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Droit médical et bioéthique : quelles relations ?

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Droit médical et bioéthique : quelles relations ?

MANAI-WEHRLI, Dominique

MANAI-WEHRLI, Dominique. Droit médical et bioéthique : quelles relations ? In: Piotet, Denis et Tappy, Denis. L'arbre de la méthode et ses fruits civils : recueil de travaux en

l'honneur du professeur Suzette Sandoz . Genève : Schultess, 2006. p. 53-67

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:13168

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DOMINIQUE MANAÏ

Droit médical et bioéthique: quelles relations?

Introduction

Par cette contribution, j'aimerais offrir au Professeur Suzette Sandoz le fruit de ma réflexion sur les sources du droit médical. Connaissant la rigueur du raisonnement de ma chère Collègue, j'écris en prenant le risque de m'aventurer sur un terrain parfois mouvant. Mais c'est précisément parce que je partage avec Suzette Sandoz ce souci de la rigueur juridique que je pose frontalement la question des sources du droit médical afin de bien les identifier devant vous et de délimiter ainsi la place de l'éthique dans ce domaine juridique.

En effet, le droit médical ravive avec acuité la question des rapports du droit et de la morale qui préoccupe la pensée occidentale depuis plusieurs siècles déjà. Mais il la pose en termes différents, car à l'époque contemporaine le droit se trouve aux prises non seulement avec la déontologie mais aussi avec la bioéthique. Ce qui nous contraint à jeter un éclairage nouveau et nécessairement original sur la nature de ces rapports triangulaires.

Nous avons tous présent à l'esprit que les relations entre le droit et la morale ont fluctué au cours du temps: de l'emprise de la morale sur le droit, nous sommes passés à leur séparation, Pour analyser la structure de l'ordre juridique, Hans Kelsen a dissocié les faits et les valeurs et affirmé que la dimension axiologique est en elle-même étran- gère au caractère contraignant des règles de droitl, Dans la Théorie pure du droit, il écrit: «Il n'est possible de justifier le droit positif par la morale que si l'on admet qu'il peut y avoir contrariété entre nonnes juridiques et nonnes morales, si, comme un droit moralement bon, il peut exister un droit moralement mauvais. Si un ordre moral pres- crit ( .. ,) de se conformer toujours et inconditionnellement aux normes posées par l'autorité gouvernante, ou juridique, l'idée même d'une contradiction entre cet ordre moral et le droit positif est exclue par avance; dès lors, il ne peut réaliser son intention de légitimer le droit positif en lui conférant une valeur morale. ( ... ) Postuler qu'il faut distinguer le droit de la morale et la science du droit de l'éthique, signifie que, du point de vue d'une connaissance scientifique du droit positif, sa justification par un ordre moral distinct de lui est irrelevante, la science du droit n'ayant ni à approuver ni à dé- sapprouver son objet, mais uniquement à le connaître et à le décrire»2, C'est en ces termes que Kelsen brandissait la neutralité axiologique du droit. Mais cette neutralité

SIMONE GOYARD-FABRE, Les rapports du droit et de la morale aujourd'hui, in FRANCOIS DERMANGElLAU- RENCE FLACHON, Ethique et droit, Labor et Fides, Genève 2002, p. 24.

HANS KELSEN, Théorie pure du droit, trad. EISEt ... MANN, Dalloz, Paris 1969, p. 92.

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a révélé qu'elle pouvait abriter des projets qui se sont avérés politiquement meurtriers et criminels.

D'où le retour en force du droit dans la société contemporaine, d'un droit exprimant l'esprit de son époque; or la société contemporaine est marquée par le pluralisme des valeurs et par la prolifération de foyers normatifs3C'est dans ce contexte-là qu'émerge le droit médical. Si bien que son développement est au cœur de l'idée selon laquelle ce n'est ni à l'Etat ni au législateur seuls de répondre aux questions soulevées par les progrès scientifiques pour édicter des règles auxquelles les médecins et les chercheurs seraient soumis ;mais inversement ce n'est pas non plus aux seuls médecins ou chercheurs de décider ce qui est licite ni de s'auto-réglementer.

Se pose dès lors la question de l'articulation entre trois ensembles normatifs qui ont une temporalité différente: le droit médical-lié à l'encadrement de la pratique théra- peutique telle qu'elle se développe dès le XX' siècle -la déontologie - présente depuis la Haute Antiquité - et la bioéthique - issue de la réflexion dans les années soixante selon laquelle tout ce qui est technoscientifiquement possible n'est pas toujours positif pour l'humanité et ne doit pas nécessairement être permis.

Dans cette contribution, je me propose d'examiner les incidences juridiques des influences réciproques4 de ces trois espaces nonnatifs différents. J'analyserai ces inter- actions en termes d'influences réciproques plutôt que de prédominance, ou de pouvoir unilatéral d'une catégorie normative sur une autre ou encore de réception d'une norme dans un autre système normatif où il ne serait question, de manière univoque, que de passage de l'Ethique au droit', ou de la Bioéthique au biodroit'.

A la lumière de cette analyse, j'examinerai dans quelle mesure le droit médical contemporain est marqué par deux fortes interactions normatives. Celles-ci se sont produites successivement: une première interaction nonnative, celle entre la déonto- logie et l'émergence des droits du patient, marque l'essor du droit médical. La deuxiè- me interaction normative, celle entre les comités d'éthique et le droit, donne la confi- guration du droit médical contemporain. Dans la troisième partie de mon développe- ment,j'illustrerai ces interactions normatives à la lumière des lois fédérales récentes.

JACQUES CHEVALLIER, Vers un droit postmoderne?, jn JEAN CLAM/GILLES MARTIN, Les transformations de la régulation juridique, Droit et Société, Paris 1998, pp. 21 ss.

JEAN CARBONNIER, Les phénomènes d'intemormativité, European Yearbook in law and sociology, La Haye 1977, pp. 42 s., GUY ROCHER, Le droit soluble, Contributions québecoises à l'étude de l'intemonnativité, sous la direction de JEAN GUY BELLEY, LGDJ, Paris 1996, p. 28,AuDE ROUYERE, Le juge et les interactions normatives, in Jeux de normes dans la recherche biomédicale, sous la direction de JEAN-PIERRE DUPRAr.

Publications de la Sorbonne, Paris 2002, pp. 141 s.

De l'éthique au droit, Etudes du Conseil d'Etat, NED, La Documentation française, 1988.

CLAIRE NEIRINCK (dir.), De la bioéthique au biodroit, Droit et Société, n° 8, 1994.

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I. Déontologie et droits du patient

Dans le domaine de la santé, la déontologie pré-existe aux nonnes juridiques.

En effet, depuis l'Antiquité, la profession médicale a développé sa propre norma- tivité. Cette éthique professionnelle émerge du Serment d'Hippocrate; elle s'est déve- loppée au fil des siècles et connaît de nos jours une extension considérable.

Rappelons que la déontologie est une «éthique spéciale adaptée aux conditions de l'exercice d'une profession, en l'occurrence la médecine »7, Les normes déontologiques déterminent les devoirs, les droits et les responsabilités qui s'imposent à un profession- nel dans l'exercice de sa fonctions. Elles sont de nature prescriptive et servent à guider le comportement. En effet, elles rappellent l'obligation du médecin de toujours recher- cher le bien du patient et de savoir en quoi il consiste dans une situation particulière (primum non nocereJ ce que l'on appelle aujourd'hui le principe de bienfaisance); elles lui reconnaissent la possibilité de ne pas dévoiler une information quant au diagnostic du patient s'il juge que cette révélation sera préjudiciable à ce dernier; enfin elles lui interdisent de communiquer les informations qu'il apprend dans le cadre de la relation thérapeutique, faisant ainsi du secret médical le socle sur lequel s'échafaude la relation de confiance entre patient et médecin, condition indispensable pour un bon exercice de la médecine, dans la mesure où le thérapeute a accès à « une double intimité: celle des corps et celle des relations familiales »9.

Jusqu'au milieu du

xx

e siècle, l'activité médicale est régie essentiellement par ces normes professionnelles et la dissociation de la déontologie et du droit est patente: le droit respecte l'autonomie professionnelle et la déontologie est dépourvue de force contraignante pour les personnes extérieures à la profession. Leur indépendance est claire: le médecin décide du traitement selon le bien du patient sans avoir à négocier avec ce dernier qui s'en remet au savoir du professionnel. Cette relation est qualifiée aujourd'hui de paternaliste, dans la mesure où c'est la compétence du thérapeute qui lui confère le pouvoir de décider pour le malade. L'interférence entre le droit et la médecine est rare: la loi n'intervient que de manière marginale pour promouvoir des mesures de santé publique (telles la vaccination, la lutte contre les épidémieslO) et le juge sanctionne un comportement qui aurait violé une norme juridique.

L'indépendance normative de la pratique médicale est manifeste. Comme le souligne fort bien Guy Rocher, <da profession médicale a une solide tradition d'autonomie re- lative et d'auto-régulation. Cette autonomie a trouvé sa justification et sa légitimité dans la possession exclusive d'un savoir qui rend la profession très méfiante et très

GILBERT HOT[Qls, Déontologie et éthique médicales., in GILBERT HOTIOIS/JEAN-NoEL MISSA, Nouvelle encyclopédie de bioéthique, De Boeck Université, Bruxelles 2001, p. 262.

Le terme déontologie est apparu en 1834 pour la première fois en langue française dans la traduction de l'ouvrage du philosophe utilitariste anglais Jeremy Bentham, intitulé Deontology or science ofmo- rality.

ALEX MAURON, Les fondements éthiques du droit médical, in Médecin et droit médical, Médecine &

Hygiène,2e éd., Genève 2003, p. 360.

DOMINIQUE MMIAI, Un siècle de droit de la santé en Suisse (1886-2003): de la lutte contre les épidé- mies au droit des patients, Revue générale de droit médical, 2004, numéro spécial Droits des malades.

pp. 91 s.

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résistante à l'égard de toute intervention normative externe. ( ... ) La possession des connaissances médicales est le critère essentiel qui, selon l'ordre normatif de la profes- sion médicale, légitime l'autonomie du médecin dans sa pratique »11.

Le premier jalon sur le chemin du rapprochement entre le droit et la déontologie se situe à la fin de la seconde guerre mondiale. En effet, le procès de Nuremberg in- tenté contre les médecins nazis qui s'étaient livrés à des expériences sur des êtres humains jugées, à juste titre, contraires à la dignité a posé, en 1947, dix règles essentielles qui protègent les personnes. Parmi celles-ci figurent l'exigence du consentement éclairé du sujet et le rappel que son intérêt doit toujours primer celui de la recherche et celui de la société.

Bien que ces règles fondamentales émanent du tribunal, elles sont désignées pour- tant comme constituant le Code de Nuremberg. Elles ont servi ùe référence à l'Assu- ciation Médicale Mondiale qui, après avoir adopté le Serment de Genève en 1948 et le Code international d'éthique médicale en 1949, émet la Déclaration d'Helsinki en 196412

Et tout récemment en 2005, l'Association Médicale Mondiale a formulé un Code d'éthi- que médicale. Ces nonnes non-juridiques demeurent des recommandations destinées aux professionnels.

Nous observons à ce stade l'influence que le droit exerce sur la déontologie quant à sa forme: d'une formulation imprécise et vague, la déontologie revêt la forme d'un code systématique et ses règles gagnent en précision. Le caractère normatif de la déon- tologie devient de plus en plus marqué. Et le professionnel se trouve de plus en plus soumis à des obligations explicites.

Le second jalon sur le chemin du rapprochement entre le droit et la déontologie se situe dans les années soixante-dix, lorsque les patients ont revendiqué la reconnais- sance de leur droit à l'autodétermination et ainsi le contrôle de leur vie et de leur santé, La relation thérapeutique évolue alors vers un «partenariat», où désormais le patient a la maîtrise de la décision après avoir été informé de manière adéquate.

Les progrès de la médecine et de la science sont tels que l'intérêt du patient n'est plus univoque. Si bien que les règles déontologiques dépassent l'édiction de normes techniques et sont souvent créées ex nihilo pour faire face à des situations nouvelles.

C'est ainsi qu'en Suisse, nous assistons ces dernières années à une prolifération de ces normes. En effet, l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM) produit de nom- breuses directives et recommandations sur des questions scientifiques fort délicates suscitées par la pratique thérapeutique et qui doivent trouver des réponses dans un cadre normatif précis afin d'éviter des dérives: la procréation médicalement assistée, la transplantation d'organes, la recherche sur l'embryon, la fin de vie, le traitement des nouveaux-nés sévèrement handicapés incapables de survivre sans assistance technolo- gique ou encore le suicide assisté. L'influence du droit est telle que les normes déonto- logiques s'approprient le langage du droit: aussi l'ASSM adopte-t-elle des principes médico-éthiques intitulés Droits des patientes et patients à l'autodétermination, le 24 novembre 2005, tandis que la Fédération des médecins suisses (FMH) élabore, le 12 décembre 1996, un Code de déontologie.

n GUY ROCHER (n.4), p. 3l.

Révisée en 1975, en 1983, en 1989, en 1996 et en 2000.

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Désormais, les frontières entre la déontologie et le droit deviennent de plus en plus poreuses. Loin de se sentir fragilisé par cette porosité, le droit en tire une force. Ainsi dès les années 70, les nonnes déontologiques se trouvent intégrées dans le droit: le juriste se réfère aux nonnes déontologiques pour étayer ses règles, même si à l'origine la déontologie visait à prévenir l'activité du législateur.

C'est d'abord par la jurisprudence que les normes déontologiques prennent place dans le droit. Aussi en 1972 les juges recourent-ils aux «dernières connaissances de la science médicale» pour déterminer le moment de la mort13A plusieurs reprises, le Tribunal fédéral juge que les règles professionnelles jouent « le rôle de normes assimi- lables à des règles de droit»14, si bien qu'une violation des règles de l'art médical est illicitelS et peut engager une responsabilité civile. Il est incontestable que les règles de l'art aident le juge à apprécier la diligence requise par le professionnel dans un cas concret16• Toutefois, l'admission de la violation d'un devoir de diligence est un jugement de nature normative par rapport au modèle d'un professionnel compétent, consciencieux et prudent; les règles de l'art ne lient pas le juge. En d'autres termes, si le soignant a respecté les règles de l'art, il semble peu probable qu'il soit reconnu responsable du dommage subi par le patient; par contre, s'il n'a pas suivi les règles de l'art, il ne pour- ra pas être d'emblée considéré comme responsable du dommage: il a la possibilité de justifier son comportement et de fournir la preuve que ces normes déontologiques ne s'appliquaient pas dans le cas d'espèce ou qu'elles ne correspondent plus aux derniers développements de la science médicale1? Ces règles privées sont ainsi le reflet de « stan- dards actuels », l'état de la science et de la technique lB.

Malgré cette collaboration affichée et voulue avec les professionnels de la santé, les juristes sont unanimes à considérer que les nonnes déontologiques, en tant que telles, ne sont pas juridiques, car elles n'émanent pas d'un organe habilité à légiférer.

Ensuite et plus récemment, c'est le législateur qui s'appuie explicitement sur les nonnes déontologiques. Ainsi peut-on lire dans le Message du Conseil fédéral au sujet de la Loi sur la procréation médicalement assistée: <~ Ces directives ont un caractère obligatoire limité. En tant que règles de la profession, elles ne s'appliquent en principe qu'au milieu médicaL Toutefois, il convient de noter qu'elles produisent des effets au- delà de ce milieu. Ainsi les lois d'un certains nombre de cantons renvoient totalement ou en partie aux directives ( ... ). Elles deviennent donc du droit cantonal qui s'applique aussi longtemps qu'une réglementation fédérale n'est pas adoptée. Enfin, les directives ont fortement influencé la discussion politique et juridique sur la procréation médica- lement assistée»19. Cette idée est largement reprise dans le Message du Conseil fédéral relatif à la Loi sur l'analyse génétique humaine: «leur portée a dépassé le milieu mé-

"

"

..

AIT 98 la 508. Ce n'est qu'en 2004 que le législateur introduit une disposition juridique sur le critère du décès (art. 9 Loi sur la transplantation).

AIT 113 JI 429,JdT 1988182 cons.3a.

ATF 113 lb 420,JdT 1989 28 .

ATF 64 11605; ATF 70 Il 210;ATF 105 11284 con& 1 ;ATF 108 Il 59;ATF 108 Il 422.JdT 1983106;

ATF 110 II 379 cons. 2; ATF 120 II 248,JdT 1995 560.

ATF 105 Il 284; JEAN-FRANÇOIS Du MOUUN, Les recommandations de pratique clinique, Cahier IDS, 7, p. 53.

ATF 123 1 129 cons. 7 ccc.

FF 1996 III 201.

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dical, car elles ont largement contribué à la discussion juridique et politique de l'ana- lyse génétique humaine »20,

Aussi les normes déontologiques ont-elles permis une consolidation des droits du patient. Si bien que le droit médical se développe à partir des principes classiques du droit (privé, administratif et pénal) et prospère en tenant compte des exigences éthiques21

Souvent sollicitée par le législateur, l'interaction est postulée par une loi à « texture ouverte »22 qui délègue à l'organe d'application du droit la compétence de se référer aux normes professionnelles pour conférer un contenu aux notions juridiques indéterminées, La déontologie est ainsi intégrée dans le raisonnement juridique et s'inscrit avec cohé- rence dans les structures juridiques existantes. Le droit s'enrichit de la déontologie qui, à son tour, se renforce par son intégration juridique et y gagne en consistance. Il nous est loisible d'affirmer que les sources du droit médical proviennent non seulement de normes juridiques mais aussi de normes déontologiques.

II. Comités d'éthique et droit

Dans la seconde moitié du XXe siècle, un changement important se produit qui se ré- percute sur le droit médical.

En effet, les pratiques thérapeutiques générées par les biotechnologies ont provoqué des interrogations nouvelles sur la vie, la mort, la représentation de l'individu et font appel à des choix éthiques23Or le droit ne peut ni ignorer les données nouvelles des sciences biomédicales, ni se contenter de s'incliner devant leur performance24La science, de son côté, bénéficie d'un espace de libertés non contesté mais ne peut pas être «un Etat dans l'Etat» et ne peut se développer qu'à l'intérieur des frontières tracées par le droit25Quant aux normes déontologiques, elles ne sont pas suffisantes pour four- nir des réponses qui font appel à des options philosophiques divergentes dans une so- ciété pluraliste. Il est donc devenu nécessaire de fixer un cadre normatif hors du champ professionnel.

Or, face à cette forte demande de régulation, la bioéthique s'est trouvée interpellée.

La bioéthique excède l'éthique médicale dans la mesure où, nécessairement pluridisci- plinaire,elle tente d'articuler ce qui est techniquement possible et ce qui est éthiquement acceptable 26. En effet, elle ne relève pas «d'une discipline particulière,mais consiste en

w

"

FF 2002 6854.

GERARD ME.\iETEAU, Droit médical et déontologie: suggestions prudentes en faveur d'un rapprochement.

Etudes offertes à Jean-Marie Aub)~ Dalloz, Paris 1992, p. 767.

Cf. HERBERT HART, Le concept de droit, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles 1976.

ALBERTO BOl'DOLFl, Ethik und Recht im Bereich neuer biomedizinischer Errungenschaften, in JEAt'."- PIERRE Wn.slMICHAEL Z.Al-{N"ER (éd.), Theologische Ethik zwischen Tradition und ModemiUitsanspruch.

Fesrschrift for Adrian Holderegger, Academie press, Verlag Herder, Fribourg 2005, p. 155.

CHRISTIAl'l BYK, Pour un paysage juridique recomposé: la bioéthique, facteur de (re )construction du droit?, Journal international de bioéthique, 1997, n°S 1-2, p. 26.

KLAUS PETER RlPPE, Ethikkommissionen ais Expertengremien?, Das Beispiel der Eidgenossischen Ethikkommission, in KLAUS PETER RIPPE, Angewandte Ethik in der pluralistischen Gesellschaft, Ed.

universitaires, Friboug 1999, p. 360.

Cf. GILBERT HOITOIs, Bioéthique, in GILBERT HOITOIS/JEAN-NOEL MISSA (n. 7), p.124.

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un champ de recherches impliquant la coopération de la médecine et de la biologie, des sciences humaines, du droit, de la philosophie et de l'histoire des sciences>~27.

C'est pourquoi émergent des instances nouvelles chargées de résoudre des dilemmes moraux qui ne sont pas composées exclusivement de professionnels de la santé: les comités d'éthique sont mis en place « comme lieu de discussion éthique sur des sujets précis de bioéthique ou d'éthique médicale »28.

Leur objectif dans la médecine humaine est la sensibilisation du public, afin d'em- pêcher qu'un cercle fermé de professionnels décide selon leur propre responsabilité de problèmes qui concernent la société toute entière. Or, dans une société pluraliste, seul un débat public est à même de dessiner des limites acceptables pour tous, car il confron- te des interlocuteurs dont les opinions et les convictions sont diverses voire opposées.

La discussion cst garante que nul ne s'arroge le droit de décider pour les autres, que la personne et ses droits deviennent le référent principal, tandis que le devenir individuel est perçu et intégré au devenir collectif29.

Il est intéressant de souligner que la naissance des comités d'éthique est rattachée à la recherche et émane des scientifiques eux-mêmes. Plus précisément, cette émer- gence est liée aux interrogations de la conscience scientifique, suite au procès de Nu- remberg le 19 août 1947. Puis, alors que les industries pharmaceutiques se développent entre 1947 et 1970, les Américains s'inquiètent de la manière dont ~<l'expérimentation

humaine» se déroule dans les institutions médicales.

La Déclaration d'Helsinki (1964) marque une étape décisive dans le développement de la recherche scientifique contemporaine: élaborée par des médecins, elle recom- mande que les recherches soient contrôlées par un comité d'éthique. A cette époque, senIle domaine des médicaments était concerné. Puis le développement de nouvelles techniques, tels la réanimation, le prélèvement d'organes ou la génétique, s'avère rapi- dement problématique pour l'intégrité du corps humain; de surcroît, les limites du re- cours à ces pratiques ne sont pas claires. Par exemple, dans le domaine de la génétique, les recherches mettent en évidence à la fois les bénéfices potentiels énormes mais aussi les risques de sélection. Les promesses de l'évolution des technosciences se mé- tamorphosent alors en une menace. Pour toutes ces raisons, les scientifiques exprimèrent

pOlIT la première fois, en 1973, leur inquiétude à l'égard des techniques génétiques.

Réunis à Asilomar en 1975, cent quarante scientifiques réclament un moratoire pour les expériences d'ADN recombinant. Dès lors l'encadrement des biotechnologies est apparu essentiel pour le contrôle de la recherche dans le respect des sujets. Ce qui a amené l'Etat à solliciter la collaboration des différents acteurs impliqués et à encoura- ger l'institutionnalisation de comités d'éthique.

Grand dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse, p. 100.

MARIE-HELEc'l"E PAR1ZEAU, Comité d'éthique, in GILBERT HOITOlS/JEAN-NoEL M1SSA (n. 7), p.191.

GUY BOURGEAULT, L'éthique et le droit aujourd'hui: quand les fondations sont ébranlées, Les Cahiers de droit (Québec), 1993, 34, p. 536.

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En Suisse, c'est en 1998 qu'une Commission fédérale d'éthique pour le génie géné- tique dans le domaine non humain ainsi qu'une Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine (CNE)30 furent instituées31,

La CNE a principalement pour fonction de suivre <d'évolution dans les domaines des techniques de procréation et du génie génétique en médecine humaine », d'informer

«le public sur les observations importantes et favoriser la discussion sur les questions d'ordre éthique au sein de la société» et de donner «des avis consultatifs d'ordre éthi- que sur les questions sociales, scientifiques et juridiques qui en résultent» (article 28 alinéa 2 Loi sur la procréation médicalement assistée).

En sept ans, la CNE a rendu une dizaine d'avis: deux sur les cellules souches em- bryonnaires, un sur le régime du délai dans le cadre de l'interruption volontaire de grossesse, un sur le clonage reproductif, deux sur le prélèvement d'organes à partir d'un donneur vivant, un sur la stérilisation, un sur l'assistance au suicide, un sur le diagnostic préimplantatoire et un sur la recherche sur l'embryon et le fœtus.

Aussi les avis de la CNE sont-ils rendus parallèlement aux normes déontologiques et indépendamment d'elles. Les rapports et recommandations que rend la Commission bénéficient d'une légitimité pluridisciplinaire qui leur confère un poids certain auprès du pouvoir politique.

Désormais le droit doit collaborer non seulement avec les normes déontologiques mais aussi avec l'instance qu'il a instituée, à savoir la Commission nationale d'éthique, prenant ainsi acte de la réflexion bioéthique qui débouche sur des avis certes consulta- tifs mais à vocation de conseils pour le droit. A son tour, la Commission nationale d'éthique s'appuie dans ses délibérations aussi bien sur les normes professionnelles que sur les normes juridiques. De plus, le droit se nourrit des concepts venus de la réflexion bioéthique: à titre d'exemples, le concept de risque minimap2 ainsi que l'exigence de l'absence de «méthode thérapeutique ayant une efficacité comparable» sont intégrés par le législateur et explicitent ainsi le principe de la proportionnalité et celui de la subsidiarité dans ces domaines particuliers.

Mais alors, pourrait-on objecter, le droit n'est-il qu'une simple forme dans laquelle n'importe quel contenu peut trouver sa place?

Bien au contraire! Le droit se trouve renforcé et sa légitimité accrue33, dans la me- sure où les concepts juridiques sont ajustés aux évaluations déontologiques et bioéthi- ques.

Plus précisément, dans cette interaction avec la bioéthique, nous repérons les traces d'une consolidation des normes juridiques. Et cela de trois manières:

D'abord, le droit couronne le système normatif bioéthique: rappelons que la Com- mission nationale d'éthique a été instituée par le droit. La bioéthique trouve ainsi un fondement et une légitimité juridiques. Le législateur charge la Commission d'élaborer

Art. 28 Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée, RS 814.90 ; ordonnance sur la Commission nationale d'éthique dans le domaine de la médecine humaine, RS 810.113.

Par ailleurs, de nombreux comités d'éthique locaux ont été mis en place en Suisse: l'avant-projet de Loi fédérale relative à la recherche sur ['être humain vise à organiser et coordonner ces comités d'éthique.

Tel qu'il se trouve à l'article 13 al. 2 litt. a de la Loi sur la transplantation.

CHRISTOPHE RADEIFLORENCE MAURy!AGt-'ES Il.LL,,", Le rôle des règles déontologiques dans l'encadrement normatif de la recherche biomédicale, in Jeux de normes dans la recherche biomédicale (n. 4), pp.

37 s.

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des directives en complément de la loi, de signaler les lacunes de la législation et de conseiller, sur demande, l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et les cantons (article 28 alinéa 3 LPMA). Les divergences dans le débat sont exposées dans les rapports qu'elle produit. Dès lors il nous est loisible d'en déduire que sa fonction s'étend au-delà de celle d'une expertise: elle est proche de celle de la doctrine (article 1 alinéa 3 Code civil)34, dans la mesure où la production de normes juridiques empruntent des chemins nouveaux, en raison de leur haute technicité et des choix éthiques difficiles, si bien que les avis des comités d'éthique servent de point d'appui à la formulation de ces normes juridiques.

Ensuite, les avis éthiques se basent sur les nonnes juridiques qui balisent le cadre de leur discussion. Les nonnes juridiques sont ainsi mises à l'épreuve de la controverse et de la confrontation des prises de position divergentes ct pluridisciplinaires. Cc qui ne manque pas de renforcer leur légitimité lorsqu'elles parviennent à s'imposer et à cristalliser autour d'elles un consensus mis à l'épreuve de la pratique.

Enfin, l'approche du droit s'en trouve modifiée: dans le contexte du droit médical, il n'est pas suffisant d'adopter une démarche classique et il n'est pas possible de se contenter de regarder la loi, les principes juridiques et les décisions jurisprudentielles.

Le juriste spécialisé dans ce domaine doit nécessairement être infonné des nonnes déontologiques et avisé des débats bioéthiques. En d'autres tennes, il est condamné à voir le droit au-delà de la règle de droit et il est contraint nécessairement à une appro- che épistémologique pluridisciplinaire.

III. Droit, déontologie et avis de la Commission nationale d'éthique: leurs influences réciproques

Cette analyse m'a pennis de démontrer que ces trois ordres normatifs, proches mais différents, ont désormais des limites poreuses, dans la mesure où ils sont traversés par de nombreuses interactions. Le droit médical se trouve ainsi pris dans une dynamique d'ouverture et de clôture, où l'appel à la collaboration nonnative émane aussi bien du législateur que du juge.

Partant, je me propose d'illustrer ces influences réciproques en prenant quatre problèmes de société: la recherche sur les cellules souches embryonnaires, la stérilisation, l'assistance au suicide et la procréation médicalement assistée.

JEAN CHRISTOPHE GALLOUX, L'avis du comité d'éthique est-il une autorité de doctrine?, in La doctrine juridique, PUF, Paris 1993, p. 240.

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1. La recherche sur les cellules souches embryonnaires ou le droit à la remorque de la science

La recherche sur les cellules souches embryonnaires est un domaine où la science et la bioéthique ont devancé le droit et ont balisé le chemin aux normes juridiques.

En effet, le 19 septembre 2001, l'ASSM a pris position sur l'importation de cellules souches embryonnaires et sur la recherche faite à partir d'elles. Elle demande un mo- ratoire, car si l'objectif de la recherche est éthiquement défendable, elle considère qu'il est nécessaire de clarifier les bases éthiques et juridiques relatives au prélèvement de cellules souches embryonnaires. Cette situation révèle la lacune du droit: l'embryon in vitro n'est pas protégé face aux intérêts scientifiques.

De manière presque concommittante, le 28 septembre 2001 le Fonds national suisse de la recherche scientifique prend une décision opposée: il décide de soutenir un projet de recherche sur des cellules souches embryonnaires humaines importées de l'étranger,

Le 19 juin 2002, la Commission nationale d'éthique rend un avis qui opte pour l'interdiction de l'importation des embryons entiers et des ovules. La majorité de la Commission recommande d'autoriser pour la recherche l'emploi d'embryons surnu- méraires qui ne peuvent plus être implantés, mais à des conditions fort restrictives.

Le 20 novembre 2002, un projet de loi est prêt, La Loi fédérale relative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires est adoptée le 19 décembre 2003. L'analyse de ses dispositions légales révèle qu'elle s'est largement inspirée des propositions de la Commission nationale d'éthique. Un référendum a été lancé contre cette loi, et le 28 novembre 2004 le souverain accepte la loi, qui est entrée en vigueur le leI mars 2005.

Le droit a ainsi suivi la bioéthique, et l'activité scientifique a joué un rôle de cataly- seur dans la production des normes.

2. La stérilisation ou lorsque le droit s'impose là où les normes déontologiques n'ont pu le faire

La question de la stérilisation démontre que le droit intervient là où les normes non juridiques ont échoué.

Jusqu'en 2oo4,le droit fédéral ne réglait pas spécifiquement la stérilisation,qui était alors considérée comme n'importe quelle intervention médicale, à savoir une grave atteinte à l'intégrité corporelle (art, 10 al. 2 Cst; art. 28 CC; art, 122 CP), dans la me- sure où elle consiste en la suppression des facultés reproductrices. Et jusqu'à la fin des années quatre-vingt, seul le canton de Vaud avait légiféré dans ce domaine.

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A la fin des années quatre-vingt-dix, il est révélé que dans la première moitié du

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siècle, des personnes affectées de troubles mentaux ont été stérilisées contre leur gré ou avec leur consentement obtenu sous la contrainte35

Le 5 octobre 1999, une initiative demande la création de bases juridiques nécessai- res pour indemniser les victimes de stérilisations forcéesJ6Le 27 mars 2002, le Dépar- tement fédéral de justice et police met en consultation un avant-projet de loi fédérale qui contient deux parties: l'une sur les conditions auxquelles est soumise la stérilisation, et l'autre sur l'indemnisation des victimes de stérilisations abusives.

Suite aux débats parlementaires, la Loi fédérale sur la stérilisation a été adoptée le 17 décembre 2004, mais seulement dans sa partie concernant les conditions de la stéri- lisation, alors que la seconde partie fut rejetée. La stérilisation de personnes incapables de discernement est en principe interdite (art. 7 al. 1 Loi sur la stérilisation); clic n'est admise qu'à titre exceptionnel (art. 7 al. 2 Loi sur la stérilisation) à des conditions res- trictives qui doivent être remplies au moment de la stérilisation.

Avant l'adoption de cette loi fédérale, les normes déontologiques encadraient la pratique de la stérilisation. L'Académie suisse des sciences médicales avait fonnulé, en 1981 des directives qui interdisaient la stérilisation d'une personne incapable de discer- nement. En 1999, elle a mis en consultation un projet de révision de ces directives qui admet à certaines conditions restrictives la stérilisation de personnes mentalement déficientes incapables de discernement. Ce projet a fait l'objet de vives critiques, si bien que l'ASSM a renoncé à maintenir son projet en mentionnant qu'il appartenait au lé- gislateur de se prononcer s'il le jugeait opportun. Elle a ainsi retiré les directives contes- tées.

Entre-temps, la Commission nationale d'éthique s'est saisie de cette question et a formulé une prise de position, le 26 mai 200437Elle considère que la stérilisation de personnes incapables de discernement est admissible mais qu'elle doit rester une solu- tion d'ultime recours à défaut d'autres méthodes contraceptives et si le bien-être des intéressé( e)8 est menacé par une grossesse.

Comme nous l'avons relevé, la Loi sur la stérilisation a été adoptée peu après: le législateur a suivi l'avis de la Commission nationale d'éthique et explicité les conditions restrictives préconisées par elle. Tel un éclaireur, les normes bioéthiques ont préparé le terrain au juridique.

3. L'assistance au suicide ou lorsque les normes non juridiques servent de relais au droit

Inversement, avec l'assistance au suicide, nous observons que les normes non juridiques se déploient là où le droit s'arrête.

G1LLES JEANMOI'WDJGEKEVIEVE HALLER/JACQUES GASSER, La stérilisation légale des malades et infirmes mentaux dans le canton de Vaud entre 1928 et 1985, Rapport de l'Institut romand d'Histoire de la mé- decine et de la santé,juin 1998.

Initiative parlementaire VON FELTEN, 99.451.

CNE, Prise de position nO 7 sur la stérilisation des personnes incapables de discernement.

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La question de l'assistance au suicide a été mise à l'ordre du jour par les pratiques d'accompagnement vers la mort des malades en phase terminale. Les craintes de déri- ves ont été vivement exprimées., notamment à la suite de l'acceptation de Exit en Suisse alémanique d'aider au suicide les personnes psychiquement malades, à la condi- tion toutefois que leur capacité de discernement soit intacte et que le désir de mourir ne fasse pas partie de leur maladie.

Nul juriste n'ignore que la disposition légale sur l'assistance au suicide date de 1918 (art. 115 CP). Et pourtant la Suisse est souvent citée comme pays progressiste sur ce plan, car seule l'assistance faite selon un mobile égoïste est punissable. Toutefois, le législateur n'avait évidemment pas songé aux pratiques médicales, ce qui crée un certain malaise chez les juristes.

Dcpuis 1994, plusieurs parlementaires ont fait des propositions de modifications législatives. En 1997, le Département fédéral de justice et police a constitué un groupe de travail «Assistance au décès» qui a rendu un rapport en mars 1999. Il recommande de maintenir la non-interdiction de l'assistance au suicide qui ne poursuit pas un but égoïste (art. 115 CP); la majorité du Groupe de travail propose de compléter l'article 114 CP qui s'applique au meurtre sur demande de la victime par un deuxième alinéa prévoyant la renonciation à des poursuites dans des cas exceptionnels extrêmes.

Plusieurs demandes de droit se sont exprimées avec insistance: le 14 mars 2002, une initiative parlementaire Vallender «Incitation et assistance au suicide. Modification de l'art. 115 CP» réclame la punissabilité sans exception de l'assistance au suicide; suivie de deux motions: le 30 septembre 2002 «Aide au suicide et tourisme du suicide»3S, et le 4 octobre 2002« Interdire le tourisme du suicide en Suisse »39. Alors que le Il avril 2003, une motion de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats «Euthanasie et médecine palliative »40 a demandé au Conseil fédéral de soumettre des propositions en vue d'une réglementation législative de l'euthanasie active indirecte et de l'eutha- nasie passive ainsi que de prendre des mesures pour promouvoir la médecine palliative.

En 2004, le Département fédéral de justice et police a mis sur pied un groupe de travail.

Dans son avant-projet du 31 janvier 2006, ce dernier est parvenu à la conclusion qu'il n'était pas opportun de changer la loi sur les questions liées à la fin de vie.

Ainsi, pour le moment, le droit relègue à la déontologie les questions d'assistance au suicide.

C'est ainsi que les normes professionnelles prennent le relais normatif du droit.

L'Académie suisse des sciences médicales (ASSM) émet des directives relatives à la prise en charge des patientes et patients en fin de vie, le 25 novembre 2004, qui précisent que l'assistance au suicide ne fait pas partie de l'activité médicale. Ainsi le médecin a le droit de refuser une aide au suicide; mais s'il l'accepte pour soulager le patient, il a la responsabilité de vérifier si les exigences minimales suivantes sont respectées, à savoir

«la maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche;

des alternatives de traitements ont été proposées et, si souhaitées par le patient, mises en œuvre; le patient est capable de discernement. Son désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne résulte pas d'une pression extérieure et il est persistant. Cela doit avoir

Motion V ALLENDER, 02.3500.

Motion BAUMAm" 02.3623.

Motion Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, 03.3180.

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été vérifié par une tierce personne, qui ne doit pas nécessairement être médecin »41. De plus, l'Académie suisse des sciences médicales n'exclut pas l'assistance au suicide dans une institution de soins de longue durée, mais elle rappelle que l'institution a un devoir de protection envers la personne âgée et en raison de la situation de dépendance de ces patients, le personnel soignant ne devrait participer à aucun moment au déroulement du suicide assisté42Le 6 février 2006, elle précise que «si une institution autorise l'as- sistance au suicide, des règles de procédure claires doivent être définies pour évaluer et clarifier le souhait de mettre fin à ses jours. Si la participation du personnel ne fait l'objet d'aucune interdiction, les instances responsables doivent veiller à ce que la mise en œuvre de l'assistance au suicide incombe au médecin responsable, et ne soit en aucun cas déléguée aux collaborateurs »43.

Parallèlement, le 17 septembre 2004, la Commission nationale d'éthique a soumis au débat public dix thèses sur l'assistance au suicide qui ont débouché sur dix recomman- dations, le 27 avril 200544

Elle est d'avis que l'assistance au suicide doit rester impunie pour autant qu'elle ne soit pas entreprise pour des motifs égoïstes (recommandation 3). Elle propose une modification du droit en vigueur, afin que le droit garantisse à la fois le respect de l'autonomie du suicidant et l'assistance à personne en danger (recommandation 5). Elle sollicite l'intervention du droit sur les cinq points suivants: a) avant une décision d'as- sistance au suicide, des vérifications suffisantes doivent être effectuées dans chaque cas;

b) personne ne sera obligé d'aider autrui à se suicider; c) aucune assistance au suicide ne sera pratiquée si le désir de suicide résulte de la maladie psychique; d) aucune as- sistance au suicide n'est permise auprès des enfants et des adolescents (position mino- ritaire de la commission); e) les organisations spécialisées dans l'assistance au suicide doivent être soumises à une surveillance de l'Etat.

Pour l'instant et à l'heure où ces lignes sont écrites, le droit ne semble pas entendre l'appel de la Commission et fixe un cran d'arrêt à son intervention en laissant aux nor- mes déontologiques et bioéthiques le soin de baliser le chemin de la fin de vie.

4. La procréation médicalement assistée ou le conflit de normes

La procréation médicalement assistée est un domaine où les normes s'avèrent fortement conflictuelles et où le conflit ne se résout pas toujours à l'avantage du droit.

En effet, les nonnes déontologiques furent le premier encadrement normatif de la pratique de l'assistance médicale à la procréation qui s'est développée en Suisse dès les années soixante-dix avec l'ouverture de la première banque de gamètes à Saint-Gall.

Le 17 novembre 1981, l'Académie suisse des sciences médicales publie des directives médico-éthiques pour l'insémination artificielle; puis le 23 mai 1985 les directives

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"

Directives ASSM,25.11.04, point 4.1.

ASSM, Recommandations relatives au traitement et prise en charge des personnes âgées en situation de dépendance, 18.05.04, point 5.

ASSM, Assistance au suicide dans les hôpitaux de soins aigus: la position de l'ASSM, 6 février 2006, p.2.

CNE, prise de position n° 9.

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médico-éthiques pour le traitement de la stérilité par fécondation in vitro et transfert d'embryon. Ces deux textes furent remplacés le 31 décembre 1990 par des directives médico-éthiques pour la procréation médicalement assistée.

Sur le plan juridique, dès 1982, des interventions parlementaires ont mis en exergue la carence des dispositions législatives fédérales dans ce domaine.

Les travaux préparatoires ont débuté en septembre 1986: le Conseil fédéral institue une commission fédérale d'experts pour la génétique humaine et la médecine de la reproduction, la Commission Amstad, qui présente un rapport en août 1988 et propose la création d'une base constitutionnelle qui délimite les compétences législatives entre la Confédération et les cantons. L'article constitutionnel 119 est proposé comme contre- projet à l'initiative du Beobachter; après modification aux Chambres, il est adopté le 17 mai 1992.

La Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée a été adoptée le 18 décem- bre 1998.

Elle interdit la conservation d'embryons (art. 17 al. 3 LPMA) ; elle garantit à l'enfant un droit de connaître ['identité du donneur (art. 27 LPMA) et interdit ainsi l'anonymat des donneurs à une insémination hétérologue en application du droit fondamental de chacun à être informé de toutes les données relatives à son ascendance (art. 119 al. 2 litt. g Cst); enfin elle interdit le diagnostic préimplantatoire (art. 5 al. 3 LPMA).

Suite à l'adoption de la loi, les directives ASSM se sont trouvées en contradiction avec le droit sur deux points: l'anonymat des donneurs de gamètes et la conservation d'embryons. L'Académie suisse des sciences médicales a donc décidé de retirer ses directives, le 29 novembre 2001. Sur ces deux points, le conflit de normes s'est résolu par la prépondérance de la norme juridique.

Toutefois, l'interdiction légale du diagnostic préimplantatoire a soulevé de nom- breuses objections, notamment dans les milieux scientifiques et parmi les familles touchées par une maladie génétique.

Dès novembre 2000, plusieurs interventions parlementaires demandent une modi- fication de cet article 5 alinéa 3 LPMA. Le 16 juin 2005 le Conseil fédéral accepte d'entrer en matière.

Mais parallèlement, le 3 novembre 2003, et juste avant le débat parlementaire, la Commission nationale d'éthique a écrit une Lettre ouverte à propos du diagnostic préimplantatoire, puis a formulé une prise de position le 3 novembre 2005. La majorité de la Commission recommande de lever l'interdiction totale du diagnostic préimplan- tatoire au profit d'une autorisation limitée pour les couples qui recourent à la féconda- tion in vitro pour cause de stérilité ou lorsqu'il y a un risque de transmettre une mala- die grave susceptible d'être diagnostiquée sur une cellule de l'embryon. Elle recom- mande aussi l'interdiction lorsqu'il vise la sélection de caractéristiques immunologiques devant permettre de traiter un enfant déjà existant avec des cellules du nouvel enfant, alors que la minorité de la Commission est favorable au maintien de l'interdiction du diagnostic préimplantatoire.

Le 13 décembre 2005, le Parlement accepte d'entrer en matière. Ainsi l'argument de la cohérence juridique a été avancé pour accepter la modification de l'interdiction du diagnostic préimplantatoire par rapport à la solution des délais dans l'interruption

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volontaire de grossesse4SLe droit se montre soucieux d'asseoir sa légitimité sur les normes non juridiques.

Conclusions

Le domaine biomédical est marqué initialement par l'essor de l'autorégulation; la déontologie encadre les pratiques médicales. Puis les biotechnologies appliquées à l'être humain ont problématisé les interventions sur celui-ci et ont nécessité l'intervention du droit pour un encadrement normatif cohérent et homogène. Si hien que le droit médi- cal est devenu un puzzle normatif constitué de pièces juridiques, déontologiques et bioéthiques, où la diversité des sources collabore pour faire œuvre normative.

Cette analyse m'a permis de repérer de fortes interactions entre le droit, la déonto- logie et la bioéthique. A vrai dire, la mission du droit médical est complexe: d'une part, pour assurer sa cohérence, il doit s'inscrire dans les valeurs juridiques fondamentales, sous peine d'être isolé des autres domaines du droit - et c'est la raison pour laquelle il doit parfois savoir s'arrêter et laisser la place aux normes non juridiques - et d'autre part, il trouve ses prolongements dans la normativité non juridique -l'éthique joue alors le rôle d'éclaireur tantôt en amont des normes juridiques, tantôt en aval, en complément des normes juridiques.

Dans tous les cas de figure, la collaboration des normes permet au droit d'aller au-delà d'un minimalisrne dans la régulation des conduites.

Osons parier que c'est dans cette diversité des foyers normatifs que réside le secret de la force du droit biomédical qui semble avoir un bel avenir!

Cf. intervention du Conseiller fédéral Couchepin lors du débat au Conseil des Etats le 13 décembre 2005.

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