LETTRE
/
A MONSIEUR^
FRERE DU ROI.
M ONSEIGNEUR,^
Uorage
fe pafle : je n’entends plus gronder le tonnerre^
&
ce vaiffeau quifans pilote &: fanspain5 s’ouvroîtaux flots
& aux
vents, n’attendque
le jourpour
rentrej: paifiblementau port«
Mais chacun
fedemande où vous
étiezpendant
latempête
:on ne vous
a pasmême vu
lever les mains au ciel.Brutus
devoit-ildormir,lorfque
Rome
étoit dansles fers }
Comment
fpeêlateur oilifde nos dan-gers
& de
nos malheurs, dans cette crife IKS
CBRARY
fanglante
où
lamain
aveugle d’un pere s’égaroit fur le fein de fes enfants ;où une Cour
frivole&
barbare préparoitpar des fêtes fes foldats à des crimes ,où
i’hiftoire
avec
le burin qui a gravé la Saint-Barthelemi, préparoitpour une
fé-condé
fois la phrafe terriblede Séneque
:Inter
magnam urbem & nullam nox una
interfuit;
comment
avez-vouspu
lorfque le tocfin de la liberté retentiflbit dans toute la France, décorant votrechapeau de
lacocarde citoyenne , ne pas prendre, fînon l’épée ,du moins
l’égidede
la Patrie ?Vous
deviez , fur les premièresmarches du Trône
,fideleàl’honneur qui
fait taire la nature, veiller fur la foudre
de
Jupitercp-Qpouvoir,
pendant
fonfom-
meil, allumer l’imprudenteJunon, Avec
des intentions droites
,
pourquoi
, par des
ménagements
qui coûtent tropaux âmes
fortes
, n’avez-
vous
paruque
plaindre&
cesfemmes
d’état , qui, mettantk
leur confcience
un
prixcomme
à leurs3
charmes
, avoient épuifé TxOS tréfors ôc nosmœurs
y&
ces déferteurs auguftesqui traînant fur des terres étrangères les débris
du
defpotifme ,marqués de
Topinion, fubiront par-tout le mépris deshommes
libres ? Il falloir par vos eon-feils
, profitant de la force
que vous
don- noit l’eftime publique , déjouant leurs trames perfides, leur montrervous-même
le drapeau de la Nation. Inllruit
comme
vous Fêtes,
Monfeigneur
,
ne vous
rap-peliez-vous pas
que
So/o/z, qui a fait
de
» fi
bonnes
loix , déclaroit infâmesceux
qui parune
adrefleou
parune
pufillani-mité qu’on
nomme
prudence,froidsjufques dans
une
fédition, n’épouferoientaucun
parti ? n’en fervir
aucun
, c’eft les trahir tous.Oui
5Monfeigneur
, vous deviez des véritésau
P^oi jvous
deviez des fervices à fon peuple.Perfonne ne doute
que
vousn’ayez reçuavec
plaifir , dans cetteCour
qu’il a fall^4 changer pour
lerecevoir^ cet
ami du
Roi^honnête
homme comme
lui5 qui par fes
travaux a difpofé .Fimmortalité
de
laFrance*
Mais
il nevous
a pasdit5 le
mo-
defte Camille ,
combien
de bénédiêtionsila reçuesfur fa route
femée d'hommages*
Les
peres le montroient à leurs enfants^
&
lebonheur que
promettoit fon retour ^ rattachoitlQSvieillardsàlavie'.Lesvillages ïe difpuroientaux
villes qui fembloient"fe le palfer , fe le confier
,
& quand on
pe
le gardoit plus^
on
le fuivoit encore*Eut-ii jamais plus de gloire ce Car- dinal-Roi
, lorfque porté deParis à
Lyon^
fur les épaules de fes
Gardes
, qui ref-peftueufement
murchoientnue
tête, dansUne chambre
fufpendueoù
pouvoients’affeoir à fes côtés
deux
flatteurs,
on
fai- foit élargir les maifons , abattre desmu-
railles 5
& qu
ilaccabloit les Provincesde
fa grandeur
&
de fa puiflance ? II luimanquoit
lavéritablecouronneje
fufîrage,
du
Peuple :&
LouisXIîI
^ fimalheureux
5
par fon frere , plus
malheureux
encore par fafemme
^ n^'eut jamais la confola- tion d’apprendreque
ce Richelieu qui lui fut utile, puifquil abaiflalamaifon d’Au- triche,lui avoir, dans fes
voyages
lî fo- lemnels, conquis des Sujets.Ah
IMonfeigneur
^ quel tréforpour une
Nation qu’unMiniftre,droit,intégré, éclairé, quiviâime
volontaire, dût-il
perdre
un
œilcomme
Licurgue ,en
fubftituant
aux
capricesdu
pouvoir les réglés éternelles de la raifon,par des ré-
formes courageufes , médite le
bonheur de
lapoftérité?Quelque
grands, quelque
bons que
foient les Princes , fulTent-ils infpirés parune
Egérie, il n’y a-que
leurs Miniftres qui,avec autant demoyens
pourles fervir qu’ils en ont pourles tromper, puiflent fonder la profpérité desEmpires.
Aul5
levainqueurde
laGrece
, Philippe, dans ces repas
no élûmes
,où
les Rois^
échappés du Trône
^ ne fentent le befoinde
n’êtreque
deshommes
^ difoit-il avec(
fabandon de
la gaieté, luvùns ,
rms
amisy buvons3ilfiffitquAndpamrne
bol*vepas.
Mais avec
les lumièresde
fon Sullî , Louis,XVI ne
pouvoit-il pas encore efpé- rerque
le preinierGentilhomme de
fonRoyaume
, celui quia
peut-être le plusde
nobleffedans fes vertus, le plusde po-litefle dans fes maniérés , appuieroit
de
fes lumières
& de
fon crédit ,une
révo- lution qui pouvoir faire craindre àun Monarque
l’ambitiond’unCromwd
lDu moins
,Monfeigneur
, puifque
vous
n’avez pas attaché votrenom
à la plus belleépoque
desMonarchies
^ foyez lepremier à féliciter le
Roi
d’avoir trouvé dans fonPeuple
de ceshommes
tutélaires qui plus fortsque
les préjugés, plus fages
que
lesLois, propofent au
monde
entier lecode
des Peuples&
desRois.Ne
vaut-il pas
mieux
qu’il pefe dans les balan- cesde
la Nation les intérêts de fes Sujets,
que
dedépendre
d’uneCompagnie
. ‘
7
vénalequi neluiconteftoit fes prétentions
que pour augmenter
les fiennes,&
qui,
ou
par des refus féditieux^ou
pardes corn- plaifancesferviles, compromettoitou
l’au- torité5ou
la confcience de fes Maîtres ?Peut-on ne
pas rire en penfantque
c’eftun
Culet,un Martineau
,un
Crepin^un
Quatrefols
,
que
ce font enfin des ftillers qui en payantleur charge, jurent qu’ilsnel’achetentpas^qui ontchaffédefa Capitale Louis
XIV
, fon frere&
leurpauvre mere
?Combien
detemps
il a falliêpour
ofers’appercevoirque
lesParlements étoiént des renards qui blâmoient le loup demanger
lesmoutons
9&
quieux-mêmes
croquoientles poules?
Le temps
eft enfinvenu
de citer aumême
Tribunal ^& l’homme
deCour,
& rhomme de
Loi ,& l’homme de
Guerre
,& l’homme
de Finance.La
vérité
&
la juftice font là , entouréesde
verges&
de lauriers j épiant les aftionspour
les couronnerou
les flétrir,elles forceront Thiftoire
, qui a fi fou-
veut menti , à être févere
comme
elles :& malheur
àun Brantôme
qui loueroitune
Catherine de Medicis& une
jeannedeNaples. Il faudra bien auffi
que
les Rois^s’ilss’amufoientencore àenfilerdesperles
^
s’entendentdire fouvent ce qu’une
Dame
ofa dire
une
fois à Louis XIII : Sire ^ vous fçave:^ tous les métiers, excepté le vôtre.Je
fuisavec un
profond refpeO:,Monseigneur,
De Monsieur
,Le
très-humble&
très-obéiffant ferviteur,
M.
Chez.
VoLLAJND
, Libraire , quai desAugus*tiîis^ No. 25,