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Pierre Poupo: recherches sur le sacré et le profane dans la poésie religieuse du XVIe siècle

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Pierre Poupo: recherches sur le sacré et le profane dans la poésie religieuse du XVIe siècle

JEANNERET, Michel

JEANNERET, Michel. Pierre Poupo: recherches sur le sacré et le profane dans la poésie religieuse du XVIe siècle. Bulletin annuel de la Fondation suisse, 1965, no. 14, p. 16-31

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23308

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PIERRE POUPO

RECHERCHES SUR -LE SACRÉ ET LE PROFANE DANS LA POÉSIE RiiLIGIEUSE DU. XVie SIÈCLE

Le renouvellement des ·formes de dévotion, au xvi•, siècle;· 1a renaissance des études scripturaires, l'insertion profonde du religieux dans la vie politique et sociale, tout cela favorise le développement d'une poésie chrétienne très diverse. Celle-ci revendiqué bien haut on ·peut

y

reconnaître un de ses carâc- tères communs - sa différence d'avec la· Iîttérature' profane, comme si le même topos, tenace,. devait conférer aux çeuvres religieuses, dès la préface, un cachet d'authenticité. A y regarder de plus près, cependant, on découvre, dans :la plupart de ses productions, de singulières compromissions avec le siècle : pour les thèmes et pour le style, poésie religieuse et poésie mondaine se plaisent à estompe:r: le1.1rs frontières, à mêler leurs effets.

Comment le problème se présente-t-i( et pourquoi s'impose-t-il avec urie telle persistance P Ce sont les questions que je voudrais poser à un recueil de vers de Pierrè Poupo. En même temp~ que . je réunirai les pièces nécessaires à ma réponse, je m'efforcerai de dégager la qualité. de son œuvre, étrang·ement méconnue.

La situation de J:oupo, qu'il est nécessaire d'évoquer ici, se dégage aisément de ses ,poèmes., où sont consignés maints. détails biographiques. D'origine champenoise, né catholique vers r552, il est élevé dans une fariülle huguenote; il se fait· avocat dans sa ville de Bar-sur-Seine· puis, converti au protestantisme, s'exile à Genève en r585 environ; il s'y installe· et y'meurt vers r6g2 1. Son activité littéraire, dans la citadelle calviniste dont il devien- dra l'un des chantres, commence à la faveur d'·un heureux patro- nage : Simon Goulart, pasteur et éditeur, poète et érudit,. s 'inté-.

resse aux premières œuvres de Poupo et en procure une édition en r585 2 Sous le même titre, La Muse Chrestienne, :paraissent en r5go un recueil divisé en deux Livres e~ en .I 6g2 un troisième Livre 3 La matière du volume de r585 sera reprise tout entière dans le premier Livre de l'édition suivante 4, de sorte· que je me contenterai de décrire brièvement les textes parus en I5go et r6g2 5 La production poétique de Poupo peut se distribuer en trois catégories : environ ·deux cents sonnets, de sujets très divers;

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la paraphrase en vers, assez fidèle, de La Sapience de Salomon, de l'Ecclesiaste et du Cantique des Cantiques)· des pièces mêlées, parmi lesquelles on distingue deux longs épithalames. Il est pos- sible que quelques poèmes, entièrement ou partiellement pro- fanes, soient antérieurs à la conversion ou à l'exil vers Genève;

mais cela importe peu : l'essentiel réside dans le fait que toutes les pièces dont il va être question sont à peu près contemporaines et qu'elles voisinent dans les recueils de I5go et 1692. Je ne m'occuperai guère, d'ailleurs, que des sonnets : outre leur supé- riorité littéraire, ils révèlent mieux les tendances personnelles de Poupo et jettent une lumière plus vive sur la fonction respec- tive du profane et du sacré.

On admire, dès la première lecture, l'aisance qu'apporte Poupo à passer d'un registre d'inspiration à 1 'autre :

Un rume violent mon cerveau tempestoit,

Et me perçoit le front d'une dague enflammee : La porte de mes yeux

au

somme estait fermee : Et d'un flot inegal mon pouls se debatoit.

Comme un dont la maison est pleine jusqu'au toit De brasier estouffé, et d' espaisse fumee :

Ma pauvre ame d'ardeur, et de fievre pasmee,

Cerchant l'huis pour sortir, coup sur coup sanglotait.

Quand du gouffre mortel où j' estois enfoncé, A mon Dieu, mon Sauveur, un souspir j' eslançay :

(Car ma voix estoit ja de langueur amortie).

Lors tout en un moment je vis fendre les cieux, Rayonner dessus moy son aspect gratieux,

Et senti que c'est lu y qui tue et vivifie. (I, 7) 6

Le poète, malade (son (( rume n semble bien désigner une fluxion de poitrine) commence par décrire son affection avec un certain réalisme; quoique ses expressions et son vocabulaire se situent à un niveau d'élaboration littéraire assez élevé (tempestoit; une dague enflammee)· la porte de mes yeux; d'un flot inegal), il se plaît à entrer dans le détail de ses maux, et ça n'est pas un hasard si la comparaison qui suit est empruntée au domaine de la vie quotidienne :le ton, dans ce premier moment du sonnet, demeure familier et ne vise qu'à décrire, dans son immédiateté, une situation simple. l'viais, dès le vers 7, et dans un crescendo qui

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PIERRE POUPO

RECHERCHES SUR -LE SACRÉ ET LE PROFANE DANS LA POÉSIE RiiLIGIEUSE DU. XVie SIÈCLE

Le renouvellement des ·formes de dévotion, au xvi•, siècle;· 1a renaissance des études scripturaires, l'insertion profonde du religieux dans la vie politique et sociale, tout cela favorise le développement d'une poésie chrétienne très diverse. Celle-ci revendiqué bien haut on ·peut

y

reconnaître un de ses carâc- tères communs - sa différence d'avec la· Iîttérature' profane, comme si le même topos, tenace,. devait conférer aux çeuvres religieuses, dès la préface, un cachet d'authenticité. A y regarder de plus près, cependant, on découvre, dans :la plupart de ses productions, de singulières compromissions avec le siècle : pour les thèmes et pour le style, poésie religieuse et poésie mondaine se plaisent à estompe:r: le1.1rs frontières, à mêler leurs effets.

Comment le problème se présente-t-i( et pourquoi s'impose-t-il avec urie telle persistance P Ce sont les questions que je voudrais poser à un recueil de vers de Pierrè Poupo. En même temp~ que . je réunirai les pièces nécessaires à ma réponse, je m'efforcerai de dégager la qualité. de son œuvre, étrang·ement méconnue.

La situation de J:oupo, qu'il est nécessaire d'évoquer ici, se dégage aisément de ses ,poèmes., où sont consignés maints. détails biographiques. D'origine champenoise, né catholique vers r552, il est élevé dans une fariülle huguenote; il se fait· avocat dans sa ville de Bar-sur-Seine· puis, converti au protestantisme, s'exile à Genève en r585 environ; il s'y installe· et y'meurt vers r6g2 1. Son activité littéraire, dans la citadelle calviniste dont il devien- dra l'un des chantres, commence à la faveur d'·un heureux patro- nage : Simon Goulart, pasteur et éditeur, poète et érudit,. s 'inté-.

resse aux premières œuvres de Poupo et en procure une édition en r585 2 Sous le même titre, La Muse Chrestienne, :paraissent en r5go un recueil divisé en deux Livres e~ en .I 6g2 un troisième Livre 3 La matière du volume de r585 sera reprise tout entière dans le premier Livre de l'édition suivante 4, de sorte· que je me contenterai de décrire brièvement les textes parus en I5go et r6g2 5 La production poétique de Poupo peut se distribuer en trois catégories : environ ·deux cents sonnets, de sujets très divers;

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parcourt les deux tercets, va s'esquisser puis s'affirmer l'intention religieuse du poète; selon un lieu commun assez fréquent (qui n'altère en rien la sincérité du passage), le malade s'assimile à un pénitent (vers g-10), les maux physiques tendent à se confondre avec les remords du pécheur; il est naturel, désormais, que continue le glissement de l'humain vers le divin : le mou- vement se clôt sur une théophanie et la révélation d'une vérité dernière. Ainsi, sur le plan de la vie personnelle, le poète nous a fait passer d'éléments intimes et circonstanciels à une réalité d'ordre métaphysique.

On peut observer ce processus à un autre niveau de l'expérience journalière :

Monts qui hurtez le ciel cle vos testes cornues, Torrents precipitez, et toy lac spatieux,

Qui comme une grand mer où se perdent nos yeux Emplis ce grand bassin de tes ondes chenues.

Et vous sapins branchez aussi hauts que les nües, Valons tortus-bossus, et vous sauvages lieux,

Domiciles des loups et des ours furieux,

Dont nature aux humains a clos les avenues : Je ne m'estonne point de voir en ce pais

Tant d'abjects merveilleux que jamais je ne vis, Mais mon esprit s'mTeste à un plus grand miracle : Comment Dieu reprouvant tant d'illustres citez N'a desdaigné choisir ces deserts escartez,

Pour y pleuvoir sa manne, et seoir son tabernacle. (1,68) L'homme des plaines champenoises transplanté à Genève bée d'admiration et de terreur devant le Jura et le Léman, qu'à l'aide de traits assez peu originaux il exalte à des dimensions hyperbo- liques 7 Mais la description de ce paysage grandiose ne trouve pas en elle-même sa justification : un peu comme tout à l'heure, Poupo déchiffre dans le matériel une signification religieuse;·

l'éloquence de son tableau n'a servi, dans sa perspective, qu'à préparer l'intervention du surnaturel :c'est que la citadelle calvi- niste s'identifie à une cité de l'Ancien Testament où Dieu a établi son siège. Ici non plus, entre le pittoresque et le divin, le poète ne distingue aucune solution de continuité. Dans cette vision du monde ne réside, c'est vrai, rien d'exceptionnel : maints poètes protestants (on n'a qu'à songer à d'Aubigné) ont pratiqué· ce parallélisme et perçu dans la réalité quotidienne l'intervention

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de Dieu. J'ai simplement voulu montrer comment; à. première vue, s'opérait le mélange du profane et du sacré. A l'analyse, maintenant, de nous faire voir comment se distribuent et s'inter- pénètrent les deux catégories dans l'ensemble de l'œuvre.

Certains sonnets, parcourus d'intentions didactiques ou édi- fiantes, se révèlent insensibles aux prestiges de la poésie profane.

Leurs thèmes peuvent correspondre à deux desseins complémÈm- taires : soit Poupo développe un point de morale; son exhortation, alimentée de généralités, n'obéit alors à aucun souci partisan;

soit il s'adresse aux catholiques ((( Pauvre peuple enyvré; d'abus et d'Ignorance ll, I, 28, 1) et, sans dissimuler sa volonté de propa- gande, leur expose rin aspect de la théologie calviniste : à maintes reprises, il force dans le cadre étroit du sonnet une argumentation sur la prédestination ou la présence réelle; sur les œuvres ou les reliques. Pareils sujets se prêtent mal, évidemment, à exploiter les richesses de la littérature mondaine, mais il faut reconnaître en plus, dans son style, un choix délibéré de Poupo : il se conforme ici à une esthétique - on pourrait presque dire à une éthique - très particulière, développée par les protestants sur- tout, prônant la densité et la sobriété, rejetant les artifices poé- tiques traditionnels pour ne pas offus.quer de charmes oiseux des vérités fondamentales .et pour atteindre, par la vertu d'un langage simple et direct, le public .le plus vaste,. A la suite du Marot des psaumes et de Théodore de Bèze, Poupo renonce ici à rivaliser avec la Pléiade; la banalité de ses vers, la ·sélection, très limitée, de son vocabulaire et le goût de certaines formules archaïques sont pour lui gage d'authenticité et manifestent son appartenance ~ un programme bien défini :

0 Dieù! plein de pitié, d'amour, et de clemence, Qui m'as jusques ici doucement supporté,

Retenant ton courroux à bort droict irrité,·

Ét m'attendant tousiours à grace et repentance :

Reconnoy ton ouvrage, et purge mon offense ... (I, 2, I-5)

. .

Qu'il s'agisse, comme ici, d'une imploration ou que le p.oète s'essaie à une démonstration théologique, on note, entre autres caractères, la prédominance de termes abstraits : le but n'est pas de séduire par des images mais de désigner par leur nom toute sorte de processus et de concepts mentaux, car l'expérience reli~

gieuse~ dans l'optique calviniste, se déroule dans l'intimité· du cœur et de la raison

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19 Même lorsqu'il s'affranchit de la rigoureuse tradition hugue- note pour rehausser son propos didactique de représentations concrètes, Poupo ne parvient pas à. libérer l'image de ses inten- tions moralisantes; au lieu que l'illustration développe ses propres virtualités, elle ne sert qu'à introduire ou à compléter la formulation d'un message abstrait : c'est la technique de la fable, qui charge chacune de ses images d'un sens plus général, le plus souvent transparent. Dans la même perspective, on ne s'étonne pas que Poupo ait pratiqué ce qu'au xvie siècle déjà on appelait le patois de Canaan (et que les protestants, imprégnés de littérature ·biblique, ont bien sûr essayé de transplanter en fran- çais) :l'expression métaphorique d'une notion est aussitôt suivie, en vertu .d'une construction empruntée à l'hébreu, de sa traduc- tion abstraite : le roc de 'IJanité, l'eau de la merci, etc. Cette sou- mission de l'image à une signification d'un ordre différent présente un autre aspect mais la technique et l'intention restent les mêmes lorsque la représentation se prolonge, tend à acquérir une certàine autonomie pour être rappelée soudain à sa vraie fonction : ·

Comme de son espoux, trop longuernent absent, Seulette en sa maison de douleur consommée, L' espouse se lamente, et se tient enfermée

Craignant qu'un autre amour ne l'ait pris en passant.

Mais si to.r:;t que sa voix luy vient frapper l'oreille : Sa couleur se repeinct d'une rose vermeille,

Sa crainte et son ennuy s' escartent loin de soy :

Ainsi resioui toy, povre C hrestienne Eglise.. . (I, 43, 1 2)

C'est la figure de la comparaison virgilienne qui, contrairement à la métaphore et au symbole, est tout entière orientée vers l'expression d'une autre réalité qu'elle-même. Sa fréquence, dans les sonnets de Poupo, paraît naturelle, . puisque nous avons reconnu, dans leur dessein didactique, un caractère essentiel de leur physionomie.

Si Poupo sait affecter un ton grave et renoncer aux ornements superflus, il lui arrive d'abdiquer tout souci d'édification pour s'essayer à des motifs profanes et les couler dans la langue, plus diverse, plus fleurie, qu'impose une inspiration nouvelle. A voir défiler les pièces de circonstances, à découvrir, par exemple, les conseils qu'adresse le poète à la corporation des barbiers et des médecins ou les scènes colorées d'un Valais pittoresque, on

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oublie le protestant engagé, le poète· morose de tout à l'heure.

Avec une souplesse et un pouvoir d'assimilation peu communs, Poupo passe d'un ton à l'autre, se divertit d'une gauloiserie ou d'une mignardise et en exploite toutes les ressources, sans arrière- pensée. Il cultive d'une dilec'tion particulière le genre bucolique et la poésie champêtre :

La petite riviere au long de ton bocage De mousse et de vergay haut et bas tapissé, . Ressemble un passement de fin argent tressé

·Aux bors d'un vestement pour enrichir l'ouvrage. (1,55,5-8) Outre les éléments traditionnels de l'églogue, on observe ici que l'évocation concrète etla comparaison qui la prolonge ne rem- plissent plus une fonction allégorique mais acquièrent une valeur de représentation autonome. Dispensé de transmettre un message d'ordre intellectuel, Poupo se sent plus libre de solliciter son imagination, d'où l'abondance du matériel descriptif qu'il déverse, par exemple, dans ces deux quatrains :

Quand je voy du matin les cieux estinceler

Sous les premiers rayons du beau jour qui s' esveille, Et les pleurs cristalins dont l'aurore vermeille, Vient en ces plus doux mois les herbes emperler :

Quand j' oy de toutes parts les boix rossignoler, Et l'argent des ruisseaux tinter à mon oreille : Que je voy mille fleurs de senteur nom pareille, Tapisser les chemins par où je dois aller ... (I,7o,I-8)

Les suggestions colorées et sonores qui émergent de ce tableau procèdent, bien sûr, d'une longue tradition; la qualité de la vision ne saurait masquer tout ce qu'il y a d'artificiel, de sophis- tiqué dans ce passage. C'est que Poupo, lorsqu'il traite des sujets profanes, doit une grande part de sa poétique à la Pléiade. Outre les références explicites à la théorie ou à telle. pièce de Ronsard ou Du Bellay 8, son style atteste une influence constante, qu'il suffira de saisir dans quelques-unes de ses manifestatiçms.

Contrairement à la poésie de la fin du xvie siècle (je songe aux œuvres les plus diverses : celles de Desportes et de d'Aubigné, celles de Sponde et de Bertaut), Poupo ne songe pas à exploiter l'arsenal des figures de rhétorique, qui créent, souvent hâti- vement, de somptueux effets; cette discrétion à l'égard des anti- thèses et des hyperboles, des jeux de sonorités et des dispositions symétriques, cette indifférence pour les performances techniques,

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ne les doit-il pas à l'exemple de la Pléiade, dans ses grandes années du débutP Mais le plus frappant réside sans doute dans l'ampleur du champ lexicologique que révèle sa poésie profane;

tandis que, dans les pièces d'inspiration huguenote, le vocabu- laire était limité à l'indispensable, ici, toute innovation paraît bonne; le recours aux termes de métier, aux provincialismes ou aux vocables archaïques, l'invention de néologismes ou de com- posés : autant de procédés recommandés par les théoriciens de la Pléiade. Une série de huit sonnets sur la Création, sans doute inspirés par Du Bartas, donne carrière à toute sorte de termes spécialisés :

Rien ne manquait à faire au dongeon Olympique, Quant à sa basse court, l'Architecte s'applique, Et d'un mot vigoureux qu'il fit glisser es eaux,

Ainsi qu'une presure, ou un germe fertile : Sans frayer, sans couver, on y vit ntille, à mille Aluiner les poissons, pulluler les oiseaux. (I, 2o,g-r4)

Réserve et souci des convenances ne sont plus de mise lorsqu'il s'agit d'exalter l'œuvre du Créateur; au contraire s'imposent la précision et l'abondance des détails. Les verbes emperler et rossi- gnoler qu'on relève dans un exemple précédent (I,7o,4-5) attestent le même goût du mot rare et évocateur. Outre les locutions inu- sitées, Poupo emprunte à la Pléiade sa prédilection pour les allusions savantes :

Je ne souhaite point, le Rameau precieux,

Où creut le riche fruict conquesteur d'Atalante : Ny l'arbre tant fameux pour sa pomme luisante, Que veillait un dragon chez le Roy porte-cieux.

Mais le franc cour-pendu au goust delicieux, Le barroy plein d' espice, et la prune de fente ... (1,54, r-6) Aux termes du terroir, aux références m_ythologique et biblique s'ajoutent deux adjectifs composés, qui complèteraient, s'il était nécessaire, le certificat d'origine d'un ·passage comme celui-ci.

Animé tout à l'heure de prosélytisme, usant d'un style simple et nivelé à dessein, Poupo se révèle ici allusif et alambiqué, comme le plus exemplaire des poètes de culture 1

Du moment qu'il situe son travail créateur au terme d'une long·ue tradition et qu'ille soumet aux normes, tout à fait contrai-

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gnantes, de. la commmiication littéraire, le poète du xvre siècle, et Poupo le montre mieux qu'aucun, confine dans une marge très étroite la part de son originalité personnelle; en tant qu'artisan du langage, il ne songe pas à inventer, à tout prix, du nouveau, mais à restituer, dans son optique et avec ses moyens propres, ce qui a été dit par les Anciens et leur manière de le dire; car ..

outre l'existence d'une Vérité immuable, il y a une façon appro- priée d'exprimer tel fait : c'est ce qu'enseigne la rhétorique, dont les figures sont les lieux mêmes où réside l'idée. Ce phénomène d'allégeance au passé et aux modes d'expression usuels (dont on n'épuise d'ailleurs pas les secrets en quelques phrases), Poupo permet de le vérifier, et particulièrement son système métapho- rique. Nous plaçant donc cette fois dans une perspective dia- chronique et limitant notre étude à .l'examen des images, nous allons examiner comment voisinent le sacré et le profane.

La tradition chrétienne, qui s'alimente essentiellement de matériaux bibliques et patristiques, fournit bien sûr de.nombreux apports. Pour évoquer, par exemple, l'Eg·lise minoritaire, Poupo trouve dans les psaumes et les Evangiles tine formulation toute faite :

0 pasteur· souverain! voi tes aigne aux espars : Charge les sur ton clos et les rameine aux parcs :

Ta houlette sans plus leur serve de conduite. (I,44,g-rr) Une image inédite aurait sans doute déconcerté; tout se passe comme si la référence à des textes connus devait contenir le plus gTand potentiel expressif possible. Ailleurs, lorsqu'il s'agit de suggérer la vanité ou l'incertitude de la vie, Poupo emprunte volontiers à 1 'Ecclésiaste ou au Psalmiste. La métaphore de la navigation (d'origine païenne, c'est vrai, mais bien vite assi- milée), qui organise son réseau d'images, tout à fait stéréotypées, autour de l'opposition tempête-port, est utilisée fréquemment et semble si bien connue qu'elle n'appelle plus de traduction.

A l'écart du domaine moral et spirituel se définit, je l'ai dit, une autre vocation de la poésie religieuse de. Pou po : comme chantre du parti protestant pendant les Guerres civiles, il cultive avec prédilection deux thèmes, signes de son engagement : les imprécations contre l'ennemi et les lamentations sur les calamités du moment. Ici aussi est exploitée la tradition biblique, infléchie dans le sens que lui a donné, bien avant Poupo, la poésie polé- mique des Réformés. Les apostrophes aux armées catholiques, aux prêtres et aux puissants, accumulent, selon des procédés que d'Aubigné nous a fait connaître, des cris de haine et des outrages

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23 démesurés; les images, hyperboliques, mais chargées d'une inten- sité et d'une qualité visuelle peu communes, poussent l'exécration nu-delà de tout ce qu'avait pu atteindre l'Ancien Testament

A ces chiens endormis; ces tenebreux oyseaux,

N' ayans dieux que le ventre, et la rrtere aux bordeaux, Veux tu. faire trouver la lumiere agreable? (I,46,g-II) Ainsi défilent meurtriers légendaires et courtisanes, monstres et bêtes féroces, dont la cruauté ne saurait même atteindre à cellè des ennemis, C'est dire la joie qu'il y ·a à célébrer leur défaite, à contempler leurs tourments :

Les uns smit fricàssez en leur propre frainee, Les autres au combat vpmissent leurs esprits, Et ceux qui restent vifs au papier rouge escrits

Attendent au gibet leurs derniere journee. (II, 70, 5-8)

Mieux que dans ses imprécations, Poupo hausse l'aventure locale et l'expérience collective au niveau des grands thèmes de l'Ancien Testament lorsque, sur la cité attaquée ou les coreligionnaires décimés, sur les captifs ou les exilés, il prononce un douloureux planctu.s. La référence à Job, au psalmiste pénitent et aux Lamen- tations de Jérémie n'empêche pas ses vers d'atteindre en général à un haut niveau émotionnel :

Bannis, fu.itifs, espars de l'un à l'autre pole, Les reliefs de la mort, du. feu, du. fer, des flots, Ayant la mer en teste, et l'ennem.i au. dos, Pour ne vouloir flechir le genou.il à l'idole,

La face vers le ciel de larmes toute molle, La bouche en oraison, l'estomac en sanglots, Des le soleil levant jusques le jour soit clos,

Nous te crions merci de cœur et de parolle. (II,4g, r-8) Je crois avoir montré, en examinant l'origine de certaines images, que Poupo doit beaucoup à la tradition poétique chré- tienne, et qu'il s'inscrit en bonne place parmi les polémiste~

huguenots. La partie profane de son œuvre manifeste la mêm!=l disponibilité et puise, bien sûr, aux sources antiques et italiennes (plus proches et accessibles, d'ailleurs, à travers la Pléiade). Car il ne quitte pas le domaine du sacré par souci d'originalité : il admet simplement les normes de langages différents, qui n'en sont pas moins, le plus souvent, stéréotypés. Parmi les motifs

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façonnés sous l'emprise de la tradition gréco-latine figurent les descriptions de la nature,· tout édifiées de souvenirs littéraires, de même que les évocations cosmiques :

Le chariot luisant du clair Pere des jou.rs Avoit ja tournoyé l'un et l'àutre Hemisphere, Et du fray de sa roüe av oit tracé l' orniere Qu'il a depuis suyvie, et suyvra pour tousiours.

L'astre au mua ble front qui la nuict fait son cours, A voit heurté le ciel de sa corne premiere :

Et l'aube au teint d'œillets resveillant la lumiere, Respandoit de son sein la rose et les amours. (I,2o,I-8) Les périphrases désignant le soleil et la lune, la représentation des astres et la personnalisation de l'aurore, les images qui sont de véritables clichés, tout cela remonte évidemment à l'Antiquité classique; on ne devinerait pas que le passage appartient au cycle de sonnets sur la Création : étrange syncrétisme, que seul pouvait autoriser le crédit d'un Du Bartas. La référence à la tradition profane est tout aussi évidente lorsque Poupo traite de l'inspi- ration poétique et de sa transmission aux lecteurs : ce ne sont qu'abeilles distillant leur miel, que ruches et jardins fertiles.

Niais le faisceau le plus ample et le plus serré d'imagés. profanes que nous propose Pou po est fourni par deux épithalames 9 Les évocations concrètes y sont si denses et significatives qu'elles invitent à fixer, en un schéma idéal, la représentation conven- tionnelle d'un paysage champêtre ·au xvre siècle (et sans doute plus tôt), à l'instar des études, consacrées à des poètes plus récents, sur la morphologie d'un univers imaginaire, et en opposition à elles puisqu'il ne s'agit aucunement, ici, de création originale.

Selon les lois du genre, un épithalame situe les premières amours de ses personnages aux flancs d'un coteau ou sur la prairie d'un vallon. Le paysage est légèrement boisé : joncs et coudriers, taillis et ramée laissent passer dans leur feuillage l'haleine des zéphyrs. Partout, de l'eau : rivières et ruisseaux, sources et fon- taines animent le sous-bois. Les· fleurs· (ou plutôt les fleurettes car les diminutifs s'imposent) foisonnent en guirlandes et en plates-bandes inépuisables : œillets et aubépines, muguet et pavots, la rose, bien sûr, le lys et tant d'autres qui dégagent de somptueux parfums. Outre les moutons et les brebis, quelques animaux semblent appartenir d'office à ce monde pastoral : cerfs et chevreaux, biches et faons. Les oiseaux, pinsons, rossignols, pigeons, n'intéressent que s'ils chantent ou si leur plumage appelle la description. Quant aux personnages, nymphes et ber-

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gers, ils ne s'occupent"guère que d'aimer, de folâtrer et dejouer des mélodies; c'est que leurs instruments champêtres, musettes, flageolets, flûtes et tambourins, luths et clairons sont. étonnam- ment divers. La catalogue est fastidieux, .bien sûr, où s'accu- mulent tant de clichés et de mièvreries; au moins fait-il voir que Poupo, quand il s'assimile aux poètes profanes, exploite sans scrupules ni retenue leur matériel métaphorique.

Contraint par les exigences de l'analyse, j'ai distingué jusqu'ici l'inspiration profane de la poésie sacrée, comme si chacune flo- rissait · indépendamment et que les deux traditions dont elles relèvent puissent être à chaque fois démêlées. Il s'en faut que la réalité soit aussi simple : au lieu qu'il y ait deux domaines tran- chés, l'œuvre de Poupo ressortit plutôt, presque toùt entière, à une conception particulière de la poésie religieuse, où le sacré et le profane, qui la ·constituent, ne se contredisent ·pas. Cela se vérifie, au niveau du plan d'ensemble·, dans la succession même des sonnets : d'une pièce à la suivante, on passe souvent d'une sphère littéraire à une autre; ainsi, de deux poèmes consacrés au récit d'un rêve (I,4o et 4I), le premier raconte l'ascension de l'âme vers le ciel,

... où pendent attachez,

Les images obscurs de l'Idee eternelle. (I,4o,7-8)

en termes tout platoniciens, tandis que le second décrit la vision en s'inspirant des songes de l'Ancien Testament. Pareille inter- pénétration se retrouve je l'ai montré au début - à l'inté- rieur même des sonnets, lorsqu'un motif relevant eri général de la littérature sacrée trouve à s'exprimer en termes profanes; ainsi

P~mpo emprunte ici ses formules au pétrarquisme pour aborder une réalité d'un autre ordre :

Vous qui deviez un jour par un esclair benin Illustrer mille cœurs au celeste chemin,

Et soleiller aux rais des plus Chestiennes dames ...

(J, 6 2 , I 2-I4) Ailleurs; un lieu commun de la poésie religieuse est enlevé à son contexte habituel, dépouillé·· de sa formulation ordinaire et gagne, par la vertu d'un rapprochement inédit ou l'apport d'un détail inattendu, une certaine actualité. Par exemple, l'image très banale de la nef, qui gravite de coutume au centre d'un réseau de poncifs, se trouve rehaussée ici de deux notes réalistes qui la renouvellent en partie :

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Sur une mer d'ennuis, de tourmens et de pleurs,

En un basteau pourri, plein de meschant bagage ... (I,5,I-2) Ce que d'autres poètes avaient répété mécaniquement, Poupo montre qu'il en saisit la portée en rompant les convenances du genre, en introduisant une comparaison nouvelle ou en passant brusquement d'un niveau élevé d'inspiration dans l'intimité de la vie familière. Il a compris que la tradition littéraire n'avait de valeur que perpétuellement soumise à une ré-actualisation, de même que le sacré, dans sa perspective, n'est doué d'existence que pénétré d'éléments profanes.

Le calvinisme de Pou po se situe à l'opposé même de 1 'ascèse dont on taxe en général, au terme d'un examen hâtif, les Réformés. Il s'accommode d'un humanisme sincère pour lequel l'amour de Dieu n'exclut pas, mais implique plutôt l'amour des hommes et du monde. Christianisme libéral, si l'on veut, attentif aux aspects les plus divers de la réalité, qui refuse de limiter le sacré à un domaine réservé et tend à lui annexer les acquisitions de la pensée païenne. Poupo récuse le dualisme qu'un Théodore de Bèze se proposait d'instaurer dans la littérature en la purgeant de toute infiltration profane; c'est aux côtés de Du Bartas qu'il se situe, là où l'engagement religieux favorise les tentatives audacieuses d'un ample syncrétisme. Son attitude, où il faut reconnaître sans doute une manifestation permanente, confinant parfois à 1 'hétérodoxie, de la pensée religieuse, trouve à s 'illus- trer dans l'esprit et dans la forme de son recueil. Trois genres qu'il pratique volontiers et dont la récurrence étonne parmi des poèmes essentiellement rellgieux me paraissent caractéristiques de cette conception large, toute pénétrée d'humanisme chrétien : pièces de circonstances, tombeaux et épithalames, conçus ou non dans un dessein édifiant, attestent chacun que l'amour de la créature, le récit de ses joies et de ses peines, n'empêchent en rien l'ouverture sur le divin, à quoi Pou po ne saurait renoncer.

C'est ainsi qu'il ne ménage pas les éloges, souvent dithyram- biques, aux chefs de guerre genevois; il ne craint pas, dans ses épitaphes et ses tombeaux, de pleurer sur les morts et d'exalter leur souvenir; ses amours, enfin,· ou celles des autres, il y implique Dieu avec une liberté et une familiarité telles qu'il excède parfois le ton indiqué dans le Cantique des Cantiques pour effleurer le burlesque :

Embraze nous les cœurs de ta flamme divine Et couve nos amours sainctement emplumez : Fay que d'un seul esprit nous soyons animez,

Et me donne, Seigneur, Phyllis pour ma poupine. (II,7,I-â)

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C'est que, contrairement à la légende, la Genève du xvie siècle savait s'affranchir de sa sobriété pour exprimer sa passion de vaincre et sa joie de vivre.

Le caractère essentiel du style de Poupo, qui réside dans une inclination permanente à l'expression métaphorique, relève de cette ouverture au monde, de cette curiosité du poète pour la matière et ses manifestations. Dès le premier sonnet du recueil, placé sous le signe du papillon, s'enchaînent les images qui, si elles illustrent presque toujours, en dernière instance, une réalité abstraite, n'en acquièrent pas moins, souvent, une certaine auto- nomie et révèlent le plaisir que trouve Poupo à composer une description pour elle-même, sans arrière-pensée. On peut men- tionner, entre autres, cette esquisse d'un Valais pittoresque

Gu.inclant mes yeux là-hau.t su.r ces rochers couverts, Au. plus chau.t cœur cl' esté, cle neige continue : Puis les precipitant, comme à perte cle veuë, Où le Rhosne là-bas gronde au. fond cles enfers,

Bref, contemplant ce val de long et de travers, Su.yvant à pas courbés sa muraille tortuë,

Qu.i monstre sa poictrine en maints lieux toute nuë, Je pense estre arrivé au milieu des deserts. (III,g,I-8) L'âpreté, la solitude du paysage se dégagent bien de cette évoca- tion de lignes et de couleurs, et garantissent la qualité de, la vision. Les sonnets sur la Création ne font que prouver, plus clairement encore, le goût du poète pour les représentations concrètes; toute référence est bonne pour célébrer la magnifi- cence de l'univers en train de naître; les geste du Créateur, celui qui circonscrit, par exemple, le ciel autour de la terre, se prêtent à toute sorte de comparaisons :

Et comme le verrier d'une eau bien affinee Va formant ses vaisseaux, ainsi le Souverain

Comme au souffler d'un verre, esparpilla soudain Cest Entour cristalin dont la terre est cernee. (I, q, 5-8) On n'en finirait pas, de chercher à saisir les unions du profane et du sacré, qui se proposent puis se dérobent, déplacent leur centre de gravité, créent un équilibre qu'elles rompent puis recréent; mais comment, en quête d'un langage propre à expri- mer la variété du monde, se fixeraient-elles?

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Sans prétendre résoudre la question des relations du profane et du sacré dans la poésie religieuse du xvie siècle, je voudrais faire voir comment la situation d'un écrivain, son inscription dans tel milieu culturel, social et confessionnel, impliquent à plusieurs égards la fusion de deux niveaux d'expression littéraire et la réunion de deux traditions que nous avons observées.

Pierre Poupo trouve dans le calvinisme mi cadre théologique et moral, et sans doute bien davantage : un art de vivre; outre les thèmes de son œuvre, qui en portent le plus souvent la trace, son style s'en ressent, qui emprunte à la tradition littéraire des Huguenots quelques-uns de ses procédés. D'un autre côté, Poupo semble avoir acquis son métier dans le sillage de la Pléiade, son écriture est parcourue de techniques et de références qui ren- voient à une poétique profane, d'origine antique ou italienne; la forme et le fond étant étroitement associés, cette orientation affecte nécessairement les sujets qu'aborde le poète; cela n'em- pêche que des matériaux d'ordinaire a-religieux soient soumis à un but d'édification.

Pareille symbiose au sein du même volume et jusqu'à l'inté- rieur de certaines pièces paraît assez inaccoutumée. En fait, le phénomène dont Poupo nous propose un exemple est très répandu, mais il se présente chez lui en un raccourci saisissant;

car la fusion s'opère en général non pas à cette échelle micros- copique mais au niveau de l'œuvre d'un auteur dans son ensemble, d'un recueil à l'autre (œuvres profanes d'une part, œuvres religieuses de l'autre) : on observe alors la simultanéité, non le mélange, de deux styles, souvent même jalousement dis- . tingués 10. Mais il n'importe : ce que je voudrais souligner ici,

chez Poupo et tant de ses contemporains, c'est la coi'ncidence de deux conceptions de la littérature et, partant, de deux modes d'écriture.

Les poètes, au xvi• siècle (on pourrait sans doute généraliser à tous les penseurs de cette période, mais certainement pas extra- poler à d'autres époques), sont soumis à des exigences contradic- toires et leur problème constant est d'établir entre elles un équi- libre; tel est, je crois, l'un des motifs inconscients de leur acti- vité créatrice. On peut distinguer plusieurs couples d'oppositions que la plupart d'entre eux tendent à concilier, car ils ne peuvent opérer de choix exclusif sans verser dans un extrémisme ou un autre :

- le poète du XVI6 siècle est tributaire d'une tradition litté- raire, mais il doit satisfaire aux exigences de la création person- nelle;

il est étroitement lié à un milieu social auquel il s'adresse,

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mais l'impulsion créatrice procède bien sûr d'une tension indi- viduelle;

- il assume, inévitablement, un engagement religieux, mais ne peut s'affranchir du code littéraire, d' orig·ine essentiellement profane.

Ces trois catégories, un peu artificielles peut-être, représentent bien autre chose que des idées générales, applicables à chaque époque : l'acceptation d'une tradition, l'appartenance à un groupe social et confessionnel, ces trois conditions sont chargées au xvie siècle d'une réalité immédiate et contraignante qu'elles n'avaient certainement pas au moyen âge (où les tensions étaient moins grandes) ni dans les siècles ultérieurs (où l'écrivain tend à se libérer des contingences).

De ceux que j'ai indiqués, le conflit à résoudre par les poètes religieux est d'abord le troisième. D'une part, la culture se définit presque tout entière en fonction de l'Antiquité païenne : c'est là qu'elle trouve ses moyens d'expression les plus naturels;

la tradition littéraire, et j'entends par là essentiellement l'héri- tage gréco-latin redécouvert à la Renaissance,' est tout imprégnée d'humanisme profane, elle a consacré des thèmes et des styles qui imposent à l'écriture certaines normes. D'autre part, le poète religieux se propose d'illustrer les valeurs auxquelles il adhère, il destine son œuvre à l'édification des lecteurs; or, l'exemple de la Bible et une certaine morale de la mesure, souvent même de la sobriété, destinée à mettre en valeur le contenu du texte, tout cela impose une épuration du langage littéraire usuel et le choix de formes d'écriture spécifiques.

Devant ce dilemme, éprouvé plus ou moins consciemment et . assurément plus complexe que je ne le suggère ici, certains poètes religieux ont opté pour l'un des termes de l'alternative :ils ont pu renoncer à un style propre et couler une matière sacrée dans des cadres profanes; c'est à cela que tend un Du Bartas, c'est cela que réalisent un Bertaut, un Malherbe. D'autr~s ont pu rejeter l'héritage antique et viser à l'élaboration d'une poétique nouvelle : c'est ce qu'ont tenté certains auteurs hug·uenots, à la suite de Théodore de Bèze. Mais la plupart des poètes hésitent devant un tel choix et s'efforcent de concilier ces exigences contradictoires : c'est parmi eux que figure Poupo.

Ce syncrétisme réapparaît d'ailleurs à d'autres niveaux que celui du style : la récurrence de certains genres littéraires, dans la seconde partie du xvie siècle, pourrait trouver là un élément d'explication :je pense à l'épopée et à la poésie scientifique, qui favorisent la rencontre de matériaux sacrés avec des formes profanes ou ambitionnent d'accorder l'enseignement judéo-chré-

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tien avec l'héritage gréco-latin. De même se comprendrait mieux la vogue de plusieurs personnages : David est célébré comme le poète par excellence parce qu'il s'assimile à Orphée et que ses psaumes présentent certains caractères de la poésie antique; la Madeleine hante les artistes parce que les manifestations de sa pénitence et de son adoration ne s'éloignent guère de la repré- sentation conventionnelle de l'amour profane. Des domaines extra-littéraires se dégagerait d'ailleurs le même enseignement : les philosophes ne cherchent-ils pas à acclimater le néo-plato- nisme ou le stoïcisme à la pensée chrétienne? Sur le plan des institutions, les Académies, à Paris et en Province, ne visent-elles pas à un universalisme du même type P De partout s'élèvent un refus des limites et un souci pressant de conciliations. Faiblesse, goût suspect des compromis P J'y vois plutôt la survivance, déjà mise en péril par toute sorte de bouleversements, d'une des conquêtes les plus précieuses de la Renaissance.

Paris, mai 1966.

Michel JEANNERET.

r. N'ayant entrepris aucune recherche spéciale sur la vie de Poupo, je me contente de renvoyer à deux travaux, dont le second n'apporte d'ailleurs rien de nouveau par rapport au premier : Ernest RoY, Notice sur Pierre Poupo, introduction aux Poésies diverses tirées de la Muse chrestienne de Pierre Poupo, Paris, 1886 et J. BoNNEROT, Tragique destin d'un poète protestant dLt XVI" siè- cle : Pierre Pou po ( 1552-1592), in Bulletin de la Société de l'Histoire du Protes- tantisme français, Ig52, pp. 2-20. Je signale l'existence de notes sur Poupo dans les Mss. Th. DuFouR, Archives d'Etat de Genève, Dossier II, fol. 257 sqq., que je n'ai pas eu le loisir de consulter.

2. Pierre PouPo, La Muse Chrestienne ... , S.l., [Genève], Jeremie des Planches, r585. Le seul volume connu se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal (8° B.L.

IOigo Rés.). Goulart s'explique dans une épître dédicatoire «à Messire Estienne Menisson, S" de Tremilli... n, datée de << Sainct Gervais, r•• décembre r584 n :

« ... je priay l'autheur ( ... ) de mettre en veuë ce qu'il avoit fait de poësie fran- çoise. Il respondit en avoir baillé quelques pieces à un notable personnage, des mains duquel je les ay retirees, et maintenant les communique à nostre nation ... ll

3. Chacune de ces deux éditions est de Paris, Barthelemi LE FRANC. Ernest RoY (cf. n. 1) s'étonne de voir paraître à Paris, en pleine Ligue, un ouvrage animé d'intentions protestantes si évidentes, y voit une fausse adresse typogra·

phique et attribue le recueil à un imprimeur genevois. Il est vrai que B. LE

FRANC est très mal connu : c'est à peine si on signale de lui une autre impression (BRUNET, II, g26, mentionne les Lettres amoureuses d'Estienne du Tronchet, avec septante sonnets du divin Petrarqne, Paris, Barthelemy Le Franc, I697).

La question reste donc ouverte, mais l'argument de E. RoY ne me paraît pas péremptoire : on se rend compte de mieux en mieux que dans le milieu des imprimeurs et ailleurs, même aux pires moments des troubles religieux, la tolérance et l'audace favorisaient toute sorte d'entreprises inattendues. - A ma connaissance, on trouve les éçlitions de I5go et 1692, reliées ensemble, à la B. N., à l'Arsenal et à la Bibliothèque du Protestantisme français. La seule réédition moderne (ce n'est d'ailleurs qu'un choix de textes) est celle de 1886 (cf. n. 1).

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4. Les variantes sont peu nombreuses et ne présentent guère d'intérêt.

5. L'édition de IO!)O est dédiée à Henri IV, celle de r6g2 à« Madame la Prin- cesse, sœur unique du Tres-chrestien Roy de France et de Navarre >>.

6. Je désigne par un chiffre romain le Livre, par un chiffre arabe le numéro d'ordre du sonnet et, s'il y a lieu, celui des vers.

Cf. infra, p. 27, une description du Valais, dans le même ton. Avant Poupo, Jacques de CoNSTANs a évoqué le décor sauvage des Pyrénées à l'aide des mêmes motifs. Cf. E. DRoz, Jacques ~e Constans, l'ami d'Agrippa d'At~bigné ... , Genève, Droz, rg62.

8. Cf. surtout les deux sonnets où Pou po définit un art poétique calqué sur ceux de la Pléiade : III, 22 et 23.

g. Je quitte ici le domaine des sonnets pour examiner l'Epithalame de S. Bn~­

neau, et Nic. Le Bey (Livre 1) et l'Epithalwne pastoral de J. de Laussbirrois, et E. de Sainct-Amour (Livre II).

ro. C'est ce que je montre dans un 'lrticle à paraître in Stucli Francesi, Les Styles d'Agrippa d'Aubigné.

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