2324 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er décembre 2010
actualité, info
Euthanasie : la jeune fille, l’amour, la mort (2)
Poursuivons notre analyse du récent et pré
cieux travail contemporain de pédagogie philosophique pratique cosigné de Luc Ferry/
Axel Kahn ; travail offert dans un opuscule1 consacré aux différentes problématiques éthi
ques soulevées par la question de la légali
sation de l’euthanasie (Revue médicale suisse du 24 novembre). Avec, d’emblée, un mea culpa. Nous évoquions il y a une semaine dans ces colonnes que nous venions d’ap
prendre, en France et grâce au quotidien La Croix, que le suicide dit «assisté» faisait de
puis peu l’objet d’une attention toute parti
culière des autorités fédérales. Or voici que nous (re)prenons conscience, en (re)lisant sur ce sujet deux des Blocnotes de Bertrand Kiefer – ceux intitulés «Former les médecins au suicide assisté ?» (Revue médicale suisse du 2 avril 2008 ) et «Les difficultés du mourir étatique» (Revue médicale suisse du 4 novem
bre 2009) – que la ques
tion est loin d’être nou
velle en Suisse. Seule modification (à venir sembletil) du paysa
ge : une initiative légis
lative visant à séparer l’esprit de lucre de la pratique du suicide as
sisté par les associa
tions existantes spécia
lisées dans cette activité.
La Suisse, précisé
ment, est fréquemment citée dans l’ouvrage de Luc Ferry et d’Axel Kahn. Les deux auteurs rappellent que le sui
cide assisté ne peut y être pratiqué que du fait d’une «faille dans le code pénal» ; «faille»
qui ne condamne l’aide au suicide que si elle est pratiquée «dans un but égoïste». Une situation bien différente des PaysBas, de la Belgi que et du Luxembourg qui ont pro
mulgué des textes de loi sur l’aide active à mourir. Dans ces trois pays (depuis 2002 pour les deux premiers, et 2008 pour le troi
sième), les actes médicaux entourant l’ad
ministration de pro duits létaux peuvent être pratiqués à condition que le corps médical respecte des critères et des procédures stric
tement définis et encadrés. Ajoutons l’Etat de l’Oregon qui, depuis 1994, autorise la pres
cription par un médecin de médicaments pouvant donner la mort.
La Suisse est donc bien à part dans ce triste paysage, comme en témoigne de manière éclairante le facsimilé d’un procèsverbal de suicide assisté (publié en annexe de l’ou
vrage) pratiqué par ExitADMD Suisse ro
mande ; document accompagné de la lettre manuscrite de celle qui demande qu’on lui prête assistance pour mettre fin à ses jours et du rapport d’enquête de la police cantonale.
Et de ce fait la Suisse scrupuleusement ob
servée à la loupe depuis la France où le dé
bat sur le «droit de mourir dans la dignité»
et son corollaire (le «suicide médicalement assisté») resurgit de manière récurrente en dépit d’une loi promulguée en 2005 «rela
tive aux droits des malades en fin de vie» ; une loi dont on pouvait raisonnablement penser qu’elle était de nature à apaiser les esprits. Or l’expérience montre qu’en la ma
tière certains esprits réclament, précisément, tout sauf leur apaisement.
Les auteurs d’un récent rapport français d’information parlementaire fait au nom de la mission d’évaluation de cette loi se sont en marge
Ciguë blanche
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er décembre 2010 2325 donc penchés sur la Suisse ; et plus précisé
ment sur une étude soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.
Soit l’analyse, par des chercheurs de l’Uni
versité de Zurich et de la Zürcher Hoch
schule für Angewandte Wissenschaften, de 421 décès «constatés» par l’Institut de mé
decine légale universitaire de Zurich entre 2001 et 2004 : 274 décès «accompagnés» par Dignitas et 147 par Exit ; travail complété avec la comparaison des résultats avec une autre étude menée sur 149 cas «pris en charge» par Exit entre 1990 et 2000. Et force est bien de constater – ce qui a certes déjà été fait dans ces colonnes – que toutes les per
sonnes ayant eu recours au suicide assisté ne souffraient pas d’affections incurables : soit 21% pour Dignitas et 33% pour Exit.
«Il s’agissait pour la plupart d’entre elles de personnes âgées chez lesquelles plusieurs maladies avaient été diagnostiquées, com me par exemple des affections rhumatismales ou des syndromes de douleurs» explique Susanne Fischer, sociologue et coauteur de l’étude. Et d’ajouter que dans des cas «iso
lés», Exit et Dignitas «ont fourni une assis
tance au suicide à des malades psychiques».
De quel droit priveraiton un rhumatisant arthrosique, un schizophrène ou un bipo
laire d’une telle assistance, dès lors que l’on
n’offre le bol de ciguë ni par «égoïsme», ni par esprit de lucre ? Et pourquoi faudraitil aujourd’hui s’émouvoir, comme le font Luc Ferry et Axel Kahn, de l’émergence d’une pente qu’ils qualifient de «fatale» ?
(A suivre)
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
1 Ferry L, Kahn A. Faut-il légaliser l’euthanasie ? Paris : Editions Odile Jacob, 2010. ISBN 978-2- 7381-2576-7.
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