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A propos de ce qu'est ou n'est pas le mythe

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Academic year: 2022

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LETTRES ET BILLETS DE MYTHOLOGIE

de Bernard Fricker

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A propos de ce qu'est ou n'est pas le mythe

"C'est comme si tout mythe était identique à une définition dogmatique: celle-ci est toujours et partout plus récente que celui-là".

Marijan Molé, Culte, mythe et cosmologie dans l'Iran Ancien, Presses Universitaires de France, Paris, 1963, p. 9, n. 3.

"En mettant les choses au mieux, les énoncés mythiques ne reproduiraient donc la structure de la langue qu'au prix d'un décalage:

leurs éléments de base fonctionnent comme ceux de la langue, mais leur nature est plus complexe dès le départ. Du fait de cette complexité, le discours mythique décolle, si l'on peut dire, de l'usage courant de la langue, de sorte qu'on ne peut mettre exactement en parallèle les résultats ultimes qu'ici et là, les unités de rang différent produisent en se combinant. A la différence d'un énoncé linguistique qui ordonne, questionne ou informe, et que tous les membres d'une même culture ou sous-culture peuvent comprendre pour peu qu'ils disposent du contexte, le mythe n'offre jamais à ceux qui l'écoutent une signification déterminée.

Un mythe propose une grille, définissable seulement par ses règles de construction. Pour les participants à la culture dont relève le mythe, cette grille confère un sens, non au mythe lui-même, mais à tout le reste: c'est- à-dire aux images du monde, de la société et de son histoire dont les membres du groupe ont plus ou moins clairement conscience, ainsi que des interrogations que leur lancent ces divers objets. En général, ces données éparses échouent à se rejoindre, et le plus souvent elles se heurtent. La matrice d'intelligibilité fournie par le mythe permet de les articuler en un tout cohérent. Soit dit en passant, on voit que le rôle attribué au mythe rejoint celui que Baudelaire pouvait prêter à la musique" Claude Lévi-Strauss, Préface aux Six leçons sur le son et le sens, de Roman Jakobson, les Editions de Minuit, Paris, 1976, p. 16 ; texte repris par Cl. Lévi-Strauss dans Le regard éloigné, Plon, Paris, 1983, p. 199-200.

Importance de la notion de grille, et de matrice d'intelligible.

La grille conférant un sens "non au mythe lui-même", mais "aux images du monde, de la société et de son histoire", c'est-à-dire à "tout le reste". On pourrait peut-être aller jusqu'à dire que le mythe, sa grille confèrent leurs sens à tout, en restant ouverts, sans donc offrir à qui écoute le récit d'un mythe une signification déterminée, mais répondant néanmoins aux diverses interpellations du monde: plasticité du mythe.

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Tout l'épars du monde, la matrice d'intelligibilité l'articule "en un tout cohérent". Ce qui se heurtait dès lors correspond, sans doute sous des éclairages divers, mais faisceaux de lumière qui peuvent aussi converger.

Mythe

=

matrice. Réceptacle, creuset où tout est "fondu" ; et fondé.

C'est le substrat, aussi. Où sont "enracinés", si j'ose dire, le son: aspect matériel, le sens : aspect spirituel ; le signifiant et le signifié (cf.

Jakobson, op. cit. p. 23). L'unité à deux faces du mot; et de toutes les faces, les facettes du monde - monde naturel, végétaux, animaux et leur biotope (ajoutons les astres) etc., monde de l'homme, naturel: lui-aussi, mais avec sa note spécifique la société et son histoire, et les plus belles images qu'avec son histoire la société a engendrées : les dieux, non séparables d'ailleurs du monde ou milieu naturel - des phénomènes naturels.

Cependant, comme l'écrit Claude Lévi-Strauss, "le discours mythique décolle [. .. ] de l'usage courant de la langue". D'où sa complexité, sa différence avec un énoncé linguistique, son incapacité, apparente, à offrir une signification déterminée: toujours la plasticité du mythe.

A la page 17 de sa Préface aux Six leçons de Roman Jakobson, Claude Lévi-Strauss nous dit ceci : " - à l'inverse des mots, les mythes de peuples différents se ressemblent

-,,* .

. La qualité de ressemblance est-elle universellement fondée quant aux mythes? Seule permet-elle de dire ce qu'est ou n'est pas le mythe par rapport aux mots? Combien d'autres critères entrent aussi en jeu!

A penser à Babel, la "confusion des langues" vient immédiatement à l'esprit. Confusion dont les mythes ne se seraient jamais rendus coupables? Mais Babel est aussi un mythe ...

La citation de Marijan Molé par laquelle commence cette lettre que je terminerai ici est, dans sa profonde justesse, assez parlante pour exprimer du mythe toute la plasticité. Le dogmatisme n'intervient toujours qu'après. Il rend rigide ce qui était souple, mort ce qui était vivant. Comme ces peintres qu'on appelle pompiers, préposés à l'extinction des feux.

* Dans Le regard éloigné op. cit., p. 201 : l'inverse de leurs mots", je suppose une

"coquille".

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Paradisiers et papillons

Dans Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non (1942), André Breton écrit *:

"[ ... ] il y a les Néo-guinéens aux premières loges dans cette guerre -, les Néo-guinéens dont l'art a toujours subjugué tels d'entre nous bien plus que l'art égyptien ou l'art roman - tout au spectacle qui leur est offert dans le ciel -pardonnez- leur, il n'avaient à eux seuls que les trois cents espèces de paradisiers -il paraît qu'ils s'en payent ayant à peine assez de flèches de curare pour les blancs et les jaunes [ ... J".

Ces lignes m'ont toujours ravi. Breton y donne aux Néo-guinéens leur titre de noblesse : des armes, s'il en fut jamais, parlantes. Les flèches de curare, certes, mais en préséance (et comment ne pas penser à un cérémonial de Cour), les trois cents espèces de paradisiers. Espèces (peut- être qu'il n'y avait pas trois cents) qu'enfants nous pouvions découvrir, l'œil et l'âme émerveillés, en feuilletant un Buffon illustré de ces fascinantes gravures "colorées à l'œuf', qui nous plongeaient dans la plus insondable des rêveries. Histoire naturelle, sans doute, mais combien proche du mythe. Tout le Paradis s'y découvrait, plus beau que le Paradis que le prêtre nous enseignait au catéchisme. C'était un éblouissement.

J'y pensais, en août 1992, à contempler jusqu'au ravissement, dans la Galerie d'histoire naturelle du Musée des Beaux-Arts de Dunkerque une fabuleuse collection de papillons ; je pensais au texte de Breton sur les paradisiers. Il y avait, exposés parmi d'autres des papillons de Nouvelle Guinée. Irrésistiblement, par leur dessin, leur couleur, ils m'évoquèrent des masques -néo-guinéens. J'étais, ou presque, en pleine mythologie.

Le rêve de se poursuivre dans la contemplation, proche de l'extase, des ailes de ces lépidoptères. Quel peintre a jamais approché une telle splendeur? L'œil en reste ébloui. Jeu égal, sinon supérieur, à tout autre jeu de Dieu ou des dieux. Sommet, peut-être, de l'évolution créatrice, son point culminant, la perfection atteinte. Comme avec les paradisiers. Ou certains masques quant à la fascination qu'ils exercent sur nous, loin de toute idée de "beauté". Ou certains mythes, loin, eux, de la souvent si triste "pensée logique" ...

* Manifestes du surréalisme, folio-essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 152.

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Présocratiques

Aurore ! Le mot que, peut-être, Nietzsche a préféré, lui qui l'a précisément choisi pour titre au livre qui marqua sa délivrance, la délivrance de longues années de souffrances, et qui y notait en exergue, selon la parole du Rigveda: «Il y a tant d'aurores qui n'ont pas encore lui». Pourtant, que d'aurores se sont déjà levées sur le monde! Toutes furent belles, toutes furent certes heureuses aux yeux des hommes qui les contemplèrent ... les premiers. Et, qui sait, plus divines encore furent les aurores de la connaissance, plus frémissantes, plus femmes ... Pour nous, occidentaux, cette levée du soleil de la philosophie ce sont les présocratiques, ou les antéplatoniciens comme les nommait Aristote.

Alors, que de découvertes, même sans «expériences», d'ailleurs certainement en raison de cela ... Oui, la nature est observée. Autour de l'homme qui de tous ses yeux regarde, les métamorphoses, cette première intuition de ce qui est. Et les beaux, les simples principes explicatifs : l'air, l'eau, le feu, la terre. Des principes donc. Des lois? C'est moins sûr car une loi, c'est si triste ... Le soleil surtout de luire, ardemment, réellement. La mer est là, proche, la mer dans les eaux de laquelle il n'y a qu'à plonger pour connaître les causes. Ou bien l'explication viendra, et tout naturellement, quand, sur les grèves, on ramassera des coquillages, quand, dans la vase marine, on verra grouiller les primitives espèces - tout sort de là, tout est familier, proche, accessible, l'explication, justement, est à portée, elle tient dans la main, une main qui saisit encore seule le monde. Et, alentour, ce mouvement, cette couleur, le bruit des chantiers maritimes, la cohue des marchés, les échanges, toutes les races, un brassage et cela de se symboliser en un Thalès de Milet qui fut tout à la fois un marchand, un voyageur, un contemplatif, un ingénieur, qui pensa, première, superbe vérité, mais la vérité depuis a, comme le monde, atrocement vieilli, elle ne fait plus l'amour avec les hommes, elle leur sert à la rigueur d'entremetteuse, qui pensa, affirma que l'âme est mêlée à toutes les choses du monde, que tout est plein de dieux, Thalès le

«sang-mêlé», ce qui expliquerait sans doute et son génie et une activité si féconde ... Et les deux autres grands Milésiens : Anaximandre, Anaximène qui cherchent aussi le principe unique parmi, dans, par le sensible, et, zêlés et fiers, prétendent que ce n'est que là qu'il réside - pourquoi pas?

- et les autres philosophes naturalistes de l'Ionie, des «enfants» mais géniaux qui tous, merveilleusement, regardent et s'étonnent, et Héraclite l'Obscur, le contempteur de la multitude, le père du «devenir», l'évolutionniste, l'arrogant solitaire ... N'est-ce pas magnifique ? Et qu'alors est magnifique la «matière», une matière toute neuve, toute

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jeune, un vrai beau corps de fille, d'adolescente ... Hélas, le propre des aurores est la brièveté. Et le soleil ascendant se voile souvent, avant même d'atteindre à son zénith. Ce monde dès son commencement ou, puisque rien non plus n'empêche de le dire éternel, chaque fois qu'après avoir décliné il croit procéder à un renouvellement, ce monde est irrémédiablement et immédiatement voué au vieillissement. Nubile, juvénile quand les Ioniens la contemplaient d'un regard lui aussi juvénile, d'un regard émerveillé et plein de convoitise, la «matière» aura tôt fait, lorsque les philosophes ultérieurs appesantiront sur elle des yeux fatigués, de se flétrir, les seins lui crouleront, de ses doigts décharnés tomberont les fausses pierreries, les systèmes dont les «penseurs», voulant se concilier ses bonnes grâces, l'avaient ornée ... Catin quasiment hors d'usage là elle pourra désormais appartenir aux «matérialistes - scientifiques», une engeance qui n'a jamais été bien difficile quant au choix de ses amours ...

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Gauvain / Karna

A-t-on porté suffisamment attention à Gauvain, un des héros majeurs de la "matière de Bretagne" ? Oui, sans doute, mais pour souvent le dénigrer; de parler de son échec dans le final du Perceval de Chrétien de Troyes. Ne serait-il pas temps de la rehabiliter ? Entre autre par une brève étude comparative?

Gauvain le bien aimé et le mal "élu" ... Sa faiblesse de reins est exemplaire! Cependant, son salut sera d'autant plus sûr qu'il l'obtiendra par intercession, la "meson Dieu" (le Royaume des Cieux) conquise à sa gloire par les pauvres auxquels sont allé ses largesses - charité, certes, et ici réversibilité des mérites, mais plus encore générosité, générosité des charnels. Arthur, dans la vision (cf. la Mort Artu) qui à la veille du dernier combat qu'il s'apprête à livrer aperçoit son neveu sauvé par les déshérités, il voit Gauvain plus beau qu'il ne le vit jamais en aucun jour du siècle. Peut-on douter de ce signe? Il est celui d'une "élection", qui a davantage à voir avec l'insupportable brûlure de la chair et l'amour du prochain qu'avec la pureté extatique et froide de Galaad ou du Perceval de la Queste. Non plus, n'oubliera-t-on que Gauvain est un être solaire.

L'auteur de la Mort Artu nous le montre au plein de sa force à l'heure de midi; c'est la chaleur de l'astre qui nourrit le sang de ce chevalier; aussi décline-il avec le jour - peut-être avec le monde, lorsque les grandeurs de chair sont abaissées ; et Gauvain de mourir à la veille de la chute du royaume de Logres, de quitter cette terre avant que ne périsse sa chevalerie, comme si sa destinée personnelle préfigurait le destin de toute une société.

Discernera-t-on là le sillage, brouillé mais encore apparent, laissé sur les eaux du rêve d'une vieille race par son antique épopée, le Mahâbhârata? Un des héros du foisonnant poème*, Kama, ms de Kunti et de Surya : le Soleil, est, à un degré inouï, un généreux; il ira jusqu'à se dépouiller de sa cuirasse, et cette cuirasse est sa chair même, son thorax, qu'Indra lui demande en aumône; et Karna gagnera droit le paradis de

* Le Mahâbhârata, "la grande histoire des descendants de Bharata" est le plus long poème

qu'ait produit l'Inde, et l'un des plus longs de toutes les littératures dans les recensions du Nord, il compte plus de quatre-vingt-dix mille vers (Georges Dumézil: Mythe et épopée, l, L "idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, éd.

Gallimard, Paris, 1968, p. 33; sur Kama. Cf. p. 138,139.

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Visnou grâce à sa générosité ... Comparaison, il est vrai, n'est pas toujours raison.

Sans Gauvain -et Karna- il ne nous resterait que l'ennui des

"sagesses" ; et si l'on ne repense qu'à notre Occident, à la "matière de Bretagne", il ne nous resterait que la perfection admirable mais glacée des élus de la Queste : exception faite, aussi, de Bohort. Ce chevalier revenant pour ainsi dire sur lui-même "de si lointaines terres comme sont les parties de Jérusalem" à la cour d'Arthur, d'orient en occident, inverse le périple traditionnel, l'ordre mystique du pélerinage et si en la cité de Kamaalot, loin donc de Corbenic et combien plus de Sarras, c'est pour conseiller Guenièvre en stratégie amoureuse, ce n'est qu'incidemment.

Pour l'essentiel Bohort rentre et touche au couchant de la Terre pour vivre et mourir en frère fidèle des hommes, les armes à la main défendre l'honneur de sa nation et de son lignage, pâtir dans les traverses de son peuple et avec lui, en un mot accepter joies comme souffrances de l'humaine condition.

Bohort ne serait-il pas alors à considérer comme figure exemplaire de la "deuxième fonction" ?

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