2258 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 novembre 2010
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Euthanasie : la jeune fille, l’amour, la mort (1)
«Encore un ouvrage 1 sur l’euthanasie !» diront les spécialistes qui ne le liront pas. Et ces spécialistes n’auront pas tort : on ne compte plus, ces dernières années, les entreprises éditoriales ayant pour unique objet la fin de la vie humaine. Entendons-nous : fins de vie plus ou moins anticipées, plus ou moins médicalisées, plus ou moins désirées. Ouvra- ges généralement partisans puisque – comme on le sait – deux camps parfaitement struc- turés s’affrontent sur ce terrain ; et ce sans aménité aucune. D’une part, les missionnai- res œuvrant – trop souvent dans le désert – pour le développement des soins palliatifs ; de l’autre, les croisés ayant fait une croix sur Dieu afin de mieux prêcher au nom d’un nouveau «droit» associant – rien moins – le
«mourir» à la «dignité».
«Encore un ouvrage sur l’euthanasie !»
mau gréeront les spécialistes du sujet – spé- cialistes qui auraient tort de ne pas le lire ; ne serait-ce que pour en conseiller la lecture
aux non-spécialistes. Une lecture à bien des égards essentielle. Petit format ; 143 pages.
Un bijou de pédagogie (rédigé pour partie avec l’aide d’Amélie de Bourbon Parme) dont on ne regrettera que le titre, pas très «ven- deur». Un ouvrage cosigné par deux person- nalités bien connues et hautement audibles dans les sphères médiatiques de la franco- phonie.
Axel Kahn, tout d’abord, médecin, généti- cien, éthicien, écrivain, vulga-
risateur sans pareil, féru de philosophie (par ailleurs au- jour d’hui président de l’Uni- versité Paris-Descartes). Luc
Ferry ensuite : 59 ans, philoso phe et ancien ministre français «de la Jeunesse, de l’Edu- cation nationale et de la Recher che» ; Luc Ferry, auteur plus que prolifique (trente ou- vrages en moins d’un quart de siècle) et qui nourrit depuis peu une nouvelle passion : celle du mariage de l’amour et de la laïcité.2
«C’est une évidence qui (Œdipe ?) crève les yeux, qui traverse et bouleverse en per- manence nos vies privées et dont, pourtant, nous osons à peine parler en dehors de l’in- timité : c’est l’amour qui met du sens dans nos vies, écrit dans son dernier ouvrage l’ancien ministre français (dont le physique et la fluidité langagière ne sont pas étran- gers à sa présence récurrente sur les ondes radiophoniques et télévisuelles). Tout le mon- de le sait, tout le monde le sent. Ce qui est moins évident, et qui fait l’objet de ce livre, c’est que cette nouvelle puissance de l’amour révolutionne les principes fondateurs de la philosophie et de la politique. Le cosmos des Grecs, le dieu des monothéismes, la rai- son et les droits de l’humanisme républicain
planaient très au-dessus de la vie sentimen- tale.»
Mais encore ? «Tardivement, sous l’effet d’une histoire encore méconnue, celle des unions amoureuses librement choisies, la passion a peu à peu remplacé les tradition- nels foyers de sens et les anciennes valeurs en marge
… Il dépasse les classiques plaidoiries des deux camps en usant d’une éloquente parabole …
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 novembre 2010 2259 sacrificielles, poursuit l’ancien
ministre fran çais de la Jeunes- se. Qui voudrait encore, du moins en Europe, mourir pour Dieu, pour la Patrie, pour la Révolution ? Personne ou pres- que, mais pour ceux que nous aimons, nous serions prêts à tout. Par-delà l’huma nis me des Lumières et ses cri ti ques, par- delà Kant et Niet z sche, une nouvelle spiritualité laïque naît de la sacralisation de l’humain par l’amour.»
Et pour finir : «Ce livre ra- conte son histoi re. Il dévoile ses liens secrets avec une autre aventure, celle de la vie de bo- hème. Surtout, il tente d’en ti- rer les conséquences philo so- phi ques sur les plans culturel, moral, politique et spirituel.
Car elle va changer notre re- gard sur le monde comme
notre capa cité à le transformer…» «Bigre !»
serait-on tenté d’écrire si cette interjection (atténuation de «Bougre !») n’était – pour- quoi ? – tombée en désuétude.
Un nouvel ouvrage sur l’euthanasie ? Cer-
tes. Mais un ouvrage salutaire car synthéti- que, éclairant, et permettant – enfin, et sans perversité aucune – de saisir l’essentiel des différents argumentaires en présence dans les deux camps ; avec – notamment – une comparaison de la législation française et de certaines pratiques de «suicide assisté» au- jour d’hui autorisées (tolérées ?) en Suisse ; des pratiques dont on vient d’apprendre, en France grâce au quotidien La Croix, qu’elles font l’objet d’une attention toute particu- lière des autorités fédérales.
Pour sa part, l’ancien ministre de la jeunes se française ne craint pas d’aller plus loin que les argumentaires habituellement proposés et de relier son propos sur la mort à celui sur l’amour. Aussi dépasse-t-il les classiques plai- doiries des deux camps en usant d’une élo- quente parabole : «Imaginons une jeune fille de 18 ans, folle amoureuse d’un garçon qui la délaisse et qu’elle découvre par hasard en train d’embrasser une autre. A ses yeux, la vie n’a plus aucun sens, plus d’intérêt, il faut en finir.» Quels sont, parmi tous ceux – hommes ou femmes – ayant vécu cette expé- rience traumatisante, qui oseraient soutenir le contraire ? On pourrait aussi incidemment prolonger, symétriquement, le propos en rap- pelant qu’un traumatisme de cette nature peut aussi, parfois, pousser la «victime» à mettre fin aux jours de celui ou de celle (voire des deux) qui la font brutalement à ce point souffrir.
Mais revenons à la parabole de la jeune fille. Luc Ferry : «Quel parent souhaiterait qu’elle confie son sort à l’un de ces défen- seurs du suicide assisté ? Pourtant la jeune
fille est majeure, elle n’est pas aliénée, elle s’exprime en pleine conscience, de manière tout à fait cohérente : elle veut en finir avec la vie, un point c’est tout. Est-ce une raison pour accéder à cette demande ? Evidemment non ! Parce que tout le monde comprend bien (…) que son expression n’est pas véri- tablement libre, qu’elle est commandée par une détresse dont l’expérience nous ensei gne qu’elle finira par passer. Dans ces conditions, la réponse de mort n’a rien d’humanitaire ni de charitable : elle s’apparente en vérité à un meurtre.»
Un «meurtre» ou un «assassinat» ? Nous savons ce que rétorqueront en substance les responsables des «cliniques» helvètes où l’on pratique le «suicide assisté» : nous ne «trai- tons» pas de tels cas… Pourquoi refuser à cette jeune fille ce qu’elle demande et, pire encore, la laisser seule avec sa propension au suicide ?
(A suivre)
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Ferry L, Kahn A. Faut-il légaliser l’euthanasie ? Paris : Editions Odile Jacob, 2010. ISBN 978-2- 7381-2576-7.
2 Ferry L. La révolution de l’amour ; pour une spiritualité laïque. Paris : Editions Plon, 2010. ISBN : 2-259-21053-8.
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