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L’eau potable, origines et fondements des pratiques en milieu urbain

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Academic year: 2022

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Résumé

Rabat-Salé, capitale politique du Maroc et sa périphérie semble, a priori, épargnée par les problèmes d’eau potable longue et complexe, il couvre inégalement le territoire de la ville. Les disparités socio-spatiales en matière d’équipement, de volumes consommés, de dotations per capita sont fortes. Au moment où le principe d’une nécessaire préservation de la ressource s’impose à tous, l’assainissement liquide, jusque-là marginalisé, devient un véritable enjeu. Ainsi, en mettant en évidence les conditions du changement intervenu dans la gestion de ce service public local de première nécessité, on s’interroge sur le mode de gouvernement de la grande ville marocaine d’aujourd’hui.

Mots-clés : eau, ville, gestion urbaine, disparités socio-spatiales, distribution, gestion déléguée, service public local de première nécessité.

Introduction

Aujourd’hui encore plus que par le passé, la question de l’eau se pose avec davantage d’acuité au Maroc. L’appartenance du pays aux domaines arides et la croissance soutenue de la demande en eau concourent à expliquer l’insuffisance des ressources disponibles, elles-mêmes à l’origine de conflits de compétition entre utilisateurs différents, en particulier en période de pénurie.

Malgré la politique des grands barrages, impulsée en 1967, qui avait pour objectif, entre autres, de réguler les variations inter-saisonnières, l’irrégularité inter-annuelle devient de plus en plus difficile à supporter, en particulier la succession d’années sèches, comme en 1980-1984 ou en 1990-1994. Pour compenser, les eaux souterraines ont été sollicitées : les prélèvements croissants les ont ainsi mis à rude épreuve. Sur 30 km3d’eaux renouvelables et 21 km3 exploitables, les ressources superficielles actuellement mobilisées atteignent 11 km3dont 9,2 km3régularisés par les barrages. En ce qui concerne les eaux souterraines, sur 4 km2mobilisables,

Béatrice Allain- El Mansouri

Centre Jacques Berque des sciences humaines et sociales, Rabat

(*) Cet article est le texte remanié d’une

intervention de l’auteur à la faculté de Fès dans le cadre du séminaire organisé par l’UFR

« Eaux, société et aménagement » du département de géographie de l’université Sidi Mohamed Ben Abdallah (Fès) en avril 2000.

fondements des pratiques en

milieu urbain (*)

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2,6 sont déjà utilisés alors que plusieurs nappes souterraines connaissent une tendance à la baisse, du fait du surpompage.

Les perspectives sont donc plutôt sombres, surtout si l’on tient compte de la tendance à l’irrégularité, sans compter la tendance à l’assèchement climatique.

Mais à ces considérations physiques s’ajoutent un autre aspect capital, à savoir la croissance démographique. Si effectivement, au lendemain de l’indépendance, avec une population d’un peu plus de 11 millions, dont 29,3 % résidant en milieu urbain, l’abondance des ressources pouvait faire parler de “Eldorado du Maghreb”, la situtation actuelle est beaucoup plus préoccupante. Si on retient les seuls chiffres du dernier recensement, c’est à une population de 26 millions d’habitants qu’il faut assurer les besoins en eau potable dont 13,4 millions résident en ville. Ainsi la population vivant actuellement dans les villes au Maroc représente la population totale que comptait le pays entre 1960 et 1971. On peut ainsi mesurer l’importance de cet enjeu si l’on sait que la ressource en eau per capitaa tendance à fortement diminuer. Pour la seule dernière décennie, cette dotation est passée de 1 200 à 950 m3/hab/an. D’ici 25 ans, elle ne sera plus que de 632 au moment même où la demande en eau potable aura atteint les 21 km3d’eaux mobilisables.

On peut donc considérer que le Maroc est déjà à l’heure actuelle à la limite du seuil de “stress hydrique”, évalué à 950 m3/an/hab. il devrait atteindre le seuil de pénurie, 500 m3/hab/an vers 2030. Au-delà des potentialités réelles, le Maroc devrait être conduit à mettre en place une nouvelle approche dans sa politique de l’eau, surtout si l’on tient compte des points suivants :

– La part des ressources consacrées à l’agriculture domine largement (86 % en 1995). Mais en raison de l’urbanisation rapide, la part de l’alimentation en eau potable des villes (14 % en 1995) est appelée à croître beaucoup plus vite que l’irrigation, alors que celle-ci demeure essentielle pour l’économie du pays dans la mesure où les productions retenues, destinées à l’exportation, doivent être pourvoyeuses de devises (cf. situation de la dette/budget de l’Etat, soit 32 % des dépenses, 40/122 milliards).

– La nécessité d’assurer les moyens de satisfaire la demande en eau potable de la population rurale, qui jusque-là s’est trouvée bien marginalisée dans l’accès à ce service de première nécessité. Ainsi en 1994, 47,1 % des ménages à l’échelle nationale bénéficiaient de l’eau potable à domicile, ils n’étaient que 10,6 % en milieu rural, contre 85,6 % en milieu urbain.

– Enfin, la dotation globale en eau potable d’une ville n’est pas destinée en exclusivité à l’alimentation domestique, mais peut faire l’objet d’un usage industriel ou administratif. Dans la seule wilaya de Rabat-Salé, les consommations administratives représentaient près de 32 % du total consommé en 1992.

Au moment où l’Etat, principal artisan de la politique de l’eau à l’échelle nationale, cherche à définir de nouvelles lignes forces de son action (maîtrise

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de toutes les ressources, pour assurer les besoins tant de l’agriculture irriguée que de l’alimentation en eau potable ; préservation de l’équilibre ressources/consommations des grands bassins hydrauliques ; amélioration de la gestion de l’eau mobilisée, en particulier la récupération de l’eau usée et son paiement à un juste prix), on peut s’interroger sur les pratiques existantes en milieu urbain en matière de distribution d’eau potable, alors qu’aucune ville ne dispose d’un raccordement à 100 % de sa population, comme c’est le cas dans nombre de villes du nord de la méditerranée. En quoi ces pratiques trouvent-elles leur origine, leur fondement, dans l’histoire en particulier de l’organisation du service mais aussi dans les conditions mêmes de production de la ville ?

Après avoir, à partir de l’exemple de Rabat-Salé, décrit les contrastes existants dans les conditions d’accès et les pratiques qui en découlent, nous mettrons en évidence les grandes étapes de l’histoire hydraulique afin de mesurer en quoi elles ont eu des effets sur les pratiques. Nous conclurons sur les limites qu’imposent ces pratiques et la nécessité d’apporter des éléments de réforme pour permettre une meilleure gestion rendue impérative, comme nous l’avons vu, par la menace grandissante de “stress hydrique”.

I. Etat des lieux : de fortes disparités qui débouchent sur des pratiques plurielles

A. Dans les conditions d’accès à l’eau potable

La wilaya de Rabat-Salé, et tout particulièrement l’agglomération, présente un tissu urbain très contrasté. Elle se compose d’un centre au moins dual, plus ou moins compact, de franges urbaines partiellement intégrées et d’une périphérie rurale animée localement par des noyaux agglomérés en pleine expansion. En raison de la rapidité et de la complexité des processus à l’œuvre, des formes plurielles d’habitat ont émergé et sont inégalement desservies en infrastructures de base, en particulier l’eau potable. Peu nombreux sont les quartiers qui enregistrent 100 % d’abonnés.

Aussi, les points d’eau collectifs, au nombre de 128, soit moins de 1 % du total des abonnements, conserve un rôle essentiel, notamment dans les quartiers non réglementaires en dur ou précaires. Désigné sous le terme de “seqqaia”, il ne recouvre par la même réalité. La borne-fontaine de construction récente sans prétention esthétique se limite à un simple robinet alors que la fontaine, située en médina, souvent décorée de zelliges, vise à s’inscrire dans le patrimoine de la ville, du moins du point de vue des décideurs, car il est clair que dans les deux cas, pour l’usager, ce qui importe est de pouvoir d’abord s’approvisionner en eau.

Pourtant, en raison de la politique de généralisation du raccordement individuel, les bornes-fontaines tendent à être fermées, accentuant de fait la ségrégation socio-spatiale entre Rabat et Salé, entre le centre et les quartiers situés à la limite du périmètre urbain, mais plus encore au cœur même de

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certains quartiers, où des formes d’habitat insalubre ou des noyaux de bidonvilles anciens, insérés dans le tissu urbain, persistent. Exclus de la logique du réseau parce que résidant dans des formes d’habitat non réglementaires, ces citadins ordinaires doivent faire preuve d’une ingéniosité toujours plus grande pour assurer leurs besoins en eau, en recourant à des solutions alternatives (don gracieux, déplacement plus lointain vers des fontaines encore en fonctionnement, réservoirs d’eau de pluie, puits, toilettes publiques, vendeurs d’eau) alors que s’accentue leur marginalisation tant sociale que spatiale. A la périphérie, les contrastes sont encore plus violents entre une population agglomérée dans les petits noyaux qui commencent à être raccordés, individuellement ou collectivement, au réseau et une population rurale.

Le réseau d’eau potable n’a pu être développé jusqu’à présent en milieu rural en raison de l’extrême dispersion de l’habitat. Aussi, les usagers mobilisent-ils toutes les ressources à leur disposition, qu’elles soient souterraines ou superficielles, temporaires ou pérennes. Néanmoins, la multiplication des points de prélèvement ne les met pas à l’abri de la pénurie.

Ainsi, les concurrences entre maraîchage irrigué et usage domestique, que l’autorité locale a bien du mal à arbitrer, s’exacerbent en période de sécheresse.

La solution, a prioriséduisante du barrage-collinaire, expérimentée dans la commune d’Ain el Aouda, apparaît plus dans les faits comme un accessoire que comme un outil déterminant de la politique de l’eau en milieu rural.

B. Du point de vue des consommations

Si les disparités dans les conditions d’accès à l’eau potable sont un premier indicateur pertinent des inégalités vis-à-vis des services urbain, les disparités du point de vue des consommations sont particulièrement révélatrices du degré de ségrégation sociale en raison même de leur coût.

La consommation d’eau potable distribuée par le réseau est tout à fait inégale selon les quartiers, les catégories sociales et les usages. La consommation des particuliers est directement liée aux conditions d’accès à cette infrastructure qui irrigue inégalement la ville. Dès lors qu’un ménage peut souscrire un abonnement, sa consommation d’eau augmente en fonction de son niveau de vie. La géographie des consommations correspond parfaitement à celle des abonnements et constitue un indicateur pertinent de la ségrégation socio-spatiale entre l’agglomération et la périphérie, au sein de l’agglomération, entre Rabat et Salé et entre les quartiers.

Ainsi l’exclusion de la logique du raccordement individuel se traduit par la persistance des bornes-fontaines. Représentant en 1992 une consommation de 1 953 822 m3 contre 61 526 337 m3 tous usages confondus sur la wilaya, soit 3 % de la consommation totale dont le coût est assumé, certes, par les collectivités locales, les bornes-fontaines ne doivent pas être synonymes de gaspillage. En effet, la dotation per capitaest la plus faible enregistrée, soit 20 litres par jour en moyenne. En fait, alors que les bornes-fontaines font l’objet de la “sollicitude” de tous, la discrétion est

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de rigueur en ce qui concerne les consommations administratives. Ces dernières, particulièrement élevées à Rabat (1), reflètent sa fonction de capitale politique et administrative, mais ne font l’objet d’aucune suspicion de gaspillage. Tout se déroule comme si le raccordement collectif des plus pauvres était devenu “la bête noire” des responsables. A travers leur suppression, c’est une certaine image de la ville que l’on vise : en éradiquant les bornes-fontaines du paysage, on cherche à supprimer le signe du mal-développement de la ville.

II. Cet état des lieux s’inscrit dans une histoire longue et complexe

A. 1912-1956 : d’une gestion communautaire à une gestion industrielle L’instauration du Protectorat a provoqué une rupture majeure dans la gestion et dans la perception de l’eau potable dans les villes marocaines, en contribuant à l’émergence d’un nouveau rapport à l’eau, conçue non plus comme don de Dieu mais comme bien marchand nécessitant une organisation industrielle du secteur.

1. Avant 1912 : habous, fontaines et gratuité constituent les termes de référence en matière d’eau potable

Bien avant l’irruption de la colonisation, les cités intra-muros de Rabat et de Salé disposaient d’un système de distribution d’eau potable. Celui- ci avait été mis en place au cours des siècles par les sultans, qui avaient entrepris une politique de transferts en vue d’approvisionner régulièrement en particulier les villes impériales. En raison de la forte salinité des eaux de l’estuaire, jusqu’à 15 km de l’embouchure, il fallut avoir recours à d’autres modes d’approvisionnement en eau. Dès le XIIesiècle, les sources d’Ain Attig et d’Ain Gheboula, situées au sud-ouest de Rabat ont leurs eaux amenées par aqueduc jusqu’à la médina. Deux siècles plus tard, sous l’impulsion des sultans mérinides, Salé, située sur la rive droite de l’oued Bou Regreg, fut alimentée de manière semblable par les eaux d’Ain Barka située à 15 km au nord de Salé. L’eau, ainsi mobilisée, était conduite jusqu’à la ville par une canalisation tantôt à ciel ouvert, tantôt enterrée. Arrivée en vue de la ville de Salé, par exemple, elle prenait l’allure d’un aqueduc dénommé “El Kouass” en raison de ses trois arcs qui servait de deuxième rempart, protégeant les jardins de la ville et la route principale reliant Salé à Tanger.

L’eau alimentait gravitairement, à partir de la Grande mosquée, les monuments religieux (mosquées, marabouts), les fontaines, les hammams(2), les latrines et les abreuvoirs. L’ensemble de ces équipements collectifs étaient des biens habous, de même que certaines sources (Ain Attig à Rabat, Ain Barka à Salé). Ils étaient placés sous l’autorité du Nâdhir (3). Celui-ci devait veiller en particulier à la répartition équitable de l’eau. Pour cela, sur les parois

(2) Hammam : bain maure.

(3) Nadhir : responsable de la gestion des biens (1) La consommation des administrations s’élevait en 1992 à 19 858 695 m3, soit 32,3 % de la consommation totale à l’échelle de la wilaya. La ville de Rabat à elle seule consomma à la même date 13 824 149 soit 69,6 % du total des consommations administratives.

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des bassins de distribution et des vasques des édifices du culte étaient pratiquées des ouvertures à des hauteurs et de diamètres variables, selon le débit concédé.

Il pouvait ordonner de procéder aux réparations et régler les dépenses grâce aux revenus d’autres biens habous. Ainsi, le sultan Moulay Ismail constitua, en 1712, les revenus de la pêche de l’alose dans l’oued Bou Regreg afin d’assurer les fonds nécessaires à l’alimentation en eau de la ville de Salé.

Les habitants s’approvisionnaient essentiellement aux fontaines. Ils s’y rendaient directement ou faisaient appel à des porteurs organisés en corporation et qui étaient le plus souvent originaires de la région du Drâa.

Exceptionnels étaient les branchements particuliers. Faveur accordée par le sultan, elle était mise en application par le Nâdhir. Les bénéficiaires avaient la charge de l’installation et de l’entretien de la conduite du point de prélèvement jusqu’à leur demeure. En complément, l’eau nécessaire aux gros travaux domestiques était prélevée dans les puits qui subsistaient dans de nombreuses maisons ou dans les réservoirs d’eau de pluie, appelés mitfia, installées en sous-sol. En revanche, pour les soins corporels tant du point de vue de l’hygiène que de l’observance de la pureté rituelle (grandes ablutions), les habitants fréquentaient plusieurs fois par semaine le hammam.

L’organisation de la distribution de l’eau potable à la veille du Protectorat repose donc sur une autre logique que celle qui prévaut aujourd’hui.

Communautaire, articulée fondamentalement par le religieux, l’eau n’y est pas sacralisée, mais demeure instrument du sacré. Impérative dans la pratique cultuelle, perçue comme don de Dieu, elle ne peut faire l’objet de transactions marchandes et renvoie à des droits d’usage plutôt que de propriété. Sa gestion est assurée localement par les habous, mais impulsée en partie par le pouvoir central, si l’on se réfère au rôle du sultan.

Enfin, les équipements collectifs, visibles dans l’espace urbain, participent à sa structuration en contribuant à l’émergence de lieux de sociabilité au cœur de l’espace public comme les fontaines ou les bains maures.

2. Le temps de la colonisation : service public, rentabilité et hygiénisme prennent le relais dans une perception duale de la ville

Malgré la cohérence de cette organisation, la situation se révélait alarmante du point de vue technique à la veille de l’instauration du Protectorat. Nombre de fontaines n’étaient plus en fonctionnement, tandis que les aqueducs n’apportaient plus qu’une eau terreuse, le plus souvent impropre à la consommation.

Ces déficiences techniques permirent aux autorités coloniales de justifier des choix qui permettaient dans un premier temps, certes, d’améliorer le sort des villes anciennes mais qui, bien au-delà, allaient bouleverser radicalement le système préexistant, en vue de donner corps au projet urbanistique impulsé par le Maréchal Lyautey.

La dimension hygiéniste est au cœur de ce projet. Elle traduit la volonté des autorités coloniales d’éradiquer tout risque d’épidémies véhiculées par

habous, nommé par le Sultan.

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l’eau et qui avaient provoqué de véritables ravages quelques décennies auparavant.

Sous-tendue par les nouveaux savoirs et les nouvelles techniques nées de la Révolution industrielle, la domestication de l’eau bouleverse profondément la perception que les contemporains en ont alors en Europe et en France en particulier. Devenue produit industriel au même titre que le charbon, elle assure le développement de grandes compagnies comme la C.G.E. (4) ou la Lyonnaise des eaux, modifie le paysage urbain, balaye les traditions qualifiées de superstitions en imposant de nouveaux rites de propreté et d’hygiène, véhiculés par l’école, la presse et l’hôpital.

Dans les villes marocaines, la mise en œuvre de l’hygiénisme est rendue compliquée par une double orientation. D’une part, la volonté de préserver le caractère “originel”, “traditionnel” de la vieille médina pousse les autorités coloniales à la toucher le moins possible. On décide, dès 1912, de la nettoyer, de la déblayer, de restaurer les fontaines, de développer un réseau d’égoûts…

D’autre part, le projet de ville nouvelle doit permettre d’en faire la vitrine du modernisme le plus avancé pour son temps en mettant en œuvre une planification d’avant-garde. Il s’agit en particulier de la doter de toutes les commodités, en particulier le raccordement d’eau potable à domicile permettant de disposer d’une salle de bain, de WC particuliers. Ainsi le territoire de la ville et a fortiori ses habitants ne sont pas perçus comme une entité globale, mais comme des portions d’espace auxquelles on applique un traitement urbanistique différent.

A Rabat, la question de l’accès à la ressource et son mode de distribution, compte tenu du passé hydraulique de la ville et de la demande de populations nouvellement installées, se posa essentiellement en termes de rupture avec le mode de fonctionnement préexistant. Un projet de réforme vit le jour.

Il passa par l’adoption d’une série de textes juridiques qui, tout en préservant dans ses formes anciennes la distribution d’eau potable dans la ville intra- muros, garantissait l’approvisionnement en continu des nouveaux quartiers de la ville européenne.

Du point de vue institutionnel, les Habous (5) durent céder à la Résidence la gestion des eaux dont ils avaient la charge, sous réserve cependant que les établissements religieux, bains maures et latrines publiques continuent d’être alimentés. A la même période est défini le domaine public (6) dans lequel furent intégrées en particulier les sources qui approvisionnaient jusque- là la ville de Rabat-Salé.

Les villes sont alors dotées d’une commission municipale dès le 1eravril 1913. Rabat, promue capitale politique la même année, décide de céder la concession de distribution d’eau potable et d’électricité à la Société marocaine de distribution (SMD) en 1915. Celle-ci est renouvelée en 1931 pour une durée de 40 ans. Ce choix était motivé essentiellement par des questions financières, car les aménagements hydrauliques engageaient fortement les finances du Protectorat, bien au-delà des finances de la nouvelle

(6) Dahir du 1erjuillet 1914.

(4) CGE : Compagnie générale des eaux.

(5) Dahir du 28 avril 1914.

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municipalité. La collectivité publique chargeait donc une entreprise de réaliser l’équipement et d’en assurer l’exploitation à ses risques et périls, en se rémunérant directement auprès des usagers. Emanation du droit administratif français, la concession du point de vue politique apparaissait comme le moyen privilégié de pénétration des capitaux étrangers. Dès la Conférence d’Algésiras en 1906, les puissances signataires s’accordent sur le principe de la concession des services publics aussi bien au niveau national qu’au niveau local. A. Ayache (7) dans son bilan de la colonisation publié en 1956 indique : « La SMD et ses satellites, la Banque Paribas, associée à la puissante société Lyonnaise des eaux et de l’éclairage, filiale de la Compagnie générale d’électricité (groupe Mercier) se partagea… la construction des grands barrages, des centrales thermiques et hydrauliques.

Le matériel d’équipement fut fourni par les mêmes groupes… les collectivités locales et les sociétés concessionnaires comme la SMD s’adressèrent pour les travaux d’adduction d’eau de canalisation et d’égoûts à la Société Pont-à-Mousson ou à celle des tuyaux Bonna, filiale de la Compagnie générale des eaux… »

Le principe d’une concession exclusive de la production et de la distribution de l’eau potable à un groupe privé, né de l’alliance entre la banque Paribas et la Lyonnaise des eaux, traduisait le grand intérêt que suscitait la perspective du projet urbain de Lyautey dans les milieux d’affaires français et leur rapidité à se positionner sur ce marché naissant mais prometteur.

Les années dix se caractérisèrent donc par le démantèlement du système ancien auquel on substitua un nouveau mode de gestion, la concession à une société privée. Les objectifs étaient non seulement la satisfaction des besoins en eau des habitants, mais aussi le souci de la rentabilité quasi immédiate. La décennie suivante se traduisit par une véritable course engagée pour satisfaire la demande croissante des Européens à partir des ressources locales. Insuffisantes, il fallut envisager un élargissement du rayonnement hydraulique. C’est dans ce contexte que fut lancé l’adduction de Fouarat qui, à partir de pompages dans la nappe de la Maâmoura, située au nord- est de Salé, devait permettre d’assurer l’alimentation des principaux centres de la côte atlantique jusqu’à Casablanca.

L’ampleur des travaux et la complexité de la gestion conduisirent les autorités coloniales à prendre la décision de dissocier la fonction de production de celle de la distribution, alors qu’elles étaient confondues jusqu’alors.

Un nouvel organisme fut créé par les pouvoirs publics : la Régie des exploitations industrielles du Protectorat (REIP). Par le biais de cet organisme, l’Etat prenait en charge les investissements nécessaires à la production de l’eau et les réseaux d’adductions régionales, tandis que la SMD conservait les activités de distribution et d’exploitation des sources et des puits situés dans la proximité immédiate des centres urbains.

(7) A. Ayache (1956),le Maroc, bilan d’une colonisation, Editions sociales, Paris, p. 141- 144.

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Qui a bénéficié de cet effort sans précédent ? La perception duale de l’espace urbain chez les autorités coloniales ne fut pas sans conséquence sur les modes d’alimentation des habitants. Au début des années cinquante, les principales conduites d’adduction mais aussi de distribution desservent essentiellement la ville nouvelle, alors que la médina ou les bidonvilles de la périphérie sont peu concernés. L’étude de la répartition des fontaines publiques est exemplaire : 11 robinets alimentaient la ville européenne contre 21 en médina et 42 dans les quartiers d’habitat précaire de Yacoub el Mansour et de Douar Doum. Dans le même ordre d’idée, le nombre d’abonnés disposant d’un branchement individuel s’élevait à 8 055 en 1950 dont 1 746 en médina, soit 17,8 % du total, tandis que le volume distribué s’élevait à un peu plus de 3 millions de m3 dont 19 % étaient desservis dans la cité intra-muros. Le maintien des fontaines publiques dans la médina et dans les premiers quartiers périphériques de bidonvilles, au moment où les branchements individuels se généralisent dans la ville européenne, traduit le hiatus grandissant entre les différentes portions de l’espace urbain qui apparaît de plus en plus éclaté.

La vision discriminatoire de cet urbanisme, qui se traduit par la volonté d’une stricte juxtaposition d’une population “indigène”, installée en médina et incarnant la “tradition”, à une population “européenne” résidant dans la ville “moderne”, n’a pas pour autant débouché sur la mise en œuvre d’une politique ségrégationniste dans l’organisation des services publics communaux comme la distribution de l’eau potable. Il n’a jamais été mis en œuvre au Maroc de réseaux strictement séparés pour alimenter les communautés installées soit dans la ville intra-muros soit dans la ville extra-muros.

Néanmoins, le développement du raccordement à domicile, réservé en priorité à une population, a joué un rôle nouveau et déterminant dans la dévalorisation de l’image de la fontaine. Celle-ci est peu à peu perçue par les habitants comme un signe de pauvreté et non plus comme un vecteur de l’urbanité, à l’instar de ce qui prévalait par le passé.

B. De l’indépendance à nos jours : de la décolonisation à la mondialisation

1. Au lendemain de l’indépendance, une décolonisation en douceur des services publics communaux

L’accession du Maroc à l’Indépendance n’a pas fondamentalement remis en cause les grandes orientations en matière d’aménagements hydrauliques ni l’organigramme de fonctionnement tant de la production que de la distribution de l’eau potable. En revanche, la reprise du service concédé s’imposait aux yeux de la classe politique comme un moyen de recouvrer la souveraineté nationale. Ce mouvement d’ensemble débuta en 1961 à Casablanca, où fut créée la première régie, la RAD (Régie autonome de distribution), qui devait succéder à la SMD. Elle fut le premier

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établissement communal marocain doté de l’autonomie financière et de la personnalité morale. La réussite de l’expérience, relayée par la volonté de

“marocaniser” les structures administratives, conduisit à la publication, en septembre 1964, du décret relatif aux régies communales dotées de la personnalité civile et financière. La régie autonome est dotée d’organes de gestion propres : le conseil d’administration est composé pour 2/3 de représentants de la ou des collectivités concernées et pour 1/3 de représentants de l’Etat.

Le pouvoir central, à travers le ministère de l’Intérieur, exerce un contrôle dans l’organisation de ce service local. En tant que ministère de tutelle, il choisit le directeur de la régie, nommé par décret. Il exerce un pouvoir de contrôle sur les principales décisions de la Régie : direct par le biais de la Direction des régies et services concédés et indirect par la Direction des collectivités locales chargée de valider les décisions des élus. Enfin, le représentant local de l’Etat, en l’occurrence à Rabat le wali, préside le conseil d’administration de la Régie.

A Rabat, alors que le contrat de concession de la SMD ne devait s’achever qu’en 1971, la création de la Régie inter-communale d’exploitation et de distribution d’eau et d’électricité de Rabat-Salé (RED) fut promulguée en 1965. La décision fut prise par le conseil municipal de la capitale et le syndicat inter-communal de la province de l’époque regroupant Rabat, Salé, Témara, Skhirat et Bouznika. Elle fut entérinée par le ministère de l’Intérieur. Ce contrat correspondait à la stricte reprise des activités de la SMD, ainsi que des conditions d’abonnement à ses réseaux de distribution. Toutes les infrastructures municipales furent attribuées à la régie comme dotation initiale, les locaux et les moyens matériels furent rachetés à la SMD.

Si l’ensemble des collectivités locales étaient desservies en électricité par la RED, seule la commune de Rabat lui avait délégué la distribution de l’eau potable. Il faut ainsi attendre 1977 pour que le conseil municipal de Salé décide de renoncer à gérer directement ce service, et 1982 pour les communes de Témara, de Skhirat et de Bouknadel. Ainsi le territoire de la régie s’est-il élargi en un peu moins de 20 ans, correspondant, en théorie, au territoire des collectivités locales délégantes.

Le changement de statut du gestionnaire a-t-il eu un effet sur le mode de desserte ? A-t-on assisté au raccordement du plus grand nombre, puisque de fait, avec la fin de la présence coloniale, la vision dualiste de la ville semblait rendue caduque ?

2. Les régies autonomes : entre logique sociale et impératif économique La situation s’est révélée plus complexe du fait de la croissance démographique devenue explosive et de l’incapacité de l’Administration à encadrer le développement des villes, pour lesquelles elle voulut appliquer le corpus réglementaire en matière de planification urbaine légué par le Protectorat, et ceci indépendamment des pratiques des habitants.

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Des fragments de tissu urbain, fortement contrastés, du point de vue architectural, des équipements collectifs et du niveau socio-économique des habitants se sont ainsi développés.

La médina, en voie de paupérisation et de dégradation, n’est plus en mesure de faire face à la demande et l’ancienne ville coloniale, elle-même se densifie tant horizontalement qu’en hauteur. Elle est prolongée sur ses marges, en fonction des disponibilités foncières, soit par des lotissements réglementaires de standing (villas) ou d’habitat économique (R+2), soit par des formes non réglementaires, en dur sur des parcelles initialement à vocation agricole, et urbanisées en dehors de tout cadre réglementaire, ou précaires sous la forme de bidonvilles.

Cet ensemble urbanistique, hétérogène et discontinu dans l’espace, est inégalement articulé physiquement par les infrastructures de base que peuvent être les réseaux de voirie, d’eau potable ou d’assainissement. En effet, si dans les quartiers réglementaires, les infrastructures précèdent la construction, dans les quartiers clandestins, l’installation des conduites de distribution se fait ultérieurement, au terme d’une négociation serrée entre habitants qui veulent être intégrés au sein du périmètre urbain et les autorités qui craignent, en régularisant ces quartiers clandestins, de participer d’une dynamique urbaine qui apparaît incontrôlable aux yeux de nombre d’observateurs.

Or, dans ce contexte urbain en pleine transformation, l’accès au service continue d’être conçu sur le mode de la dualité : le branchement individuel dans les quartiers réglementaires répondant aux normes urbanistiques, le point d’eau collectif pour les quartiers irréguliers, en particulier les bidonvilles.

Pourtant, les organismes internationaux comme l’OMS, dès la fin des années soixante-dix, s’inquiètent du faible raccordement des populations urbaines au réseau d’eau potable. En 1979, 41,5 % des ménages dans l’agglomération de Rabat-Salé sont raccordés au réseau.

Un effort sans précédent est alors consenti pour permettre l’accès à l’eau potable au plus grand nombre. Le principe du branchement individuel est retenu, et il conduit à la mise en place de l’“Opération branchements sociaux”(OBS) financée par la Banque mondiale. Ce programme devait permettre aux ménages les plus modestes d’avoir accès au réseau en payant les travaux de raccordement à crédit et par tranches, mais aussi d’éradiquer les points d’eau collectifs rendus a prioriinutiles.

Les résultats sont impressionnants : le nombre de branchements s’élevait en 1997 à 205 222 sur l’ensemble de la wilaya pour une population de 268 774 ménages, soit un taux de raccordement de 76,7 %. Tous les ménages n’ont donc pas encore l’eau. Dans les quartiers situés sur le front d’urbanisation, ils disposent toujours de fontaines. Au nombre de 134 sur l’ensemble de la wilaya en 1989, elles étaient 213 en 1998, soit une augmentation de 59 % en moins de 10 ans. Ce maintien des points d’eau collectifs confirme, si besoin était, des différents processus d’urbanisation à l’œuvre. En effet, si aujourd’hui la commune de Rabat-Hassan, cœur ancien

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de la ville (médina et ville coloniale), en compte une seule, les communes au contenu socio-économique plus contrasté comme Yacoub El Mansour, en bordure de l’océan, ou de Youssoufia, le long de l’oued, en comptent respectivement 26 et 15. Ces points d’eau assurent gratuitement l’alimentation des populations résidant en l’habitat précaire (8) ou non réglementaire. Dotées d’un compteur, les fontaines donnent lieu à l’établissement de factures à la charge des collectivités locales. En 1996, si la consommation de l’unique fontaine encore en fonctionnement dans la commune de Rabat-Hassan ne s’élevait qu’à 54 000 dirhams, la facture fut beaucoup plus lourde dans les communes de Youssoufia ou de Yacoub el Mansour, respectivement 360 000 et 1,2 million de dirhams.

En revanche, quand la fontaine est fermée et que pour autant le raccordement n’a pas été possible pour tous, les habitants font appel au revendeur d’eau ou encore à la solidarité de voisinage. Cette dernière se manifeste soit par le don gracieux, soit par la mise en commun d’un abonnement. La consommation globale est partagée à parité entre les ménages usagers. Cette pratique, interdite en théorie par la RED, a des effets pervers puisqu’elle ne permet pas aux usagers les plus modestes de bénéficier de la tarification sociale. Au contraire, par ces pratiques ils sont amenés à acquitter l’eau en 2e voire 3e tranche pour lesquelles le coût du m3 est équivalent ou supérieur au prix d’achat.

Cette question tarifaire est au cœur aujourd’hui de la définition du service public. Sa généralisation a fait prendre conscience de son coût aux usagers : le principe du paiement est intériorisé, pour autant la politique des branchements sociaux n’a pas réglé la question des points d’eau collectifs, dans la mesure où leur existence rend compte des processus d’urbanisation à l’œuvre auxquels la régie est confrontée et pour lesquels elle n’a pas les moyens d’agir. En tant que prestataire de service, elle doit se conformer à la législation en matière d’urbanisme et ne peut satisfaire, sans l’aval de l’autorité publique, les demandes de raccordement dans les quartiers d’habitat non réglementaire en dur ou précaire.

A cette contrainte institutionnelle s’ajoute une contrainte financière puisqu’elle ne maîtrise pas la tarification. Celle-ci relève directement des services du Premier ministre et est le résultat d’une péréquation nationale.

La Régie, dans ce contexte, éprouve de plus en plus de difficultés à pré- financer les travaux d’extension des infrastructures et d’entretien à partir de ses recettes propres constituées des fonds de travaux et du montant des consommations. Dans le même temps, alors qu’elle doit honorer ses propres factures, la régie ne parvient pas à recouvrer l’intégralité de ses créances, notamment auprès des collectivités locales et des administrations publiques en général. A la fin de l’année 1998, on estimait le total des créances non recouvrées par la RED à près de 600 millions de dirhams, soit environ 1/4 de son chiffre d’affaires. Le maintien de l’équilibre financier étant obtenu grâce aux recettes de l’électricité.

(8) Les bidonvilles abritaient près de 40 000 personnes à Rabat au dernier recensement de 1994.

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III. Cet état des lieux conduit à s’interroger sur les représentations qui sous-tendent le jeu des acteurs en présence

A. Du point de vue des habitants, un impératif : avoir de l’eau La question de l’eau potable en milieu urbain est particulièrement complexe car elle dépasse la simple question de l’approvisionnement. Certes, cette donnée est fondamentale, puisqu’une partie de la population, exclue jusqu’à présent de cette logique, met en place différentes stratégies individuelles ou collectives pour avoir accès à l’eau potable. Mais bien plus, elle est un indicateur pertinent des mutations en cours de la société urbaine.

Dans leurs pratiques comme dans leur perception de la ville, les habitants montrent combien le réseau d’eau potable et son corollaire, le branchement individuel, sont intégrés dans les mentalités, au point de devenir banals, synonymes de la ville, alors que les équipements hydrauliques collectifs apparaissent implicitement comme les survivances d’un temps révolu.

L’intégration à l’espace urbain passe donc pour les usagers par le raccordement aux services de base. Aussi, lorsqu’ils sont installés sur les fronts d’urbanisation actifs (comme Oued Ed-Dahab à la périphérie nord- est de la ville de Salé), l’accès à l’eau potable devient un enjeu, dès lors qu’est réglée la question de l’accès à la terre constructible. En effet, au moment d’acheter un lot dans un quartier non réglementaire, la présence de l’eau potable n’est pas une condition rédhibitoire à l’achat. En revanche, elle devient impérative avec le démarrage de la construction. Face au refus de l’organisme distributeur de raccorder la zone concernée, les habitants vont mobiliser toute une série de stratégies pour obtenir l’eau.

1. Des solutions en dehors du réseau

• Recours à des prélèvements directs dans la nappe, à partir de puits.

Ces derniers ont été le plus souvent constitués en bien habous par un donateur et offert à la communauté (Douar Lamâalem Omar, Douar Mica sur la route de Bouknadel).

• Appel au vendeur d’eau ambulant qui lui-même s’approvisionne auprès de puits informels.

2. Des solutions à partir du réseau

• Action collective pour obtenir une borne-fontaine, devant être reconnue par l’autorité. Les élections communales sont à ce titre un moment fort, où fleurissent dans les programmes des divers candidats des promesses d’ouverture de ces points d’eau collectifs.

• Partage d’un compteur avec un voisin qui est déjà raccordé : soit au sein d’un même bâtiment, soit entre des bâtiments appartenant à des types d’habitat différents. Cette pratique, en théorie strictement interdite par l’organisme distributeur mais difficilement contrôlable, est constatée dans nombre de quartiers d’habitat économique ou restructuré. Elle s’explique

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par la quasi-impossibilité d’obtenir un second compteur dans un bâtiment prévu pour avoir un seul raccordement. Seuls les immeubles sont autorisés à obtenir une nourrice, c’est-à-dire un branchement permettant d’avoir plusieurs compteurs.

B. Du point de vue de l’organisme distributeur : assurer la distribution de l’eau dans un cadre réglementaire

L’organisme distributeur est habilité à délivrer un branchement, c’est- à-dire un raccordement au réseau et un abonnement (ouverture du compteur) dans les périmètres ouverts légalement à l’urbanisation. Il doit donc, à ce titre, se conformer à la législation en vigueur en matière d’urbanisme et ne peut desservir les populations installées dans les zones non réglementaires, qu’elles soient en dur ou précaires (bidonvilles). Or, ces quartiers caractérisent les fronts d’urbanisation les plus actifs, comme à Salé ou les marges de certains centres de la périphérie (Témara). En l’absence de procédure de régularisation, aucun raccordement individuel n’est possible.

Ainsi la gestion du réseau d’eau potable par l’organisme distributeur doit prendre acte de l’éclatement du tissu urbain, mais participe, dès lors qu’il intervient, à la mise en œuvre d’un processus de contre-fragmentation, aussi ténu soit-il si l’on considère ce que peut représenter la borne-fontaine.

En effet, dès lors qu’un processus de restructuration ou tout au moins de légalisation de formes d’habitat non réglementaires est entrepris par l’Etat, l’organisme distributeur est convoqué par son ministère de tutelle, le ministère de l’Intérieur, par le biais de la Direction générale des régies et services concédés (DGRS).

• Dans le cas de l’habitat en dur restructuré : dès lors que les usagers ont acquitté la taxe de préfinancement et ont reçu l’aval des autorités locales, l’organisme distributeur procède au raccordement individuel. Pour tenter de surmonter la contrainte financière chez des ménages modestes et en accord avec la Banque mondiale a été entreprise l’“Opération branchements sociaux”

qui permet de payer les frais de raccordement à crédit et rend possible la densification du taux de desserte. Ce fut le cas en particulier à Rabat dans nombre de quartiers comme la Médina, Takkadoum, Hay Ennahda ou Yacoub el Mansour.

• Dans le cas de l’habitat précaire, la situation est rendue plus complexe par le fait que la régularisation s’est accompagnée souvent d’un déplacement du site initial. Or, selon les modalités du recasement, l’organisme distributeur peut avoir été associé au plan ou au contraire doit faire face à des conditions qui ne lui permettent pas immédiatement d’assurer le raccordement individuel.

Si dans le cas du recasement de Hay Er-Rahma à Salé ou, dans une moindre mesure, à Moulay Ismail, l’équipement de ces nouveaux quartiers était très comparable à celui de lotissement économique classique, en revanche dans le cas des lotissements Ain Barka à Bouknadel et Souk Es-

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Sebt à Témara, les branchements individuels n’ont pu être envisagés soit pour des raisons techniques (à Bouknadel) ou foncières (à Témara). On leur substitua alors provisoirement plusieurs bornes-fontaines.

Ces points de raccordement collectifs au service rendent compte, certes, du processus d’éclatement du tissu urbain, en l’occurrence provoqué par l’autorité préfectorale soucieuse d’accélérer le règlement des bidonvilles, mais ne disposant pas d’une réserve foncière à proximité du site initial. Mais dans le même temps, elles constituent le premier élément d’articulation physique et tangible à la ville. En effet, si à la surface n’est perceptible qu’un point, la fontaine, celle-ci pour être alimentée est raccordée à une canalisation qui la relie au réseau principal. L’eau consommée est identique du point de vue de la qualité à celle consommée à Hay Riad, à Salé ou à Bouknadel.

Les quantités, liées au niveau d’équipement et à la capacité financière des usagers, demeurent en revanche un facteur discriminant : la dotation moyenne par habitant et par jour s’élevant à 20 litres en bidonville, contre 100 litres dans le cas de l’habitat économique réglementaire et supérieur à 200 dans les quartiers résidentiels de très haut standing.

Il est important de souligner que l’eau consommée aux bornes-fontaines est demeurée jusqu’à présent gratuite pour les usagers. Néanmoins, les factures du total des consommations sont acquittées par les collectivités locales et peuvent faire l’objet d’un montage financier en vue d’assurer l’équilibre. Ce fut le cas du lotissement Souk Es Sebt dans la préfecture de Témara-Skhirat. Ce lotissement, décidé par les autorités préfectorales de Témara, vise à assurer le recasement de bidonvillois du centre de la municipalité de Témara sur la commune rurale de Mers El Kheir. Trois bornes-fontaines ont été ouvertes en 1998, soit une consommation pour l’année de 21 740 m3équivalents à une moyenne de 7 246 m3par borne- fontaine. Du point de vue financier, la consommation s’est élevée à 241 325 Dh pour les trois premiers trimestres de 1998 contre une consommation de 18 854 m3en 1997, soit une somme 105 393,86 Dh.

En quelques mois, la charge que représente l’eau sur le budget communal a été augmentée de plus de 128,97 %. Aussi, compte tenu du déplacement de la population d’une commune à l’autre, les quittances ne sont-elles pas acquittées par la commune rurale de Mers El Kheir, mais par la communauté urbaine de Témara-Skhirat qui constitue un regroupement des collectivités locales concernées.

C. Du point de vue des collectivités locales : assurer leur mission de service public de qualité à moindre coût

A partir des années quatre-vingt-dix, le fonctionnement du service de l’eau potable sur le mode de la régie, inscrit dans un cadre réglementaire qui vise en théorie à garantir l’intérêt public, est de plus en plus objet de débats, tant du point de vue de sa capacité technique à satisfaire la demande croissante des usagers que du point de vue de son coût. Ses défenseurs mettent

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(9) Contrairement à Casablanca, pour laquelle la couverture médiatique avait été forte, Rabat a suscité peu d’articles (moins d’une dizaine sur la période juillet 1996- janvier 1999) de la part de la presse nationale.

Pour rendre compte des

en avant qu’elle a participé à l’édification de l’économie du pays dans les premières années de l’indépendance tout en visant à réduire les inégalités sociales par une politique tarifaire progressive. A l’inverse, ses détracteurs dénoncent le principe du monopole et les effets d’une gestion trop souvent bureaucratique.

Ces prises de position, contradictoires, sur la question du service de l’eau potable reflètent les choix cruciaux auxquels sont confrontés aujourd’hui les pouvoirs publics dans un contexte d’intégration croissante à l’économie mondiale :

– maintenir le principe de l’interventionnisme, mais dans un cadre rénové : le secteur public est invité à entreprendre une réforme de ses outils et de ses institutions en vue d’une plus grande efficience ;

– ou au contraire, se désengager par le biais de la privatisation de certaines activités à caractère industriel et commercial dans le but, en particulier, d’en améliorer la productivité et de permettre la satisfaction des exigences croissantes des usagers, perçus de plus en plus comme des consommateurs, dans le cadre de la concurrence.

En effet, l’accélération de l’ouverture du marché, la pression de la concurrence internationale imposent aujourd’hui un renforcement des infrastructures de base comme l’eau potable, l’assainissement et l’électricité et passent par une amélioration sensible des performances techniques, commerciales et financières. Le transfert de la gestion de ce service au groupe Suez-Lyonnaise des eaux par la Communauté urbaine de Casablanca en 1997 a inauguré une nouvelle étape dans la gestion des services publics communaux. Le Maroc ayant donc tranché en faveur du recours à des opérateurs privés. Rabat a suivi de peu en signant, en mai 1998, le même type de contrat avec un consortium luso-espagnol.

Ce nouveau tournant, imputé en partie à la mondialisation, permet, dans l’immédiat, de mesurer la complexité des relations entre le pouvoir central, incarné par l’administration de tutelle au moment où il affirme sa volonté de se désengager, et le pouvoir local, représenté par les élus communaux, en attente d’une décentralisation effective.

Dans le cas de Rabat, le groupement des sociétés espagnoles (URBASER) et portugaises (Pleiade et EDP) avait déposé au ministère de l’Intérieur dès juillet 1996 un dossier portant offre de gestion du service public pour l’eau potable, l’électricité et l’assainissement.

En mars 1997 (9), soit neuf mois après le dépôt du dossier, les communes urbaines de la wilaya de Rabat-Salé furent saisies officiellement. Les élus sont favorables au principe de la concession, en particulier pour l’assainissement liquide où tout est à faire, mais pas à n’importe quel prix. Trois mois plus tard, le Conseil de la Communauté urbaine de Rabat propose la constitution d’un comité ad-hoc tripartite (10) chargé d’étudier l’offre du consortium ibérique.

Pendant presqu’un an, la négociation, particulièrement difficile, révèle des clivages forts au sein de la classe politique locale : les élus modérés et

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conservateurs considèrent, à l’instar du Président de la Communauté urbaine de Rabat, lui-même Directeur général des collectivités locales, que le dossier est techniquement prêt, alors que les élus USFP (11), alors dans l’opposition, ainsi que les milieux d’affaires représentés par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), sans jamais remettre en cause le principe de la concession, contestent la procédure de gré à gré, rappellent la nécessité de la mise en concurrence, de la transparence et de la possibilité de “concourir”

pour les entreprises nationales. Une véritable bataille procédurale (12) s’engage afin de retarder la signature du contrat de gestion déléguée pour obtenir, forts de l’expérience de Casablanca, “mieux et moins cher”.

Celle-ci intervient finalement en mai 1998, en présence du ministre de l’Intérieur et du ministre des Finances. Ce contrat de concession exclusive lie dorénavant la Communauté urbaine de Rabat et le consortium luso- espagnol pour 30 ans.

Conclusion

En moins d’un siècle, la gestion de l’eau potable a été radicalement transformée. Conçue pendant longtemps comme don de Dieu, l’eau est aujourd’hui perçue comme un bien marchand. Aujourd’hui, l’ampleur du réseau a rendu plus lourde sa gestion et a provoqué une mise à contribution systématique des usagers.

L’eau potable est devenue un dossier particulièrement délicat dans la gestion urbaine, car il cristallise le choc de stratégies contradictoires.

L’Etat et les collectivités locales, les organismes gestionnaires de l’eau potable, les usagers et les bailleurs de fonds, en particulier la Banque mondiale, sont autant d’acteurs que nous avons pu identifier dans les stratégies souvent contradictoires, mises en œuvre dans le domaine de l’eau potable.

En effet, la politique de l’eau semble être en décalage avec la politique de l’habitat alors qu’elle devrait lui être concomitante, à défaut de la précéder.

Au moment où la Banque mondiale recommande la généralisation du raccordement individuel, au moment où l’Etat marocain se dote des outils financiers, technologiques pour perfectionner le secteur de l’eau, aucune articulation de la politique de l’eau n’est envisagée avec celle de l’habitat.

Face aux difficultés grandissantes pour y parvenir, l’Etat, moins de 35 ans après avoir “marocanisé” le secteur, cherche à s’en désengager. Ce mouvement, orchestré par le pouvoir central, est imposé aux collectivités locales qui ont disposé, jusqu’à présent, d’une marge de manœuvre réduite (13) et n’ont jamais eu encore l’initiative. Les modalités mêmes du changement en cours traduisent les difficultés à mettre en œuvre concrètement la décentralisation, pourtant à l’ordre du jour. Cette dimension politique ne doit pas masquer un tournant plus radical encore, car il s’agit bien de substituer au système de réglementation à la française un système de régulation à l’anglo- saxonne. En soumettant cette activité aux lois du marché, c’est la définition même du service public communal qui est en question.

grandes phases de la négociation, nous nous référons aux principaux articles parus dans notamment l’Economiste

« La RED tentée par la concession. Dragados convoite le marché », n° 270, jeudi 6 mars 1997 ; « la RED accélère le pas vers la

concession », n° 282, jeudi 29 mai 1997.

(10) Présidé par le Président du Conseil préfectoral, il est composé des présidents des communes urbaines et des conseils préfectoraux des trois préfectures de Rabat, Salé et Skhirat, des

représentants du ministère du tutelle, le ministère de l’Intérieur, de la Direction des régies et services concédés, de la Direction des collectivités locales, des représentants des départements ministériels, de l’ONE, de l’ONEP, de la RED, et du consortium luso- espagnol.

(11) USFP : Union socialiste des forces populaires. Sur 21 communes au sein de la wilaya de Rabat-Salé, 2 communes urbaines sont, à l’issue des élections de juin 1997, USFP. Il s’agit de Rabat- Hassan et d’Agdal-Riad.

(12) L’Economiste(20 mars 1998), « Bataille procédurale sur la concession de la RED ».

(13) A défaut d’avoir pu faire l’objet d’un appel d’offre public et d’une mise en concurrence, le contrat proposé par le corsortium luso-espagnol a fait l’objet d’une négociation serrée, point

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Or, l’adoption du modèle réseau implique d’avoir une vision d’ensemble de l’espace dans lequel il s’inscrit. Il présuppose une définition de la ville commune à tous. C’est encore loin d’être le cas. La ville des usagers n’est pas celle des responsables. Pour ces derniers, elle se résume à la “ville légale”, c’est-à-dire celle pour laquelle existent déjà des installations, même si elles sont loin d’être parfaitement fonctionnelles. La question de l’eau potable est envisagée d’un point de vue purement technique sans tenir compte de la ville dans sa dimension réelle, fonctionnelle et humaine. Ce blocage entrave d’autant la généralisation de l’accès à l’eau pour tous au moment où la prise en compte des rejets et la préservation de la ressource se posent avec acuité.

Le défi majeur à relever par les responsables des grandes villes marocaines sera sans nul doute d’assurer l’équité territoriale au moment où la raréfaction de la ressource risque d’imposer des arbitrages crucieux tant du point de vue des usages, des dotations que des coûts.

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