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Reference
Gargouilles naturelles
PITTARD, Jean-Jacques
PITTARD, Jean-Jacques. Gargouilles naturelles. Revue polytechnique , 1940, p. 3-7
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:142127
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SOCIÉTÉ SUISSE DE SPÉLÉOLOGIE
GARGOUILLES NATURELLES
PAR
J .-J. PITT ARD
Extrait du Bulletin de la Société Suisse de Spéléologie du 25 aoftt 1940
GENÈVE
lMPRllvlERIE DE LA TRIBUNE DE GENÈVE Rue du Stand, 42
1940
GARGOUILLES NATURELLES
par
Jean-J. Pittard, Dr ès sc.
Des eaux très riches en dépôts calcaires peuvent édifier dans certaines conditions de curieuses archi- tectures : les gargouilles naturelles.
Pendant les périodes sèches, l'eau tufeuse n'ayant qu'un très faible débit va procéder à d'abondants dépôts. Si, à un endroit donné, se trouve une rupture de pente et que l'évaporation a tendance à neutraliser l'écoulement, on aura une rapide précipitation des éléments en dissolution: il se formera tout d'abord une sorte de verrue qui grandira peu à peu et sur laquelle le filet d'eau continuera à couler. La cons- truction se développera, s'allongera, ressemblera à une gargouille destinée à éloigner l'eau de la paroi.
C'est ce qui se passe, et aux hautes eaux on peut parfaitement se tenir sous la cascade ainsi déviée.
Nous avons eu l'occasion de voir plusieurs de ces gargouilles dans le département de l'Ain (France), notamment à la cascade des Bornes et dans le ruisseau de Chaley (près de Tenay). Il en existe aussi une très belle à la fontaine pétrifiante de Réotier, près de Montdauphin (département des Hautes Alpes) (fig. r.), et une autre en formation à la source tufeuse d'Uvrier, près de Sion (Valais). Ce phénomène n'est d'ailleurs pas rare, et on le trouve partout où les conditions de sa réalisation sont rassemblées : il peut naturellement présenter de grandes variations quant à sa forme et à ses dimensions, mais son origine est toujours la même.
Aux Bornes et à Chaley nous avons pu examiner tous les stades de ces constructions souvent très élé- gantes, et les photographier, les unes pendant une saison sèche, alors que l'eau n'y passait que goutte
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D essin é par M . O e rriey
Fig. I . - Fontaine pétrifiante de R éotier, - Une deuxième gargouille se constitue en avant cle la vasque.
Photo J .-J. Pillard
Fig. 2. - La grande gargouille des Bornes.
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à goutte, les autres en période d'abondantes eaux, pendant qu'elles étaient entièrement recouvertes par le ruisseau.
Les petites sources des Bornes, sourdant d'une paroi de rocher, ont édifié divers types de gargouilles (fig. 2).
Dans un cas, nous voyons l'e·au rejetée en l'air par une petite concrétion placée sur son passage; de petits filets continuent leur route, se divisent, glissent sur la face extérieure de la construction et tombent verticalement en gouttelettes ; c'est cette eau-là qui contribue à l'avancement de la masse tufeuse (fig. 3). Une autre source a bâti une longue bande de tuf qui s'avance au-dessus d'une vasque. A la base et de chaque côté de cette bande se trouvent deux petites excroissances qui ont tendance à s'allonger.
Photo J.-J. Pinard
Fig. 3. - Une des gargou illes des Bornes. Les filets d 'eau verticaux contribuent au développe-
ment du phénomène.
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En saison humide, ce curieux dispositif distribue donc de l'eau par trois exutoires. Cependant l'ensemble est très lourd et risque bien de s'effondrer (fig. 4.). Une troisième source en est à son début et on ne sait pas encore ce qu'elle va construire et comment elle le fera.
La gargouille que nous avons photographiée dans le ruisseau de Chaley, un jour de hautes eaux, est fortement inclinée dans le sens de la pente qu'elle conserve sensiblement (fig. 5.). Son développement, si elle ne se brise pas avant, donnera plus tard une alvéole, une sorte de grotte dans l'ensemble du massif de tuf toujours en progression.
Nous avons eu l'occasion de pénétrer dans de telles grottes, dont les dimensions, à part quelques excep- tions, ne sont généralement pas très grandes.
Photo J .-J. Pittord Fig. 4. - Les Bornes. Gargouille avec 3 filets
d'eau pendant une période sèche.
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Photo J.-J, Pittard Fig. 5. - La gargouille du ruisseau de Chaley.
L'eau qui tombe des gargouilles s'évapore en partie sur le sol et y constitue ainsi souvent des amas de tufs donnant fréquemment naissance à des vasques plus ou moins étendues suivant la nature du terrain sous-jacent.
Lorsque les gargouilles ont atteint un assez grand développement, leur poids devient considérable; si elles s'allongent encore, l'équilibre finit par se rompre, la constructions' effondre et le phénomène recommence.