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Quelques contributions de l'anthropologie à la connaissance du Haut Moyen Age

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Quelques contributions de l'anthropologie à la connaissance du Haut Moyen Age

SAUTER, Marc-Rodolphe

SAUTER, Marc-Rodolphe. Quelques contributions de l'anthropologie à la connaissance du Haut Moyen Age. In: Mélanges offerts à M. Paul-E. Martin par ses amis, ses collègues, ses élèves . Genève : Société d'histoire et d'archéologie de Genève, 1961.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:96161

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Extrait des « Mélanges P.-E. Martin », Genève, 1961 et Mém. Doc. Soc. Hist.

Arch. Genève, 40, 1961.

QUELQUES CONTRIBUTIONS DE L'ANTHROPOLOGIE A LA CONNAISSANCE DU HAUT MOYEN AGE

par Marc-R. SAUTER

Entre la paléontologie humaine qw, des Primates supérieurs du Tertiaire aux races du Néolithique, cherche à comprendre les processus de l'hominisa- tion et de la spécialisation raciale, et l'anthropologie sur le vivant, dont le champ d'étude est plutôt orienté vers les aspects biologiques de l'homme actuel, il y a une place largement ouverte et riche en perspective: celle qu'occupe l'anthropologie historique. Cette partie de la science des variations physiques de l'homme se donne pour mission d'étudier les modifications qu'ont subies, du Néolithique à l'époque contemporaine, les groupes humains soumis au jeu constant des pressions génétiques (métissage, endogamie, etc.) et des mouvements migratoires. C'est à elle qu'il appartient par exemple de révéler le phénomène si curieux - parce qu'indépendant de tout grand événement historique - de la « brachycéphalisation », entre le haut Moyen âge et le XIIIe siècle environ 1. C'est elle (encore qu'il s'agisse en grande partie de constatations faites sur le vivant) qui a mis en évidence cette autre modification physique:

l'accroissement de la moyenne de taille

qe

la plupart des populations européen- nes 2, nord-américaines et parfois aussi exotiques (Japon, p. ex.), dès le début du XIXe siècle, et qui doit faire appel, pour l'expliquer, aux grandes transfor- mations - presque toujours bénéfiques - dans les conditions de travail, d'hygiène et de nutrition.

Mais sans viser à de si vastes résultats l'anthropologie historique cherche à solliciter du matériel ostéologique humain recueilli le plus grand nombre possible de renseignements sur les hommes ainsi représentés; sur leur statut personnel d'abord: âge, sexe, particularités normales (par exemple la suture métopique, les caractères morphologiques individuels), pathologiques (par exemple les manifestations osseuses de la lèpre) ou traumatiques (blessures, mutilations, déformations); ensuite sur leur appartenance à des ensembles (races et mélanges raciaux, éventuellement groupes ethiques). Toutes ces données, jointes aux déductions tirées par l'archéologue et par l'historien,

1 Voir, p. ex., E. HUG, 1938. Pour le Valais, M.-R. SAUTER, 1946-47. A Genève le processus semble avoir été moins net.

2 A Genève. p. ex., assez tardivement: M.-R. SAUTER et H. KAUFMANN, 1957.

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doivent permettre de construire peu à peu, pour chaque région, une histoire anthropologique, certes, mais aussi une histoire complétant par des aspects nouveaux les synthèses élaborées à partir des textes et des monuments. Ainsi

!'anthropologiste peut revendiquer sa place dans l'ensemble toujours plus vaste des disciplines qui contribuent à faire l'histoire totale vers laquelle tendent tous les vrais historiens.

Ces quelques affirmations liminaires nous ont paru nécessaires, car trop souvent encore les archéologues, qui devraient être les fournisseurs de !'anthro- pologiste, négligent les restes osseux humains. Des squelettes par milliers ont disparu au cours de campagnes de fouilles, que ce soit dans les chantiers du monde méditerranéen oriental ou classique, ou dans les nécropoles gauloises de la Marne. Tout en proclamant que « l'homme est la mesure de tout», on a pendant des lustres fait disparaître avec mépris ce qu'il y avait de plus humain dans les vestiges qu'on découvrait! Il convient d'ajouter que cette fâcheuse politique à courte vue tend à céder la place à une conception plus ouverte des problèmes.

Pour montrer l'intérêt que peut présenter l'étude des squelettes anciens pour l'histoire, nous avons choisi quelques exemples. Le cadre de ce volume, destiné à fêter un historien ouvert à tous les horizons de la recherche, nous a incité à choisir, pour cette défense et illustration de l'anthropologie historique, la période du haut Moyen âge, à la connaissance de laquelle il a su apporter de si utiles contributions, avant de nous en faire explorer certains chemins. Nous présenterons d'abord deux cas de conclusions d'intérêt historique découlant de l'analyse raciale de séries ostéologiques provenant de cimetières de cette époque. Nous aborderons ensuite certains aspects d'une question déjà très souvent débattue, mais que des observations récentes nous font juger digne d'être reprise: celle de la déformation artificielle du crâne, plus particu- lièrement chez les Burgondes.

l. CIMETIÈRES DU HAUT MOYEN AGE ET ANALYSES RACIALES

On est revenu, en ce qui concerne les « invasions barbares », à une con- ception plus saine des faits, en atténuant l'impression de masses humaines écrasant et remplaçant les populations indigènes. Il n'en reste pas moins que le haut Moyen âge mérite le nom d'époque des migrations des peuples ( Volker- wanderungszeit) et que l'écheveau embrouillé des cheminements suivis par les groupes en mouvement a dû se traduire dans la réalité humaine par d'innom- brables mélanges ethniques dont il est bien difficile de ne pas voir qu'ils ont dû entraîner des métissages raciaux. Venus de centres de diffusion aussi éloi- gnés (géographiquement et anthropologiquement) que le Sud de la Scandinavie, pôle de la zone des· Europoïdes ( ou Blancs) de race nordique, d'une part, et d'autre part le centre et même l'Est de l'Asie, fief originel des Mongoloïdes

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ou (Jaunes), les peuples qui se sont poursuivis et heurtés dans les plaines de l'Europe, pendant plusieurs siècles, ont fatalement dû entrer en contact entre eux comme avec les « indigènes » gallo-romains et autres. Les chroniqueurs auxquels l'historien doit se référer pour tenter de saisir la façon dont ces mélanges se sont effectués ne peuvent nous donner qu'une image très déformée de la réalité, soit qu'ils en aient été les témoins partiaux (vainqueurs ou victi- mes), soit qu'ils n'en aient eu qu'une connaisssance fragmentaire.

L'anthropologiste intervient alors avec plus d'objectivité, sinon plus exhaustivement: dans le cas le plus favorable, c'est-à-dire s'il dispose de séries complètes de squelettes provenant de cimetières bien datés par l'archéologue, il peut essayer de déterminer les proportions qu'occupent les divers types raciaux qu'il y décélera. Du « spectre racial » ainsi établi il saura peut-être déduire un « spectre ethnique», ce qui n'est pas synonyme.

A ces considérations fâcheusement théoriques nous proposons de voir succéder quelques illustrations concrètes. Nous en choisissons, parmi beaucoup, deux, prises hors de la Suisse, et résolument différentes. Le premier exemple a trait à la population enterrée, au V-VIe siècle, dans le cimetière lorrain d'Ennery près Metz (Mosèlle). L'étude du mobilier par M. E. Delort 1 a permis à celui-ci de l'attribuer aux Francs; cependant cet auteur insiste sur « la persistance de beaucoup d'éléments gallo-romains». La présence, constatée avant toute étude anthropologique, de nombreux brachycéphales, confirmait aux yeux de Delort - suivi par M. E. Salin 2, cette continuité.

L'étude anthropologique du matériel osseux a été faite de façon très systématique et habile par M. M. Heuertz 3, du Musée d'Histoire naturelle du Luxembourg. Ayant décrit les caractères physiques des représentants de cette « population paisible, dont la mort a été d'ordre naturel», et constatant que la très grande majorité des squelettes de sexe déterminable sont masculins, il se demande si cette disproportion ne reflète pas « un état spécial de la popu- lation ou des mœurs ». Un essai d'explication lui paraît résider dans le fait qu'on peut distinguer deux catégories de sujets masculins: les «armés», dont la tombe contenait scramasaxe ou lance (10) et les « non armés» (20); mais une analyse statistique poussée a démontré que ces deux catégories ne diffèrent pas l'une de l'autre par leurs principales caractéristiques anthropologiques.

Sur le plan racial par contre l'auteur établit deux groupes: l'un (A), assez hétérogène, mais avec prédominance de la dolicho-mésocéphalie; l'autre (B), minoritaire, serait de plus grande taille et plus brachycéphale, répondant à la diagnose de la race dite lorraine. Acceptant tout d'abord l'attribution de ce cimetière à des Francs, Heuertz essaie de faire cadrer ses conclusions avec

1 E. DELORT, 1947.

2 Ed. SALIN, 1, 1950, p. 327.

3 M. HEUERTZ, 1957.

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celles des archéologues; il verrait alors « un groupe mixte composé de Francs (sous-groupe A, deux tiers du nombre) et d'indigènes (sous-groupe B, un tiers du nombre). On aurait donc affaire effectivement à des Francs venus par voie directe, en remontant le Rhin et la Moselle, et associés aux indigènes » (p. 136).

Cependant l'anthropologiste luxembourgeois croit pouvoir faire abstraction des « prémisses de l'archéologie qui a assigné au cimetière l'étiquette de 'franc'»; il se demande si le groupe A ne serait pas « un élément ethnique du complexe burgondo-alaman », hypothèse « que ni la date du cimetière ni les derniers résultats de la linguistique (R. Bruch, Th. Frings) n'excluent» (p. 137).

Il ne nous appartient pas de prendre ici parti dans cette discussion; nous nous contentons de cette démonstration de l'utilité que peut avoir, à côté de l'analyse archéologique et historique, l'étude anthropologique, ne serait-ce que pour poser des questions et proposer de nouvelles solutions.

Le second exemple nous -transporte en Hongrie, terre privilégiée pour les anthropologistes, à cause de l'histoire mouvementée de cette plage européenne des steppes asiatiques, où sont venues battre tant de vagues déferlant de l'Orient d'où elles apportèrent fatalement des éléments raciaux étrangers à notre con- tinent: les Mongoloïdes.

Le travail archéologique et anthropologique très sérieux de nos collègues magyars a accumulé une documentation de grande valeur, d'où nous extrayons ce qui concerne les deux cimetières d'Üllo (comitat de Pest), à 24 km au SE de Budapest. Leur description est le fait de Horvath pour Üllo I et de S6s 1 pour Üllo II; ces deux nécropoles ne sont séparées que par deux km. L'analyse archéologique a de plus montré que le cimetière I devait être subdivisé en deux (nord-ouest et sud-est), ce qui signifierait que « chaque groupe était le lieu de sépulture de clans appartenant à de plus vastes communautés sociales distinctes» 2Le cimetière II contiendrait les restes d'un troisième clan. Mais les trois groupes sont synchrones (VIIIe siècle après J.-C.).

Cette disparité sociale à l'intérieur d'une communauté relevant d'un même groupe ethnique et culturel - les Avars - donne un grand intérêt à l'opinion de l'anthropologiste. On peut et doit se demander jusqu'à quel point, dans une région et à une époque si riche en mouvements ethniques, une telle diffé- renciation sociale répond à des variations d'ordre racial.

On sait en effet que l'histoire des Avars a ses racines dans l'Asie centrale, et qu'on y trouve mention de peuples mandchous. La question se pose par exemple de savoir si l'on peut déceler des variations dans la participation des Mongoloïdes - et de quelles races mongoloïdes - à la composition des Avars

1 T. HoRVATH, 1935. - S6s, A. Cs., 1955.

2 S6s, 1955, p. 225.

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d'Üllo. L'enquête anthropologique que M. P. Liptak 1 a consacrée en 1955 aux squelettes des deux cimetières de ce site répond largement à cette question.

L'analyse raciale qu'il donne des trois groupes reconnus par les archéologues l'amène à des constatations du plus vif intérêt. Tout d'abord il constate qu'il y a de très nettes différences dans le « spectre racial » de ces trois groupes;

puis que ces différences selon les divisions sociales se doublent d'un dimor- phisme sexuel tout aussi net. Les diagrammes de la fig. 1 2 mettent en évidence

NW U.I SE

FIG. 1. Cimetières avars d' Üllo (Hongrie). Composition raciale de la population. Le noir indique la proportion de Mongoloïdes, le reste des diverses races euro- poïdes. ü. I: Üllo I - nord-ouest ( NW) et sud-est (SE). Ü. II: Üllo Il.

( D'après Liptizk, 1955, fig. 23, p. 275).

cette diversité de manière plus parlante qu'un tableau de chiffres. On y voit que c'est le groupe d'Üllo !-nord-ouest qui comprend la plus forte proportion de Mongoloïdes, les gens d'Üllo II étant presque exclusivement europoïdes.

Dans les trois groupes les Mongoloïdes sont relativement plus fréquents chez les femmes, la plus grande asymétrie s'observant à Üllo !-nord-ouest (Mongo- loïdes, hommes 42

%,

femmes 82

%).

Liptak explique ce phénomène par une exogamie virilocale, à condition d'admettre que les cimetières n'ont pas duré plus d'une ou deux générations. Parmi les Mongoloïdes représentés !'anthro- pologiste hongrois reconnaît trois éléments raciaux: un type sinien, qui témoi- gnerait du fait « que les tribus avares comprenaient aussi des éléments ethni- ques originaires des régions est de l'empire des Jouan-Jouan» (p. 285), un type toungouzien centre-asiatique et un type touranien originaire de l' Altaï.

Dans quels textes de quel chroniqueur du VIIIe siècle trouverait-on dè quoi connaître ces phénomènes, où le social (les clans exogamiques) se double du racial (les femmes qu'on allait demander dans les groupes mongoloïdes)?

La collaboration de l'archéologie et de l'anthropologie vient offrir là un faisceau de données nouvelles et de vérifications précises.

1 P. LIPTÂK, 1955.

2 Ces graphiques sont extraits de la fig. 23, p. 275, de l'étude de LIPTAK, 1955.

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IL DÉFORMATION CRANIENNE ARTIFICIELLE. HUNS ET BURGONDES Depuis que l'anthropologie existe elle a voué une attention particulière à la déformation artificielle du crâne. Cette pratique offre quelque chose d'insolite, et si elle relève, en tant que coutume, de l'ethnographie et de l'archéologie, elle pose aussi des qu~stions à !'anthropologiste, qui cherche à comprendre les divers procédés utilisés pour donner lentement au crâne plastique de l'enfant une forme nouvelle, et les conséquences de cette opération sur l'encéphale, d'une part, sur l'architecture cranienne, d'autre part. Il existe sur ce sujet une vaste littérature.

Par~ les régions qui, anciennement ou actuellement encore, ont connu ou connaissent la déformation artificielle du crâne, l'Europe s'inscrit en bon rang. A plusieurs moments de sa préhistoire (au Néolithique par exemple) 1 et de son histoire, des groupes ont sacrifié à cet usage. Ce fut le cas de certaines populations du haut Moyen âge 2

Or une monographie récente d'un grand spécialiste de cette époque, le professeur Joachim Werner (Munich) 3, a redonné à la question de la déforma- tion cranienne artificielle un intérêt nouveau; nous y avons trouvé matière à réflexion, et nous avons été amené à une recherche dont nous rapportons ici les principaux éléments et la conclusion.

Werner s'est attaché à mettre en évidence les traces archéologiques de l'influence qu'ont exercée les Huns en Europe. Cela l'a naturellement amené à rechercher plus à l'Est, en direction des terres d'origine de ce peuple nomade, les éléments de la civilisation matérielle qui les caractérisent, et qui ont pu persister pendant que migrait à travers l'Europe la masse humaine hétéroclite formée de groupes entraînés par les dominateurs huns. Les éléments culturels que retient Werner sont, d'une part certaines pièces de l'armement du guerrier et du harnachement du cheval, des parures du costume féminin, des motifs décoratifs à signification magico-religieuse, d'autre part la déformation cra- nienne.

Ce dernier trait, l'archéologue munichois en étudie avec soin la répartition géographique et chronologique, entre le Tianchan, où les kourganes du groupe mongolique de Kenkol en offre le témoignage, malheureusement mal datable entre le 1er et le ve siècle ap. J.-C., et l'Europe centrale de la fin du ve siècle,

1 P. ex. à Guiry (Seine-et-Oise): H. LAGOTALA, 1921.

2 On peut signaler à ce sujet que l'une des premières mentions de la pratique de la déformation cranienne à cette époque a été faite par L.-A. GossE, 1855, puis par son fils H.-J. GOSSE à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Genève (1855 et 1859), à propos des crânes déformés de Villy près Reignier et de Bel-Air

~ur Lausanne.

3 J. WERNER, 1956.

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en passant par la Basse-Volga, où les Sarmates des JIJe-Jve siècles ont adopté cette coutume 1. Ainsi donc la déformation cranienne serait, pour les régions en cause, le fait d'un groupe mongoloïde (racialement parlant), qui en aurait apporté la pratique à un peuple europoïde (et linguistiquement indoeuropéen), les Sarmates, au début du IIIe siècle après.J.-C. De là on peut en suivre la diffusion, d'un côté vers le Caucase, où la coutume se perpétuera longtemps chez les Alains et les Ossètes, d'un autre côté vers l'Ou~st, en Crimée (groupes goths) et dans les steppes russes. Au début du ve siècle et plus tard encore on la· voit se manifester aussi en Hongrie, dans des cimetières attribués aux Huns (sans toutefois qu'elle soit généralisée), ainsi qu'en Basse-Autriche et en Tchécoslovaquie, dans des cimetières que l'archéologie qualifie de germa- niques, alors que l'anthropologie a décelé dans certains d'entre eux des crânes à caractères mongoloïdes. Les Lombards et les Gépides ont aussi adopté sporadiquement cette coutume, ainsi que, plus au nord, les Thuringiens (autour de 500). Les Bajuvares, les Alamans et les Francs semblent avoir ignoré cette pratique. Un crâne déformé signalé à Strasbourg serait de basse époque romaine et pourrait, selon Werner, être attribué à un soldat hun ou alain 2

L'absence de déformation chez les Francs et les Alamans rend d'autant plus surprenante l'existence d'une série de crânes déformés en territoire bur- gonde. La liste que publie Werner 3 comprend huit localités, mais elle doit être quelque peu modifiée et complétée. Nous reprenons son énumération en y apportant les précisions utiles.

Saint-Prex (distr. Morges, Vaud). Il y a eu là un très vaste cimetière, dont quelques tombes (en pleine terre et, plus récentes, en dalles) ont été trouvées avant 1870 4, à l'Est de l'église, puis vers 1910 par A. Naef, et dont le gros, comprenant 274 sépultures, surtout en pleine terre, a été fouillé systéma- tiquement, au lieu dit Au Vieux-Moulin, par MM. E. Pelichet, archéologue cantonal, et Ph. Biro, au cours de la destruction du terrain par une pelle mécanique, en 1951-52 5Cette nécropole daterait de la fin du ve siècle et du début du VJe siècle; elle témoignerait donc, tout comme celle de Saint-Sulpice (distr. Lausanne), à laquelle elle se rattache étroitement, de l'installation des Burgondes au Nord du Léman, à la deuxième et au début de la troisième génération après la migration de 443.

1 J. WERNER, 1956, B, carte I, pl. 71 et carte 9, pl. 73.

2 H. ULRICH, 1957, reprend la description de ce crâne de Strasbourg (qu'il qualifie de féminin), et y ajoute deux autres crânes déformés alsaciens, tous deux du haut Moyen âge et féminins (Dachstein et Cronenbourg, Bas-Rhin).

3 J. WERNER, 1956, A, p. 113. Fundliste I (Schiideldeformation). Q. Burgundi- sches Gebiet (Q. 167 à Q. 174).

4 D. VIOLLIER, 1927, p. 291 (Bibliographie).

5 E. PELICHET, 1952. - SSP, 1952, p. 104. - Ed. SALIN, II, 1952, fig. 153 bis, p. 322, publie une boucle de ceinture provenant de ces fouilles.

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187

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236 à

FIG. 2. Cimetière burgonde de Saint-Prex (Vaud). Fouilles de 1951-52. Crânes déformés (orientés sur le plan de Francfort). Ech.: 3:10.

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Le Musée historique cantonal (actuellement Musée cantonal d'Archéologie et d'Histoire) possédait au début du siècle un crâne déformé provenant de Saint-Prex. Il a malheureusement disparu, mais

il

en existe des moulages;

c'est probablement l'un d'eux qu'A. Schenk offrit à la Société d'Anthropologie de Paris 1 . On peut l'attribuer à un sujet masculin adulte. Il semble y avoir eu un autre crâne déformé, faisant partie d'un groupe de crânes de Saint-Prex (sans autre indication) ayant appartenu au Dr F. A.-Forel à Morges et devenu propriété du Musée de Lausanne (n° F.A.F.617); mais il a aussi disparu.

Il existe heureusement une photographie de ces deux crânes, qui permet · de penser que le second est plutôt féminin, mais aussi adulte 2

Dans la série des squelettes recueillis lors des fouilles de 1951-52, dont M. E.

Pelichet nous a confié l'étude, nous avons reconnu quatre crânes notoirement déformés (fig. 2) et deux autres dont nous sommes moins sür. Les quatre premiers appartiennent, deux au sexe masculin, deux au sexe féminin. Toutes ses têtes proviennent de tombes en pleine terre. Nous reviendrons sur ce matériel, sur lequel nous avons déjà attiré l'attention par une note sommaire 3 •

Bel-Air (comm. et distr. Lausanne, Vaud). Le crâne déformé qui provient de cet important cimetière, fouillé en 1838 par F. Troyon, a été reconnu par celui-ci 4; il en a envoyé un dessin au nr L.-A. Gosse (1855) et à son fils H.-J. Gosse (1859), à Genève, qui l'ont publié. Il proviendrait d'une tombe - sans mobilier - de la couche inférieure. Ce crâne (n° 68) est introuvable au Musée de Lausanne, où sont déjà les squelettes de ce cimetière. Il est qualifié par Gosse de masculin, mais A. Schliz 5, se fiant à la représentation qu'en ont donnée His et Rütimeyer (1864), penche pour le sexe féminin.

Nous avons cru pouvoir, après Fr. Schwerz, mettre au nombre des crânes déformés, faiblement il est vrai, une autre tête osseuse - masculine adulte - de cette série (n° 664), qui a été figuré comme normal par His et Rütimeyer 6

Creux-de-Genthod (comm. Genthod-Bellevue, distr. Rive-droite, Genève).

Au lieu dit La Maladière, au NW de la propriété de Saussure (actuellement Firmenich), un grand cimetière a été détruit par les travaux successifs d'établis- sement de la voie ferrée Genève-Lausanne et d'élargissement de la route de Suisse, dès avant 1838. Il n'y a jamais eu de fouille systématique. Ce cimetière a certainement duré du Bas-Empire à l'époque carolingienne. Une des dernières

1 G. HERVÉ, 1901, p. 583. - Ce moulage se trouve au Musée de l'Homme à Paris (n° NF 74). Nous remercions le professeur H.-V. Vallois, directeur, et Madame P. Marquer, de nous avoir fourni ce renseignement.

2 Nous remercions MM. R. Wiesendanger, conservateur du Musée cantonal d'Archéologie et d'Histoire à Lausanne, et E. Hennard, préparateur, qui nous ont facilité les recherches dans les collection$ dont ils ont la garde.

3 M.-R. SAUTER, 1954/55.

4 F. TROYON, 1841. - D. VIOLLIER, 1927 (Bibliographie). - TROYON, dans une lettre du 16 octobre 1863, a précisé la provenance de ce crâne: His et RüTIMEYER, 1864, p. 58.

5 A. SCHLIZ, 1905, p. 203. - His et RüTIMEYER, 1864, Besondere Formen.

6 F. ScHWERZ, 1915, p. 165-166; fig. 50 et 52. - M.-R. SAUTER, 1939, p. 355- 357 et fig. 2, 1941, p. 92. - Hrs et RünMEYER, 1864, Besondere Formen. Ce crâne y porte le n° 644, mais nous croyons pouvoir l'identifier au crâne n° 664 du Musée de Lausanne.

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tombes à dalles fouillée daterait, d'après R. Moosbrugger-Leu, de la seconde moitié du vie siècle 1

Nous avons publié en 1939 la description d'un crâne déformé, probablement masculin, adulte, malheureusement très incomplet, trouvé en 1927 lors de la découverte de quatre sépultures dont trois en pleine terre (une avec 2 fusaïoles et une breloque en bronze) et une en dalles. On ne sait malheureusement pas à quelle catégorie appartenait la tombe qui a livré ce crâne 2

Gaillard (canton d'Annemasse, arr. de Saint-Julien, Haute-Savoie). Ce fragment de calotte cranienne, probablement masculine, et adulte, a été trouvé par le professeur Eug. Pittard dans une tombe à dalles. On ne sait rien de plus à son sujet 3.

Villy (comm. et canton de Reignier, arr. de Saint-Julien, Haute-Savoie).

L.-A. Gosse (1855) et H.-J. Gosse (1859) n'ont figuré qu'une calotte cranienne déformée 4, mais le second de ces auteurs parle, dans sa première «Notice ... » (1855), de la « conformation extraordinaire de quelques-uns des crânes trouvés à Villy, tous appartenant au sexe masculin» 5, entendant par là (la suite l'indi- que, la déformation artificielle. Le sexe masculin du crâne figuré est mis en doute par Schliz 6 Il est très regrettable qu'on ignore tout du mobilier des tombes de ce cimetière.

Annecy (Haute-Savoie). C'est sur la foi d'une affirmation de Marteaux que nous avons réuni à ce groupe un crâne trouvé aux Fins d'Annecy (la Boutae gallo-romaine), dans un terrain où l'on avait découvert des sépultures à mobilier qualifié de burgonde 7

Voiteur (arr. de Lons-le-Saunier, Jura). Ce crâne, trouvé au lieu dit en Aiche, fait partie du matériel squelettique exhumé de tombes à dalles dont certaines ont livré des objets (plaque damasquinée, etc.); toutefois la tombe d'où il a été extrait ne contenait aucun mobilier. Depuis sa description par Broca (qui n'a déterminé ni son âge ni son sexe) il a été publié à plusieurs reprises. D'après la planche de Chantre où il est figuré pour la première fois, il s'agirait d'un sujet masculin adulte 8

1 R. MONTANDON, 1922, p. 173 et 198. - L. BLONDEL, 1955, p. 125-127.

SSP, 1956, p. 78.

2 M.-R. SAUTER, 1939, p. 357; 1941, p. 92. -L. BLONDEL, 1928, p. 28. -Croquis ms de L. REvERDIN. - Institut d' Anthropologie de l'Université de Genève, n° 1939-42.

3 M.-R. SAUTER, 1939, p. 357, 1941, p. 92. - Institut d'Anthropologie, n° 1939-41.

4 L.-A. GossE, p. 43 et pl. III, 5. - H.-J. GossE, 1855, p. 7; 1859, pl. I, 1. - Ce crâne se trouverait, d'après L.-A. GossE, au « Musée anthropologique de Paris». Il n'est pas au Musée de l'homme. - SAUTER, 1939, p. 358; 1941, p. 92.

5 H.-J. GossE, 1855, p. 7. C'est nous qui soulignons.

6 A. SCHLIZ, 1905, fig. 1, p. 192, publie un dessin censé représenter le crâne de Villy, mais muni de sa face, alors que celle-ci manque dans le dessin des GossE.

Or Schliz ne paraît pas avoir eu le crâne entre les mains; il pourrait donc s'agir d'une confusion (mais avec quel crâne?).

7 Ch. MARTEAUX, « Revue savoisienne», 43, 1902, p. 177. - M.-R. SAUTER, 1939, p. 358.

8 MORETIN, 1864, p. 383. - P. BROCA, 1864, p. 385. - E. CHANTRE, 1880, pl. 49. Cet auteur le fait à tort provenir d'un tumulus hallstattien. - M.-R. SAUTER, 1939, p. 359.

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Werner fait état, dans sa liste, de deux crânes déformés de Corveissiat (Ain). Il s'agit d'une confusion: en effet ces crânes (figurés par Chantre) ont été trouvés dans un tumulus hallstattien, et n'ont donc rien à voir avec les tombes à dalles découvertes en 1880 ou 18811

En dépit de la suppression de ce dernier site, on peut estimer à une quinzaine le nombre de crânes artificiellement déformés trouvés dans des sépultures, dans sept localités du territoire burgonde. C'est là "un chiffre remarquable.

On doit regretter une fois encore de ne pouvoir dater la grande majorité de ces crânes. Mais le témoignage de Saint-Prex, où l'on est en présence d'une population des premiers temps de l'occupation burgonde, est d'un assez grand poids dans ce qui va suivre pour que les autres documents en acquièrent indirectement de l'intérêt. Groupons auparavant, dans la mesure du possible 2, les indications relatives au sexe et à l'âge des crânes en cause. Nous les donnons au tableau 1.

Tableau 1. Sexe et âge à la mort des crânes déformés trouvés en territoire burgonde

Localité Désignation du crâne Sexe Age appro-

ximatif Saint-Prex Crânes anciens (perdus):

1 (moulage et photo) 6 adultus 2 (FAF 617, photo) 'il? ad.-maturus

Crânes de 1951-52: 187 6 senilis

236 6 maturus

165 'il senilis

101 'il adultus

Bel-Air 68 (perdu, dessins) 6 adultus

664 (= 644?) 6 adultus

Genthod 1939-42 6 senilis

Gaillard 1939-41

3?

senilis

Villy 1 (dessins) (Gosse)3

t

adultus (Schliz) 'il

plusieurs autres (?) ? ?

Annecy ? ?

Voiteur (dessin) 6 adultus?

1 E. CHANTRE, 1880, pl. 46-47. - F. VERNE, 1881, p. 442.

2 Il faut insister sur les difficultés qu'il y a souvent à déterminer le sexe des crânes déformés: la déformation a fréquemment pour effet de modifier certains des caractères utilisés habituellement pour la diagnose. Il en va de même de la déter- mination de l'âge à la mort: l'examen du degré et du rythme de sysnostose des sutures de la voûte cranienne est troublé pade fait même des pressions qui se sont exercées sur le crâne de l'enfant; ainsi lorsque les dents (dont le degré d'usure n'est du reste pas un bon critère) manquent, on risque de lourdes erreurs. Il semble toutefois que la déformation artificielle ait pour effet de retarder la synostose;

lorsque celle-ci est avancée, on est donc certainement en présence de personnes âgées.

(13)

Ce tableau démontre que, contrairement à ce que pensait Werner, la déformation cranienne n'était pas une mode uniquement féminine. On y voit aussi qu'il s'agit exclusivement de sujets adultes, mais que seuls quelques- uns sont des vieillards. Cependant il faut ajouter que très souvent on a négligé de recueillir ou d'étudier les squelettes d'enfants, et que l'on ne peut pas tirer parti de cet argument a silentio pour décider de la date de l'extinction de la coutume.

Devant la relative fréquence de la déformation cranienne artificielle chez les Burgondes, Werner se demande pour quelle raison ceux-ci ont emprunté aux Huns cet usage si particulier. Il invoque l'histoire des deux peuples au début du

ve

siècle: les Burgondes, lors de leur établissement sur le Rhin moyen, ont eu des contacts guerriers avec les Huns. L'archéologue allemand suggère que leurs relations auraient pu être en réalité celles de soumis (les Burgondes) à dominateurs (les Huns). Si l'on admettait cette façon de voir, on pourrait se demander si la bataille victorieuse des premiers sur Octar, oncle d'Attila, en 430, « n'aurait pas représenté une révolte couronnée de succès contre la domination hunnique » (p. 17), avant le contrecoup de 436, où ils ont été défaits par les Huns manœuvrés par l'habile Aétius.

D'autres indices, archéologiques ceux-là, témoigneraient des influences venues des régions danubiennes chez les Burgondes au début du

ve

siècle:

c'est, dans la riche sépulture de Wolfsheim (Hesse rhénane), un certain nombre de pièces d'habillement et d'ornement d'origine orientale (y compris un pectoral en or portant une inscription en pahlevi); c'est surtout, chez nous, dans la tombe 57 de la grande nécropole de Saint-Sulpice (Vaud) 1, le fragment de miroir métallique circulaire; ce type de miroir est caractéristique de la civili- sation nomade de l'Europe centrale, et sa présence sur le Léman, alors que sa zone de répartition s'arrête, à l'Ouest, à Vienne (Autriche), indique au moins un contact par troc.

Werner propose d'attribuer les crânes déformés trouvés dans les sépultures de la région burgonde à des gens qui auraient subi la déformation dans leurs premières années, avant la migration de 443. Le tableau 1 montre que les crânes de notre liste sont ceux d'adultes (avec la restriction faite ci-dessus au sujet de l'absence de crâne d'enfant); mais si certains sujets avaient atteint la vieillesse ( senilis), d'autres sont plus jeunes. C'est le cas à Saint-Prex. On attend avec intérêt le résultat de la datation des tombes de ce cimetière. S'il s'avérait que le mobilier des sépultures d'individus déformés peut être de la seconde moitié du

ve

siècle, l'hypothèse de Werner se verrait partiellement confirmée: la déformation cranienne, tout comme le miroir métallique circu-

1 M. REYMOND, MOLIN, A. de, & J. GRUAZ, 1911, p. 149 et pl. XX, 13. - J.

WERNER, 1956, A, p. 22-23, 118, et B, pl. 48,8 et carte 10, pl. 74.

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laire de Saint-Sulpice, en territoire burgonde, serait le résultat de l'influence culturelle des Huns pendant le premier tiers du ye siècle.

*

* *

Nous nous proposons de montrer que, plus encore que l'influence culturelle, on peut se demander si les Burgondes du royaume rhénan n'auraient pas subi de la part des Huns une action anthropologique, et si, parmi les Burgondes venus s'installer en Sapaudia dès 443, il n'y aurait pas eu des traces d'un métis- sage mongoloïde.

C'est l'examen détaillé des squelettes - surtout des crânes - de Saint-Prex qui nous a amené à soulever cette question. En effet, dès que nous avons eu ce matériel en main, nous avons été frappé par le fait qu'il ne ressemblait pas aux autres séries de squelettes du haut Moyen âge de cette région; indépen- damment de sa remarquable hétérogénéité morphologique, conséquence d'un intense métissage, c'est la ressemblance de certains crânes avec ce que les photographies des publications hongroises nous montraient des types rencon- trés dans les cimetières avars, par exemple. Certes l'analyse systématique ne nous a pas permis de sélectionner tels crânes comme étant plus particulièrement mongoloïdes. On ne trouve pas, par exemple, l'aplatissement de la face si spécifique des races jaunes, mais l'impression restait d'une population diffé- rente des autres groupes locaux contemporains de nos régions,par la présence de caractères non nordiques (alors que ceux-ci sont patents par exemple dans le cimetière plus tardif - et plus homogène, racialement parlant - de Ba vois, Vaud) 1, et non alpins.

Nous avons alors porté notre attention sur les caractères dentaires, dont certains sont plus spécifiquement mongoloïdes (sans être exclusivement et unanimement présents chez les Jaunes). Parmi ceux-ci nous n'avons retenu pour l'instant que deux: l'extension de l'émail des molaires et les incisives

« en pelle» 2Sans vouloir exposer le détail de nos constatations (qui seront publiées ailleurs), nous devons fournir quelques explications préliminaires, résumer nos observations et donner les déductions qui nous paraissent en résulter 3

1. Extension de l'émail des molaires (fig. 3 et 4). On observe assez fréquem- ment sur les molaires des populations jaunes d'Asie et d'Amérique (Esquimaux) que la limite de l'émail et du cément de la face vestibulaire (externe) de la couronne, au lieu de présenter un tracé simple, rectiligne ou légèrement incurvé

1 M.-R. SAUTER, 1949/50, p. 10.

2 P. O. PEDERSEN et H. THYSSEN, 1942. - P. O. PEDERSEN, 1949. - E. K.

TRATMAN, 1950. - G. W. LASKER, 1951, p. 196-197 et fig. 5 et 4.

3 M.-R. SAUTER et P. MOESCHLER, 1960 (à paraître).

(15)

Fm. 3. Variations de la forme du bord de l'émail des molaires. Classification selon Pedersen et Thyssen, 1942 ( d'après Lasker, 1950, fig. 5, p. 196). Voir le texte.

vers le haut ou vers le bas (fig. 3, n°8 1 à 3), comme dans la très grande majorité des dents chez les Blancs, dessine un appendice en direction du sillon séparant les racines; cet appendice peut offrir plusieurs degrés d'élongation: c'est un léger triangle (n° 4), ou une pointe qui n'atteint pas le sillon des racines (n° 5), enfin l'émail passe résolument entre les racines (n° 6). Deux autres cas plus rares peuvent se présenter, surtout sur des molaires à racines soudées: l'émail forme un petit nodule hémisphérique (en allemand Schmelzperle), soit à la limite de l'émail (n° 7), soit à une certaine distance de celle-ci (n° 8). Si les formes n°8 4 à 8 peuvent se présenter dans d'autres races, il n'en reste pas moins qu'elles atteignent chez les Mongoloïdes des fréquences assez fortes.

Ajoutons avec Lasker que l'on ignore tout du mode de transmission génétique de ce caractère (presque impossible à observer sur le vivant, sauf

D

46 ., ...

1

233

FIG. 4. Cimetière burgonde de Saint-Prex (Vaud). Quelques exemples de molaires à extension de l'émail: 187, crâne masculin déformé. - 46, crâne féminin, M1 g. - 63, crâne masculin, molaires droites. - 233, molaire avec nodule (type 8), crâne masculin. Ech.: 1,3: 1.-

(16)

sur des dents extraites); cependant, à en croire Keller (cité par Lasker), cer- taines défectuosités de l'émail seraient dominantes.

Or l'examen des dents des Burgondes de Saint-Prex nous a permis de constater des proportions étonnantes des types nos 4 à 6. Sur 30 crânes ayant conservé au moins 3 molaires, 19 possèdent une ou plusieurs molaires à exten- sion d'émail; 8 ont au moins une molaire des types 5-6, et même 8 (un cas, n° 233, v. fig. 4). Aucune autre série contemporaine de celle-ci, dans nos régions, ne donne autre chose qu'un ou deux cas isolés 1.

Il n'est pas sans intérêt de constater que le crâne déformé le plus complet (n° 187, masculin, le seul ayant conservé sa denture) a sur 11 molaires présentes 10 dents des types 4, 5 ou 6 (fig. 4).

2. Incisives « en pelle». L'examen (non systématique pour le moment) des incisives nous a montré que le caractère mongoloïde des incisives « en pelle » se trouve dans un certain nombre de dentures de Saint-Prex.

A notre connaissance il n'existe pas d'étude relative à la présence et à la fréquence de ces caractères dans des séries de crânes de nomades du haut Moyen âge de l'Europe centrale et orientale (Huns, Avars, etc.). Nous pro- posons cette tâche à nos actifs collègues hongrois et soviétiques. Nous croyons cependant admettre provisoirement que cette fréquence doit y être élevée, en fonction de celle du mongolisme racial.

Est-ce à dire que nous nous sentions autorisé à déduire de cette analyse la présence, dans la population de Saint-Prex, de Huns mongoloïdes? Ce que nous avons dit de la difficulté de déceler des traits morphologiques mongoloïdes sur les crânes nous incite à une grande prudence. Nous nous jugeons toutefois fondé à émettre l'hypothèse suivante: ces caractères dentaires auraient été introduits, avec d'autres, dans la population burgonde établie sur le Rhin moyen au début du ye siècle, au moment où elle était en contact - belliqueux ou non - avec des Huns, composés pour une part de Mongoloïdes. Un certain nombre d'individus - on peut penser que ce sont des femmes - de race jaune (pure ou métissée) sont devenus des Burgondes, ethniquement parlant. Ils ont infusé dans leur peuple d'adoption certains traits génétiquement dominants (dont les caractères dentaires mentionnés ci-dessus), qui ont continué à se transmettre après l'établissement des Burgondes en Sapaudia, leur métissage avec la population indigène et leur extension vers le Nord et l'Ouest.

Ainsi donc il y aurait eu, en même temps, contamination culturelle et contamination raciale 2, toutes deux faibles, du reste, des Burgondes par les Huns. On pourrait nous rétorquer que les Nibelungen témoignent du peu de

1 F. SCHWERZ, 1915, fig. 56, p. 176, donne la photographie d'une molaire d'Alaman (de Suisse) de type 7 ou 8 racines séparées).

2 Le mot contamination est pris ici dans un sens objectif, sans aucune acception de valeur.

(17)

considération que les Burgondes portaient à l'endroit de leurs v01sms et adversaires huns. Mais entre l'expression écrite (chronique ou légende) des sentiments d'un peuple et la réalité humaine, biologique et démographique, il y a le plus souvent un grand écart.

Il n'est évidemment pas exclu que l'un ou l'autre des crânes déformés les plus âgés (St-Prex, n°8 165 et 187, Genthod et Gaillard) représente un sujet déformé avant 443; mais on ne peut rien affirmer, tant à cause de l'impossibilité de dater avec quelque certitude les tombes dont ils proviennent que de la difficulté qu'il y a à préciser sur des crânes incomplets et le plus souvent privés de la face, l'âge à la mort. Si l'on admet que tel sujet a eu son crâne déformé avant 443, cela signifie qu'il serait né vers 440; si l'on admet - sous réserve des conclusions de l'étude archéologique projetée - que le cimetière de Saint- Prex a commencé vers 500, il en résulterait que ce sujet serait mort à 60 ans.

Cela est acceptable dans le cas des crânes les plus synostosés, mais pas pour les autres. Il faut donc admettre que la coutume de la déformation cranienne a persisté encore quelques années, et que des enfants burgondes ont subi, sur les rives du Léman, l'opération de la ligature de la tête, en vertu d'une tradition à peine centenaire. Le contact quotidien avec la population indigène, formée par les traditions celtiques et romaines, et l'évolution rapide des conditions politiques et sociales dans le royaume burgonde ont très vite dü faire paraître sans objet cette coutume barbare.

Les multiples restrictions que nous avons été obligé de faire, et qui sont la conséquence du manque de documents complets et bien datés, montrent la voie à suivre: prélever avec soin tous les restes squelettiques - dents com- prises - lors des fouilles à venir dans des tombes du haut Moyen âge en pays burgonde (et d'ailleurs aussi, naturellement!), en distinguant ces os tombe par tombe, de façon à pouvoir établir d'éventuelles corrélations; examiner le détail des caractères qui, tels ceux que nous avons énumérés, permettent de percevoir la présence d'éventuels traits mongoloïdes. La minutie que cela exige du fouilleur puis de !'anthropologiste, nous pensons avoir prouvé qu'elle sera scientifiquement rentable; elle profitera en définitive à la connaissance de l'histoire de notre pays au cours de ce haut Moyen âge encore si obscur, en dépit des efforts de ceux qui, comme le jubilaire à qui nous dédions cette note, ont tenté avec succès de mettre de l'ordre et de la clarté dans tant de problèmes.

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