu’est-ce que le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union dont l’importance ne cesse d’être soulignée ? Telle est l’interrogation initiale qui meut notre recherche. La nébuleuse qui entoure, encore à l’heure actuelle, ce principe nous persuade de la pertinence de se lancer dans un travail critique de déconstruction et de systématisation dans le contexte d’une thèse de doctorat.

40 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 168.

41 E. BERNARD, « L’Europe des valeurs communes : un récit judiciaire », in F. PICOD et C. BLUMANN (dir.),

Annuaire de droit de l’Union européenne: 2017, 2019, p. 3.

42 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 168.

43 Notons que déjà quelques années auparavant, la Cour de justice avait souligné que le principe de confiance

mutuelle participait à la « raison d’être » de l’Union européenne, voy. CJUE, arrêt du 21 décembre 2010, N.S., aff. jointes C-411/10 et C-493/10, ECLI:EU:C:2011:865, point 83.

44 Voy., pour un exercice semblable adoptant une approche transversale, E. BROUWER et D. GÉRARD, Mapping

mutual trust : understanding and framing the role of mutual trust in EU law, Florence, MWP Working Papers,

2016. Pour ce qui concerne les valeurs fondatrices de l’Union, plusieurs études ont également déjà été conduites, sans toutefois se concentrer sur le lien entre celles-ci et le principe de confiance mutuelle. Voy., notamment, A. JAKAB et D. KOCHENOV (dir.), The enforcement of EU law and values: ensuring member states’ compliance, Oxford, Oxford University Press, 2017; S. LABAYLE, Les valeurs de l’Union européenne, Laval, Université de

Laval et Aix-Marseille Université, 2016; A. BAILLEUX et H. DUMONT, Le pacte constitutionnel européen :

Fondements du droit institutionnel de l’Union, op. cit. et L. POTVIN-SOLIS (dir.), Les valeurs communes dans

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18. Dans ce cadre, nous nous proposons de mener cette étude relative au principe de confiance mutuelle en nous mouvant vers deux horizons.

19. Le premier nous fera voyager à travers différentes branches du droit de l’Union dans le but de tirer des conclusions qui ne sont pas cantonnées à une matière particulière et d’identifier – si elles existent – les fonctions transversales du principe étudié. Le principe de confiance mutuelle se trouve, en effet, « au carrefour des espaces délimités par le marché intérieur et par l’espace de liberté, de sécurité et de justice »45. Selon l’avis 2/13 précité, il impose, sauf circonstances exceptionnelles, aux États membres de présumer qu’ils respectent, de manière générale, « le droit de l’Union »46. L’étudier au travers de ces différents domaines nous semble donc pertinent afin de contribuer utilement à la compréhension de son fonctionnement. 20. Le second nous amènera à nous interroger sur le rapport que le principe de confiance mutuelle entretient avec les valeurs fondatrices de l’Union. Présentée comme étant le socle de la confiance mutuelle, la communauté de valeurs unissant les États membres entretient, dans la plupart des domaines où il est d’application, une relation d’une acuité particulière avec le principe étudié. Son analyse fera dès lors partie intégrante de notre étude afin d’examiner la cohérence et la systématicité de l’ordre juridique de l’Union dans la poursuite de ses objectifs d’intégration et de sauvegarde de ses valeurs fondatrices.

II. Le plan de l’étude, les hypothèses et la thèse

21. Deux hypothèses et une thèse structureront cette étude en trois parties.

22. Définition. Qu’est-ce le principe de confiance mutuelle entre États membres ? Simple

dans sa formulation, cette question suscite pourtant de nombreuses difficultés lorsque l’on tente d’y répondre. En effet, alors que le principe de confiance mutuelle est qualifié par la Cour de justice de principe « d’importance fondamentale en droit de l’Union »47, sa portée demeure floue compte tenu de l’absence de théorisation générale le concernant48. La première partie de cette étude a dès lors pour objectif de sortir, autant que faire se peut, ce principe du flou juridique qui le caractérise à l’heure actuelle. À l’entame de celle-ci, le premier chapitre « débroussaille » le terrain. Il opère une déconstruction fouillée et systématique du principe de confiance mutuelle tel qu’il est sollicité par les institutions de l’Union et, en particulier, la Cour de justice. Sont dans ce cadre analysées les implications juridiques découlant du principe de confiance mutuelle dans les différentes branches du droit de l’Union où il trouve à s’appliquer. Principalement descriptive, cette opération sera suivie dans un deuxième temps d’une tentative de reconstruction proposant une définition, de lege lata, du principe de confiance mutuelle, en complément de l’entreprise de déconstruction qui la précède. L’hypothèse qui est vérifiée au

45 M. FARTUNOVA-MICHEL et C. MARZO, « La notion de reconnaissance mutuelle : entre confiance et

équivalence », op. cit. p.14.

46 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 191. 47 CJUE, avis 2/13 du 18 décembre 2014, ECLI:EU:C:2014:2454, point 191.

48 En ce sens, E. BRIBOSIA et A. WEYEMBERGH, « Confiance mutuelle et droits fondamentaux : “back to the

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terme de cette partie suggère que le principe de confiance mutuelle impose une présomption ambivalente et d’intensité variable de compatibilité des solutions juridiques nationales (Partie I).

23. Fondements et limites. Le second temps de réflexion se concentre sur le lien

apparemment consubstantiel qui unit le principe de confiance mutuelle et la prémisse selon laquelle les États membres partagent des valeurs communes, énumérées à l’article 2 du TUE. Est notamment mise en évidence l’ambivalence des rapports entre les objectifs d’intégration et de protection des valeurs fondatrices dans l’Union, allant de concurrence à interdépendance. Cette partie dévoile par ailleurs les incohérences qui caractérisent les discours relatifs à la confiance mutuelle et à la communauté de valeurs, résultant notamment de l’existence d’une crise des valeurs à laquelle nous avons fait écho ci-avant. Il vérifie l’hypothèse selon laquelle la communauté de valeurs constitue, à l’heure actuelle, un fondement incertain et une limite imparfaite du principe de confiance mutuelle (Partie II).

24. Du postulat à la méthode. La troisième partie de ce travail s’articule autour de la thèse

selon laquelle le principe de confiance mutuelle est un principe essentiel de l’intégration européenne, mais dont le fonctionnement gagnerait à être révisé. Ce principe se situe, en effet, à la croisée des impératifs d’unité, de diversité et d’égalité qui sont au cœur de la construction européenne. Il est démontré, notamment à l’aune d’enseignements tirés du droit public et du droit international public, que le principe de confiance mutuelle est un principe de gouvernance indispensable qui permet le décloisonnement des ordres juridiques nationaux sans opérer une uniformisation complète des systèmes juridiques nationaux et, a fortiori, sans faire disparaître les structures étatiques en son sein. Néanmoins, afin de protéger les valeurs qui le fondent, le fonctionnement de ce principe gagnerait à être repensé. Le principe de confiance mutuelle induit en effet des risques exposant, plus ou moins selon les cas, ces valeurs. Or, c’est en faisant passer la confiance mutuelle du rang de postulat à celui de méthode que peuvent, à nos yeux, être valablement conjuguées les finalités d’intégration et de protection des valeurs communes auxquels prétend l’Union européenne. Notre travail se clôture donc sur un terrain prescriptif, en proposant une méthode d’application davantage raisonnée du principe de confiance mutuelle où les risques exposant les valeurs fondatrices sont assumés et encadrés (Partie III).

III. Quelques considérations méthodologiques

25. Après avoir précisé le terrain de l’étude et ses limites (§1), nous dirons quelques mots sur la méthode (§2) et le positionnement épistémologique qui la sous-tendent (§3). Des précisions terminologiques et légistiques seront enfin dressées afin de garantir la clarté de l’exposé (§4).

§1. Le terrain de l’étude et ses limites

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membres. Cette étude n’a donc pas vocation à se pencher sur la confiance qui pourrait éventuellement animer les relations verticales entre l’Union et les États membres, pas plus que celle qui lierait les citoyens et l’Union.

27. Les domaines recouverts par le principe de confiance mutuelle ainsi visés comprennent tant le droit du marché intérieur que celui de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Si les différentes matières qui sont sollicitées se distinguent par leur histoire, leur objet et leur nature, il nous semble néanmoins indispensable de n’en écarter aucune a priori afin de pouvoir tirer les conclusions générales relatives au principe de confiance mutuelle auxquelles cette étude prétend.

28. Le champ d’investigation de notre recherche apparaît comme étant particulièrement large. Il n’est toutefois pas question de procéder à une étude exhaustive et approfondie du rôle du principe de confiance mutuelle dans l’ensemble des instruments, ut singuli, des domaines ci-avant évoqués : la conduite d’une telle entreprise s’avérerait en bien des points redondante vu les travaux sectoriels approfondis déjà existants et, au demeurant, irréalisable dans le délai qui nous est imparti. Des choix ont donc dû être opérés.

29. Nous proposons de mener un itinéraire inductif qui prend principalement ancrage sur la jurisprudence de la Cour de justice. Il s’agira ainsi d’enraciner notre recherche dans une étude systématique, pré-conceptuelle, du discours49 de la Cour de justice de l’Union européenne qui sollicite le principe de confiance mutuelle50.

Plusieurs considérations ont justifié ce choix.

Premièrement, il part du constat que le principe de confiance mutuelle a, à l’origine, été mis en avant par cette institution51, abstraction faite de quelques allusions éparses et peu nombreuses dans les travaux préparatoires d’instruments juridiques communautaires. Il nous apparaît dès lors pertinent de s’interroger sur la portée que lui assigne l’organe qui l’a formellement institué.

49 Certains auteurs qualifient ce discours de « narrative of mutual confidence of trust into the jurisprudence of the

European Court of Justice », voy. M. WELLER, « Mutual trust within judicial cooperation in civil matters: a

normative cornerstone – a factual chimera – a constitutional challenge », op. cit., p. 6.

50 Pour un exemple de thèse de doctorat adoptant une démarche similaire dans le cadre de l’examen du principe

de sécurité juridique, voy., J. VAN MEERBEECK, De la certitude à la confiance: le prinicpe de sécurité juridique

dans la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, Limal, Anthémis, 2014.

51 Notons, qu’au départ, le vocable « confiance mutuelle » fut mobilisé par la Cour de justice afin de qualifier la

qualité que devrait revêtir les relations nouées entre institutions de l’Union et leurs agents (voy. CJUE, arrêt du 29 octobre 1981, Arning c. Commission, aff. C-125/80, ECLI:EU:C:1981:248 et CJUE arrêt du 28 janvier, 1992,

Speybrouck c. Parlement européen, aff. T-45/90, ECLI:EU:T:1992:7). Cette jurisprudence ne sera toutefois pas

analysée dans la présente étude étant donné qu’elle s’intéresse au devoir de confiance mutuelle entre les États membres et leurs autorités nationales respectives. Pour les mêmes raisons, nous n’analyserons pas les arrêts de la Cour de justice qui concernent les recours en manquement intentés par la Commission à l’encontre d’États membres et qui soulignent qu’une confiance mutuelle doit exister entre les autorités nationales et la Commission dans le cadre de cette procédure (voy., par exemple, CJUE, arrêt du 14 octobre 1999, Bavarian Lager c.

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Deuxièmement, le droit prétorien demeure le milieu de prédilection du principe étudié : hormis certaines allusions dans les préambules d’instruments de droit dérivé52, le droit textuel européen reste, en effet, silencieux à son égard53. Aucune mention n’est explicitement faite au « principe de confiance mutuelle » dans le droit primaire ou dérivé textuel « dur ». Or, comme le souligne C. Thibierge, c’est via la jurisprudence de la Cour de justice que les préambules peuvent gagner en force normative, lorsqu’ils se voient reconnaître une garantie a posteriori en dépit de leur valeur a priori déclaratoire54. Les préambules ayant ainsi vocation à éclairer la Cour de justice dans son activité herméneutique du droit de l’Union55, la pertinence de notre démarche casuistique se trouve par-là même confirmée.

Le choix du terrain prétorien comme base pour éclaircir les contours du principe de confiance mutuelle s’explique troisièmement par le rôle de gardienne du respect du droit de l’Union endossé par la Cour de justice56 ainsi que par la fonction d’architecte57 de l’ordre juridique de l’Union européenne qu’elle exerce58. L’influence décisive de la branche judiciaire dans le développement de la construction européenne était déjà démontrée en 1976 par Robert Lecourt, l’ancien président de la Cour de justice des Communautés59. En dépit des critiques dont elle a

pu parfois faire l’objet60, l’importance de la Cour de justice dans le développement de l’Union européenne n’a cessée déterminante. Pour reprendre les mots du juge A. Tizzano, c’est à la Cour que revient la tâche d’assurer « l’observation et la définition, mais parfois aussi la

52 Voy. par exemple, le dixième considérant du préambule de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13

juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres qui souligne que « le mécanisme du mandat d'arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres (…) »,

JO, L 190 du 18 juillet 2002, pp. 1- 20; le considérant 26 du préambule du règlement 1215/2012/UE du Parlement

européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO, L 351 du 20 décembre 2012, pp. 1-32, selon lequel « la confiance réciproque dans l’administration de la justice au sein de l’Union justifie le principe selon lequel les décisions rendues dans un État membre devraient être reconnues dans tous les États membres sans qu’une procédure spéciale ne soit nécessaire (…) », JO , L 351, du 20 décembre 2012, pp. 1- 32 ou encore le considérant 20 du préambule du règlement 604/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, JO, L 180 du 29 juin 2013, pp. 31-59.

53 Il est intéressant de relever, à cet égard, que le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe,

abandonné suite aux résultats négatifs des referenda français et néerlandais, contenait une disposition selon laquelle l’Union constitue un l’Espace de liberté, sécurité et justice, entre autres, « en favorisant la confiance mutuelle entre les autorités compétentes des États membres, en particulier sur la base de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires ». Cette disposition n’a pas été reprise dans le traité de Lisbonne.

54 C. THIBIERGE, « Synthèse », in C. THIBIERGE (dir.), La force normative: naissance d’un concept, Paris, LGDJ,

2009., p. 830.

55 CJUE, arrêt du 13 juillet 1989, Casa Fleischhandel/BALM, aff. C-215/88, ECLI:EU:C:1989:331, point 31. 56 Art. 19, paragraphe 1er, TUE.

57 Sur le rôle d’architecte de la Cour voy., entre autres, L. SCHEECK et L. BARANI, « Quel rôle pour la Cour de

justice en tant que moteur de la construction européenne ? », in P. MAGNETTE et A. WEYEMBERGH (dir.), L’Union

européenne: la fin d’une crise?, Bruxelles, Éditions de l’Université libre de Bruxelles, 2008, pp. 174-183 ;

H. LABAYLE, « Architecte ou spectatrice ? La Cour de justice de l’Union dans l’Espace de liberté, sécurité et justice », Revue trimestrielle de droit eurppéen, 2006, pp. 1-46 ; A. STONE, The Judicial construction of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2004. et A. STONE et J. CAPORASO, « La Cour de justice et l’intégration

européenne », Revue française de science politique, 1998, pp. 195-244.

58 Pour une critique de l’importance du rôle joué par la Cour de justice voy. la célèbre étude de H. RASMUSSEN,

On law and policy in the European Court of Justice: a comparative study in judicial policymaking, Dordrecht,

Kluwer Academic Publishers, 1986.

59 R. LECOURT, L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, 1976.

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“création”, des dispositions et des principes destinés à constituer le tissu connectif [du] système »61. En résulte son influence déterminante et structurelle sur « l’essence même de l’ordre juridique de l’Union »62.

Quatrièmement et finalement, le domaine du contentieux nous permet de nous concentrer sur les instruments mettant en œuvre le principe de confiance mutuelle dont il est effectivement fait application. De nombreux instruments qui évoquent le principe de confiance mutuelle dans leur préambule demeurent en effet très largement inappliqués.

30. Ainsi justifiée, l’analyse jurisprudentielle que l’on se propose de mener appelle trois précisions.

D’abord, il nous faut souligner que l’apport des avocats généraux fait partie intégrante du terrain de l’étude. Acteurs incontournables du processus judiciaire en droit de l’Union, leur rôle est de « présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires soumises à la Cour de justice »63. Pour reprendre les termes de l’avocat

général Léger, leur fonction consiste à aider les juges de la Cour « dans l’exercice de leur délicate mission qui est de dire le droit »64. L’appui sur leurs conclusions s’avère en particulier heureux lorsqu’il s’agit de procéder à une analyse du discours de la Cour de justice – démarche que l’on se propose précisément d’adopter – dans la mesure où, comme l’a remarqué l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer, le premier devoir de l’avocat général « est de proposer à la Cour une solution qui, tout en étant conforme au droit, respecte les postulats dialectiques du discours raisonné et de la cohérence, sans lesquels les décisions judiciaires seraient perçues comme de simples exercices arbitraires et seraient dépourvues de nature persuasive »65. Servant de base de réflexion aux juges66, les conclusions des avocats généraux sont donc utiles à la conceptualisation de notre objet de recherche. C’est, du reste, à l’un d’entre eux que l’on doit la première occurrence du principe de confiance mutuelle dans le discours prétorien européen67. Ensuite, nous faisons le choix d’adopter comme point de départ une approche « nominaliste »68, en ce sens que notre étude se base sur une analyse exhaustive69 des arrêts de la Cour de justice et des conclusions de ses avocats généraux qui se réfèrent explicitement au principe de

61 A. TIZZANO, « Notes sur le rôle de la Cour de justice de l’Union européenne », in V. KRONENBERGER, V. PLACCO

et M.-T. D’ALESSIO (dir.), De Rome à Lisbonne: les juridictions de l’Union européenne à la croisée des chemins.

Mélanges en l’honneur de Paolo Mengozzi, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 226.

62 Ibid., p. 227.

63 Art. 252, paragraphe 2 du TFUE, L. CLEMENT-WILZ, La fonction de l’avocat général près la Cour de justice,

Collection Droit de l’Union Européenne Thèses, n° 21, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 2.

64 P. LEGER, « De la nature de l’avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes », in Mélanges

J.-C. Soyer, L’Honnête homme et le droit, Paris, LGDJ, 2000, p. 268.

65 Conclusions présentées par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer le 6 février 2003 dans l’affaire Commission

c. Espagne, C-463/00 et C-98/00, ECLI:EU:C:2003:71, point 34.

66 L. CLEMENT-WILZ, La fonction de l’avocat général près la Cour de justice, op. cit., p. 972.

67 Conclusions générales de l’avocat général Mischo, présentées le 1er octobre 1987 dans l’affaire Commission des

Communautés européennes contre République italienne, aff. 116/86, ECLI:EU:C:1988:111, point 41.

68 Pour un exemple d’étude fondée sur une telle approche, voy. O. CORTEN, L’utilisation du « raisonnable » par

le juge international. Discours juridique, raison et contradictions, Bruxelles, Bruylant, 1997.

69 La récolte de ces arrêts a été réalisée par le biais du moteur de recherche de la Cour de justice (www.curia.eu)

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confiance mutuelle. Le choix de cette approche se justifie par l’objectif de l’étude qui est de découvrir la portée que lui assigne expressément la Cour de justice dans sa mission d’agencement de son ordre juridique. Elle s’impose, au demeurant, dans la mesure où il est pratiquement impossible d’identifier, sans contestation possible, un ensemble fini des arrêts sous-tendus, de manière implicite, par la logique de la confiance mutuelle. Une telle approche nous évite, par ailleurs, l’écueil de subjectivité pouvant résulter de la définition a priori de ce principe encore fuyant en droit de l’Union70. Une fois le signifiant identifié sur la base de cette perspective nominaliste, nous n’excluons néanmoins pas « de construire un signifié, qui pourra à son tour être mobilisé dans l’analyse d’autres décisions »71. En d’autres termes, l’approche nominaliste qui est la nôtre est « inaugurante mais non clôturante de la définition »72 du principe de confiance mutuelle en droit de l’Union, nous permettant ainsi de dériver de la technique nominaliste une approche davantage conceptuelle.

Enfin, l’examen des sources juridiques textuelles n’est bien entendu pas intégralement écarté en dépit du caractère essentiellement casuistique de l’approche adoptée. D’abord, le droit textuel fait partie intégrante de l’analyse au niveau de l’étude de la genèse du principe de confiance mutuelle. Si l’objet principal de nos travaux n’est pas de tracer l’évolution historique du principe étudié, son analyse requiert de s’intéresser dans un premier temps à ses origines. La première partie de cette étude débute dès lors par une analyse sectorielle et chronologique73 des premières occurrences du principe de confiance mutuelle, en ce compris en droit textuel. Par ailleurs, le droit textuel est également étudié de manière incidente lors de l’analyse de la jurisprudence de la Cour de justice. Étant donné que celle-ci est chargée d’appliquer le droit primaire et dérivé de l’Union74, l’examen de l’instrument mis en œuvre par un arrêt doit faire partie intégrante de l’analyse de celui-ci.

§2. La méthode de l’étude

31. La méthode retenue pour conceptualiser le principe de confiance mutuelle en droit de l’Union est celle de l’induction amplifiante75. Cette méthode implique que « la relation formulée par la proposition induite s’applique à tous les termes d’une classe, en nombre fini ou indéfini, alors que cette relation n’a été affirmée que de quelques-uns seulement d’entre eux par les propositions inductrices »76. En d’autres mots, le processus vise donc à opérer une reconstruction générale sur la base d’un certain nombre d’indices particuliers77. Il s’agit, dans le cadre de notre étude, d’examiner les différentes occurrences du principe de confiance

70 S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l’homme, Bruxelles, Presses de l'Université Saint-Louis - Bruxelles, 2001.

71 J. VAN MEERBEECK, De la certitude à la confiance, op. cit., point 8.

72 S. VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits de

l’homme, op. cit., p. 30.

73 Cette analyse se fonde sur un recensement exhaustif des manifestations de la notion « confiance mutuelle » dans

les documents politiques de l’Union disponibles sur https://eur-lex.europa.eu/homepage.html adoptés jusqu’au 1er décembre 2019.

74 S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union européenne, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 323.

75 Pour une analyse de cette méthode, voy., M. GRAWITZ, Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 2001, pp.

16 – 18 et G. FRANZ, « L’induction », Revue Philosophique de Louvain, 1964, pp. 108-151.

76 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 2010,

p. 507.

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mutuelle dans la jurisprudence de la Cour de justice, afin de tirer des conclusions générales sur la portée et la fonction qui lui sont assignées. Si cette méthode peut essuyer certaines critiques étant donné qu’elle propose une solution de l’ordre du probable et non de l’absolument certain78, elle s’impose néanmoins à nous vu qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de définition notre objet de recherches qui fait autorité.

§3. Le positionnement épistémologique

D’un point de vue épistémologique, la présente étude s’insère principalement dans le champ juridique : elle vise à définir et évaluer le principe de confiance mutuelle et son fonctionnement en droit de l’Union. Cette étude s’inscrit ainsi dans les pratiques de recherche d’une communauté scientifique donnée, la communauté scientifique juridique, « socialement et historiquement située et régie par un paradigme qui définit les présupposés et les objectifs des savoirs à construire »79.

32. Elle témoigne néanmoins d’ouvertures interdisciplinaires à deux niveaux : un premier, interne au droit, et un second, qui prétend tisser des liens avec d’autres disciplines.

33. Le premier niveau d’interdisciplinarité, interne au droit, découle d’abord du fait que le principe de confiance mutuelle est analysé dans différents domaines du droit de l’Union. Ceux-ci sont ainsi mis en interaction par l’étude de notre objet de recherche à la croisée du droit du marché intérieur et de celui de l’espace de liberté, de sécurité et de justice – matière qui recouvre notamment droit pénal européen, le droit européen de la coopération judiciaire civile et le droit européen de l’asile et de la migration. Bien qu’ils soient en général appréhendés de manière séparée, construire des ponts entre ces différents domaines nous semble être indispensable pour offrir une compréhension transversale du principe de confiance mutuelle. Comme nous l’avons déjà souligné, ce choix constitue, en outre, un des traits d’originalité de cette étude.

Ensuite, si la plus grande partie des développements sont réalisés en droit de l’Union européenne, d’autres disciplines juridiques sont également convoquées afin de conceptualiser le principe de confiance mutuelle.

Une partie importante de nos développements relève ainsi du droit général des droits de l’homme et, en particulier, du droit de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « Convention européenne des droits de l’homme). Étant donné que plusieurs systèmes juridiques régissent l’espace européen80, il est indispensable d’opter pour une démarche pluraliste afin de rendre compte de la portée et des limites du principe de confiance mutuelle. Dans ce cadre, l’étude se concentre sur la réception du principe de confiance mutuelle dans l’ordre juridique du Conseil de l’Europe étant donné que la Convention

78 S. SEYS, D. DE JONGHE et F. TULKENS, « Les principes généraux du droit », in I. HACHEZ et al. (dir.), Les sources

du droit revisitées, Bruxelles, Presses de l'Université Saint-Louis - Bruxelles, 2012, p. 519.

79 F. DARBELLAY, « Vers une théorie de l’interdisciplinarité? Entre unité et diversité », Nouvelles perspectives en

sciences sociales, 2011, p. 72.

80 F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles,

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européenne des droits de l’homme, qui en forme le cœur, est présentée comme étant l’un des fondements, au titre de la valeur tenant aux droits fondamentaux, du principe de confiance mutuelle.

Notre étude s’inspire également d’enseignements tirés du droit public, de la théorie générale de l’État et du droit international public. La construction européenne, qui se situe à la croisée du droit international public et du droit constitutionnel, justifie en effet que l’on s’y réfère, en particulier lorsqu’il s’agit d’étudier l’un des principes qui structurent les relations entre les États membres.

34. Le second niveau d’interdisciplinarité se manifeste, quant à lui, par le fait que cette étude, bien que principalement juridique, prétend se nourrir d’enseignements tirés d’autres champs théoriques. Le principe de confiance mutuelle est ainsi théorisé et critiqué, ponctuellement, à l’aide de considérations extra-juridiques, qui sont mises en dialogue81. Plus précisément, cette étude adopte le « point de vue interne modérément ouvert » théorisé par A. Bailleux et H. Dumont82, se basant entre autres sur les travaux de H. Hart83 tels qu’affinés par F. Ost et M. van de Kerchove84. Ce positionnement permet de systématiser juridiquement l’objet de nos recherches sans négliger les ruptures épistémologiques « flexibles », nécessaires pour rendre compte de la réalité juridique dans son « contexte »85. Elle se trouve à mi-chemin entre, d’une part, le point de vue interne qui tend à la reproduction, l’analyse et parfois à la critique du droit, sans prise de distance avec le discours juridique, et, d’autre part, le point de vue externe strict, qui lui résulte d’une rupture radicale avec le champ du droit se refusant de se référer à la logique interne du système qu’il prétend étudier. Si l’objectif est donc d’étudier, en

droit, le principe de confiance mutuelle et sa relation avec les valeurs fondatrices de l’Union,

ce travail s’autorise des prises de distance avec la logique interne au système juridique afin de s’enquérir de l’« environnement » dans lequel il se déploie86. Sans prétendre réaliser un travail

principalement interdisciplinaire, notre étude a l’ambition de procéder à des ouvertures à

d’autres disciplines qui sont de nature à contribuer à la compréhension de l’objet de nos recherches. Sera par-là évité l’écueil que peut rencontrer le juriste qui, à l’image d’un cheval portant des œillères, serait empêché de voir l’écosystème dans lequel s’insère l’objet de ses recherches qui, pourtant, participe à sa définition.

81 F. OST, Traduire: défense et illustration du multilinguisme, Ouvertures, Paris, Fayard, 2009, p. 391.

82 A. BAILLEUX et H. DUMONT, « Esquisse d’une théorie des ouvertures interdisciplinaires accessibles aux

juristes », Droit et société, 2010, pp. 275-287.

83 H.L.A. HART, Le concept du droit, traduction par M. van de Kerckhove, Bruxelles, Presses de l'Université

Saint-Louis - Bruxelles, 2002.

84F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., pp.

449 – 488 ; F. OST et M. KERCHOVE VAN DE, « De la scène au balcon. D’où vient la sicence du droit ? », in F.

CHAZEL etJ.COMMAILLE Normes juridiques et régulation sociale, Paris, 1991, pp. 67-80 et F. OST et M. VAN DE

KERCHOVE, Jalons pour une théorie critique du droit, Bruxelles, Presses de l'Université Saint-Louis - Bruxelles, 1987.

85 A. BAILLEUX et F. OST, « Droit, contexte et interdisciplinarité : refondation d’une démarche », R.I.E.J., 2013,

pp. 25-44.

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Une telle approche nous semble particulièrement bienvenue s’agissant d’une étude en droit européen. En effet, comme le souligne D. Curtin, « in contemporary EU it is no longer

advisable nor at times even possible to ignore the broader (political, economic) context within which the law operates »87.

L’itinéraire est essentiellement dévié dans d’autres champs théoriques à trois occasions. D’abord, la proposition de définition du principe de confiance mutuelle est en partie fondée sur une définition interdisciplinaire de la notion de confiance qui prend appui sur des travaux en sociologie. L’examen de la communauté de valeurs sur laquelle se fonde prétendument le principe de confiance mutuelle comporte ensuite des réflexions de philosophie politique visant à en éclairer la portée et à en mesurer la légitimité. Enfin, la partie prescriptive de cette étude qui a pour objectif d’améliorer le fonctionnement du principe de confiance mutuelle prend notamment racine dans une analyse interdisciplinaire du risque.

§4. Précisions terminologiques et légistiques

35. Dans un souci de garantir la clarté de l’argumentaire qui va suivre, il nous semble également indispensable d’exposer quelques précisions sémantiques et légistiques88, de nature et d’importance variées, afin de lever les ambiguïtés qui peuvent résulter de l’usage de certaines formules au cours de nos développements.

36. Eu égard au cheminement historique de l’Union européenne, les développements de relatifs au droit en vigueur avant le traité de Maastricht font référence à la « Communauté » ou aux « Communautés », et au « droit communautaire ». Lorsqu’il s’agit de faire état de développements postérieurs au 1er novembre 1993, ou d’exposer des considérations qui demeurent en vigueur aujourd’hui, les appellations « Union européenne » ou « Union » et « droit de l’Union européenne » ou « droit de l’Union » sont préférées. Celles-ci permettent ainsi de désigner manière générique l’organisation politique mise en place en 1957 et telle qu’elle continue à exister aujourd’hui (à travers ses diverses appellations, CEE, CE puis UE). 37. Conformément à l’article 19 du TUE, la dénomination « Cour de justice de l’Union européenne », ou « CJUE » vise l’institution qui comprend la Cour de justice et le Tribunal89. Par souci de clarté, cette appellation est privilégiée de manière générale, également lorsque l’analyse a pour objet des développements antérieurs à la conversion de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)90 en CJUE par le traité de Lisbonne.

87 D. CURTIN, « European Legal Integration: Paradise Lost? », in D. CURTIN et al. (dir.), European integration and

law, Antwerp, Intersentia, 2006, p. 4.

88 L’emploi du terme « légistique » vise ici « le terme utilisé par la doctrine francophone pour désigner l’étude des

modes de rédaction des lois », D. ALLAND (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses Universitaires de France, 2010.

89 Le Tribunal de l’Union européenne est le successeur du Tribunal de première instance des Communautés

européennes, créé en 1988 (décision du Conseil du 24 octobre 1988, JO, L. 319, p. 1) afin d’améliorer la protection juridictionnelle dans l’ordre juridique communautaire en palliant à l’encombrement de la Cour. Renommé Tribunal de l’Union européenne par le traité de Lisbonne, il est chargé de connaitre au premier degré de certaines catégories de recours. Voy. S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union européenne, op. cit., p. 324.

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