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MON ITINÉRAIRE MAÇONNIQUE

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MON I T I N É R A I R E

MAÇONNIQUE

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P O L I T I Q U E D ' A U J O U R D ' H U I

MON I T I N É R A I R E MAÇONNIQUE

FRANCIS VIAUD

A N C I E N GRAND MAÎTRE D U GRAND O R I E N T D E F R A N C E GRAND C O M M A N D E U R D ' H O N N E U R « AD VITAM »

D U GRAND COLLÈGE D E S R I T E S

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S DE F R A N C E

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ISBN 2 13 038063 8

Dépôt légal — 1 édition : 1983, avril

© Presses Universitaires de France, 1983 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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Avant-propos

Encore un livre sur la franc-maçonnerie, alors qu'il y a tant de volumes, d'études, de revues sur cette vénérable institution qui n'a traversé les siècles que grâce à ses principes de base et à sa méthodologie. Celle-ci a été décrite abondamment, même par ceux qui n'ont jamais été véritablement « initiés » — qu'ils soient pro- fanes ou même Maçons — car, aussi bizarre que cela paraisse, il y a des Maçons qui ne seront jamais initiés, alors qu'il y a des profanes « à tablier ».

Arrivé à ce qu'un Maçon célèbre, Gœthe, appelait, par la voix de Faust, « le terme du voyage », au seuil du départ vers ce que les Maçons, même les plus rationalistes, appellent « l'Orient éternel », de bons et fidèles amis ont exprimé le souhait de savoir ce qu'un Maçon des temps contemporains pouvait penser de la franc- maçonnerie, après bientôt soixante années de « Cathédrale », après avoir été neuf fois Grand Maître du Grand Orient de France, poursuivant son séjour terrestre avec le titre quelque peu solennel de « Grand Commandeur d'honneur « ad Vitam » du Grand Collège des Rites ».

J'ai donc tenté de faire « surgir du fleuve de la vie quelques îles de mémoire », comme dit Romain Rolland, pour exposer certains souvenirs, tant profanes que maçonniques, les uns ayant parfois des rapports avec les autres. Peut-être ces souvenirs portent-ils en eux une extrapolation dégagée, à l'aube du vingt et unième siècle et de la télématique, des poncifs éculés sur la régularité, la non- régularité des obédiences, la politisation, la laïcité, le secret, etc.

Puissent-ils, dans leur humilité, aider à la mission asymptotique

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de construire un temple où régneraient « Force, Sagesse et Beauté », composantes idéales d'une « Humanité meilleure et plus éclairée ».

Est-ce par hasard que l'on frappe à la porte du Temple ? Y a-t-il nécessité de maintenir un « Centre d'Union » qui soit autre chose qu'une « Union sacrée », un « rassemblement de ce qui est épars », basé sur une « raison raisonnable » dégagée de tout secta- risme étroit limité par des passions dogmatiques, qui ravagent les partis, les religions et peut-être même aussi les maçonneries ou, plus exactement, les obédiences.

Protestant d'avance contre ce qu'un cerveau amolli pourra me faire dire à l'heure de la mort, je livre ces impressions sans pré- tendre à d'autres buts que de dénoncer les sectarismes qui, périodi- quement, veulent détruire une institution qui finira toujours par surmonter ses épreuves au cours des décennies voire des siècles, tel le Phénix renaissant de ses cendres.

On excusera la longueur de ma présentation personnelle. Mais le « Gnôthi seauton » (le « Connais-toi toi-même ») est fondamental en maçonnerie. Et il y a aussi quelque nostalgie à revivre un peu son passé. Chateaubriand a bien écrit de son vivant ses Mémoires d'outre-tombe.

Je ne citerai que bien rarement des noms de Maçons encore vivants, ne désirant à aucun prix risquer des polémiques appa- rentées à certaines ambitions ou confusions.

Je n'ai d'ailleurs nulle intention de faillir au « secret maçon- nique », tarte à la crème des ennemis de la franc-maçonnerie ou de certains Maçons qui n'ont pas foncièrement compris ce fameux secret, notion du reste polyvalente, depuis le secret de tel maître queux dans une cuisine, fût-elle inventive, ou d'un grand couturier hors série, pour un drapé ou un plissé, jusqu'au secret de la confession, ou le secret professionnel d'un médecin, d'un avocat ou d'un juge d'instruction.

Tout ce qui a été publié sur les symboles, les rites, les grades maçonniques n'a plus rien de secret. Mais le secret est dans l'interprétation intime, personnelle et les prolongements qu'ils suggèrent, tout comme reste secret le moteur de la « Foi » pour un croyant sincère. Paraphrasant le sonnet d'Arvers, on peut dire qu'une messe est sans secret, son sens est un mystère.

Je voudrais surtout démontrer qu'un franc-maçon, quelle que

soit l'obédience à laquelle il appartient, doit être libre d'esprit et

religieux (au sens étymologique du terme) de cœur. Il peut appar-

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tenir à un parti politique ou à aucun, il peut pratiquer une religion ou n'en pratiquer aucune. Il passe au crible de sa conscience, dont le Grand Orient s'est honoré en 1877, en en proclamant la liberté absolue, les déclarations, programmes, plates-formes ou autres, de tel ou tel parti ou telle religion. Il sait que les partis ou les religions ont souvent tenté — et tentent toujours — ou bien d'inter- dire la franc-maçonnerie ou bien de l'accaparer et de s'en servir, au besoin après l'avoir maquillée.

Puissent ces modestes lignes, accompagnées en annexes de

quelques documents peu connus ou oubliés et de quelques miscel-

lanées de mes causeries ou conférences, contribuer à détruire les

chevaux de frise de particularismes toujours vivaces, renaissant,

eux aussi, de leurs cendres incandescentes.

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Pourquoi devient-on franc-maçon ?

Je me réfère à mon cas personnel, classique sous la I I I Répu- blique. Qui, de nous, en effet, ne pourrait citer dix exemples de promotion sociale, pas tellement différente pendant des décen- nies, accomplie au cours de trois ou quatre générations ? Un arrière-grand-père paysan, agriculteur, rarement ouvrier, quel- quefois marin ou mineur de fond, un grand-père d'un niveau un peu plus élevé, grâce à l'instruction gratuite, laïque — ou à peu près — et obligatoire, un père fonctionnaire de catégorie B, ou commerçant ayant travaillé vingt-cinq ou trente ans pour faire prospérer un fonds de commerce et se retirer dans une

« petite maison », voire, s'il est fils aîné, prêtre, puis des enfants (sauf pour ce dernier, bien sûr) dont l'un au moins devient fonctionnaire de catégorie A ou cadre supérieur, grande école ou université, sans doute à dose assez faible (5 à 10 %), le prêtre s'élevant au vicariat général, voire à l'évêché, mais, en pays catholique du moins, ce terminus est rarement dépassé et ne donne aucun recrutement vers la Maçonnerie, tandis qu'il y a des exemples modernes de promotion de mineur de fond jusqu'au Vatican.

On peut certes concevoir une accélération des choses, avec un « vivier » de catégorie A plus étendu, mais on ne devient Maçon et on n'y reste qu'en étant au premier rang des conser- vateurs — au sens étymologique du terme, exemple : Conser- vatoire des Arts et Métiers — des valeurs fondamentales de l'homme.

Sans doute, par un point on peut faire passer une infinité de

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courbes. Et mon « cursus » profane et maçonnique n'est qu'une de ces courbes. Mais j'en ai vu tellement de semblables, avec paramètres à peu près identiques, que je suis arrivé à me faire une certaine idée des mobiles de l'entrée en franc-maçonnerie.

En ce qui me concerne, je suis issu de famille modeste. Côté paternel, mon grand-père, sabotier à Donges, petite estacade de la basse Loire, qui devait connaître un développement considérable après la guerre de 14-18, avec les raffineries de pétrole. Ce grand-père fut désigné par Napoléon III comme maire de Donges : c'était le candidat de l' « affiche blanche ».

Il se rallia très vite à la République après la chute de l'Empire.

Il eut trois fils. L'aîné, Amand, était croyant et allait à la messe tous les matins. Il était atteint de paralysie et marchait avec des cannes. Il poursuivait néanmoins ses études pour être instituteur. Le brevet élémentaire suffisait alors et, lorsqu'il apprit son succès, le choc fut tel qu'il envoya les cannes en l'air.

On ne fut pas loin de croire au miracle... Il devint instituteur, puis directeur d'école à Saint-Nazaire. Ses anciens élèves m'ont souvent parlé de sa rigueur, dans un strict respect des croyances.

Il était aidé par ma tante Mathilde qui faisait, avec l'aide inter- mittente d'une femme de service, la « petite classe » de l'école Gambetta, à Cardurand, avec 80 à 85 élèves. Il y a eu depuis quelques progrès après des luttes que n'ont pas soupçonnées bien des successeurs. J'entendais dire que les francs-maçons y furent pour quelque chose.

Les deux autres frères entrèrent eux aussi dans l'enseigne- ment : mon père, François-Auguste-Marie, né en 1860, fut reçu à l'Ecole normale d'Instituteurs de Savenay et, après divers postes en Loire-Inférieure, devint directeur d'école à Trignac, dépendant alors de la commune de Montoir-de- Bretagne, où je naquis la dernière année du siècle passé. Mon oncle Jules Viaud, né en 1866, reçu également à l'Ecole normale de Savenay, bifurqua vers le Service des Poids et Mesures où je devais le retrouver par la suite, en ayant la surprise d'appren-

dre sa qualité de franc-maçon, 33e.

Ma grand-mère paternelle — que je n'ai pas connue — était

sage-femme et tenait une « buvette » à Donges fréquentée par

des Anglais faisant commerce de sangsues élevées en Grande-

Brière. Les rapports n'étaient, paraît-il, pas toujours très

amènes. L'entente cordiale n'existait pas encore.

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Côté maternel, mon grand-père, Claude Petillot, était origi- naire de Gueugnon (Saône-et-Loire), il avait épousé une demoi- selle Renaud, de Poligny (Jura), dont il eut cinq enfants. Mon grand-père était ouvrier, maniant des « loupes » de fer énormes avec une dextérité qui me plongeait dans l'admiration et éveillèrent peut-être en moi une vocation sidérurgique. Il tra- vailla dans diverses usines, notamment à Commentry (Allier) où naquit ma mère en 1872, et à Trignac, aux usines métallur- giques de la basse Loire qui devaient produire, pour les navires construits à Saint-Nazaire, des tôles en utilisant le minerai de fer importé de Bilbao ou extrait en Maine-et-Loire, le coke étant fabriqué sur place avec du charbon importé par Saint-Nazaire.

Nommé directeur d'école à Nantes en 1905, mon père occupa les postes de la rue Ripossière (alors quartier des interdits de séjour), puis de la rue Noire et enfin de la rue des Arts, devenue rue Jean-Jaurès où se trouve toujours, au 33 — nombre prédes- tiné —, le local des loges maçonniques de Nantes, près du palais de justice, de la gendarmerie et de la maison d'arrêt. Cet ensemble m'incita, très jeune, à la méditation, d'autant qu'il y avait alors à proximité le théâtre de la « Renaissance » qui fut détruit par un incendie.

Je fis mes études primaires dans les écoles dirigées par mon père qui fit de moi, paraît-il, un « bon élève » et où j'appris des choses que je n'appris jamais nulle part ailleurs, telle la liste des départements avec toutes leurs préfectures et sous- préfectures du Nord au Sud, indiquées par une baguette pointée sur une vaste carte de France où l'Alsace-Lorraine était teintée en violet, signe de deuil ; tel encore ce qu'était le « Congrès ».

Cette question fut posée dans un vague petit concours à l'entrée de sixième et seuls trois élèves sortant de la « laïque » surent répondre que le Congrès était la réunion, à Versailles, de la Chambre des Députés et du Sénat pour l'élection du Président de la République. Car il y avait alors des leçons d'instruction civique où l'on apprenait par cœur la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Mon père m'emmenait parfois le jeudi faire un tour dans le port de Nantes sur un petit vapeur qu'on nommait « roquie ».

On embarquait sur un bras de la Loire près de la gare du

chemin de fer, dite « gare de la Bourse », disparue après comble-

ment de ce bras. La voie ferrée passe maintenant en tunnel sous

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le quai de la Fosse, où fut signé l'Edit de Nantes. On me montrait souvent la maison historique où le bon roi Henri avait signé, me disait-on, un édit, témoignage de tolérance, révoqué depuis par Louis XIV sous la pression des catholiques intransigeants. Nous allions également dans la salle du journal Le Phare, place du Commerce, et des collègues de mon père devisaient de la « qualité et de la quantité » de la récente ou prochaine récolte de Muscadet ou de Gros-Plant, ou encore des

« inventaires », car on était alors en pleine séparation de l'Eglise et de l'Etat rapportée par le Nantais Aristide Briand qui avait remonté, je crois, le cours de la Loire pour continuer à se faire élire député, car nul n'est prophète en son pays. On parlait aussi du journal Le Populaire, de son directeur Gaston Veil, de Paul Bellamy, qui devait devenir maire de Nantes, du « délégué cantonal » Albert Thouvenin, dont j'eus ultérieurement un prix au lycée, etc. — de la « Ligue des Droits de l'Homme » — que fréquentait le frère cadet de mon père, Jules Viaud, dont je devais apprendre plus tard qu'il était 33e à la loge Paix, Union, Mars et les Arts réunis (sigle PUMA).

Il n'est pas douteux que cet environnement laïque et répu- blicain eut une influence sur mon orientation de pensée et que, inconsciemment peut-être, je me classais dans les « bleus de Bretagne ». Cette remarque toute personnelle sur l'influence de l'environnement familial ou scolaire est probablement valable dans la détermination d'un individu décidé à s'intégrer à un groupe donné, apparenté à l'esprit républicain. Mais il subsistera toujours une part de hasard dans cette décision. Nous y revien- drons en analysant les diverses formes de hasard, l'une d'entre elles étant peut-être Dieu, selon Victor Hugo.

En 1909, j'entrais en sixième au grand lycée de Nantes,

devenu depuis le lycée Clemenceau, et passais ma première

partie de bac en 1915. La guerre de 1914 avait éclaté en août 1914

alors que j'étais en vacances dans la Somme où ma sœur était

institutrice. Le retour en train omnibus d'Amiens à Nantes

restera gravé dans ma mémoire, comme témoignage bénin de

la stupidité de la guerre. Il m'en est resté un fond de patriote

adorant les « défilés » de la Victoire ou du 14 Juillet, mais

imprégné des horribles images de « morts portant leur cervelle

sur le ventre avec majesté » — comme je l'écrivais en 1924

lorsque, devenu franc-maçon, j'étais chargé d'un rapport sur

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une question renvoyée à l'étude des loges (Du rapprochement franco-allemand et franco-russe !).

Je revois intensément l'atmosphère de ce « 14-18 », les affiches de « mobilisation générale », les propos de Poincaré qui se voulaient rassurants (la mobilisation n'est pas la guerre), le départ pour huit jours des soldats et des rappelés « la fleur au fusil », l'annonce des morts, les « fusillés pour l'exemple », l'énergie de Clemenceau (« je fais la guerre »), la joie délirante de l'Armistice, etc.

Mon père mourut en 1916. Je terminais « mathélem » après de bonnes études jalonnées par des examens assez rares en secondaire mais auxquels tenait mon père : un certificat d'études primaires en sixième, un brevet élémentaire en qua- trième. Mon bac C (latin-sciences à l'époque) est passé en juillet 1916. Mes oncles pensaient me faire entrer à l'Ecole normale de Savenay, avec possibilité d'envisager par la suite l'Inspection du Travail. Ma mère, d'une instruction élémen- taire, mais d'une très forte intuition, ayant constaté à Trignac les grandes différences de situation entre les cadres supérieurs et les « maîtres d'école », voulait faire de moi un ingénieur. Elle vient se fixer à Paris et demande audience au proviseur du lycée Saint-Louis, M. Bailly, qui avait été censeur au lycée de Nantes. Au vu de mon livret scolaire, il m'admet en classe de

« Centrale-B », c'est-à-dire en deuxième année de préparation.

Je passe donc en 1917 le concours d'entrée à Centrale où j'ai la chance d'être reçu 17e, sur une promotion de 250 environ et un très grand nombre de candidats, près de 1 200 dont beaucoup avaient vu là l'occasion d'une permission, car ils étaient presque tous aux armées, servant surtout dans l'artillerie.

J'ai gardé de ces études de savoureux souvenirs. Mais je

« chiadais » très fort, sachant que je ne pouvais compter que

sur moi pour avoir une situation convenable. Je ne descendais

jamais sous l'amphi jouer au bridge pendant l'heure et demie

que durait le cours. Des camarades qui y descendaient étaient,

pour la plupart, de familles aisées. D'ailleurs Centrale passait,

à l'époque, pour beaucoup moins démocratique que l'X, où

plusieurs fils d'instituteurs poursuivaient leurs études. Je pris

beaucoup d'intérêt à certains cours, tels celui de résistance des

matériaux, par Bertrand de Fontviolant, dit B. D. F. qu'on

disait franc-maçon, Dieu sait pourquoi ?, celui de thermo-

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dynamique, par Monteil qui, selon la revue de fin d'année 1920 faite par les élèves, parcourait l'amphi d'un pas rapide et à qui l'on pardonnait les douteuses démonstrations (ceci sur l'air de Smiles, fox-trot en vogue à l'époque), celui de sidérurgie par Métayer dont les amphis se décomposaient en une demi-heure de cours, une demi-heure d'histoires, une demi-heure de repos.

Il définissait la sidérurgie comme « l'art de transformer le minerai de fer en billets de banque » et nous mettait en garde contre le porteur de poudre de perlimpinpin qu'on rencontrerait un jour — dans n'importe quelle branche de nos activités d'ailleurs — et qui promettait de transformer, à l'aide de cette poudre, un acier de mauvaise qualité en un produit fin, mer- veilleux, et à bon compte.

J'ai appris, depuis, que la franc-maçonnerie est apte à démystifier les porteurs de poudre de perlimpinpin qu'on retrouve dans bien des institutions, et même parfois au sein de la Maçonnerie elle-même, ces porteurs étant innombrables...

Requis lors des grèves de chemin de fer en 1920 avec quel- ques camarades de troisième année — ce qui nous fit dispenser de l'achèvement du projet final de mineur-métallurgiste —, nous ne pûmes jamais remettre en marche, même à grands coups de « giffard », une locomotive à vapeur 1021 à la gare de triage de Brétigny, ce qui nous valut d'être envoyés à l'usine électrique de Tours où nous maniâmes le ringard des gazogènes avec un certain succès. Dans les moments de loisirs, nous faisions quelques vers surréalistes, car c'était alors la mode. Le projet final de Centrale fut abrégé et je sortis en mai 1920 nanti du titre d'ingénieur des Arts et Manufactures. Bref séjour au 5e génie (chemins de fer) à Versailles où j'appris à saisir un rail

« par les cheveux la main dessus ». J'ai toujours apprécié la valeur active des symboles. Ajourné pour faiblesse de constitu- tion, puis versé dans l'auxiliaire, je débutais sous la houlette de Samuel Brull, promo 1903, qui m'avait connu lors d'un stage au bureau d'études des Usines métallurgiques de la basse Loire pendant les vacances de trois mois qui avaient été octroyées pour permettre aux camarades retour du front de se remettre à l'étude, ce qui ne fut pas toujours aisé.

Brull était plein de courage et m'apprit les choses les plus

variées, notamment de ne jamais désespérer, même dans les

causes les plus mauvaises (dans un procès, on ne sait jamais...,

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disait-il). Il créa une société de construction de fours industriels et d'installation d'usines « Sidérofours », au 73, boulevard de Clichy, où il y avait trois ou quatre dessinateurs. Je fus « bom- bardé » ingénieur en chef à vingt-trois ans, en 1922, aux appoin- tements de 800 F par mois, somme très honorable pour l'époque.

Un des dessinateurs à l'écriture magnifique, Fosse, et qui devait par la suite être employé au secrétariat du Grand Orient de France, me parla de la franc-maçonnerie, m'y intéressa et me fit faire une demande d'admission à la loge La Lumière, dont il était vénérable et où je fus admis comme apprenti le 22 octo- bre 1922. Brull, patron de « Sidérofours », en était le secrétaire.

Dès mon compagnonnage je devins secrétaire adjoint, ce qui est une très bonne formation pour connaître la vie intime d'un Atelier.

LE RÔLE DU HASARD DANS L'APPARTENANCE A LA FRANC-MAÇONNERIE

Il est de toute évidence que, si mon présentateur avait appartenu à une obédience autre que le Grand Orient, et en l'état de mes connaissances rudimentaires d'alors sur la franc- maçonnerie, j'aurais « frappé à la porte du Temple » dans l'obédience du présentateur.

Peut-être aurais-je alors poursuivi mon cursus maçonnique

rue Puteaux et non rue Cadet. C'est donc bien le hasard qui

m'a conduit au Grand Orient. Et interrogez des Maçons, neuf

sur dix vous diront que, s'ils sont entrés en franc-maçonnerie,

c'est parce qu'ils ont rencontré, un jour, un franc-maçon avec

lequel ils sympathisaient, qui a confirmé les idées déjà latentes

qu'ils possédaient et qui les ont conduits vers l'obédience à

laquelle ce franc-maçon appartenait. Au fond, qu'est-ce que

cela change ? Certes, depuis 1946, il y a sur France-Culture,

actuellement le dimanche matin à 9 h 40, des émissions sous

la rubrique Divers aspects de la pensée contemporaine où l'on

entend alternativement le Grand Orient, la Libre-Pensée, la

Grande Loge, l'Union rationaliste, le Droit humain lorsqu'il y

a un cinquième dimanche, la Grande Loge féminine lorsqu'il y

a cession d'un tour de parole du Grand Orient ou de la Grande

Loge. Chaque obédience tente de faire un peu de « réclame »

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pour elle-même. Il y a même quelque relent de publicité à entendre « Nous, Maçons du Grand Orient de France » ou

« Nous, Maçons de la Grande Loge de France » exposant sur des problèmes contemporains sinon leurs solutions, ce qui n'est pas le rôle des obédiences, du moins le rappel des principes maçon- niques, qui sont exactement les mêmes, ou leurs préoccupations sur les grands problèmes de l'heure.

L'obédience qui se dit la seule régulière, nous verrons en vertu de quels « Landmarks », la Grande Loge nationale fran- çaise, boulevard Bineau à Neuilly, s'abstient, en général, d'une publicité agressive, mais ne manque jamais de souligner qu'elle ne reconnaît nullement les « irréguliers » que sont le Grand Orient, qui n'exige plus la croyance en un Dieu révélé, ou la Grande Loge, issue d'un Suprême Conseil, donc « bâtarde » et qui s'obstine à conserver des relations rituelles avec le Grand Orient, ou le Droit humain, obédience mixte qui initie les femmes.

MOBILES EXTRAPOLÉS D'ENTRÉE EN MAÇONNERIE

Si j e me limite à mon cas personnel, il est de toute évidence que j'étais prédisposé à entrer dans la franc-maçonnerie à cause de l' « environnement laïque » qui fut celui de mon enfance et dont j'ai parlé plus haut. J'entendais souvent évoquer les difficultés que rencontraient les membres de l'enseignement public dans des campagnes reculées de Bretagne et de la Loire- Inférieure en particulier, telles que Abbaretz, Louisfert, Saint- Mars-la-Jaille, etc. C'était la région des Marquis, de Dion, de La Ferronnaye, de Juigné, etc. On parlait de l'alliance du

« Trône et de l'Autel », du « Sabre et du Goupillon », du « Châ- teau et de l'Eglise ». Les paysans parlaient souvent de « nout' maîte ». Et je me souviens d'une réflexion de mon oncle : aux élections, « ils (en parlant des paysans) ont déjà leur bulletin de vote sous leur blouse. Tu peux toujours leur parler du candidat républicain, leur conviction ne changera pas. Ils ont gardé l'esprit « chouan » et restent soumis à leur maître... » Mais ces propos se situaient avant la guerre de 14-18...

J'avais toujours entendu parler de l'enseignement gratuit,

public et obligatoire, instauré par le franc-maçon Jules Ferry,

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d'une école au sein de laquelle la République accueillerait (je cite de mémoire) avec un même désir de fraternité l'enfant du catholique, l'enfant du protestant, l'enfant de l'israélite, l'enfant du rationaliste. Or, cette école, attaquée violemment par l'Eglise catholique, traitée il n'y a d'ailleurs pas si longtemps d' « école du diable », me paraissait au contraire défendue par la Ligue des Droits de l'Homme, qui tenait, du temps de ma jeunesse, ses réunions rue de la Fosse à Nantes, sous la prési- dence de Gaston Veil, directeur du journal Le Populaire, et par la franc-maçonnerie dont j'entendais dire aussi, par ailleurs, que c'était Satan en personne, etc.

Mais ce n'est pas uniquement cette sorte d'attirance qui fut pour moi déterminante. Si j'en ai jugé par moi-même et par les contacts que j'ai eus avec de nombreux « profanes » ayant sollicité leur admission, par les interrogatoires auxquels j'ai assisté, par les entretiens que j'ai eus avec des Maçons initiés depuis peu ou depuis longtemps, dans des obédiences diverses, même autres que le Grand Orient de France, il ressort que l'on vient à la franc-maçonnerie pour des raisons convergentes.

En premier lieu, un désir d'évasion du quotidien, une espèce

d' « envie d'ailleurs », comme disait Marcel Pagnol. L'homme est

en quelque sorte englué dans des préoccupations, des activités,

des contraintes de tous ordres, résultant de la nécessité d'assu-

rer sa propre subsistance et celle de sa famille, en appartenant

à un corps social donné. Ces contraintes sont d'ordre profes-

sionnel, familial, politique, religieux, philosophique, etc. Il peut

se demander sur quoi débouche en définitive tout ce qui a été

imposé, tout ce qu'il a ou bien voulu ou bien subi, si les passions

qu'on a mis à défendre telle ou telle cause en valaient la peine,

devant les « dévaluations » observées après des combats où l'on

a mis le meilleur de soi-même, devant les virages de tel ou tel

parti politique, devant les sectarismes toujours renaissants,

devant les théocraties genre Iran, qui marquent, par un désir

de revanche sans doute, un retour aux plus barbares persé-

cutions, etc. Les philosophes de tout temps — même les plus

anciens — ont tenté d'analyser cet état de l' « âme humaine »

(les matérialistes diraient « esprit »). Je crois bien que, toujours,

un peu de l'âme restera vide. Et c'est peut-être en raison de ce

vide que la parole de Jaurès, lors du discours qu'il prononça

à la Chambre des Députés en 1895, reste valable et constitue

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VII

Contribution à l'étude de l'interprétation du Canon 2335 portant excommunication des francs-maçons ? Joseph de Maistre « complotait- il » contre l'Eglise ? En tout état de cause, le Grand Orient de France ne l'a jamais rejeté.

JOSEPH DE MAISTRE (1753-1821) Emission du dimanche 1 mars 1953

Nous avons évoqué à ce micro des francs-maçons célèbres, savants, littérateurs, explorateurs, hommes d'Etat. Je voudrais vous parler aujourd'hui d'un franc-maçon éminent, écrivain, philo- sophe, catholique, théoricien de la franc-maçonnerie, Joseph de Maistre, dont l'abbé Devin dans son étude sur saint Grégoire VII, en 1861, a dit : « Joseph de Maistre est le plus grand nom catholique, j'allais dire le plus grand père de l'Eglise de ce siècle. »

Joseph de Maistre — qu'il ne faut pas confondre avec son frère, de dix ans plus jeune que lui, Xavier de Maistre, l'auteur du déli- cieux Voyage autour de ma chambre — naquit à Chambéry en 1753.

Il était fils du président du Sénat de Savoie. Après de solides études chez les Jésuites, il fit son droit à Turin et devint sénateur de Savoie en 1788 à trente-cinq ans.

En 1792, la Savoie qui n'était pas encore rattachée à la France, est occupée (on disait déjà à ce moment-là « libérée ») par l'armée française du général de Montesquiou. On sait qu'elle devait être restituée au roi de Sardaigne par les traités de Vienne et ne devait faire retour à la France que par le traité franco-italien de 1860, sous le Second Empire.

Bref, devant l'invasion française de 1792, Joseph de Maistre se retire à Lausanne où il fréquente Necker et sa fille, Mme de Staël.

En 1802, il s'en va à Saint-Pétersbourg comme ambassadeur du roi de Sardaigne. Il passe quatorze ans de sa vie, de 1802 à 1816, dans la capitale de la Russie, vivant d'ailleurs, dignement, assez pauvre- ment. Cette période de sa vie fut la plus féconde de pensées et d'écrits. C'est là qu'il composa ses principaux ouvrages.

Il avait certes, publié à Lausanne, en 1793, les Lettres d'un

royaliste savoisien, et à Neuchâtel, en 1796, une étude de la Révolu-

tion française sous le titre Considérations sur la France. Mais, en

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fait, ses ardentes polémiques, ses fougueux et profonds écrits ont été médités et composés à Saint-Pétersbourg, bien que publiés, plus tard à Lyon ou à Paris. C'est en mai 1809 qu'il achève d'écrire son Essai sur le principe générateur des Constitutions politiques.

Ses Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence sont restées célèbres ainsi que ses ouvrages Du pape publié à Lyon en 1819 et 1821 et De l'Eglise gallicane dans son rapport avec le Souverain Pontife (Paris, 1821).

Il mourut à Turin, en 1821, à l'âge de soixante-huit ans.

Les chroniqueurs dépeignent Joseph de Maistre comme un homme très bon, doux, aimable, écrivant à ses enfants des lettres charmantes, pleines de sensibilité délicate. Mais il exposait farou- chement ses principes dans une langue remarquable de variété d'esprit et d'éloquence.

Comme le dit Gustave Lanson dans son Histoire de la littérature française, Joseph de Maistre « balaye pêle-mêle Montesquieu, Voltaire, Rousseau. Il veut la royauté absolue, sans limite et sans contrôle : la limite est dans la conscience du roi, le contrôle dans la Justice de Dieu ».

Pas de pouvoirs intermédiaires, ni de divisions des pouvoirs, ni de Constitution écrite : pas de droit, hors et contre le droit du roi.

Pareillement, dans la religion, un seul pouvoir : le pape. Plus d'Eglise gallicane, plus de libertés gallicanes, le pape souverain et infaillible. Le roi au temporel, le pape au spirituel sont les vicaires de Dieu, commis au gouvernement des hommes par la Providence.

La passion de l'unité l'anime ; il hait tout ce qui sépare, tout ce qui distingue, et Joseph de Maistre emploie toute son imagination, tout son esprit, toute sa logique à rendre révoltante cette âpre doctrine. Il prend d'ailleurs un malin plaisir à exagérer le règne du mal sur la Terre. La Providence, selon lui, a créé tous les êtres pour s'égorger. La Société n'a pu changer la loi divine de la nature : afin que le sang coule, elle a la guerre, et elle a le bourreau, dit-il dans Les soirées de Saint-Pétersbourg, aux septième et premier entretiens.

On dirait qu'il a peur de séduire : il s'attache à saisir chaque idée par sa face paradoxale ou choquante. A le lire, on se sent taquiné, bravé dans toutes les affirmations de notre raison. Il donne intensé- ment à penser.

Lerminier, publiciste français, professeur de législation au Collège de France, écrit ceci sur Joseph de Maistre dans sa Philosophie du Droit (1853) : « Pendant que la Révolution française poursuivait ses phases et ses destinées, le passé trouvait un interprète, un vengeur, qui, plus sa cause semblait détruite et désespérée, luttait avec plus d'emportement et de hardiesse contre la victoire de l'esprit novateur.

De Maistre est, par excellence, l'humanité dans la tradition mosaïque

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et chrétienne, puis il incarne le christianisme dans le pape et il fonde ainsi son unité... Il élève la tradition à la certitude. »

Dans son excellente étude Joseph de Maistre franc-maçon publiée en 1926 à la Librairie critique Emile-Nourry, Paul Vulliaud nous cite le témoignage à peu près oublié de l'écrivain Philarète Chasles (fils du conventionnel chartrain) qui s'exprime ainsi dans le Journal des Débats du 17 novembre 1858 :

« Honnêteté, courage, esprit, bonne grâce, courtoisie, délicatesse, amabilité, fine connaissance du monde, connaissance des hommes, dignité personnelle, ironie vive, pénétrante, incisive, habileté à manier le sophisme et à le fondre comme une lave ardente pour la verser en dithyrambes formidables sur la tête de l'ennemi... on ne peut refuser à M. de Maistre aucune de ces grandes qualités. Il attendrit même. On l'aime. Il plaît. C'est une figure originale que ce magistrat sévère, riant et pauvre, ironique, tenant tête au roi et gourmandant le pape dont il fait le vassal de sa métaphysique et le roi du monde ; allant à pied, en bas gris et précédé d'un falot, chez sa vieille amie de Lausanne. Ses conseils à sa fille, ses rapports de famille, son courage doux, ses boutades émues, sa fierté dans la splendide misère qu'on lui impose à Saint-Pétersbourg, tous ces traits forment un ensemble plein d'intérêt, de bizarrerie et de charme. »

Sainte-Beuve, dans sa causerie du lundi du 2 juin 1851, dira de Joseph de Maistre qu'il « fut excellent, sincère et amical, père de famille ». Il parle de « la cordialité de son génie » et le qualifie de

« puissant excitateur de hautes pensées politiques... d'intelligence profondément religieuse ».

Voilà pour l'homme, pour l'écrivain, pour le catholique. Voyons maintenant le franc-maçon.

Joseph de Maistre fut reçu franc-maçon à Chambéry, à l'âge de vingt et un ans, en 1774.

Il y avait alors, nous dit Emile Dermenghem dans sa très érudite introduction du livre sur Joseph de Maistre, publiée en 1925 aux Editions Rieder, quatre loges à Chambéry :

1 / celle des Trois Mortiers créée en 1749 par le marquis des Marches, Joseph de Bellegarde, et dépendant de la Grande Loge d'Angle- terre ;

2 / celle de la Parfaite Union, se rattachant au Grand Orient de Paris ;

3 / celle de la Parfaite Sincérité, dite aussi de la Réforme écossaise, fondée en 1778 ;

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4 / enfin, la loge des Sept Amis, beaucoup moins aristocratique, bourgeoise, fondée en 1786 et dépendant également de la Maçon- nerie française, dont le Grand Maître était alors le duc de Chartres, Philippe Egalité.

Dès 1774, Joseph de Maistre faisait partie de la loge des Trois Mortiers, mais il en trouve les réunions « trop mondaines » et entre, avec quinze autres Frères, à la loge de la Sincérité. Il fait en même temps partie sous le nom de « Josephus a Floribus » d'un groupe très secret d'initiés supérieurs, dits « Grands Profès ». On le trouve aussi en liaison avec les Martinistes et la Société des Philalètes de Paris.

Ici un point d'histoire maçonnique. Le Collège particulier de Chambéry relevait du Collège métropolitain de Lyon, chef-lieu du Directoire écossais de la deuxième province d'Auvergne et agrégé au Grand Orient de France le 18 juillet 1761.

Il y avait, à ce moment-là, une crise assez grave dans la Maçon- nerie écossaise de l'Europe occidentale et centrale et, malgré cette agrégation au Grand Orient de France du Directoire écossais d'Auvergne, certaines loges reconnaissaient pour Grand Maître de l'Ordre le duc de Brunswick.

Le mémoire au duc de Brunswick, écrit par Joseph de Maistre, à l'occasion du Convent de Wilhemsbad en 1782, peut être considéré comme un acte de foi et d'action maçonniques. Il y définit, dans cette langue ardente qui est la sienne, le grand but de la Maçonnerie.

Elle sera, dit-il, la Science de l'Homme, il faut, selon lui, dans les loges (je cite) :

1 / entendre et resserrer les lois de la fraternité ; 2 / rendre la bienfaisance plus active ;

3 / forcer les Frères à des études de morale et de politique (le mot politique évidemment entendu dans le sens élevé du terme et non de combinationisme électoral).

Il pense « que le droit naturel est antérieur au droit civil et même au droit politique et que le secret est de droit naturel parce qu'il est le lien de la confiance, grande base de la société humaine ».

Le Grand Orient de France n'a rien à reprendre à ces principes

généraux de fraternité, de concorde et d'union. Il ne peut que

regretter que des hommes de la valeur morale d'un Joseph de

Maistre, catholique sincère, ardent, convaincu, se soient vus, depuis

la bulle pontificale Humanum Genus de 1884, interdire par le Vatican

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l'entrée des loges, car ce n'est pas la Maçonnerie qui empêche les catholiques d'être francs-maçons.

Le Grand Orient de France admet, dans son sein, des hommes de toutes opinions, de toutes confessions, de toutes races. Chez nous, chacun peut croire ce qu'il veut. Il peut même prôner des dogmes s'il l'estime utile. Des dogmes contraires peuvent être exposés devant lui. Cela n'a aucune importance. Seule compte, comme ce fut le cas pour Joseph de Maistre, la valeur morale des initiés francs-maçons.

Des exclusives ont été lancées, elles ne tiennent pas de nous.

Nous nous diminuerions si nous en lancions nous-mêmes.

Le Grand Orient de France, considérant les conceptions méta-

physiques comme étant du domaine exclusif de l'appréciation indi-

viduelle de ses membres, se refusant, par conséquent, à toute affir-

mation dogmatique, continuera avec un solide optimisme, au-dessus

des délires actuels la grande tradition française de liberté absolue

de conscience, pierre angulaire de la tolérance et de la fraternité.

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VIII

Tout le monde se veut « libre ». Le Maçon lui-même se définit comme

« libre et de bonnes mœurs ». Le premier terme de la devise de la Répu- blique française est « Liberté ». Mais que recouvre au juste cette notion de Liberté ?

Les propos tenus p a r Francis Viaud il y a plus d'un quart de siècle, le 4 avril 1954, ne sont-ils pas encore à méditer ?

LA VRAIE LIBERTÉ

SPEAKER. — Le Grand Maître du Grand Orient de France vous parle :

En ce jour si proche de l'équinoxe de printemps et de Pâques, symbole de l'éternelle espérance renaissante des hommes, je voudrais rappeler comment et pourquoi la franc-maçonnerie apparaît comme un des derniers refuges du véritable esprit de liberté individuelle.

Plusieurs correspondants m'ont, en effet, objecté que le respect de certaines formes rituelles propres à la franc-maçonnerie leur paraissait inconciliable avec l'esprit de liberté que cette institution prône si fort.

Bien sûr, comme dans toute association, comme dans tout groupement d'individus, il y a certaines règles à observer. Le rite, nous l'avons dit bien des fois, n'est que l'ordonnance des cérémonies.

Mais il s'agit là d'un lien très ténu, de nature à faciliter surtout les exposés de chaque Frère ou même simplement de nature à faire respecter sa propre méditation, devant les propos entendus.

Dès l'instant — du moins au Grand Orient de France — qu'on n'exige pas des adeptes une soumission ou une appartenance quel- conque à une religion révélée (chacun restant libre de croire ou de ne pas croire, de mettre sur le bureau du Président un livre proclamé

« Sacré » ou de ne pas le mettre), chacun reste absolument et entière- ment libre de ses pensées. Mais un ensemble de Frères constitue un Atelier maçonnique, une loge. Or, un individu donné n'est menta- lement plus lui-même, sa conduite, ses sentiments, ses actes diffèrent selon qu'il se trouve seul, ou en compagnie de plusieurs de ses semblables.

C'est là un principe élémentaire de sociologie. Si bien qu'en fait, pour conserver sa propre personnalité, il faudrait être délibérément

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« a-social », « en-dehors ». E t encore, les individualistes purs, à la Stirner, par exemple, réfractaires à la vie sociale, inadaptés, forment eux aussi des groupes, des groupes de hors-groupes, tout comme à l'Assemblée nationale on trouve le « Groupe des non-inscrits à aucun groupe », en dehors d'une poussière de groupes et de partis, motivée le plus souvent par des intérêts assez mineurs de combi- naisons ministérielles.

Dans une étude récente publiée dans l'excellente revue L'Unique, Munier, traitant des Recherches sur le mécanisme d'aveulissement, pose la question suivante : « Comment expliquer que celui qui ne consent pas à obéir puisse faire partie d'un groupe ? » C'est d'abord, selon lui, que le lien social d'un groupe composé d'individualistes est très lâche. Au couvent de la Portioncule — c'est-à-dire du Petit Domaine — du bon saint François d'Assise, entre et sort qui veut, et quand il veut, en observant cependant certaines règles élémen- taires telle celle de demander l'entrée au frère couvreur. Des groupes

— librement formés — d'individualistes ne fonctionnent pas selon le mécanisme de la contrainte, de l'autorité, du commandement et de l'obéissance, mais sous le signe de l'amitié et de la sympathie.

C'est que l'amitié est le seul lien social qui puisse supporter l'indivi- dualiste. Un ami respecte la personnalité de celui qu'il aime. En présence d'un ami, l'autre reste libre, spontané, sans gêne. Il peut exposer à fond son point de vue, mettre pour ainsi dire sa pensée à nu, en toute liberté : il ne sera jamais déprécié, ni dévalorisé, surtout s'il est assuré du secret des conversations.

Les abbayes de Thélème, les associations d'Egoïstes ou d'Affran- chis, les sociétés d'Egaux — comme le Chantier des Egaux, cher à Babeuf — sont sans statuts, sans constitution, sans codes, sans gendarmes, sans juges, sans prisons. Ce sont des utopies qui, toujours, germèrent dans des cerveaux individualistes.

Sans doute, le développement des sociétés modernes, la complexité des rouages d'un E t a t toujours prêt à demander davan- tage aux individus, ceux-ci étant d'ailleurs toujours prêts à demander davantage à l'Etat, ne sont-ils guère propices au maintien intégral de la pure liberté de pensée, et l'homme apparaît-il davantage comme un animal social que comme un individu.

Il est à noter qu'Auguste Comte, aussi bien que son contemporain Karl Marx, n'aimait pas la psychologie. Pour les excuser, il convient de remarquer qu'à leur époque tous les prétendus psychologues ne furent que des théologiens qui dissertaient à perte de vue sur l'âme et les facultés de l'âme. Ce sont des choses dont on sort difficilement, même de nos jours.

Il vaut bien mieux essayer de perfectionner l'âme de chacun, c'est-à-dire son esprit, son cœur, son sentiment intime et profond,

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par le contact volontaire et de plein gré avec ses semblables aux aspirations communes, avec ses frères, sans faire appel à des règle- ments, à des contraintes, sans avoir à satisfaire à des exigences d'un Comité directeur terrestre plus ou moins dictatorial, ou d'un Maître céleste non moins tyrannique.

Quelle différence avec l'asservissement à un groupe, à un trou- peau grégaire, où l'homme finit par accepter — par force d'ailleurs et sous l'emprise de la nécessité — une existence inférieure, amoindrie et se vautre dans l'imitation, le conformisme, l'asservissement, l'avachissement, perd sa personnalité, son autonomie et sa liberté.

En fait, il est à craindre que toute doctrine qui exalte la vie collective et les règlements de groupe soit, au regard de l'individu, une doctrine d'aveulissement et de régression.

Nous avons vu de près, chez nous, à une époque récente, s'im- planter l'hitlérisme, le nazisme. On nous a vanté que l'exaltation de l'individu, son intérêt étaient dans le sacrifice, l'obéissance, l'aban- don total à une tâche, à une cause et à des espoirs qui le dépassent.

C'est d'ailleurs la même chose dans les formes contemporaines du socialisme scientifique. C'était la même chose dans les doctrines participant du judéo-christianisme, qui n'ont fait que comporter des formes de pensée hostiles à l'individualisme.

C'est ce qui fait l'attrait des doctrines totalitaires — communistes ou judéo-chrétiennes (qui souvent se rejoignent, même dans leurs conséquences temporelles) — auprès de la jeunesse.

La jeunesse marche à fond, elle qui a, à peine, connu le ciel libre. Et c'est compréhensible : l'un des traits essentiels de la jeunesse est l'indétermination. Elle est « disponible ». Les solutions de tous les problèmes, politiques et économiques, lui sont offertes, « toutes faites », totales et définitives, pense-t-elle. Si ces problèmes ne sont pas résolus, c'est à cause de la mollesse, du manque de courage des générations et des politiciens antérieurs. D'où ce bloc cohérent, dynamique et jeune qui permet, dans tout régime totalitaire, les plus grandes espérances. Tout un corps national agit ensemble.

Pas de noms qui émergent tellement, en dehors des têtes : les grands savants, les grands philosophes spéculatifs eux-mêmes paraissent noyés.

La franc-maçonnerie, par la coexistence fraternelle, en son sein, d'éléments les plus divers au point de vue de leurs conceptions, mais mettant au-dessus de tout la pleine et entière liberté de pensée et de conscience, mêlant dans le même creuset croyants et incroyants, hommes qui seraient réputés ailleurs de gauche, de droite ou du centre, conserve l'individualité de chacun dans les régimes sociaux de demain, tout comme elle a toujours tenté de le faire dans ceux d'hier et d'aujourd'hui.

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Les chaînes sociales, matérielles, intellectuelles et morales qui enserrent l'individu vivant en collectivité et qui restreignent singu- lièrement la liberté de ceux qui se proclament pourtant libres, sont bien légères au franc-maçon retrouvant, dans sa loge, ses propres Frères. Elles deviennent même inexistantes. Il n'en reste que les fantômes.

Mais, tout en sauvegardant farouchement sa liberté individuelle, le franc-maçon reste attentif aux problèmes d'ordre social. Tout en ayant le zèle du cœur et les illusions nécessaires, il sait qu'il ne faut pas espérer transposer notre idéal de liberté chez des gens qui ont faim, chez des gens qui s'écrasent dans des taudis infects. Comme on l'a dit récemment, pour une famille qui habite à cinq ou six dans une même pièce, souvent obscure, et qui doit se contenter du

« minimum vital », la liberté qu'il faut défendre est, qu'on le veuille ou non, un concept assez métaphysique.

Il s'impose, avec une vérité d'évidence, que les êtres humains, quels qu'ils soient, quels que soient leur race, leur pays, leur religion, ne reprendront goût à la vie et à la liberté que si leurs besoins élé- mentaires sont satisfaits. C'est pourquoi la franc-maçonnerie

— comme on l'a dit à plusieurs reprises et notamment le mois dernier — étudie, et ceci en toute liberté, les grands problèmes d'ordre politique, économique et social qui se posent à la conscience humaine.

La Maçonnerie permet la permanence d'un tel effort. Chez nous, toutes les croyances, toutes les confessions, toutes les différentes morales qui partagent les hommes sont examinées. Nos devanciers maçons ont été à l'avant-garde de la pensée libérale et ont été les guides dans une société en pleine évolution. Sous nos yeux, et sans que nous nous en doutions, un nouvel état social est en train de se former. La franc-maçonnerie ne peut pas en être absente, puisque c'est par excellence la Science de l'Homme — comme l'a définie un de ses illustres membres il y a déjà longtemps, le catholique Joseph de Maistre.

Elle sera présente par son esprit de justice et de concorde, qui doit prédominer sur l'esprit de chicane et de division. La vraie cité politique, au sens véritable du terme, n'existera que lorsqu'elle se mesurera d'une façon totale au compas de la moralité, que lorsqu'elle sera reflétée au miroir de la cité morale.

A une heure où le monde chancelle sur ses bases, où ses assises jusque-là les plus acceptées sont remises en discussion et s'effondrent, le Grand Orient de France accueille toutes les bonnes volontés certaines, toutes les croyances, réelles ou virtuelles, qui se recom- mandent du libre examen. Elles ne seront pas de trop pour remettre les choses en place. Ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est qu'il préfère la vérité à lui-même, et, pour y parvenir, n'oublions pas, selon le mot de Victor Hugo, « que le mieux n'est trouvé que par le meilleur ».

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I X

L a franc-maçonnerie, toute intemporelle qu'elle soit, a toujours prêté attention a u x éternels et successifs solstices et équinoxes. Une causerie de F r a n c i s V i a u d à l'occasion de l'équinoxe de 1955 croque l'homme et ses problèmes devant l'indifférente nature.

ÉQUINOXE 55

E m i s s i o n du dimanche 4 septembre 1955

SPEAKER. — A u j o u r d ' h u i , le G r a n d M a î t r e du G r a n d Orient de F r a n c e vous p a r l e :

N o u s voici, u n e fois de plus, r e v e n u s à c e t t e é p o q u e de l ' a n n é e q u e les n a v i g a t e u r s r e c o n n a i s s e n t , depuis des millénaires, c o m m e é t a n t l ' é q u i n o x e de s e p t e m b r e .

A p r è s les longs j o u r s de l ' é t é — qui o n t m a r q u é , je l'espère p o u r la p l u p a r t d ' e n t r e vous, q u e l q u e d é t e n t e et p e u t - ê t r e q u e l q u e b o n h e u r — voici des j o u r s plus courts. L e u r d u r é e v a b i e n t ô t égaler celle des nuits. E t la n u i t elle-même v a s ' a c c r o î t r e j u s q u ' a u solstice d ' h i v e r . E t l'éternel cycle r e c o m m e n c e , ce q u i est u n s u j e t de médi- t a t i o n p o u r les philosophes, qu'ils soient logiciens ou m é t a p h y s i c i e n s . . . Il est, effectivement, des p h é n o m è n e s n a t u r e l s sur lesquels l ' h o m m e n e p e u t à p e u près rien, sinon les p r é v o i r à q u e l q u e s secondes près — ce q u i m o n t r e qu'il en c o n n a î t a u moins les lois.

Les e s t i v a n t s des côtes de l ' A t l a n t i q u e o n t eu et a u r o n t t o u j o u r s , à leur disposition, des t a b l e s d o n n a n t les heures des m a r é e s et leurs coefficients, d é t e r m i n é s r i g o u r e u s e m e n t b i e n l o n g t e m p s à l ' a v a n c e . N é a n m o i n s , d ' a u c u n s p r o c l a m e n t que c e t t e h a r m o n i e des p h é n o - mènes périodiques est d'essence s u r n a t u r e l l e , s u p r a t e r r e s t r e . V o l t a i r e lui-même, t r a i t é de m é c r é a n t p u i s q u ' i l é t a i t f r a n c - m a ç o n , s'inter- rogeait sur la nécessité d ' u n g r a n d horloger r é g l a n t le m o u v e m e n t des astres. D e là à exiger, p o u r la c o m p r é h e n s i o n d u m o n d e et p o u r son évolution, u n p r i n c i p e c r é a t e u r et t r a n s c e n d e n t a l , il n ' y a q u ' u n pas...

Certains a u d i t e u r s o n t été choqués de ce q u e les déclara- t i o n s m a ç o n n i q u e s a i e n t p u d i s t i n g u e r diverses sortes de francs- m a ç o n n e r i e s , les u n e s se d i s a n t a u t h e n t i q u e s et o r t h o d o x e s , e x i g e a n t

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la croyance en un principe créateur divin, les autres, plus libé- rales, laissant à leurs adeptes toute liberté sur ce point.

En fait, cette distinction est d'un intérêt mineur au regard du Grand Orient de France qui a opéré — si j'ose dire — sa « laïcisa- tion » en 1877 et qui n'exige, de ses membres, aucun « Credo », créé pour garantir la liberté de pensée et de conscience de ceux-là mêmes qui désirent pratiquer telle religion de leur choix.

Au fond, tout dépend de ce que recouvre cette notion de « Dieu ».

L'histoire des hommes est tellement pleine de crimes, d'injustices, de persécutions commises au nom de divinités plus ou moins variées — mais savamment exploitées par des représentants ter- restres ne tenant, au fond, leur pouvoir que d'eux-mêmes — qu'il est normal qu'une grande confusion règne en cette matière.

Il semble bien qu'un fonds commun à toute l'humanité ait été constitué par le désir de l'être humain de retrouver, ou d'imaginer, ce qui lui manque, c'est-à-dire la pérennité et la perfection absolue.

Tout homme qui pense un peu par lui-même, qui n'est pas resté la véritable brute des cavernes, a, en lui, l'inquiétude de sa faible durée et le désir, plus ou moins avoué, de ne pas démériter à l'égard de lui-même, de ses proches, de ses semblables. Devant la difficulté de se trouver une sorte d'étalon de mesure morale, il a vite imaginé un étalon strict, absolu, ne pouvant matériellement pas exister en ce monde imparfait, composé d'ailleurs d'êtres à peu près identiques et ne présentant entre eux que de légères différences de peau, de races, de coutumes.

On a épilogué et on épiloguera longtemps encore sur l'hypothèse Dieu et sur ses conséquences. Pour nous, Maçons du Grand Orient de France, cette hypothèse est aussi valable qu'une autre. L'essentiel est de ne pas vouloir l'imposer avec un contenu dogmatique. Nous avons exposé maintes fois ici que nous respections toutes croyances sincères et désintéressées, mais qu'il est insupportable que l'on veuille glisser du plan spirituel vers des exigences temporelles qui se sont trop souvent traduites par des formes d'Etat théocratique pesantes et étouffantes pour tout esprit libre.

Le Grand Orient de France se glorifie d'avoir toujours été aux côtés de ceux qui ont lutté pour la liberté de conscience traduite, dans les lois civiles, par la stricte neutralité de l'Etat et la laïcité des services publics, c'est-à-dire que le Grand Orient reconnaît, à chaque citoyen, le droit de concevoir Dieu comme il l'entend et de pratiquer une religion ou de n'en pratiquer aucune. A fortiori entend-il n'im- poser à aucun de ses membres une croyance obligatoire. Il respecte, en cela, la charte capitale des fondateurs de la franc-maçonnerie philosophique moderne, qui entendait en faire un « Centre d'Union » entre ses membres, quelles que soient les dénominations et croyances

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qui pouvaient les distinguer, pourvu que fût bon le terrain moral sur lequel pouvait germer la semence d'idéal de perfection qui les assemblait.

E t pour tout dire, nous pensons que ces querelles de conception de Dieu sont largement dépassées par les problèmes qui se posent à l'homme sur notre propre planète. Dans la mesure où les religions prennent elles-mêmes conscience du fait humain, elles s'alignent au fond sur la conception maçonnique universelle.

Ne voit-on pas — comme je le lisais récemment sur les murs d'une petite station balnéaire bretonne où je passais mes vacances — des proclamations de l'Action ouvrière catholique de la section de Saint-Nazaire, dénonçant l'égoïsme de certaines classes dirigeantes et rappelant que le désordre social qu'il entraînait n'était pas conforme à l'ordre divin, et plus spécialement chrétien ?

La franc-maçonnerie progressive du Grand Orient de France est tout à fait d'accord sur ce point. Elle pense qu'il n'est même pas nécessaire d'identifier le Dieu auquel on se réfère. Partout où règne le désordre résultant d'injustices flagrantes, il faut dénoncer les véritables responsables qui, pourtant, s'appuient souvent sur des Eglises fortement organisées et disposant de moyens puissants.

Chacun connaît bien les forces que représentent la Banque du Vati- can, la Haute Finance protestante, les capitaux israélites. Ces forces, très matérielles, sont-elles bien au service de l'idéal de justice et de fraternité que répandait le Dieu dont elles se réclament ?

Sans doute est-il facile de voir dans tout mouvement social la main des « athées matérialistes ». Ainsi baptise-t-on très sommaire- ment et très schématiquement ceux qui, dégagés de toute contrainte religieuse, ont « sublimé » l'idée de Dieu, au point d'en faire cet idéal supérieur de perfection et d'harmonie dont les hommes libres, tels les francs-maçons, peuvent se réclamer sans rougir.

Nous pensons, avec tel secrétaire de centrale syndicale chrétienne de Nantes, qu'on ne fait pas mieux comme « odieuse fable en la circonstance ». Précisément, cette région de Nantes et de Saint- Nazaire — que je connais bien puisque j'y suis né, que j'y ai passé toute ma jeunesse et que j'y ai conservé de solides amitiés frater- nelles — est une région où la CGT n'a pas la majorité. Sans doute y eut-il un raz de marée terrible de la part des travailleurs. On a même parlé d'accord arraché sous la contrainte. Mais, depuis des mois et des mois, de quel côté est véritablement la contrainte ? La misère des salaires d'ouvriers qualifiés, qui ont donné à la France et lui donneront encore demain d'admirables unités navales, n'était-elle pas non plus une contrainte implacable ? Et si, à l'heure présente — en ce 4 septembre, anniversaire d'une Troisième Répu- blique qui a répandu des libertés politiques, mais peut-être pas

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complètement la liberté sociale et économique — si, à l'heure présente, les conflits sociaux menacent de s'étendre en province, n'y a-t-il pas là un signe évident de la sourde révolte contre l'injus- tice ? Je pense, en toute honnêteté mentale, que sont également responsables l'insouciance et l'insolence de certains patrons (pas tous, heureusement) qui n'ont rien appris ni rien oublié...

C'est dans des cas de ce genre — et nous pourrions en citer bien d'autres, à travers un Monde en plein désarroi — que prend toute sa valeur l'enseignement de fraternité maçonnique, tout empreint de synthèse et de concorde, non englué dans des intérêts de clan politique ou religieux.

Les francs-maçons sont attentifs à l'évolution du Monde moderne.

C'est une vérité d'évidence — déjà remarquée il y a plus de dix ans par Louis Marlio, membre de l'Institut, dans son ouvrage La Révo- lution d'hier, d'aujourd'hui et de demain — que dans le dernier demi- siècle, l'homme a conquis l'air et la mer. Il a maîtrisé l'espace et le temps. Mais quel profit avons-nous tiré de cette magnifique révéla- tion due au génie humain ? Pratiquement aucun. Au lieu d'utiliser ces découvertes, nous avons cherché à les stériliser : pour nous protéger contre les transports rapides, nous avons accumulé les barrières douanières, administratives, monétaires ; nous avons arrêté l'immigration. Dans un Monde qui, déjà à la veille de 1939, avait faim et qui demandait plus de travail, une utilisation plus complète des bras, des capitaux et des outillages, nous avons vu — et nous revoyons actuellement sous nos yeux — détruire des récoltes, arrêter des machines, geler les capitaux, emprisonner la pensée par des censures invraisemblables.

Il semble qu'il n ' y ait eu — et qu'il n ' y ait encore, malgré les apparences — de véritables frénésies créatrices que dans la fabri- cation des engins de guerre et que les hommes ne songent, au fond, qu'à utiliser pour détruire ce qui est fait pour bâtir. Un revirement parait s'opérer. On parle un peu partout à travers le Monde de détente, d'utilisation pacifique des nouvelles formes d'énergie. Peut- être ceux qui ont la charge de conduire les hommes prennent-ils peu à peu conscience de ces principes spirituels supérieurs épars à travers le globe et que, justement, la franc-maçonnerie tente de rassembler, très au-dessus des religions qui les ont déformés pour les faire servir, bien souvent, à des intérêts matériels.

Le développement des moyens d'information par le cinéma, puis par la radio, la télévision, engendre aussi le développement de l'instruction des masses, et cela dans le Monde entier. Dans les pays les plus reculés, dans les chaumières les plus éloignées des

1. Edition Brentano's, 586 Fifth Avenue, New York.

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grandes villes, on peut entendre chaque jour des conférences sur toutes questions qui préoccupent notre époque. Des populations qui étaient presque illettrées — et que d'aucuns voudraient conser- ver dans un tranquille analphabétisme — sont aujourd'hui instruites ou se croient instruites. Les masses populaires, mieux informées, ont pris conscience de leur force et ont conçu le désir d'en profiter.

Or, il faut réaliser un certain équilibre sans lequel les hommes ne sauraient vivre. La tâche n'est pas aisée, certes. Derrière chacun des mots qui nous paraissent clairs, il y a des réalités complexes.

Dès que l'on veut accomplir quelque réforme politique, sociale ou économique, des groupements d'intérêts font entendre des protes- tations enflammées au nom des principes réputés sacrés ou intan- gibles. On représente — je l'ai déjà souligné à titre d'exemple — la collaboration nécessaire avec les unions ouvrières, comme un acte de démagogie ou un pas vers le bolchevisme. L'évolution inéluctable de la politique douanière vers la libération des échanges est repré- sentée comme une cause de ruine pour l'industrie nationale. On essaiera d'empêcher la réalisation de la fraternité nationale au nom du patriotisme, etc.

Aussi faudra-t-il que les créateurs du Monde de demain soient endurcis contre les déceptions et poursuivent leur œuvre courageu- sement, sans compromission, vers la pure lumière.

La franc-maçonnerie ne peut, quant à elle, qu'être aux côtés de ceux qui désirent élargir sur cette propre terre la participation humaine — même si les hommes se croient obligés de se référer à une lumière divine (qui doit comporter aussi bien l'infrarouge ou l'ultraviolet). Chacun doit recevoir, suivant son apport, humble ou modeste, ce à quoi il a droit. C'est une question d'équité et de justice.

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X

Les peuples qui ont faim seront-ils toujours résignés ? Problème permanent, déjà évoqué il y a près de vingt-cinq ans en des termes toujours valables.

LA GUERRE ET LA FAIM

Emission du 2 septembre 1956

SPEAKER. — Le Grand Maître du Grand Orient de France vous parle :

Cette date du 2 septembre retentit comme un écho sinistre dans la mémoire de ceux qui vécurent les heures angoissantes de 1939...

Les historiens se chargeront de déterminer les causes profondes du cataclysme qui devait plonger le Monde dans les ténèbres pendant près de six ans, alors que l'on parlait de Blitzlcrieg, de guerre éclair.

Tout comme en août 1914, on pensait à la promenade de quelques semaines, et les Cosaques étaient alors à cinq étapes de Berlin !

E t voici maintenant, alors que « l'encre des traités n'est pas encore séchée » — puisque, aussi bien, il n'y a eu que très peu de traités après cette dernière guerre — que rôde de nouveau le hideux mufle de la guerre.

Il appartient aux forces spirituelles du Monde, quelles qu'elles soient — appuyées ou non sur un Dieu habitué d'ailleurs à toutes les bêtises humaines et sans doute, par là même, désabusé et inefficace — d'élever la voix pour démasquer, une fois de plus, l'inanité des guerres et de faire appel, par-delà les armes, à la fraternité et à l'amour.

La franc-maçonnerie a, de tout temps, mis l'accent sur la valeur de l'homme considéré en lui-même, comme parcelle de l'Humanité, indépendamment de toute attache provisoire à un pays, à une race, à une religion. Elle rejoint, en somme, à certains égards, les puis- sances dites spirituelles qui ne voient en l'homme qu'une créature d'un Dieu idéal, somme de toutes les perfections que l'homme n'a pu atteindre, un Dieu omniprésent et éternel, qualités que l'homme a toujours ambitionnées pour lui-même.

Mais les récompenses attendues dans un autre monde sont autant de traites tirées sur un avenir incontrôlable, qu'on peut donc ima- giner aussi beau que l'on veut, paré de toutes les félicités non atteintes en ce monde. Il y a même là, soit dit en passant, une conception

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