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Chronique commentée de quelques faits internationaux

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Chronique commentée de quelques faits internationaux

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Chronique commentée de quelques faits internationaux. Swiss Review of International and European Law , 2005, vol. 4, p. 591-610

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25035

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Chronique commentée de quelques faits internationaux

Deuxième partie

par Robert Kolb*

Sommaire I. Introduction II. La chronique des faits

C. La non-intervention dans les affaires intérieures et l'interdiction du recours à la force

1. Le pouvoir d'immixtion dans des affaires politiques intérieures octroyé à un organisme international : le Pacifie Islands Forum

2. I.:exercice du droit de légitime défense par la Russie en Géorgie D. Les immunités diplomatiques et consulaires

1. I.:inviolabilité des locaux diplomatiques et consulaires : les réfugiés coréens du Nord dans les locaux sud-coréens en Chine

E. Le droit pénal international et le droit des conflits armés

1. Arrestation d'un diplomate pour actes de torture commis dans le passé ? Le différend entre Israël et le Danemark

2. Utilisation d'armes interdites :le cas du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale

3. Evaluation de dommages causés par l'utilisation d'armes chimiques lors d'un conflit armé : l'Agent Orange et d'autres défoliants utilisés par les Etats-Unis d'Amérique lors de la guerre du Viêt-nam

4. La commission de crimes contre l'humanité : les massacres de la Volhynie pendant la Seconde Guerre mondiale

F. La responsabilité internationale

1. Dommages causés lors d'émeutes dirigées contre un groupe particulier d'étrangers : les saccages anti-thai1andais au Cambodge

2. Mesures discriminatoires et confiscatoires contre des ressortissants d'une nation coupable d'agression: les Décrets Benes en Tchécoslovaquie

1. Introduction

Il est proposé de relater et de commenter de manière brève quelques faits inter- nationaux tirés de la lecture d'un journal quotidien. Parfois ces faits sont connus et importants; d'autres fois, en revanche, ils ne sont pas bien connus

Professeur de droit international aux Universités de Neuchâtel, de Berne et de Genève (Centre

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par les internationalistes. Pour ne pas excéder les limites utiles d'un article de revue, on se concentrera sur les contributions publiées dans le quotidien suisse de grand renom qu'est la Neue Zürcher Zeitung. La période considérée s'éten- dra de l'année 2000 jusqu'à la fin de l'année 2003. Les faits internationaux à'·

analyser sont classés dans les catégories suivantes :

A. les sources du droit international (paru dans l'RSDIE 4/2005) B. les compétences des Etats (paru dans l'RSDIE 4/2005)

C. la non-intervention dans les affaires intérieures et l'interdiction du recours à la force

D. les immunités diplomatiques et consulaires

E. le droit pénal international et le droit des conflits armés F. la responsabilité internationale

Ces catégories ont été établies a posteriori d'après les faits à commenter. Elles n'ont rien de préétabli ou de général. Quant à la présentation, chaque chef sera biparti : le récit du fait sera suivi d'une partie dévolue aux commentaires. Ces derniers seront concis. Afin de gagner sur l'espace imparti, l'appareil scientifi- que sera laissé de côté. Le lecteur intéressé pourra trouver des approfondisse- ments dans les ouvrages du droit international et dans les bibliographies cou- rantes. Ici, seuls des renvois essentiels seront effectués. Après ces quelques remarques préliminaires, il sied de plonger immédiatement in media res.

Il. La chronique des faits

C. la non-intervention dans les affaires intérieures et l'interdiction du recours à la force

1. Le pouvoir d'immixtion dans des affaires politiques intérieures octroyé à un organisme international : le Pacifie Islands Forum1

a) Faits. Dans la culture polynésienne et mélanésienne, la règle est que l'inter- vention dans les affaires intérieures des Etats doit être évitée. Selon la règle traditionnelle, toute prise de position qui n'accueillait pas l'assentiment de l'Etat visé était considérée comme illicite, ou pour le moins comme indésirable.

Or, en 2000, après trente ans d'existence, le Pacifie Islands Forum, un orga- nisme de coopération régional assez souple, a décidé que cette règle ne pouvait plus être maintenue dans sa forme originale, et ce notamment eu égard aux cri- ses politiques qui secouèrent la région. Dès lors, un projet piloté par l'Australie

1 NZZ du 2 novembre 2000, no. 256, p. 3.

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et la Nouvelle-Zélande fut adopté. Il consiste à permettre à l'organisme de pren- dre position à l'égard d'Etats membres qui se départiraient des principes démo- cratiques. Le pouvoir d'adapter des sanctions au sein de l'organisme fut cepen- dant repoussé. Cette nouvelle orientation a pris le nom derla déclaration de

« Biketawa »,d'après la péninsule où elle fut adoptée.

b) Commentaires. Cette espèce témoigne du recul constant du domaine ré- servé étatique face aux organes internationaux (compétence exclusivement ou essentiellement nationale) dans une région du monde lui étant traditionnelle- ment très favorable. La norme de non-intervention par des organismes interna- tionaux a été constamment érodée depuis 1945 (il faut soigneusement distin- guer de cette règle celle, proche, qui a trait à la non-intervention dans les affaires intérieures dans les rapports inter-étatiques2). C'est la raison pour laquelle cer- tains auteurs ont pu affirmer qu'avec la percée du droit des droits de l'homme, et notamment avec l'adoption des Pactes de 1966, il n'y a plus guère de matière relevant de la compétence essentiellement nationale ;3 un organisme internatio- nal peut s'en saisir, dès que la matière devient une «matter of international concern ». Or, il suffit pour cela qu'il y ait un intérêt international, ce qui, eu égard à l'interdépendance et à l'ouverture du droit international vers les droits de l'individu, ne peut plus être exclu a priori en aucune matière. La règle de- vient en quelque sorte qu'une matière n'est plus de compétence nationale parce qu'un organe international estime nécessaire ou utile de la discuter, et non plus l'inverse, à savoir qu'une matière ne peut être mise à l'ordre du jour que si elle ne touche pas au domaine réservé. Bornons-nous ici à prendre acte de ce mou- vement et d'un chaînon supplémentaire dans la pratique étatique.

2. L'exercice du droit de légitime défense par la Russie en Géorgie4

a) Faits. La Russie se plaignit du fait que la Géorgie n'avait pas pris les mesures nécessaires pour arrêter, et le cas échéant pour extrader, des combattants opé- rant à partir du territoire géorgien (vallée du Pankisi) afin de lancer des incur- sions en Tchétchénie. La Russie souligna que la mauvaise volonté géorgienne était apparente du fait qu'elle se refusa à permettre une action militaire conjointe des deux Etats dans ladite vallée. De ce fait, toujours selon la Russie, la Géorgie viülait ses devûiïs jüridiqües de Cûmbattre le terrorisme, et notam_ment les ter ...

2 Cette règle-là n'est quant à elle nullement en recul.

3 Cf. CHRJSTIAN TOMUSCHAT, International Law: Ensuring the Survival of Mankind on the Eve of A New Century, Recueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye 1999, vol. 281,

p.233. .

4 NZZ du 13 septembre 2002, no. 212, p. 2.

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mes clairs de la Résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité. La Russie se réservait dès lors le droit d'agir en légitime défense en intervenant militaire- ment contre des bases « terroristes » sur territoire géorgien.

b) Commentaires. Cette prise de position se comprend dans le sillage des doctrines américaines de la guerre préventive et de la légitime défense antici- pée. Elle visait sans doute à accroître la pression sur la Géorgie en matière de lutte anti-terroriste. Pourrait-elle être justifiée en droit? Selon la Charte des Nations Unies, la légitime défense suppose d'être l'objet d'une agression armée (« armed attack »): article 51 de la Charte. Pour serrer de plus près le terme d'« agression 1 attaque armée » contenu dans 1' article 51, il est possible d'avoir recours à la définition de l'agression de la Résolution 3314 (1974) de l' Assem- blée générale des Nations Unies. Certes, les deux termes (celui de l'article 51 et celui défini dans la Résolution) ne se recouvrent pas entièrement. Celui de l'ar- ticle 51 est plus large, alors que celui de la Résolution vise 1' agression au sens juridique et est plus étroit. Dès lors, toutefois, les cas identifiés comme agres- sion par la Résolution peuvent s'analyser a fortiori comme attaque armée au sens de l'article 51 ; ils donnent en quelque sorte la mesure du minimum que doit contenir l'attaque armée. En effet, si un acte remplit les critères de l'utili- sation de la force armée la plus grave et la plus massive, à savoir l'agression armée, à plus forte raison doit-il s'agir d'un acte qualifiable comme attaque armée aux fins de permettre la légitime défense. L'article 3 de la Résolution 3314 énumère les cas qualifiés d'agression. Parmi ceux-ci figurent, à la lettre f, la mise à disposition du territoire d'un Etat à un autre Etat, utilisé par ce dernier pour perpétrer des actes d'agression; et à la lettre g, l'envoi de bandes ou de groupes armés ou de forces irrégulières qui se livrent dans un autre Etat à des actes d'une gravité équivalente aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s'en- gager de manière substantielle dans une telle action.

· La lettre f vise des cas de complicité entre deux Etats. Dans un tel cas, les deux Etats sont censés être tous les deux agresseurs. Cette disposition n'envi- sage que la mise à disposition volontaire d'un territoire ; elle ne couvre pas les cas d'insuffisance de prévention contre des actes hostiles. Cependant, la limite entre les deux situations peut être floue dans un cas concret, surtout si les actes hostiles sont connus et l'Etat territorial n'entreprend rien (ou rien d'adéquat) pour y mettre fin.

La lettre g vise« l'agression indirecte», par irréguliers interposés.5 Le pm- blème le plus aigu en la matière est d'apprécier le seuil au-delà duquel un Etat doit s'engager pour que les actes des irréguliers ou des terroristes lui soient at- tribuables. Deux situations doivent être distinguées. Premièrement, si ces grou- pes opèrent soit au nom, soit sous l'autorité et le contrôle de fait d'un Etat, il

Voir l'affaire Nicaragua (fond), CIJ, Recueil, 1986, § 195.

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s'agit de ce que 1' on appelle des organes de facto, et il y a agression dès que le seuil général de l'attaque armée est atteint. Quel est le degré de contrôle re- quis? Selon la Cour internationale, dans l'affaire Nicaragua (19-86),6 il faut un

«contrôle effectif», c'est-à-dire une dépendance quant aux opérations menées, celles-ci étant de fait contrôlées par l'Etat. Ce critère semble avoir été un peu élargi dans l'affaire Tadic (1999f du Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Ce dernier a estimé qu'en cas de groupes militaires ou paramilitaires, un« contrôle global»(« overall control») est suffisant pour l'imputation. Il ne faudrait donc pas une direction précise des opérations; le financement et l'équipement du groupe, ainsi qu'une aide dans la coordination et la planification générale de son activité, sont suffisants. Deuxièmement, si, en revanche, ces groupes opè- rent à partir du territoire d'un Etat sans participation directe de celui-ci, la pas- sivité ou l'incapacité de l'Etat de mettre fin à leurs actions n'en fait pas un agresseur. Les irréguliers ou les terroristes restent alors des personnes privées.

Cela dit, l'Etat territorial risque de devoir subir, le cas échéant, des mesures de légitime défense de la part de l'Etat lésé, toute la question étant de savoir de quelle nature peuvent être ces mesures.

Quant à l'intensité de l'attaque, le seul critère abstrait est de dire qu'il faut une utilisation de la force ayant un minimum de consistance et de dangerosité, ce qui se situe quelque part à mi-chemin entre le « trivial » et le « substantiel ».

Il doit s'agir d'une attaque qui fait légitimement conclure à une politique de force ( « pattern of violence ») contre un Etat, et non pas à des actes sporadiques de peu d'intensité (sauf s'ils sont constamment répétés, la mesure étant alors celle de l'agrégat).

En l'espèce, 'il faudrait constater à la fois l'intensité des attaques subies par la Russie (en Tchétchénie) à travers la vallée du Pankisi, ainsi que le rôle exact joué par le gouvernement géorgien. Si les attaques ont l'intensité requise, ce qui semble possible, alors la balance pourrait pencher partiellement en défaveur des géorgiens, et ce en vertu du principe général que nul ne peut mettre ou laisser son territoire à disposition de ceux qui 1 'utilisent pour perpétrer des actes contraires aux droits d'autres Etats. Comme la Géorgie n'a cependant apparem- ment pas de complicité avec ces rebelles, qu'elle ne les arme et ne les contrôle pas, les actes de défense russes ne pourraient avoir lieu que dans la vallée en cause et uniquement contre les forces des rebelles. Une telle légitime défense pourrait être concédée précisément au regard du fait que les forces armées géor ...

giennes ne possèdent pas de contrôle effectif sur la vallée incriminée, qui s'échappe de fait de tout contrôle étatique. La Russie pourrait alors prendre des actes sous le couvert de la légitime défense (autoprotection contre des attaques

Au§ 115.

Arrêt de la Chambre d'appel, aux§ 122 ss.

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armées), mais ceux-ci devraient suffire à toutes les conditions juridiques pour l'exercice d'un tel droit: actions localisées dans la vallée incriminée, critères de nécessité et de proportionnalité (ce qui implique l'utilisation du minimum de la force possible eu égard au but visé), saisie immédiate du Conseil de sécurité, respect du droit des conflits armés, etc. Ces réflexions sont faites sous toute réserve, car nombre de problèmes juridiques complexes se posent dans des cas où l'attaque n'émane pas directement d'autorités étatiques.8

D. Immunités diplomatiques et consulaires

1. L'inviolabilité des locaux diplomatiques et consulaires : les réfugiés coréens du Nord dans les locaux sud- coréens en Chine9

a) Faits. Pendant l'année 2002, un nombre croissant de ressortissants coréens du Nord, tentant de fuir leur pays, se réfugièrent dans des locaux diplomatiques et consulaires du Japon et de la Corée du Sud en Chine. La Chine, traditionnel allié de la Corée du Nord, craignit de provoquer une vague de réfugiées si elle acceptait cette pratique sans prendre des contre-mesures. Elle renforça les contrôles. De plus, des agents de police chinois pénétrèrent à l'intérieur de lo- caux japonais, notamment dans la cour et les jardins (et aussi dans des locaux similaires de la Corée du Sud) afin d'arrêter et de ramener les réfugiés qui avaient escaladé les murs et grillages. Selon la Chine, cette action avait été en- treprise pour assurer la sécurité des locaux en cause. Par ailleurs, elle demanda que toutes ces personnes réfugiées lui fussent remises, car elles menaçaient l'ordre public local. Le Japon protesta contre l'incursion dans ses locaux diplo- matiques et consulaires, qui avait été faite sans qu'aucun accord ait été donné par les agents japonais. La Corée du Sud a protesté dans des termes similaires.

b) Commentaires. Il n'est pas utile d'être long dans les commentaires sur ces affaires. La violation des Conventions de Vienne sur les relations diploma- tiques (1961) et sur les relations consulaires (1963), qui codifient par ailleurs des normes de droit international coutumier, est manifeste. La Chine et les autres Etats concernés sont parties à ces Conventions. Les articles 22 § 1 de la Convention de 1961 et 31 de la Convention de 1963,10 qui sont d'interprétation

8 Cf. RoBERT KoLB, lus contra bellum, Le droit international relatif au maintien de la paix, Bâle 1 Bruxelles 2003, p. 19lss. Voir aussi les opinions individuelles des juges Kooijmans (§ 26 et suivants) et Simma ( § 4 et suivants) dans 1' affaire des activités armeés sur la territoire du Congo (RDC c.

Ouganda), CiJ., arrêt du 19.12.2005.

9 NZZ du 14 mai 2002, no. 109, p. 2; NZZ du 15/16 juin 2002, no. 136, p. 3.

1

°

Cette disposition a le contenu suivant : « 1. Les locaux consulaires sont inviolables dans la mesure prévue par le présent article. 2. Les autorités de l'Etat de résidence ne peuvent pénétrer dans la partie

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stricte, disposent en effet que les locaux en question sont inviolables. Ainsi, l'article 22 § 1 précité dispose: «Les locaux de la mission sont inviolables. Il n'est pas permis aux agents de l'Etat accréditaire d'y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission. » Ces dispositions vise~t à assurer la capa- cité de l'Etat étranger d'accomplir sans heurts ses fonctions, même si les rela- tions avec l'Etat territorial sont difficiles et tendues. Des exceptions à la condi- tion de 1' assentiment préalable du chef de mission étrangère n'existent que dans quelques cas bien circonscrits, où l'assentiment ne peut plus être recherché à cause de l'urgence, et qu'au vu des circonstances il doit être présumé. Cela concerne notamment le cas dans lesquels ces locaux auraient pris feu ; alors, les pompiers de l'Etat local peuvent pénétrer dans les locaux même s'il n'est plus le temps de prévenir d'avance qui de droit. Nous ne nous situons manifestement pas dans un cas de ce type en l'espèce.

La violation du droit d'inviolabilité emporte des conséquences de responsa- bilité internationale, notamment de réparation. Celle-ci devrait en 1' espèce prendre la forme de la restitution (restitutio in integrum), c'est-à-dire de la re- mise des personnes arrêtées aux autorités sous la garde desquelles elles se trou- vaient quand l'arrestation illicite eut lieu. En second lieu, la réparation consis- tera en une satisfaction adéquate, notamment l'expression d'excuses. Une réparation pécuniaire n'est dans ces cas guère de mise, car il n'y a pas de dom- mage matériel (à moins d'en démontrer un). Il pourrait de plus y avoir lieu de donner des assurances de non-répétition. L'application des principes généraux est dans des cas de ce genre très liquide et somme toute facile.

E. Droit pénal international et droit des conflits armés

1. Arrestation d'un diplomate pour actes de torture commis dans le passé ? Le différend entre Israël et le Danemark11

a) Fcâts. Suite à la nomination d'un nouvel ambassadeur israélien au Danemark, cet Etat a annoncé qu'il envisageait de procéder à l'arrestation de cet ambassa- deur, qui, en tant qu'ancien chef des services secrets israéliens, se voyait confronté à des accusations de torture. Lui-même admit d'ailleurs avoir appli- qué la méthode des « pressions psychologiques >> contre des fondamentalistes

des locaux consulaires que le poste consulaire utilise exclusivement pour les besoins de son travail, sauf avec le consentement du chef de poste consulaire, de la personne désignée par lui ou du chef de la mission diplomatique de l'Etat d'envoi. Toutefois, le consentement du chef de poste consulaire peut être présumé acquis en cas d'incendie ou autre sinistre exigeant des mesures de protection im- médiates.[ ... .

tl NZZ du 26 juillet 2001, no. 171, p. 5.

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islamiques, et fit connaître sa position selon laquelle cette méthode devrait être réintroduite dans son pays (elle y fut formellement abolie en 1999). Le Dane- mark s'est fondé sur le devoir de tout Etat partie à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dé- gradants (1984), de procéder à la poursuite des personnes accuseés des actes incriminés dans ladite Convention. Israël a protesté avec véhémence contre ces accusations et contre cette annonce.

b) Commentaires. La présente espèce soulève des questions juridiques de grand intérêt. La plus évidente est le conflit patent entre les obligations issues de la Convèntion contre la torture et la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui assure l'immunité des diplomates accrédités. Certes, le Da- nemark pouvait refuser d'accréditer le nouveau diplomate, ou alors le déclarer persona non grata ; si celui-ci était resté au Danemark malgré ces mesures, il n'aurait plus pu faire valoir son immunité. Mais tels n'étaient pas les faits de l'espèce.

La question des relations entre le droit pénal international et les immunités personnelles a récemment été posée dans nombre d'affaires. On se bornera ici à rappeler l'affaire Pinochet (1998/9),12 qui fit grand bruit; de même, la pratique belge, fondée sur la reconnaissance d'une compétence universelle très géné- reuse, produisit une série de cas où l'immunité entra en collision avec l'exi- gence des poursuites. La tendance générale est à l'assouplissement des immu- nités. Cependant, la Cour internationale de Justice, dans son arrêt relatif au mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgi- que), a nettement distingué entre anciens agents de l'Etat et agents de l'Etat en fonction. Pour ce qui est de ces derniers, elle a affirmé que les immunités pré- valent sur la mise en œuvre d'une responsabilité pénale par des tribunaux étati- ques. 13 La Cour a refusé de faire une exception pour des crimes de guerre, le génocide ou des crimes contre l'humanité. En l'espèce soumise à la Cour, il s'agissait d'un mandat d'arrêt international émis par la Belgique à l'encontre du ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo, en fonction au moment où ce mandat était délivré. La Cour a saisi 1' occasion pour rappeler qu'en ce qui concerne des agents de l'Etat étranger en service, des poursuites pénales ne sont possibles que dans quatre hypothèses: (1) dans l'Etat de l'accusé; (2) si l'Etat de l'accusé lève l'immunité; (3) après la fin des fonctions pour tous les actes accomplis avant ou après la charge publique, ou

12 Cf. International Legal Materials 1998, vol. 37, p. l302ss; International Legal Materials 1999, vol. 38, p. 58lss. Voir aussi BRUNO ZEHNDER, Immunitiit von Staatsoberhiiuptern und der Schutz elementarer Menschenrechte- der Fa// Pinochet, Baden-Baden 2003. Voir aussi le Rapport intitulé

«Les immunités de juridiction et d'exécution du chef d'Etat et de gouvernement en droit inter- national», Annuaire de l'Institut de droit international2000/200l, vol. 69, p. 44lss.

13 Aux § 56 ss de l'arrêt.

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pour les actes privés pendant la fonction (y compris selon la jurispr,udence Pinochet, les crimes internationaux); (4) devant un tribunal pénal international, parce que ces tribunaux ne sont pas liés par les règles d'immunité.

La Cour a été critiquée pour cette jurisprudence restrictive. 14 Il semble tou- tefois que celle-ci puisse se justifier au regard de l'anarchie des poursuites les plus arbitraires qui pourraient autrement être ouvertes, un peu partout dans le monde, contre des représentants de tout Etat, selon les affinités idéologiques.

Appliqués au cas d'espèce, ces principes pencheraient en faveur de l'immu- nité personnelle (celle de nature diplomatique est d'ailleurs particulièrement strictement protégée). Cependant, on pourrait se demander si les principes dé- gagés par la Cour ne valent au fond que pour les chefs d'Etat et les ministres d'Etat (éventuellement seulement celui des affaires étrangères), dont la mission de personnification de l'Etat est particulièrement éminente. En effet, l'affaire du mandat d'arrêt a trait à un ministre des affaires étrangères. Faut-il appliquer ces principes aussi pour des agents situés plus bas dans la hiérarchie des fonc- tions étatiques? Il est possible d'en débattre, surtout en fonction des divers ty- pes d'agents, de leur rapprochement relatif avec le cœur symbolique des mis- sions étatiques, de l'importance de leur mission, etc. Il semble toutefois que la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, en tant que texte écrit d'interprétation très stricte, vienne faire obstacle à tout pouvoir de poursuite de l'Etat territorial ; une modification coutumière de cette Convention, sur ce point, n'a pas encore eu lieu. Des libertés peuvent être prises jusqu'à un certain point praeter legem en présence de statuts fondés directement sur le droit inter- national coutumier, plus flexible et plus accueillant pour des nouveautés et des développements; en revanche, s'il y a un texte écrit, d'interprétation stricte universellement admise, 1' espace laissé aux innovations, notamment conta legem, est bien plus réduit.

Par hypothèse, on pourrait se demander si un Etat peut procéder à l'arresta- tion s'il ne s'agit pas de poursuivre les actes incriminés lui-même, mais de re- mettre la personne arrêtée à un tribunal international, par exemple à la Cour pép.ale internationale. On rappellera que devant la juridiction internationale, la pèrsonne en cause ne jouirait pas de l'immunité. Ici, la question est plus déli- cate et on s'abstiendra de tenter de la trancher en une ligne. En tout cas, toute arrestation semblerait exclue si la Cour est manifestement incompétente.

14 Voir par exemple CHRJSTIAN DoMINICÉ, La jurisprudence de la Cour internationale de Justice en 2002, Revue suisse de droit international et européen 2003, vol. 13, p. 80-81, dont l'argumentation, sur les points qu'il soulève, est pertinente. Voir également PIERRE-MARIE DUPUY, L'unité de l'ordre juridique international, Reèueil des cours de l'Académie de droit international de La Haye 2002, vol. 297, p. 478.

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2. Utilisation d'armes interdites : le cas du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale 15

a) Faits. Par un arrêt de la cour du district de Tokyo, le Japon a reconnu avoir utilisé des armes biologiques en Chine de 1937 à 1945. Des demandes de répa- ration formulées par des ressortissants chinois ont cependant été rejetées, la cour estimant que le droit international ne permet pas à des individus de récla- mer directement des dommages devant des tribunaux internes. On sait que la position du Japon à cet égard est que le Traité de paix de San Francisco (1951) a définitivement réglé la question des réparations. Son effet serait que des répa- rations supplémentaires à celles déjà versées pour les événements issus de la Seconde Guerre mondiale ne peuvent plus être exigées. Il s'y ajoute que, selon le Japon, la Chine aurait renoncé à tout paiement de compensations lors de la reprise de relations diplomatiques en 1972. Les faits en cause concernaient sur- tout les actes de 1 'unité 731 de l'armée japonaise. Pour développer des armes biologiques, cette unité testa ces prototypes sur des prisonniers civils. De plus, elle infecta avec des bactéries mortelles des aliments qu'elle distribua à la po- pulation civile.

b) Commentaires. Cette affaire soulève plusieurs questions juridiques d'in- térêt. Elle touche tout d'abord à la titularité de civils lésés par des crimes de guerre de porter directement leurs réclamations devant un tribunal interne. Le droit international ne s'y oppose pas. Mais il existe en l'espèce deux ornières.

Tout d'abord, le problème de la prescription. I..:effort du droit international s'est concentré dès les années 1960 à garantir l'imprescriptibilité des crimes de guerre. D'où la Convention des Nations Unies sur l'imprescriptibilité de~ cri- mes de guerre et des crimes contre l'humanité (1968), adoptée par la Résolu- tion 2391 (XXIII) de l'Assemblée générale. Cette Convention entra en vigueur le 11 novembre 1970, mais le Japon ne l'a pas ratifiée. Reflète-t-elle le droit international coutumier? Difficile de répondre, mais en l'espèce l'objection de prescription ne semble pas avoir été soulevée devant la cour, si bien que la ques- tion peut ici être laissée ouverte. Il faut rappeler aussi que le droit interne peut lui-même prévoir l'imprescriptibilité de certains crimes, indépendamment des textes de droit international.

Ensuite se pose le problèmè du rapport entre ces réclamations privées et le Traité de paix, pûïtant renonciation à des récl~~ations supplémentaires.16 Ce problème s'est posé dans nombre de contextes ces dernières années: au Japon,

15 NZZ du 28 août 2002, no. 198, p. 3.

16 Il faut distinguer les cas où l'Etat dont les ressortissants réclament des réparations est lié par ces traités de ceux où il ne l'est pas (res inter alios acta). En droit, un traité de paix auquel un Etat n'est pas partie ne peut pas porter renonciation à ses réclamations éventuelles, sauf s'il y a consenti ad hoc.

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suite aux plaintes de fenunes ayant été forcées à la prostitution par l'armée ja- ponaise pendant la Seconde Guerre mondiale ; en Suisse, face à des réclama- tions juives pour les fonds qui n'avaient pas été restitués après la Seconde Guerre mondiale ; etc. A chaque fois, le rapport de ces réclamations nouvelles par rapport aux anciens Traités de règlement global inter-étatiques a dû être mis en question. Eu égard au caractère éminenunent équitable des réclamations pri- vées, renforcées encore par le mouvement des droits de l'honune qui a pris tant de force dans les années 1990, diverses constructions juridiques innovatrices ont été tentées. Celle qui a eu le plus de crédit était de dire que les Etats ne pou- vaient pas entièrement renoncer inter partes à des réclamations des individus ; ceux-ci sont porteurs de certains droits inaliénables, enracinés directement dans leurs droits de l'homme; et ces droits de l'honune représentent une forme de ius cogens, de droit impératif, auquel les Etats ne peuvent pas déroger par des accords entre eux.

Mais alors, s'agissait-il de crimes de guerre? On sait qu'un crime de guerre est une violation grave des lois et des coutumes de la guerre. Une liste très dé- taillée, bien que non exhaustive, de tels actes se trouve à l'article 8 du Statut de la Cour pénale internationale. Or, en 1937 et dans les années qui ont suivi, l'uti- lisation d'armes biologiques était-elle interdite ? Cette interdiction figure dans le Protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques.17 Ce Protocole, très court, interdit tout moyen de guerre fondé sur des gaz délétères, des agents chimiques, biologiques ou bactériologiques. Il ne couvre pas que la phase de combats mais aussi l'emploi de tels moyens dans d'autres contextes, notamment sur des civils. Ce Protocole n'a cependant pas été ratifié par le Ja- pon avant le 21 mai 1970. S'il était inapplicable en tant que droit conventionnel, il faisait partie de ces textes peu nombreux relatifs au droit de la guerre qui étaient considérés comme coutumiers dès les années 1920. C'est donc en tant que droit coutumier international que les contenus de ce texte étaient applica- bles au Japon. Des violations graves ayant eu lieu, ces actes constituèrent par conséquent des crimes internationaux, dont certains ont été punis lors de procès d'après-guerre.

17 Cf. DIETRICH SCHINDLER / JIRI ToMAN, Droit des conflits armés, Genève 1996, p. 115 ss.

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3. Evaluation de dommages causés par l'utilisation d'armes chimiques lors d'un conflit armé : l'Agent Orange et d'autres défoliants utilisés par les Etats-Unis d'Amérique lors de la guerre du Viêt-nam18

a) Faits. Lors de la guerre du Viêt-nam, et notamment à la fin des années 1960, les Etats-Unis d'Amérique utilisèrent massivement des désherbants (basés sur la dioxine) et défoliants au Viêt-nam, territoire dont la végétation luxuriante était utilisée par leurs adversaires pour trouver refuge et se cacher. Pendant cette époque, de 1962 à 1971, approximativement 40 millions de litres de ces subs- tances furent déversés sur le territoire du Viêt-nam. Les effets de ces armes se font sentir jusqu'à aujourd'hui: la végétation et le sol en portent trace, des en- fants vietnamiens naissent avec de graves déformations (visages sans yeux et oreilles, etc.), des vétérans américains de cette guerre meurent de cancer. Quel- que vingt-sept ans après la fin de la guerre, les Etats-Unis et le Viêt-nam se mirent d'accord, par traité, d'enquêter ensemble sur les séquelles exactes de ces agents chimiques. Jusqu'ici, les Etats-Unis avaient constamment refusé toute compensation financière, y compris pour les soins des enfants gravement dé- formés ; ils arguèrent que le Viêt-nam, lors de la normalisation des relations bilatérales aurait, en 1995, renoncé à toute compensation financière issue de la guerre.

b) Commentaires. eutilisation d'agents chimiques par les Etats-Unis d'Amérique au Viêt-nam poussa d'abord l'Assemblée générale à condamner massivement l'utilisation de telles armes pendant la guerre ;19 elle aboutit en- suite à l'adoption de Conventions20 cherchant à préserver l'environnement en tant que tel contre des armes laissant derrière elles des dommages durables, et aussi à la Convention interdisant les armes chimiques (1993). Il faut d'ailleurs ajouter qu'au regard de l'opposition de certains Etats occidentaux, notamment les Etats-Unis et le Royaume-Uni, les interdictions conventionnelles relatives à l'environnement sont particulièrement peu contraignantes, car seuls sont inter- dits les agents qui causent des dommages « étendus, durables et graves ». Cette expression, reproduite aussi dans les articles 3 5 alinéa 3 et 55 du Protocole ad- ditionnel I aux Conventions de Genève (1977), est interprétée comme n'interdi-

18 NZZ du 12 mars 2002, no. 59, p. 5. Sur cette pratique, voir aussi MICHAEL BoTHE, Das volkerrecht- liche Verbal des Einsatzes chemischer und bakteriologischer Waffen, Cologne 1 Bonn 1973, p. 303ss ; STEPHAN WITTELER, Die Regelungen der neueren Vertriige des humanitiiren Volkerrechts und des Rechts der Rüstungsbegrenzung mit direktem Umweltbezug, Bochum 1993, p. 61ss.

19 Voir par exemple la Résolution 2603A (XXIV) sur les armes chimiques et bactériologiques (biolo- giques) (1969).

20 Voir par exemple la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (1976).

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sant que le fait de causer sciemment des dommages sérieux, laissant des séquel- les pendant plusieurs mois et affectant une superficie de plusieurs centaines de kilomètres carrés. Il faut cependant noter que les dommages causés au Viêt- nam auraient sans doute suffi à ces conditions-là.

L'emploi de ces armes était-il interdit de 1962 à 1971 ? Il faut se reporter au Protocole de Genève de 1925 dont il a été question dans l'affaire précédente. Le Secrétaire général ainsi que 1' Assemblée des Nations Unies ont, dans la Résolu- tion 2603A précitée, correctement interprété le droit en affirmant son applica- bilité.21 L'utilisation de l'Agent Orange (défoliant basé sur la toxine) était donc contraire au droit dès l'époque, et vu le caractère massif de son utilisation, cet emploi constitue un crime de guerre. La question de savoir si des réparations peuvent encore être demandées dépend de l'acteur: si le Viêt-nam a réellement renoncé à demander des réparations en 1995, il ne pourra en effet plus en récla- mer ; mais, comme il a été expliqué dans le cas précédent, cette position ne lie pas nécessairement des individus lésés. On peut en tout cas se réjouir de l'atti- tude de coopération des anciens belligéra_nts, dans 1' esprit des principes de la Charte des Nations Unies.

4. La commission de crimes contre l'humanité : les massa- cres de la Volhynie pendant la Seconde Guerre mondiale22 a) Faits. Lors de la Seconde Guerre mondiale, des nationalistes ukrainiens chas- sèrent et tuèrent des dizaines de milliers de civils polonais en Volhynie, car ils étaient perçus comme des «colonisateurs» du sol ukrainien. Entre 1943 et 1945, approximativement 50000 à 60000 polonais, parmi eux femmes et en- fants, furent victimes de ces massacres. Ces faits continuent jusqu'à nos jours à jeter leur ombre sur les relations bilatérales entre les deux Etats.

b) Commentaires. Ce n'est pas le lieu ici de traiter des racines historiques de ces faits. La question qui se pose est uniquement celle de savoir de quel crime international il s'agit. A défaut de conflit armé, deux crimes entrent en ligne de compte: des crimes contre l'humanité et le génocide. Les premiers sont définis comme suit dans l'article 7 du Statut de la Cour pénal internationale: le crime contre 1 'humanité consiste en certains actes (dont le meurtre) « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en cûrill.ctissance de cette attaque». Le génocide, défini à l'article 6 du même Statut, ajoute à ces aspects un élément subjectif précis: «l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Comme on le voit, le crime de génocide est une spécification du

21 Cf. SCHINDLER / TOMAN, cite note 17, p. 141.

22 NZZ du 21 juillet 2003, no. 166, p. 5.

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crime contre l'humanité et il en est en effet historiquement issu. C'est une es- pèce de lex specialis, qui qualifie le crime de base (crime contre l'humanité) par un élément précis, l'intention de détruire un groupe déterminé.

Le crime contre l'humanité se distingue par deux traits: (1) il est dirigé contre une population civile ; (2) il s'inscrit dans le cadre d'une attaque généra- lisée ou systématique. Le terme « civil » est interprété de manière large. Il s'agit de toutes les personnes qui sont hors de combat au moment de la perpétration du crime, c'est-à-dire de personnes qui ne prennent pas à ce moment activement part aux hostilités. Le terme« population» indique qu'il s'agit de crimes ayant une nature collective, non d'actes isolés ou d'actes visant les attributs person- nels de tel ou de tel individu; il s'agit d'un criine anonyme, s'en prenant à des catégories entières de personnes. Enfin, le terme « généralisée», qui caracté- rise 1' attaque, signifie que le nombre de victimes doit être relativement élevé.

Le terme« systématique», quant à lui, implique l'existence d'une conduite ré- pandue, exécutée selon un plan méthodique. On notera que les deux termes qui qualifient l'attaque (généralisée 1 systématique) sont posés en alternative; il suffit que l'un d'entre eux soit rempli. Dès lors, par exemple, il se peut que le nombre de victimes soit encore très bas, mais que le plan méthodique d'agir ait déjà été conçu. Alors, un crime contre l'humanité est commis, si les autres conditions sont remplies. On ajoutera encore que du point de vue subjectif, 1' auteur du crime doit connaître 1' existence de 1' attaque contre la population civile et inscrire ses actes dans ce contexte ; il doit agir intentionnellement.23 En l'espèce, ces critères sont idéalement réunis, si bien qu'il s'agit sans conteste d'un crime contre l'humanité.

S'agit-il aussi, et peut-être en premier lieu, d'un crime de génocide? Cela dépend du point de savoir si l'intention de détruire un groupe protégé peut être établie. Nous sommes sans doute en présence d'un groupe protégé : les civils polonais formaient un groupe national. S'agissait-il de détruire ce groupe en tant que tel? C'est possible, mais une connaissance approfondie du dossier se- rait ici nécessaire.

Si les éléments des deux crimes sont réunis, il se pose encore le problème de leur concurrence. Selon le Tribunal pénal pour 1' ex-Yougoslavie, en règle géné- rale la condamnation pour génocide ne consomme pas la condamnation pour crimes contre l'humanité; cela veut dire qu'une condamnation pourra interve- nir pûür génûcide et pûur crimes contre l'humanité.24

23 Pour une analyse plus détaillée des éléments de ce crime, cf. ROBERT KoLB, The Jurisprudence of the Yugoslav and Rwandan Criminal Tribunats on Their Jurisdiction and on International Crimes, British Yearbook ofinternational Law 2000, vol. 71, p. 285 ss, 291 ss.

24 Affaire Musema (2001), § 366-367.

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F. Droit de la responsabilité internationale

1. Dommages causés lors d'émeutes dirigées contre un groupe particulier d'étrangers : les saccages anti- thaïlandais au Cambodge25

a) Faits. Suite à des rumeurs infondées selon lesquelles une actrice thaïlandaise connue aurait affirmé que les ruines mondialement connues de Angkor Wat re- lèveraient en réalité de la Thaïlande et qu'elles ont été « volées » à son pays par les Cambodgiens, des mouvements anti-thaïlandais eurent lieu au Cambodge.

Au lieu de calmer les esprits, le Premier ministre cambodgien les échauda en proclamant que l'actrice thaïlandaise ne valait même pas un brin d'herbe cueilli dans les ruines, en demandant à ses compatriotes de boycotter les biens de consommation thaïlandais et en prospectant une interdiction de diffuser des films thaïlandais. Des manifestations, d'abord pacifiques, eurent lieu. Le mer- credi 29 janvier, suite à une fausse nouvelle selon laquelle l'ambassade cam- bodgienne à Bangkok aurait été prise d'assaut, saccagée et que vingt-sept cam- bodgiens y auraient péri, le vent tourna. I.:ambassade thaïlandaise à Phnom Penh fut prise d'assaut et incendié.e. I.:ambassadeur et ses subordonnés purent se sauver par la porte arrière. Selon des témoignages, les policiers veillant à la sécurité de l'ambassade n'intervinrent d'aucune manière. Ils n'empêchèrent pas non plus que la foule en effervescence se dirige ensuite vers d'autres cibles thaïlandaises dans la ville. Par la suite, la Thaïlande envoya des aéronefs à Phnom Penh afin d'évacuer ses ressortissants. Elle protesta énergiquement contre l'attitude du gouvernement cambodgien et mit en œuvre diverses contre- mesures: gel des projets d'aide au développement et d'assistance financière, interdiction d'entrée en Thaïlande pour des Cambodgiens, menace d'expulsion de Cambodgiens de la Thaïlande, etc. Des mesures de protection de l'ambas- sade cambodgienne en Thaïlande furent prises, pour éviter des actes de ven- geance. La Thaïlande exigea qu'une enquête établisse pourquoi les autorités cambodgiennes n'ont pas empêché les actes en cause, qu'une excuse formelle soit présentée et que les dommages causés soient réparés.

b) Commentaires. Cette affaire soulève des problèmes classiques de respon- sabilité de l'Etat pour des actes de personnes privées qu'il n'a pas empêché d'agir selon ce qui était dans son pouvoir et devoir de faire (obligation d'exercer la diligence due). Il est connu que l'Etat n'encourt la responsabilité internatio- nale que pour l'action de ses organes ou d'agents à qui il a donné des mandats particuliers ; de plus, les actes des organes de facto et les actes de personnes

25 NZZ du 31 janvier 2003, no. 25, p. 5.

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privées que l'Etat choisit d'endosser ex post lui sont également attribuables.26 En revanche, les actes de personnes privées que l'Etat ne fait pas siens ne lui sont pas directement attribuables. Cependant, si à l'occasion de tels actes privés qui lèsent les droits d'autres Etats, l'Etat sur le territoire duquel ils se déroulent ne prend pas les mesures nécessaires et possibles, eu égard aux circonstances, pour les prévenir et/ ou, après coup, pour trouver les responsables et les traduire en justice, il se rend responsable pour manquement à son obligation de prévenir et de réprimer. L'obligation porte sur les omissions coupables des organes étati- ques catalysées par les actes privées: la responsabilité n'est pas pour les actes privés, mais pour les fautes (manquements à la diligence due) des organes éta- tiques à propos de ces actes privés. Cette obligation de due diligence est parfai- tement établie en droit international couturnier.27 Les exemples de la pratique abondent :28 affaires Ru den ( 1868), Glenn (1868), Cotesworth and Powell (1875), Capelleti (1901), Tellini (1923), Worowski (1923), Biens britanniques au Maroc espagnol (1925), lanes (1925); et les contentieux diplomatiques de l'agression du consul d'Italie à Chambéry,29 des légations roumaine et hon- groise à Berne, 30 etc. Des affaires particulièrement illustratives à cet égard ont trait à la protection d'ambassades étrangères. Dans la pratique suisse, les affai- res de la protection du Consulat général de l'Etat X (1989)31 (où la responsabi- lité de la Suisse pour défaut de diligence due fut admise par la Direction helvé- tique du droit international public) et de l'Ambassade de 1 'Etat Z à Berne ( 1989)32 (où la responsabilité internationale de la Suisse fut repoussée par la même Direction) sont particulièrement instructives. La diligence due varie se- lon les circonstances exactes- par exemple : l'existence d'informations explici- tant un danger concret ou non- et selon les moyens dont dispose un Etat. On dit parfois qu'elle repose sur la comparaison de l'attitude effective de l'Etat en cause avec celle qu'aurait adoptée, dans des circonstances semblables, l'organe d'un Etat bien ordonné. On module ensuite le jugement selon les moyens effec- tifs dont dispose un Etat (par exemple selon sa richesse ou pauvreté), ceci ne

26 Voir articles 4-11 du Projet de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats (2001). Pour l'endossement post hoc, voir l'article Il du Projet et l'affaire des Otages à Téhéran, CIJ, Recueil, 1980, p. 3lss.

27 Cf ASTRID EPINEY, Die vO!kerrechtlic.he Verantwortlichkeit von Staaten for rechtswidriges Verhalten im Zusammenhang mitAktionen Privat er, Baden-Baden 1992. Pour un bref aperçu, cf. LASSA ÜPPEN- HEIM (éd. par Robert Jennings et Arthur Watts), International Law, 9' éd., Londres 1992, p. 548 ss.

28 Voir en particulier dans : RoBERTo Aoo, Scritti sulla responsabilità internazionale degli Stati, vol. II 1 l, Camerino 1986, p. 621 ss.

29 Ibid., p. 664-665.

30 bid., p. 666-668.

31 Voir Annuaire suisse de droit international 1990, vol. 47, p. 176-178.

32 Voir Revue suisse de droit international et européen 1991, vol. 1, p. 539-543.

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signifiant cependant pas qu'un Etat puisse rester sous-organisé pour échapper à toute responsabilité. Un minimum d'efficacité est toujours requis.

Dans l'affaire qui nous occupe, ce devoir de diligence due selon les circons- tances et les moyens à disposition a clairement été méconnu. Les agents cam- bodgiens ne firent rien pour intervenir contre la foule en colère; s'ils s'étaient trouvés en nombre insuffisant, ils auraient immédiatement dû réclamer des ren- forts, ce qui n'eut pas lieu. Eu égard à la situation de tension qui régnait entre les deux communautés, le Cambodge était mis en garde contre des dangers de dérapages et aurait dû renforcer considérablement la protection de l'ambassade de Thaïlande. Cela n'a pas été fait, et cette omission engage la responsabilité de l'Etat fautif. De même, les plus hautes autorités de l'Etat, sans même contrôler la véracité des dires répandus, s'empressèrent de jeter de l'huile sur le feu (sans doute parce qu'il s'agissait d'une période électorale et que les sentiments anti- thai1andais fournissaient une base propice de campagne). Dès lors, le Cam- bodge est responsable en droit pour les dommages causés à l'ambassade et contre d'autres possessions thaïlandaises. Pour ce qui est de ces dernières, il faut regarder de plus près si des mesures adéquates auraient pu les éviter, car un Etat ne peut être tenu de faire plus que raisonnablement possible, eu égard aux circonstances et aux moyens dont il dispose. Globalement, toutefois, la faute et donc la responsabilité du Cambodge ne peuvent être mises en doute. I:ivresse momentanée des masses peut ainsi coûter cher à un Etat déjà pauvre, car le dommage semblait aller dans les centaines de millions de dollars. Certes, dans les contacts girects entre les deux États, un accommodement équitable pourrait être trouvé. Un juge serait cependant- sauf mandat dérogatoire- tenu d'allouer une réparation pleine et entière des dommages fautivement causés.

2. Mesures discriminatoires et confiscatoires contre des ressortissants d'une nation coupable d'agression : les Décrets Benes en Tchécoslovaquie33

a) Faits. Pendant la seconde guerre mondiale, le Gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres, dirigé par Edvard Benes, promulgua une série de décrets vi- sant, entre autres, à l'expropriation sans compensation et à la perte de nationa- lité de quelque trois millions d'Allemands des Sudètes et de quelques dizaines . de milliers de Hongrois en Tchécoslovaquie. En 1946, après la guerre, 1' Assem-

blée provisoire tchèque transforma ces décrets en législation régulière. Son ap- plication eut pour suites que les biens de ces sujets furent saisis et que ceux-ci furent contraints à quitter la Tchécoslovaquie. En 2002, des voix s'élevèrent

33 NZZ du 22 mars 2002, no. 158, p. 7; NZZ du 12 avri12002, no. 84, p. 5 ; NZZ du 11/12 mai 2002, no. 107, p. 9; NZZ du 516 juillet 2003, no. 153, p. 3.

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plus fortement qu'auparavant de la part de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Hongrie pour que les Etats successeurs de la Tchécoslovaquie, la République tchèque et la Slovaquie, se distancient de ces décrets en les abrogeant formelle- ment. Dans une réaction hautement émotionnelle, se retranchant derrière l'inté- rêt national et le souvenir de la guerre, les deux Etats mentionnés refusèrent. La position officielle de la République tchèque est que ces décrets font encore par- tie du droit positif national, mais que leur efficacité s'est éteinte ; dès lors, ils ne sont plus applicables, car leur contenu est contraire aux principes de la Consti- tution adoptée après la chute du régime communiste. Les trois Etats deman- deurs exigent plus. Pour eux, ces décrets constituent un acte arbitraire de spolia- tion fondé sur une approche de stigmatisation collective ; ils sont par conséquent contraires aux principes élémentaires des droits de l'homme et au droit interna- tional public. Leur abrogation formelle est exigée. A cela les deux Etats succes- seurs de l'ex-Tchécoslovaquie se refusent non seulement par attachement à un certain souvenir national («les Allemands des Sudètes comme cinquième co- lonne de Hitler»), mais aussi par peur qu'une abrogation formelle des décrets n'ouvre la voie à une avalanche de réclamations de restitution.34

b) Commentaires. La question de ces décrets est revenue au premier plan à cause de l'adhésion de la République tchèque et de la Slovaquie à l'Union euro- péenne.35 Dès lors, une vérification de leur droit interne dans sa compatibilité avec les normes européennes s'est posée et a fourni un levier pour des considé- rations plus générales. On sait que la Commission européenne s'est contentée de dire qu'elle évalue le droit interne des Etats candidats dans ses parties ac- tuellement applicables et non dans les textes dont l'applicabilité s'est éteinte (non-rétroactivité). Dès lors, il n'y a pas d'obstacle à ce que les Etats en cause se joignent à l'Union même sans abroger formellement ces décrets.

La question de la validité des décrets soulève des problèmes de droit inter- national. Il est probable qu'ils étaient contraires au droit international dès le moment où ils ont été adoptés. Ils sont fondés sur l'ancienne approche de la culpabilité collective. Celle-ci pouvait trouver quelque application avant-guerre, quand la population était considérée simplement comme un élément de l'Etat.

L'individu n'était pas sujet de droits propres. Ce n'était plus le cas après la guerre, quand la culpabilité individuelle fut mise au centre dans les procès pé- naux, notamment celui de Nuremberg, et quand le mouvement des droits de l'homme, déjà par ie truchement de la Déciaration universelle de 1948, pw-

34 Sur toute la question, voir l'étude de CHRISTIAN TOMUSCHAT, Die Vertreibung der Sudetendeutschen - Zur Frage des Bestehens von Rechtsansprüchen nach Volkerrecht und deutschem Recht, Za6RV, vol. 56 (1996), p. 1-69.

35 Voir 1' Avis jurdique sur les décrets Benes et 1' adhésion de la République tchèque à l'Union europeén, Parlement européen, Direction générale des études, octobre 2002, disponable sur le net: http://www.

europarl.europa.eu/studies/benesdecrees/pdf/opinions_fr.pdf.

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clama la foi internationale dans la reconnaissance de droits individuels, proté- gés contre l'arbitraire étatique. De plus, ces décrets procèdent à une expro- priation spoliatrice de type collectif. Or, la règle générale applicable aux expropriations était encore, à cette époque, fondée sur la liberté de saisir des biens privés pour l'intérêt public, mais uniquement contre une indemnisation

«adéquate, prompte et effective ».36 «Adéquate » veut dire qu'une compensa- tion pleine et entière, sauf circonstances particulières, est due ; « prompte » si- gnifie que l'indemnité doit être raisonnablement immédiate dans le temps; par

«effective», on entend qu'elle doit être en monnaie convertible ou en contre- valeurs réalisables, correspondant aux valeurs perdues. Il appert ainsi claire- ment que des confiscations spoliatrices étaient interdites.

Reste la question de savoir si les circonstances particulières de la guerre pouvaient justifier des mesures exceptionnelles. On peut songer aux dommages que la Tchécoslovaquie a subis par l'agression allemande. Et on peut par consé- quent se demander si la confiscation des biens des Allemands des Sudètes ne constituait pas une mesure destinée à compenser partiellement ces pertes. De même, on peut se demander si 1' ancienne règle qui permet la saisie de biens de ressortissants ennemis en temps de guerre n'était pas applicable. C'est ici que certains doutes peuvent affleurer. Sans aller dans le détail, il semble que l'am- pleur de la mesure et l'époque à laquelle elle eut lieu interdisent d'affirmer sa légalité. La règle de la liberté de confiscation des biens des sujets ennemis en temps de guerre était en recul et le mouvement des droits de l'homme men- tionné s'opposait de front à des mesures du type ici mis en cause. De plus, au moment où les décrets ont été transformés en loi, la guerre avait cessé du fait de la capitulation inconditionnelle de l'Allemagne. Il n'y avait dès lors plus à ce moment de sujets ennemis et les mesures prises ne pouvaient plus, à ce mo- ment, se justifier à ce titre. Il reste de plus à tirer au clair la question de la natio- nalité des sujets en cause, car un certain nombre d'entre eux possédaient aussi la nationalité tchèque; dans ces cas, ils n'étaient pas simplement des ressortis- sants ennemis.

Selon la Tchécoslovaquie, l'application de ces décrets (et aussi l'exode des populations frappées) a été reconnue par 1 'Accord de Potsdam conclu en 1945 entre les Alliés. Par conséquent, il serait impossible de parler d'un acte illicite international. Cette argumentation ne tient pas en droit. Si les Alliés considérè- rent qu'ils ne contesteraient pas la légalité et les conséquences de ces décrets, cette attitude ne les liait qu'eux-mêmes: elle relève du droit international parti-

36 Formule émanant de C. Hull, Sécrétaire d'Etat américain d'avant-guerre. Cette règle est bien expli- quée dans le Restatement of the Foreign Relations Law of the United States de 1965, cf. WoLFGANG FRIEDMANN 1 OLIVER LrssrrzYN 1 RicHARD PUGH, International Law, Cases and Materials, St. Paul 1969, p. 813 ss.

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culier. Pour d'autres États, cette prise de position est res inter alios acta; et

a'

plus forte raison, la licéité des mesures en question reste donc ouverte sur le plan du droit international général et en ce qui concerne les individus lésés. De même, dans l'article 3 de la Convention sur le règlement de questions issues de la guerre et de l'occupation de 1952 entre les États-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni, la France et la RFA, cette dernière s'engage à ne pas soulever dans l'avenir des objections relatives à des mesures prises à l'égard l'avoirs allmands à 1' étranger en raison de 1' état de guerre. Or, cette disparition consacre une renonciation à des droits subjectifs, non une légalisation objective - et ré- troactive - des mesures confiscataires.

La question la plus épineuse pour la Tchécoslovaquie, du point de vue juri- dique, est celle des conséquences dans le cas où l'illicéité de ces décrets est re- connue et qu'ils sont formellement abrogés (ce qui serait le premier devoir de l'Etat fautif). On pense surtout aux demandes de restitution ou d'indemnité. Les experts ont conclu de manières diverses. Pour certains, l'annulation des décrets aurait pour conséquence d'ouvrir les vannes à une avalanche de réclamations de restitution. Cela poserait des problèmes graves au vu de l'ancienneté des titres, du nombre de demandes, de la protection des acquéreurs de bonne foi des biens confisqués à l'époque, et en définitive de la capacité financière de l'Etat tchè- que de faire face à ces demandes. Selon d'autres experts, tout dépend de la question de savoir si l'annulation des décrets est opérée ex tune ou ex nunc. Si elle est formulée ex tune, les réclamations de restitution pourraient être présen- tées; si elle n'est annulée qu'ex nunc, ce ne serait pas le cas. Selon encore d'autres experts, l'annulation ex nunc des décrets n'aurait aucune conséquence juridique tangible, car de toute manière la Constitution tchèque ne permet plus, d'aucune manière, l'application de ces décrets. En fait, la mesure n'aurait qu'une valeur morale, et non juridique. De plus, des demandes de restitution auraient dans la grande majorité de cas peu de chances de succès.

Il n'est point utile ici d'entrer dans l'analyse serrée de ces prises de posi- tion. Du point de vue juridique, il semble qu'une annulation ex nunc aurait, sur le plan du droit interne, 37 des conséquences moins prononcées. On peut se de- mander par ailleurs si une telle annulation non rétroactive suffit aux conditions de responsabilité internationale, qui prévoit un devoir de remettre en l'état, et de réparer, ex tune. Quoi qu'il en soit, il semble essentiel de voir que quelle que soit la position prise sur l'abrogation de ces décrets, il n'est pas possible d'em=

pêcher que des demandes de restitution soient présentées. Cela a d'ailleurs déjà été le cas dans quelques affaires spécifiques. Dans l'affaire Kinsky, le requérant avait argumenté que la confiscation de ses biens avait eu lieu en violation des décrets eux-mêmes. Le tribunal tchèque saisi donna raison au plaignant et le

37 Il n'en va pas de même sur le plan international. Voir ci-après dans le texte.

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réintégra dans ses droits.38 De même, dans l'affaire Des Fours Walderode, un ressortissant tchécoslovaque avait été exproprié malgré que son attitude antifas- ciste eût été attestée. Revenu au pays après 1989, il demanda la restitution de ses biens et celle-ci lui fut concédée. Cependant, cette décision de justice a par la suite été annulée, suite à une nouvelle législation interne qui demandait pour une restitution de ce type une nationalité continue (or, (le requérant avait perdu la nationalité tchèque après avoir fui son pays en 1949). l:affaire fut ensuite portée au Comité des droits de l'homme des Nations Unies (Pacte des droits civils et politiques de 1966), et ce Comité a donné raison au requérant, exigeant une réintégration de celui-ci dans ses droits.39 Ces précédents montrent qu'une réclamation peut toujours être présentée, et que les tribunaux tchèques ne refu- sent pas toujours d'entrer en matière. De plus, si les requérants n'obtiennent pas raison devant les instances internes, ils peuvent recourir à des organes interna- tionaux, comme le Comité des Nations Unies, ou, mieux encore, la Cour euro- péenne des droits de l'homme. Or, ces organes ne sont pas liés par la législation tchèque (ou slovaque) ; ils appliquent leurs Conventions de base et le droit in- ternational général. Par conséquent, il n'est pas dit que les demandes en restitu- tion ne puissent se frayer un chemin de cette manière, à travers des organes in- ternationaux, quelle que soit par ailleurs l'attitude face à l'abrogation ou non des décrets Benes.40

On peut attendre avec intérêt les évolutions dans ce dossier si sensible, car aux questions juridiques, abordables dans la majesté de leurs rationalités pro- pres, viennent se joindre des réminiscences historiques, si tourmentées dans cette partie de 1 'Europe.

38 Voir dans NZZ du 51 6 juillet 2003, no. 153, p. 3.

39 Communication no. 747/1997, décision du 30 octobre 2001, § 8.3. Voir par exemple sous: http://

www l.umn.edu/humanrts/undocs/74 7-1997 .html.

40 Même si la République tchèque ou la Slovaquie avait formulé une réserve à la Convention euro- péenne des droits de l'homme .pour ce qui est des décrets, la Cour aurait pu examiner la validité de cette réserve au vu des règles contenues dans la Convention elle-même et aussi en vue des règles du droit international général.

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