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L INTERACTION DU PLATEAU COMME RESSOURCE CONTEXTUELLE POUR LA RÉALISATION TÉLÉVISUELLE

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Academic year: 2022

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Verbum XXVIII, 2006, 2-3

L’INTERACTION DU PLATEAU COMME RESSOURCE CONTEXTUELLE POUR LA RÉALISATION TÉLÉVISUELLE

Mathias BROTH Université de Stockholm

RÉSUMÉ

Ce texte s’intéresse au contexte, très complexe, d’une émission télévisée en directe.

L’étude montre comment l’interaction sur le plateau peut être rendu pertinente par l’équipe de réalisation – la filmant et la passant à l’antenne – comme une “res- sourcecontextuelle”fondamentale. Lacompréhensionmutuelledes pratiques indexi- cales de l’équipe (par exemple paroles, commutations et manipulations de caméras) est décrite comme reposant en grande partie sur une attention conjointe vers l’interaction émergeante sur le plateau. A partir d’enregistrements vidéo effectués en régie lors de la réalisation en directe de l’émission Rideau Rouge du 20 janvier 2004, l’étude décrit plus particulièrement une orientation de l’équipe vers trois dimensions de l’organisation locale et endogène de l’interaction sur le plateau : la construction des tours de parole, la séquantialisation et la construction d’activités.

L’analyse confirme la pertinence tout à fait générale de ces ordres d’organisation pour la parole-en-interaction, montrant comment, dans ce contexte particulier, cha- cune d’elles peut être exploitée aux fins pratiques de l’équipe de réalisation. L’étude réfléchit également sur les effets de la médiation lors de la perception distante de l’interaction sur le plateau. En régie, cette interaction peut seulement être surveillée par le biais du dispositif technologique utilisé, ce qui peut avoir des conséquences pour la façon dont elle peut être comprise.

ABSTRACT

Thepresentpaperfocusesonthe highlycomplex context of a live TV-production. The study shows how the studio interaction can be made relevant as a crucial contextual resource for the production crew filming and broadcasting the very same interac- tion. The mutual intelligibility of the crew’s indexical practices (e.g. talk, switches and camera movement) is shown to be grounded, to a large extent, in a state of mu- tual attention to the unfolding interaction in the studio. Based on a number of video recordings made in the control room during the live production of the French TV- show Rideau Rouge (January 20, 2004) the paper describes in particular the crew’s

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orientations towards three dimensions of the local and endogenous organization of the studio interaction: turn construction, sequence organization, and activity consti- tution. The analyses confirm the general relevance of these orders of organization for talk-in-interaction, and shows how each can be used, in this particular context, for the practical purposes of the production of a show for an audience of TV- viewers. The study also considers possible mediating effects when perceiving the studio interaction at a distance. In the control room, the studio interaction can only be observed through the technological system in use, a fact which is shown to be of possible importance for the way in which it can be understood.

1. INTRODUCTION

Une interview télévisée en direct implique au moins deux interactions focalisées (Goffman, 1963) et simultanées bien différentes : d’une part, celle d’une interaction filmée sur un plateau de télévision, d’autre part, celle de la réalisation en direct de cette interaction, ayant lieu dans une régie distante.

Dans ce texte, j’analyserai d’abord une interaction sur un plateau de télévi- sion, pour ensuite essayer de décrire cette interaction en tant que “ressource contextuelle” fondamentale pour l’intelligibilité des actions produites par les membres de l’équipe de réalisation1.

On traite souvent comme appartenant au contexte d’une interaction des éléments de l’environnement matériel dans lequel elle se produit. Focali- sant ici sur la réalisation en direct d’une interview, nous sommes pourtant dans une situation où c’est une première interaction (l’interaction filmée sur le plateau) qui est traitée comme un arrière-fond contextuel dans une deuxième interaction (l’interaction au sein de l’équipe de la réalisation).

Dans son travail pour produire une émission télévisée diffusable, l’équipe de réalisation s’oriente vers des phénomènes particuliers de l’interaction sur le plateau pour produire le sens de son action et pour la coordonner. En particu- lier, nous allons voir que ces phénomènes ainsi rendus pertinents comme arrière-plan pour collaborer et prendre des décisions au sein de l’équipe de réalisation sont des caractéristiques organisationnelles de l’interaction du plateau. J’ai choisi de focaliser mon attention ici sur trois dimensions de cette interaction : la construction des tours de parole, la séquentialisation et la construction d’activités. L’analyse qui suit démontrera la pertinence d’unités pratiques relatives à ces dimensions de l’interaction sur le plateau pour le travail de l’équipe de réalisation. La production interactive de sens au

1 Certaines actions de l’équipe sont partiellement accessibles aux téléspectateurs, en particulier les plans qui passent à l’antenne, les commutations entres plans diffé- rents, et parfois aussi des mouvements de caméras. Du point de vue des téléspecta- teurs, l’interaction sur le plateau non seulement rend ces pratiques “accountables”

(i.e. intelligibles et descriptibles ; on peut comprendre par exemple pourquoi l’équipe choisit de remplacer un plan par un autre) mais cette interaction est elle- même aussi vue d’une certaine façon suite aux pratiques de l’équipe (Broth, 2004 et à paraître ; Macbeth, 1999). D’autres actions de l’équipe ne sont pas accessibles aux téléspectateurs, par exemple tous les plans qui ne passent pas à l’antenne et l’ensemble des pratiques “incorporées” (paroles, gestes, postures, regards et mani- pulations d’objets) au sein de l’équipe.

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sein de l’équipe repose donc en grande partie sur une orientation partagée et constante vers l’interaction sur le plateau, et par rapport à laquelle les actions de l’équipe sont intelligibles2.

Contrairement à des approches qui traitent le contexte médiatique comme quelque chose qui serait antérieur à, et qui déterminerait unidirec- tionnellement l’organisation et la spécificité de l’interaction qu’il “englobe- rait” de manière générale, la perspective praxéologique adoptée ici pour étudier le contexte télévisuel le traite comme un phénomène dynamique et interactionnel, accompli par différents types de participants impliqués dans une série de tâches distinctes (cf. par exemple Schegloff, 1987 ; Duranti et Goodwin, 1992 ; Drew et Heritage, 1992). Aussi bien les participants à l’interviewquel’équipede réalisationà la fois produisent le contexte séquen- tiel du moment par leurs actions publiques et exploitent le contexte ainsi produit comme une ressource pour l’intelligibilité de leurs actions respec- tives. De leur part, les différents membres de l’équipe de réalisation intègrent également systématiquement une analyse de ce qui se passe sur le plateau dans la production de leur contexte pertinent à un moment donné. Cepen- dant, tous les membres de l’équipe n’ont pas le même type d’accès à l’inter- action sur le plateau (ce qui, nous le verrons, n’est pas sans conséquences pour la façon dont elle peut être comprise). Co-présents sur le plateau, les cadreurspeuvent, àconditionde lever leur regard du viseur3, y avoir un accès visuel et auditif direct. En revanche, la scripte, le réalisateur et le truquiste, qui travaillent en régie, peuvent uniquement percevoir l’interaction sur le plateau à travers l’interface technologique utilisé, consistant, du côté du plateau, de caméras et de microphones, et du côté de la régie, des moniteurs et haut-parleurs correspondants. Considéré dans son ensemble, le contexte télévisuel est ainsi également un phénomène complexe, différencié selon les activités professionnelles et les perspectives des différents participants.

En essayant de démontrer l’importance de l’interaction du plateau comme une ressource contextuelle cruciale pour l’intelligibilité des pratiques de l’équipe de réalisation, je voudrais aussi argumenter, à un niveau très général, pour une conception du langage et d’autres pratiques “incorporées”

comme des phénomènes indexicaux (Garfinkel et Sacks, 1970). Le sens pré- cis des pratiques (paroles, gestes, mouvement de caméras, commutations, etc.) est par conséquent vu comme toujours produit par les participants face aux contingences contextuelles d’une situation particulière.

2 Pour d’autres études traitant des aspects du contexte comme des ressources pour l’interaction, voir par exemple M.H Goodwin (1995), Heath et Luff (1992b) et Heath et al. (2005). C. Goodwin (2000, 1492) s’exprime ainsi : “Both talk and gesture can index, construe, or treat as irrelevant, entities in the participants’

surround. Moreover, material structure in the surround, such as graphic fields of various types, can provide semiotic structure without which the constitution of particular kinds of action being invoked through talk would be impossible.”

3 De façon évidente, il est pourtant important pour les cadreurs de voir les plans qu’ils produisent avec leurs caméras à un moment donné. Les cadreurs passent ainsi une grande partie de leur temps à regarder dans leurs viseurs.

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Analyser la prise en compte de ces dimensions et phénomènes de l’interaction du plateau dans l’interaction au sein de l’équipe de réalisation, pour laquelle elle acquiert ainsi le statut d’arrière-plan contextuel, exige une attention toute particulière à la relation précise entre ce qui se passe dans ces deux interactions focalisées. Cette relation ne peut devenir observable et analysable qu’à condition d’enregistrer et ensuite de transcrire aussi bien ce qui se passe sur le plateau qu’en régie. Les extraits analysés dans ce texte proviennent d’enregistrements effectués lors de la réalisation en direct de l’émission intitulée Rideau Rouge, transmise en direct le 22 janvier 2004 sur TV5 internationale, et ayant comme thème global la planète Mars4.

Pour des raisons expositoires, je présenterai d’abord des transcriptions et analyses se focalisant uniquement sur deux extraits de l’interaction sur le plateau (2.). On ne retrouvera que plus loin des transcriptions et analyses qui prennent en compte aussi bien l’interaction sur le plateau que l’interaction au sein de l’équipe de réalisation pendant ces mêmes moments (3. et 4.), et qui démontreront ainsi l’exploitation de la première interaction par la deuxième, aux fins pratiques de la réalisation.

2. L’INTERACTION DU PLATEAU

L’interaction sur le plateau, dont le public des téléspectateurs peut apercevoir la version médiatisée qui passe à l’antenne, à la fois accomplit et se produit dans un contexte qui est bien particulier par rapport à d’autres types d’interactions. Premièrement, elle a lieu sur un plateau dans le but d’être filmée : en l’absence d’une équipe de réalisation qui la passe à l’antenne, elle perdrait en effet sa raison d’être5. Deuxièmement, dans l’émission étudiée, l’interaction est elle-même le plus souvent organisée comme une “interview”.

4 Étant donnée la pertinence tout à fait générale de l’interaction du plateau comme ressource contextuelle pour la réalisation de cette même interaction, nous aurions pu mener notre analyse sur l’enregistrement de bien d’autres moments de cette émission ou sur d’autres émissions du corpus établi pour la description de la réali- sation télévisuelle. Le corpus intégral consiste en une série d’enregistrements (d’une durée totale d’environ 30 heures) effectuée entre 2003 et 2004 en régie lors de la réalisation de quatre émissions en direct de Rideau Rouge, ainsi qu’en des enregistrements des émissions en tant que telles, produits en Suède lors de leur transmission sur TV5 Europe. La réalisation de chaque émission a été enregistrée par trois caméras pour produire 1) un plan large sur la régie, montrant une partie de l’équipe, ainsi que les écrans reproduisant devant leurs yeux les plans que produisent continuellement les cadreurs sur le plateau, 2) une vue plus serrée sur uniquement les écrans, et 3) un plan très large sur le plateau (produit en zoomant fortement sur un petit écran en régie auquel l’équipe ne prêtait quasiment jamais attention et qui reproduisait de façon statique cette vue).

5 Cette orientation des participants n’est pas facile à documenter, puisque les parti- cipants évitent généralement de se diriger directement vers les caméras, ainsi accomplissant leur invisibilité (cf. Macbeth, 1999, 151). Voir pourtant Mondada (2001, 9) pour une discussion de la possibilité d’une configuration réflexive de la conduite des participants sur le plateau dans le cas où ceux-ci sont capables de percevoir, dans un moniteur, comment ils sont cadrés et passés à l’antenne.

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Les interviews télévisées ont été décrites par Heritage (1984, 290) comme produites et maintenues (“talked into being”) en tant que forme insti- tutionnelle particulière par une orientation, de la part des participants à ces interviews, vers des normes conversationnelles spécifiques. Les interviews sont construites, entre autres, par une orientation partagée vers une “préallo- cation de types de tours” (cf. par exemple Atkinson et Drew, 1979 ; Clayman et Heritage, 2002 ; Drew et Heritage, 1992 ; Greatbatch, 1988 ; Relieu et Brock, 1995), selon laquelle c’est uniquement l’intervieweur qui a le droit et l’obligation de poser des questions, et uniquement l’interviewé qui a le droit et l’obligation d’y répondre. Tant qu’une question n’a pas été posée, l’inter- viewé évite de parler, et contribue ainsi réflexivement à l’établissement des contraintes normatives de l’interview, et notamment à la façon dont les tours de l’intervieweur sont structurés, souvent contenant des préambules donnant l’arrière-plan pour la question à venir. L’intervieweur peut aussi reprendre la parole après une première réponse, aussi courte soit elle, et exerce ainsi une pression sur l’interviewé qui voudrait produire une réponse plus longue6.

Image 1- Le plateau de Rideau Rouge

L’image (1) montre le plateau pour l’édition du 20 janvier 2004 de Rideau Rouge. Aussi bien le public que les invités sont face à un écran géant, montrant des images de Mars durant la plus grande partie de l’émission. Sur la droite, environ à mi-chemin entre les invités et l’écran, se trouve l’animateur, assis devant une table. On peut aussi voir les cinq cadreurs, qui sont placés autour de l’animateur et les invités7.

6 Sicette littératureantérieureadécrit biendesaspects de l’organisation et la spécifi- cité de l’interaction filmée et passée à l’antenne – le plus souvent des interviews – elle ignore cependant complètement l’interaction au sein de l’équipe de réalisation travaillant pour en faire une émission télévisée. Cette dernière interaction est trai- tée dans une littérature encore très rare (voir pourtant Broth, 2004 et à paraître en 2008 ; Mondada, à paraître en 2007 ; Relieu, 1999).

7 Cette façon de répartir les participants sur le plateau montre on ne peut plus

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Considérons maintenant la transcription de deux extraits de l’inter- action sur le plateau qui ont ceci de commun que l’animateur (Claude Séril- lon) commence à s’adresser à un autre invité que celui qui est en train de parler. Les deux extraits diffèrent pourtant par la suite, puisqu’à partir du moment où l’animateur s’adresse au nouvel invité, ils suivent des dévelop- pements séquentiels différents. Dans l’extrait (1) – où la parole est transcrite selon les conventions généralisées en Analyse conversationnelle, et où les points, soulignements et virgules désignent, respectivement, l’avancée, le point extrême et le retrait d’un geste8 – Giovanni Bignami, un des huit invités sur le plateau, est en train de commenter les images sur Mars qui se suivent sur l’écran géant :

(1) RR040122-P [00:22:12 – 00:22:26]

1 GB: un espèce de premier:, checkout, d'un instrument: européen,

2 fr ... ->

3 GB: (0.5#) qui:: qui mon:tre que:[:: °(euh ouais une] %une+%)°=

4 fr ->..#_,,,,,,,, ((#=image1))

5 Ani: [(tsk) .hh >oui<¿]

6 Ani: =euh::: (.) >francis rocard<,=

7 Ani: =vous é: (.) vous (.) vous montrez: quelque chose du doigt?

8 FR: (0.1) on (.) on=

9 FR: =[vient de voir le::(.) les: les t]roi=

10 Ani: [.hh je vous donne (x) ma baguette], 11 FR: =[s m è t r e s + : : : : ]

12 Ani: [il y A (.) une longue his]toire?

13 FR: (0.4) °%euh::[:%°] [spi]-7 spirit a fait trois=

14 Ani: [ou] ça: (.) euh: [pas]—

15 FR: =mètres là.

Cet extrait montre comment l’animateur interrompt un premier invité (Giovanni Bignami) pour en sélectionner un autre (Francis Rocard) comme prochain locuteur (l. 5 – 6), alors que le premier invité est au milieu d’une unitédeconstruction de tours(UCT, Sackset al.,1974)9 (l. 1 et 3), loin d’être complète (juste après l’initiation d’une subordonnée complétive). L’anima- teur entame son tour par “(tsk) .hh >oui<¿”, ce qui donne à son tour le statut d’une réaction faisant suite à une “sommation” antérieure (cf. Schegloff, 1968). Ce à quoi l’animateur réagit est le geste, pointant vers quelque chose à l’écran géant, produit par l’invité Francis Rocard (commençant à la ligne 2 et atteignant son point extrême à #1 de la ligne 4 ; ce geste est aussi visible dans l’image 1 déjà présentée ci-dessus), puisque l’animateur le regarde et le désigne par un battement du bâton qu’il tient dans la main (non transcrit).

Aux lignes 6-7, l’animateur prononce le nom de cet invité et y joint une question qui “formule” (Heritage et Watson, 1979) ce que celui-ci vient de faire (“vous montrez : quelque chose du doigt ?”). Même si l’animateur traite clairement que l’interaction entre l’animateur et les invités s’adresse en premier lieu à un public de téléspectateurs, et non pas au public sur le plateau, qui est obligé de regarder l’ensemble des invités de dos.

8 L’ensemble des symboles utilisés se trouvent explicités en appendice.

9 Ces termes traduisent l’original anglais “Turn Constructional Unit” et “TCU”.

Voir la section 3.1. ci-dessous pour un rappel de la signification de ces termes.

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le geste de Francis Rocard comme une sommation pour avoir la parole, l’enregistrement du plateau nous montre que cet invité produit en fait son geste alors qu’il est visiblement impliqué dans une conversation “en aparté”

avec son voisin sur le plateau10. Il semblerait alors que l’animateur “dé- tourne” l’action qui est accomplie par ce geste – destiné à l’origine à un usage privé pour montrer quelque chose à son voisin – pour en faire une sommation à l’échelle de l’interview publique11.

Le comportement de l’animateur peut apparaître relativement impéra- tif. Or, il faut noter que les deux invités concernés ne s’y opposent pas : Gio- vanni Bignami s’arrête net et ne réclame plus la parole (l. 3) ; et, aussitôt la question terminée, Francis Rocard entame immédiatement une réponse (l. 8).

La façon dont l’allocation de la parole est gérée ici est ainsi traitée comme normale pour ce genre d’activité et dans ces contingences spécifiques, où les participants, de façon importante, sont en train de commenter des images qui défilent devant leurs yeux. Il semblerait ainsi que les participants s’orientent vers le fait que les images bougent, en produisant dans l’interaction le com- mentaire d’une image le plus vite possible, et avant qu’elle ne disparaisse de l’écran. Par contre, aux lignes suivantes, un trouble apparaît : une fois la première question posée, Francis Rocard se traite comme ayant le droit de produire une réponse avant de rendre la parole à l’animateur (cf. Clayman et Heritage, 2002, 131). Il continue sa réponse bien que l’animateur reprenne la parole pour élaborer la question, après le “point de transition pertinent”

(dorénavant “PTP”, Sacks et al.1974)12 de la ligne 7, ce qui donne lieu à un chevauchement relativement étendu.

Une minute et trente-sept secondes plus tard, a lieu ce qui est repro- duit ici comme l’extrait (2). Francis Rocard est en train de s’approcher de la fin de sa longue réponse :

(2) RR040122-P [00:24:03 – 00:24:30]

50 FR: très très (0.2) peu: euh (.) couvert de c#ratères,=

51 ac ...# (#=image2) ->

52 FR: =donc a été REprocessé. (.) °comme on dit°.

53 ac ->____________,,,,,,,,_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ->

54 Ani: (0.4) euh:: (.) alain.=

55 ac ->_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ->

56 Ani: =juste avant de: de vous donner la parole,

10 Ces deux invités se penchent et se tournent légèrement l’un vers l’autre, ce qui laisse deviner une conversation en aparté. La dimension auditive de cette conver- sation probable n’a pourtant pas pu être enregistrée, puisque les microphones des invités qui ne parlent pas sont systématiquement fermés par les ingénieurs du son.

Voir Bonu (ce volume) pour une analyse plus extensive de l’aparté comme phé- nomène interactionnel dans une visioconférence.

11 En traitant le geste de l’invité comme une sommation, l’animateur peut être vu comme “résorbant” l’aparté et comme réintégrant ses participants dans l’interaction principale (Lorenza Mondada, communication personnelle).

12 Ces termes traduisent l’original anglais “Transition Relevance Place” et “TRP”.

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57 Ani: (0.1) on va::, (.) essayer de faire=

58 Ani: =un petit peu de pédagogie,=

59 Ani: =de comprendre ce qu'est MARS.

60 Ani: (0.3) alors nous sommes allés=

61 Ani: =tout bêtement dans un lieu—

62 Ani: #(0.2) que: beaucoup de: fra#nçais connaissent¿=

63 ac -># _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ ,,,,, # (petites images aux #) 64 Ani: =mais aussi beaucoup d'étrangers?=

65 Ani: .HHH* euh:::::: c'est-à toulou:se¿

66 Ani: à la cité de l'espace,

67 Ani: .hhhhh et en compagn- avec euh moktar gaouad,=

68 Ani: =°et° raphael müller,=

69 Ani: =nous avons essayé de-- 70 Ani: (0.4) VOUS: expliquer,

71 Ani: (.) UN peu mieux, de NOUS: expliquer,

72 Ani: (.) ce qu'est cette (.) PLANète qui nous fascine.

73 Com: [(0.8) ((musique du sujet))

74 Ani: [(1.8) ((se déplace vers la table))

Au début de l’extrait (2),Francis Rocard est tou- jours en train de parler. Un des autres invités (Alain Cirou) commence à lever la main et atteint, vers la fin de la ligne 51, le point extrême de son geste. Il garde la main levée, anti- cipant un PTP où l’anima- teurpourraitle sélectionner comme prochain locuteur.

Comme,par la suite (l. 52), le locuteur en place éla- bore son tour, il baisse la main (l. 53), pour néan- moins la garder à mi-

hauteur (action transcrite par une ligne intermittente à partir de la ligne 53) et en continuant à regarder l’animateur fixement. Pour sa part, l’animateur a déjà commencé à manifester de l’impatience, ou un certain désintérêt pour l’invité en train de parler : depuis la ligne 50, il commence à regarder Alain Cirou et à rediriger tout son corps vers lui (non transcrit), de sorte que l’invité Francis Rocard achève rapidement son tour en cours, n’ayant plus l’attention publique de l’animateur.

Tout comme dans l’extrait (1), l’animateur sélectionne ensuite un nouvel invité en prononçant son nom, ce qui projette cet invité comme le

Image 2 - Point extrême du geste d’Alain Cirou

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prochain locuteur dans cette interview (voir aussi 3.2 ci-dessous). Dans ce cas, toutefois, à la ligne 56, l’animateur manifeste son intention de faire autre chose avant de céder la parole à l’invité Alain Cirou13, et aux lignes 57-59 nousapprenonsqu’ils’agitd’uneprésentationintroductive(“unpeu de péda- gogie”) sur laplanèteMars.C’estaussimaintenantqu’AlainCiroumanifeste sa compréhension, en mettant l’index de sa main sur sa bouche et en rediri- geant son regard pour regarder l’écran géant (voir les images et la transcrip- tion de la ligne 63), qu’il est actuellement toujours destinataire et non locu- teur, son tour projeté étant renvoyé à plus tard14. A ce moment, l’animateur commenceàparleren tantquemembred’un groupe(le“on”réfèresans doute à toute l’équipe de production), et il fait aussi alterner son regard entre Alain Cirou et une des caméras sur le plateau. Il continue son tour en expliquant que l’équipe (utilisant, cette fois-ci, le pronom “nous”) est allée à la Cité de l’espace, à Toulouse, pour en savoir plus sur Mars. Après avoir nommé ex- plicitement les reporters responsables des efforts pédagogiques de l’équipe – d’abord s’adressant uniquement aux téléspectateurs, ensuite en reformulant son propos pour inclure également l’équipe – l’animateur termine son tour par une descente intonative très marquée. Aussitôt après, le reportage préen- registré devient visible sur l’écran géant sur le plateau, accompagné de mu- sique. Immédiatement après, l’animateur se retourne rapidement pour se diriger vers sa table, ne prêtant plus aucune attention explicite aux invités15.

Dans la section suivante, nous allons considérer ce qui se passe en régie,où une partie del’équipe deréalisationsurveille et analyse l’interaction du plateau à travers des enceintes et un certain nombre d’écrans. Rappelons que nous nous intéresserons à la question de savoir comment les membres de l’équipe exploitent la structure et la prévisibilité de l’interaction sur le pla- teau aux fins pratiques de sa réalisation.

3. L’INTERACTION DU PLATEAU COMME DIMENSION CONTEX- TUELLE EN RÉGIE

Tout comme nous l’avons déjà constaté plus haut, la représentation médiatisée de l’interaction émergeante sur le plateau qui est produite par les cadreurs et les ingénieurs du son constitue une dimension primordiale du contexte de la régie. Les membres de l’équipe qui y sont placés rendent en effet cette représentation constamment pertinente dans leurs actions.

La régie constitue le “centre de coordination” (Suchman, 1992, 114) de la réalisation télévisuelle. C’est ici que se coordonne l’activité de tous les membres de l’équipe, se trouvant dispersés dans différents lieux mais restant en contact à l’aide d’un dispositif technologique de microphones, haut- parleurs, caméras et écrans. Une différence importante entre la régie de télé-

13 Voir C. Goodwin (1996, 384) sur sa description des “prospective indexicals”, des expressions prospectives dont le sens est à trouver dans le futur interactionnel.

14 Voir Mondada (2004 et 2006) pour d’autres analyses de gestes comme une res- source pour l’organisation interactive de l’allocation des tours.

15 Ce qui souligne le fait que cette interaction sur Mars n’ait plus de raison d’être si elle ne passe pas à l’antenne.

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vision et d’autres centres de coordination, tels que les salles de contrôle du métro, des aéroportsoudes urgences16, portesur lanature des images visibles sur les moniteurs utili-

sés. Contrairementàce qui est le cas pour les moniteurs utilisés dans ces centres, les moni- teurslespluspertinents pour la réalisation télé- visuelle projettent des plans du plateau qui sont activement pro- duits par des cadreurs, lesquels s’adaptent sans cesse aux contin- gences de l’interaction du plateau ainsi qu’à celles du travail de réalisation en direct.

Ainsi, les plans pro-

duits par les cadreurs ont une accountability (Garfinkel, 1967) locale et si- tuée que les images de caméras fixes n’ont pas.

L’image (3) montre une partie de la régie, où sont visibles, au rang in- férieur de l’ensemble des écrans, les plans des cinq cadreurs, ainsi que, de gauche à droite, la scripte, le réalisateur et le truquiste. Quant aux tâches des différents membres de l’équipe, on se contentera ici de remarquer que la scripte veille à ce que le “plan” de l’émission – préalablement produit par l’animateur et le réalisateur et indiquant ce qui va arriver quand et pendant combien de temps, – soit respecté autant que possible. La tâche principale du réalisateur est, pendant l’émission, de commuter, en dépressant quelques touches, entre les images qu’il peut voir sur les moniteurs devant lui17. Cinq de ces images sont continuellement produites par des caméras mobiles mani- pulées par les cadreurs sur le plateau, et deux autres caméras sont fixes. Les cadreurs peuvent entendre ce qui est dit en régie dans leurs casques, mais ne peuvent pas vraiment interpeller quelqu’un en régie pendant l’émission, puisqu’ils risqueraient dans ce cas de gêner les participants à l’interview qu’ils sont en train de filmer18.

Les deux extraits qui vont suivre nous permettent de reconsidérer une partie des événements sur le plateau déjà analysés, mais perçus cette fois-ci

16 Voir parexempleHeath et Luff (1992b), Heath et al. (2005) et Theureauet Filippi (2000) sur les centres de contrôle du métro et des trains régionaux, C. Goodwin (1996), M.H. Goodwin (1995), et Harper et Hughes (1992) sur le contrôle aérien, et Whalen (1995) sur les urgences.

17 Le plan que le réalisateur passe à l’antenne à un moment donné est également visible sur un écran plus grand, visible au milieu et en haut dans l’image (3).

18 VoirBroth(2004)pour plus d’information sur cette équipe et leur travailcollectif.

Image 3 - Personnel et moniteurs en régie

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depuis la régie. L’interaction du plateau figure toujours (le texte apparaît dans une couleur grisée, plus claire, cette fois-ci) dans cette “retranscription”

des extraits (1) et (2) que sont les extraits (3) et (4), et qui serviront de base pour l’analyse qui suivra. Mais on y trouve aussi et surtout une notation des pratiques au sein de l’équipe de réalisation : les échanges verbaux en régie, les plans et les mouvements des caméras (tels qu’ils sont visibles sur les écrans en régie), ainsi que les commutations entre les différentes caméras effectuées par le réalisateur. Ces différents types d’action sont synchronisés les uns par rapport aux autres, ainsi que par rapport aux pratiques de l’interaction sur le plateau, leur simultanéité étant représentée verticalement dans les lignes qui sont groupées ensemble. Les actions des cadreurs sont indiqués dans des lignes à part, chaque caméra ayant sa propre ligne de transcription (introduite par “Ca(n)”19). Au début de ces lignes se trouve une description du type de plan de la caméra, s’il s’agit d’un gros plan (“GP”) ou d’un plan large (“PL”), et aussi une indication de la personne filmée. Pour la transcription des mouvements de caméra, un plan qui ne bouge pas est noté par une ligne droite, les panoramiques vers un nouvel objet par des points répétés et les zooms avant par “<” et arrière par “>”. La transcription prend également en compte si une caméra passe à l’antenne ou non : le moment exact où une caméra passe à l’antenne étant signalé par “+R”, “-R” décrivant par conséquent une caméra qui sort de l’antenne20. Nous avons également marqué sur une ligne à part (introduite par “Cmn”) les commutations produi- tes par le réalisateur, et qui accomplissent la sélection des caméras. Dans ces lignes se trouvent le numéro de la caméra abandonnée et, de l’autre côté de l’étoile, indiquant le moment exact de la commutation, celui de la caméra choisie. Passons maintenant aux extraits (3) et (4) :

(3) RR040122-R [00:22:18 – 00:22:26]

1 Ani: =euh::: (.) >francis rocard<,

2 Ani: vous é:(.)vous(.)vous mon*trez: quelque chose du d#oigt?(#=im3) 3 Ca1: (GP Ani)_________________+R_____________________________

4 Ca2: =R(GP GB)________________-R_______________ ...

5 Cmn: 2*1 6 FR: (0.1) on (.) on=

7 Ca2: ...

8 FR: =[vient de voir le::(.)les: les t]r*o[is m è t r e s + ::: ] 9 Ani: [.hh je vous donne(x)ma baguette],* [ilyA(.)une longue his]toire?

10 Ca1: =R________________________________-R___________________________

11 Ca2: ... . . . < < < < < < < < < <(GP FR)______________

12 Ca3: (PL les invités)__________________+R___________________________

13 Cmn: 1*3

19 Pour des raisons de place, les actions de toutes les caméras ne sont pourtant pas toujours notées. Sont présentées uniquement celles qui sont pertinentes pour mon propos ici.

20 La lettre “R” a été choisie pour renvoyer à l’expression “avoir le rouge”, parfois utilisée par les cadreurs pour parler des moments où ils passent à l’antenne. Pen- dant ces moments, une lumière rouge s’allume dans le viseur de la caméra.

(12)

14 FR: (0.4)°%euh:[:%°] [spi]-7 spirit {a* } fait trois mètres 15 Ani: [ou]ç*a:(.)euh[pas]—

16 Ca2: (GP FR)_________+R________________________-R___________________

17 Ca3: (PL les invités)-R_______________________ +R___________________

18 Cmn: 3*2 2*3 19 Réa: {hah}--

(4) RR040122-R [00:24:03 – 00:24:30]

50 FR: très très (0.2) peu: euh (.) couvert de cratères,=

51 FR: =donc a été REproces*sé. (.) °comme on dit°.

52 Cmn: mag*4((PM Ani de dos + ensemble des inv.))

53 Ani: (0.4) euh:: (.) alain.=

54 Ani: =*juste avant de: de vous donner la parole, 55 Cmn: 4*1

56 Ca1: +R(GP Ani)_________________________________

57 Ca2: _______ . . . >.>.>

58 Ani: (0.1) on {va::,

59 Réa: {c'est à l'autre bout.}

60 Ca2: . . . <,<.<,<.<,<.<,<.<,<

61 Ani: (.) essa}yer de faire=

62 Ani: =un petit peu de pédagogie,=

63 Ca2: , . , . , . , . , . , . , . 64 Ani: =de comprendre ce qu'est MARS.

65 Ca2: , . ,(GP AC)_________________

66 Ani: { (0.3) {alors nous somme}s allés=

67 Réa: {=>IL VA NOUS EN{VOYER LE SUJET<¿}

68 Ani: =*tout {bêtement dans un} lieu-- 69 Cmn: 1*2

70 Jou: {on met l'sujet. }

71 Ani: {(0.2) que: beau}coup de: fran}çais connaissent¿=

72 Réa: {il est en quoi [là:]}

73 Scr: [al ]ain cirou::¿ } 74 Ani: =mais au{ssi { beaucoup } d'étrangers?=}

75 Tru: {x x [ (sera) ] toujou=}

76 Réa: {[LE SUJET]}

77 Ani: {.HHH * euh : } : : :}:: c'est-à toulou:se¿

78 Tru: {=[rs) en ma*g deux:]}.

79 Scr: {=[le sujet *de ] quoi }¿

80 Jou: { [(le) *sujet¿ ]}

81 Cmn: 2*1

82 Ani: à { la cité de l' espa}ce, 83 Jou: {[le SUJET DE PÉDA]GOGIE.}

84 Tec: {[ (on va dire).]

85 Ani: { .hhhhh } et en compagn- avec euh moktar gaouad,= } 86 Scr: {mars péda}gogie:? ben attends: mag-- (0.3) ma- (.) mag}

87 Ani: {=°et° raphael müller},=

88 Scr: {(.) UN À VENI:R+ ¿}

89 Ani: =nous avons essayé de--

(13)

90 Ani: {(0.4) {VOU}S: expliquer, 91 Réa: {(0.2) 'ttentio{n:¿}

92 Ani: (.) UN {peu mieux, de NO}US: ex{p l i q u e r,}

93 Scr: {MAG (.) UN : : }

94 Réa: {tu l' mettras d=}

95 Ani: {(.) ce qu'est c}ette (.) { PLANète} qui nous fa{scine.}

96 Réa: {=ans l'écran::¿}

97 Tru: {>oui oui<}. { (faci}le).

98 Scr: (0.2) *TO[P M]AG UN:.

99 Réa: [top]

100 Cmn: 1*6

Rappelons que dans ces deux extraits, l’animateur s’adresse d’abord à un autre invité que celui qui vient de parler. Mais, alors qu’il lui passe la parole par la suite en(3), en(4)ilsuspend le moment où le nouvel invité peut effectivement devenir le locuteur en place pour, en revanche, accomplir une annonce d’un reportage préenregistré. L’enregistrement et la transcription détaillée de ce qui se passe en régie pendant ces moments me permettent de décrire les orientations des membres de l’équipe de réalisation par rapport à l’interview qu’ils sont en train de passer à l’antenne. J’essaierai de montrer comment l’équipe en exploite certaines dimensions pour accomplir l’intelli- gibilité de ses actions. La construction du tour, des séquences et des activités de l’interaction sur le plateau deviennent pour l’équipe autant de ressources contextuelles pour la réalisation de l’émission à diffuser.

3.1. Pratiques de construction des tours

Rappelons initialement que les tours de parole produits au cours d’une interaction sont constitués d’une ou de plusieurs unités de construction de tours, ou UCTs, dont les fins sont plus ou moins prévisibles par tout membre compétent d’une société (Sacks et al., 1974 ; C. Goodwin, 1981), et donc également par les membres de l’équipe de réalisation étudiée ici (Broth, 2004 ; cf. aussi Mondada, 2001, à paraître en 2007). La fin des UCTs donne lieu à des points de transition pertinents, ou PTPs, autour desquels s’organisent les transitions entre un locuteur en place et un prochain locu- teur. Tout comme les participants à l’interview, l’équipe aussi s’oriente vers la prévisibilité de ces endroits ; mais alors que les premiers le font pour organiser mutuellement la distribution de la parole dans l’interaction émer- geante, l’équipe le fait pour accomplir sa tâche collective consistant à passer l’interview à l’antenne d’une façon qui soit intelligible.

Cette orientation en régie vers la construction des tours sur le plateau peut s’observer à plusieurs reprises, peut-être surtout dans l’extrait (4). A la ligne 52 se trouve une commutation, effectuée par le réalisateur au moment où l’interviewé vient juste d’entamer une expansion à son tour après une PTP (fin de la ligne 50), ce qui le projette comme locuteur en place pour au moins encore une UCT. Une situation similaire peut s’observer pour la commutation suivante (l. 55), où l’identification par l’animateur de l’invité à venir projette le fait que l’animateur va rester le locuteur en place pour encore quelque temps, avant de céder la parole à l’invité en lui posant une

(14)

question. Une première observation qu’il est ainsi possible de faire ici est que les commutations de plans peuvent exploiter, et aussi être comprises comme se rapportant à (cf. Jayyusi, 1988) la prévisibilité des PTPs des tours émergeants dans les interviews. Cette description se trouve renforcée par le fait que dans l’extrait (3), où l’animateur interrompt l’invité pour s’auto- sélectionner à un moment où il n’y a pas de PTP “en vue”, le réalisateur ne commute vers l’image de l’animateur qu’une fois que celui-ci est bien avan- cé dans son tour (l. 2 et 5)21.

A la ligne 67, le réalisateur annonce, tout de suite après la fin d’une UCT de l’animateur (l. 64), qu’il a compris que l’animateur est en train d’introduire le “sujet” – nommé “MARS : pédagogie” dans la section 8 du

“conducteur”, le support matériel de l’ordre prévu des événements (image

4) – qui doit venir prochainement dans l’émission. Il le fait par l’énoncé “IL VA NOUS ENVOYER LE SUJET”, dont l’indexicalité exige une référence aux contingences situationnelles pour être comprise. Par son annonce, le réalisateur manifeste aussi sa compréhension du fait qu’il n’est pas encore toutàfait le moment de dépresser le bouton, mais qu’il y a encore des choses

21 Soulignons ici que les commutations du réalisateur peuvent également répondre à autre chose que la dimension verbale de l’action des participants sur le plateau.

Dans l’extrait (3), le réalisateur doit commuter à deux reprises suite aux déplace- ments de l’animateur voulant donner sa baguette à l’invité : à la ligne 12, puisque l’animateur sort soudain de son gros plan et la deuxième commutation de la ligne 18, après que l’animateur s’est placé juste devant la caméra 2, bloquant complè- tement son plan sur l’invité Francis Rocard.

Image 4 - Page 2 du conducteur établi pour l’émission étudiée

(15)

que l’animateur doit faire avant que l’action annoncée ne soit réalisée. Aussi le réalisateur trouve-t-il le temps de passer à l’antenne l’image du nouvel invité (l. 69), vérifier le bouton à dépresser (l. 72), et répéter l’annonce du sujet à venir (l. 76). Cette annonce n’a, jusqu’alors, suscité aucune réaction de la part de la scripte, qui a pourtant la responsabilité d’indiquer lequel des deux magnétoscopes sera mis en marche à la fin du tour de l’animateur. La scripte et le journaliste trouvent également le temps d’une séquence “ques- tion – réponse”, pour “réparer” (Schegloff et al., 1977) la compréhension défaillante de la première (l. 79 et 83). Il est encore à remarquer qu’à la fois la question de la scripte et la réponse du journaliste sont entamées à ce qui pourrait être considéré comme des limites d’“unités intonationnelles” (cf. par exemple Du Bois et al., 1993) – sinon à des PTPs – dans le tour émergeant de l’animateur. En se parlant en co-présence de cette façon, les interactants en régie accomplissent une attention partagée vers le tour émergeant de l’animateur, qu’ils perçoivent via le dispositif technologique22.

Une fois que l’animateur introduit les noms des reporters (l. 85 et 87), le réalisateur dit “'ttention”, par quoi il manifeste que le moment de l’insertion du sujet approche. Nous rencontrons pourtant, un peu plus tard, encore une séquence “question – réponse” en régie, cette fois-ci entre le réalisateur et le truquiste (l. 94 – 97). Il est à noter ici que la question est introduite à un moment où une expansion (dans la forme d’une question indirecte) est requise pour compléter l’UCT émergeante de l’animateur, c’est-à-dire à un moment où le réalisateur peut projeter, de façon pertinente, qu’il lui reste encore du temps pour régler un problème technologique avec le truquiste. Le truquiste a le temps pour une première réponse brève (“oui oui”), qu’il élabore par la suite (“facile”). La dernière partie de son tour est produite en même temps qu’une descente très marquée à la fin du tour de l’animateur23, que l’équipe attend visiblement pour mettre le magnétoscope en marche. Immédiatement après la descente intonative, la scripte et le réali- sateur agissent de façon immédiate : le réalisateur fait une commutation vers un plan large ; la scripte et le réalisateur donnent le feu vert à l’insertion du sujet seulement 0.2 secondes après la fin du tour de l’animateur.

Je pense donc pouvoir constater que les membres de l’équipe ex- ploitent les pratiques de construction de tours des participants sur le plateau aux fins pratiques de la réalisation. Par une orientation vers la façon dont les participants construisent leurs tours, les membres de l’équipe arrivent à montrer à temps les aspects pertinents de l’interview aux téléspectateurs, comprendre s’ils ont encore du temps pour agir, et se manifester une atten- tion continue à l’interaction sur le plateau.

22 Voir aussi Relieu (2005), qui s’intéresse à l’enchevêtrement entre la communica- tion à distance et en co-présence.

23 Dans notre corpus de quatre éditions de Rideau Rouge se trouvent au total 12 introductions de reportages préenregistrés. Toutes ces introductions se terminent par une descente intonative très accentuée, après quoi le réalisateur ou la scripte donnent immédiatement le “top”.

(16)

3.2. Pratiques relatives à l’allocation des tours

L’équipes’orienteégalementverslaséquenceémergeante de questions et de réponses qui caractérise l’interview. Au début des extraits (3) et (4), l’animateur prend le tour pour s’adresser à un nouvel invité. Les commuta- tions que le réalisateur produit peu de temps après le début du tour de l’ani- mateur (extrait 3, l. 5, et extrait 4, l. 55) sont sans doute à la fois prévisibles et “accountables” (aussi bien pour l’équipe que pour les téléspectateurs) commeuneaction qui viseà montrer le nouveau locuteur aux téléspectateurs.

Mais ces commutations ne sont pas uniquement prévisibles à un niveau très local, où n’importe qui serait mis à l’antenne s’il commençait à parler. Un grand nombre d’études en Analyse Conversationnelle (cf. par exemple Drew et Heritage, 1992) ont décrit comment les participants construisent différents contextes en assumant des catégories d’appartenance spécifiques dans l’interaction. Dans les interviews télévisées, une de ces catégories est celle d’“animateur/intervieweur”. Ce participant a des droits et des obligations particuliers dans l’organisation sociale de l’interview : il peut normalement s’auto-sélectionner comme locuteur à tout moment dans l’interaction émer- geante (on se rappelle qu’il est entré en action à des PTPs dans l’extrait (4) ci-dessus, alors que dans (3), il est entré de façon plus interruptive), et il prend aussi une responsabilité toute particulière pour le développement de la discussion sur le plateau. L’équipe de réalisation manifeste cette compréhen- sion dans sa façon de produire sans cesse des images “antennables” (Broth, 2004, 8-10) sur ce participant, qu’il soit à l’antenne ou non. Ainsi, tout au long des extraits (3) et (4), l’animateur est couvert par des plans stables de la caméra 1.

En ce qui concerne les autres participants à l’interaction du plateau – les invités – le statut d’“interviewé” alterne entre eux au cours de l’émission.

Cette catégorisation variable transpire aussi de la manière dont les cadreurs cadrent les invités, focalisant surtout sur l’interviewé du moment et pouvant choisir de ne pas couvrir les invités qui ne sont pas en train d’être interpellés.

Ceci est le cas pour les deux invités vers qui l’animateur commence à se tourner au début de nos deux extraits : au moment où l’animateur prononce leurs noms, ni Francis Rocard, ni Alain Cirou ne sont cadrés en gros plan par aucun cadreur24. Or, cette équipe s’oriente systématiquement vers une norme selon laquelle il faut passer à l’antenne une personne présente dès qu’elle est mentionnée (Broth, à paraître). Dans les deux extraits, c’est donc la mention du nom de l’invité par l’animateur et l’orientation partagée vers cette règle normative qui permettent aux personnes en régie de comprendre les mouve- ments de caméra ultérieurs (l. 4 et 57, respectivement). Ces mouvements de caméra sont intelligibles comme des efforts pour produire le plan man- quant25, à savoir un gros plan sur l’invité qui vient d’être mentionné, mainte- nant également prévisible comme étant le prochain locuteur.

24 Alors qu’il est possible de voir Francis Rocard au loin dans un plan large de la caméra 3 au moment où l’animateur lui adresse la parole, Alain Cirou n’est visi- ble sur aucun des écrans quand l’animateur prononce son nom.

25 Cf.Schegloff(1968)pourla notion de “pertinence conditionnelle” dans la conver-

(17)

Dans l’extrait (4), cette façon de comprendre le mouvement de la caméra 2 est en fait manifeste dans la parole du réalisateur. L’emplacement précis de son énoncé “c’est à l’autre bout” (l. 59), après l’initiation du pano- ramique de la caméra et juste après un élargissement rapide, est ce qui le rend intelligible comme une réaction très probable aux mouvements de la caméra 2 (Broth, 2004), et qui dirige le cadreur 2 dans sa recherche de la bonne personne à filmer26. Tout comme les deux panoramiques en eux- mêmes, cet énoncé directif est une pratique indexicale, dont le sens peut seulement être compris si on considère les contingences indexées du moment de sa production, qu’il est possible de gloser ici comme : “ce n’est pas là où tu vas, mais de l’autre côté du groupe de participants sur le plateau, que tu vas trouver l’invité sur qui tu essayes de faire un gros plan”.

L’analyse des deux extraits me permet ainsi également de constater que, dans leur travail de réalisation, les membres de l’équipe se basent sur la façon de structurer l’interaction sur plateau – comme une interview entre un animateur et des invités – pour l’intelligibilité de leurs pratiques verbales et technologiques.

3.3. Pratiques relatives à un changement d’activité

Les événements sur le plateau qui passent à l’antenne ne sont pourtant pas toujours descriptibles comme une interview : à d’autres moments surgis- sent d’autres types d’activité, où la “paire relationnelle standardisée” (Sacks, 1972 ; Bonu et al., 1994) des catégories d’appartenance “intervieweur – in- terviewé” cesse d’être pertinente pour les participants, qui s’orientent vers d’autres pertinences régissant ces autres activités. Dans l’émission étudiée, l’introduction et la clôture de l’émission représentent de telles activités, ainsi que l’introduction d’un “sujet” (reportage préenregistré) par celui qui devient ici davantage un “animateur” qu’un “intervieweur”. Pour le travail de l’équipe de réalisation, différents types d’activité sur le plateau donnent lieu à différentes pertinences et attentes normatives.

L’enregistrement en régie documente l’orientation de l’équipe vers ces changements d’activité au sein de l’interaction du plateau. Dans l’extrait (4), aussitôt après s’être adressé à Alain Cirou en prononçant son prénom, l’animateur initie un départ de l’activité de l’interview (l. 54) pour entrer dans une autre activité, qui, par la suite, s’avère être celle d’introduire le sujet à venir. L’équipe ne s’oriente pas immédiatement vers ce changement, mais continue à entretenir la possibilité que l’invité nommé devienne aussi le locuteur suivant (cf. aussi Broth, 2006) : aux lignes 57-65, le cadreur 2

sation, qui nous semble pertinente ici également. Cette notion rend compte du fait qu’un premier événement peut créer une forte attente pour la production d’un deuxième événement, et que l’absence de deuxième événement est traitée ouver- tement comme un manque par les participants.

26 Comme ceux qui sont co-présents en régie ont un accès visuel direct au réalisa- teur, ils peuvent comprendre qu’ils ne sont pas concernés par ses paroles à cette occasion (cf. Heath et Luff, 1992b). En parlant, le réalisateur regarde intensément la partie gauche des écrans devant lui.

(18)

produit un gros plan sur ce participant, également assisté par le réalisateur dans son travail. Cependant, et juste au moment où le cadreur est en mesure de proposer une image stable (l. 65), le réalisateur montre qu’il a soudain compris que l’animateur est maintenant en train de lancer le sujet (“IL VA NOUS ENVOYER LE SUJET” l. 65).

Onpourrait se poser laquestion de savoircommentleréalisateurarrive à comprendre qu’un changement d’activité vient d’avoir lieu et que le mo- ment approche où l’équipe doit insérer le sujet. Ce qui se passe sur le plateau – et qui est percevable en régie – pendant les moments précédant l’annonce du réalisateur, est, entre autres, que : 1) l’animateur commence à s’adresser directement à la caméra (non montré dans la transcription) ; 2) l’animateur commence à parler en tant que représentant d’un groupe particulier, voire d’une équipe (“on”, l. 58, et plus tard “nous”, l. 66) ; 3) l’animateur indique que cette équipe va essayer de faire quelque chose avant la prochaine ques- tion, c’est-à-dire tout de suite. Ce faisant, il utilise aussi les mots “pédago- gie” et “Mars” (l. 62 et 64), qui sont vraisemblablement particulièrement familiers aux membres de l’équipe, puisqu’ils figurent dans le conducteur (voir image 4 plus haut).

Par son tour de la ligne 65, le réalisateur formule les actions de l’ani- mateur comme relevant d’une nouvelle activité et rend également celle-ci pertinente pour la suite du travail de réalisation. Cependant, dans cet extrait, tous les membres de l’équipe ne manifestent pas immédiatement la compré- hension d’un changement d’activité sur le plateau, ce qui nous permet d’observer comment l’équipe résoud, en interaction, une situation probléma- tique. A la ligne 73, la scripte essaie toujours d’établir l’identité du nouvel invité, et ne participe donc pas encore à la préparation de l’insertion du sujet.

Ceci donne lieu à plusieurs tentatives de normalisation, ou “réparation”

(Schegloff et al., 1977), de la situation par d’autres membres de l’équipe : l’annonce du réalisateur est répétée par un journaliste se trouvant juste derrière la scripte en régie (l. 70) ; le réalisateur regarde ses touches en disant

“il est en quoi là” (l. 72), ce qui rend pertinente la question de savoir quel magnétoscope va passer à l’antenne pour le sujet à venir (cf. la réponse du truquiste aux lignes 75 et 78, qui manifeste une telle compréhension du tour du réalisateur) ; et ensuite encore une annonce du réalisateur, cette fois-ci sous une forme plus courte “LE SUJET” (l. 76). Après cette deuxième annonce du sujet à venir, et en chevauchement sur une répétition de cette exclamation par le journaliste, la scripte y réagit finalement par “le sujet de quoi¿” (l. 79), à quoi le journaliste répond immédiatement (“le SUJET DE PÉDAGOGIE.”, l. 83). Une des responsabilités centrales de la scripte est de savoir, et d’anticiper, qui doit faire quoi tout au long de l’émission. Dans cette situation, où elle “échoue” momentanément dans l’accomplissement de cette responsabilité, il n’y a personne pour la remplacer de façon évidente.

Ce que les autres membres peuvent faire est en revanche de lui faire com- prendre quelle est la prochaine tâche urgente, à savoir d’insérer le sujet27. Au

27 Notons ici que, même si le truquiste sait manifestement quel magnétoscope utili- ser pour le prochain sujet (l. 75 et 78), il ne le prononce pas avec autorité, tout

(19)

moment où elle le comprend, la scripte reprend la situation en main et la situation redevient normale.

On peut ainsi conclure que le changement d’activité qui se produit sur le plateau dans l’extrait (4) est également un aspect qui a été rendu pertinent comme arrière-fond contextuel dans l’interaction en régie. En effet, ce n’est que par rapport aux contingences de ce changement d’activité que la pre- mière annonce d’un sujet à venir trouve son sens pratique. L’extrait (4) a permis l’observation de quelques détails dans l’interaction du plateau tels qu’ils sont observables en régie, et qui sont susceptibles de faire comprendre à l’équipe qu’un changement d’activité a effectivement eu lieu. L’analyse des orientations asymétriques dans l’interaction en régie, constituant ainsi une situation problématique, souligne toutefois aussi le caractère manifeste et interactionnel de l’intersubjectivité (Heritage, 1984). L’analyse montre comment “comprendre qu’un changement d’activité a eu lieu sur le plateau”

peut être considéré une action manifeste et “accountable”, et comment elle peut être accomplie pratiquement dans l’interaction.

4. DISCUSSION DES EFFETS D’INTELLIGIBILITÉ LIÉS À LA MÉDIA- TISATION

Dans ce qui précède, j’ai d’abord analysé une interview télévisée, pour ensuite décrire comment cette interview est exploitée comme une ressource pour l’intelligibilité des actions produites par l’équipe, dont les membres se trouvent répartis aussi bien sur le plateau qu’en régie. Pour les gens placés en régie, la perception est assurée par le dispositif technologique employé (ensemble de caméras, moniteurs, microphones et enceintes), qui est capable de produire des représentations visuelles et auditives de ce qui se passe sur le plateau et de communiquer cela à la régie.

Ce type d’accès médiatisé à l’interaction sur le plateau est pourtant susceptible d’influencer la façon dont il est possible de la comprendre en régie. Il imposeen effetunevue très différente sur cette interaction comparée à celle de la co-présence28. En régie, l’accès à l’interaction du plateau est médié d’une façon bien particulière : il y a la possibilité d’avoir une multi- tude de perspectives sur le plateau, qui sont visibles simultanément sur des moniteurs. Ce qui est visible sur les moniteurs représente les images de cinq caméras différentes, donnant lieu à un espèce de “collage” de perspectives dynamiques. Malgré cette multitude de perspectives, c’est pourtant aussi une vision partielle, dans le sens que les plans de chaque caméra ne représentent que ce qui est déjà le résultat d’une analyse de la situation de la part du ca- dreur (cf. Macbeth, 1999 ; Mondada, à paraître en 2007 ; Broth, à paraître en 2008), travaillant continuellement pour produire un plan situationnellement adéquat. Danscetteanalyse sont prises en compte aussi bien les contingences de l’interaction filmée que celles du cadreur individuel, accomplissant sa comme le fait la scripte un peu plus tard, une fois qu’elle a compris ce qui se passe.

28 Voir aussi Heath et Luff (1992a) pour une autre étude portant sur l’invisibilité pratique de phénomènes pourtant manifestement visibles sur des écrans.

(20)

tâche particulière au sein de l’équipe de réalisation depuis son emplacement précis dans l’espace du plateau. Les cadreurs rendent ainsi, dans leur façon de cadrer, certains aspects de l’interaction du plateau visuellement plus saillants et pertinents que d’autres.

Évidemment, les membres en régie peuvent seulement s’orienter vers les phénomènes qu’ils sont capables de percevoir (ou d’inférer d’après ce qu’il peuvent percevoir, cf. Heath et al., 2005). Ce qui ni ne se voit, ni ne s’entend en régie passe inaperçu. Dans les extraits analysés ci-dessus, une partie de ce qui passe inaperçu sont des ressources pourtant essentielles pour la compréhension de la structuration de l’interaction sur le plateau : les deux gestes vers lesquels les participants à l’interaction du plateau se sont orientés pour l’organisation de la parole (cf. Mondada, 2004 et 2006). Le geste de l’invité de l’extrait (1), auquel l’animateur a donné un statut de sommation, ne peut en fait qu’être compris de cette façon en régie, où il est très difficile, voire impossible, de le voir (comparer l’image 5, où ce geste peut peut-être se deviner à l’écran en bas au milieu, à l’image 1 déjà montrée ci-dessus et qui a été prise au même moment.). Cet état des choses rend très difficile une compréhension de ce geste comme s’inscrivant dans une interaction entre deux invités en aparté et du fait que ce geste peut très bien avoir été “détour- né” par l’animateur, le transformant rétroactivement en une sommation. Et comme les membres de l’équipe en régie ne peuvent pas non plus voir le geste de l’invité de l’extrait (2) (comparer l’image 6 – où Alain Cirou est complètement caché derrière l’animateur sur le plan de la caméra 4 – à l’image 2), ils ne peuvent pas comprendre que l’animateur – au moment où il commence à s’adresser à lui en le nommant – en fait répond à une requête non-verbale de cet invité pour avoir la parole (que l’animateur rejette mo- mentanément par la suite). En revanche, nous avons vu, dans les analyses présentées en 3.2 et 3.3 ci-dessus, qu’ils ont traité le début du tour de l’animateur comme projetant une interview avec cet invité.

Image 5 - “d’un instrument européen (0.5)”

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