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Silences sur la mort et discours sur l'euthanasie

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Silences sur la mort et discours sur l'euthanasie

MAURICE, Frédéric

MAURICE, Frédéric. Silences sur la mort et discours sur l'euthanasie. Genève : CETEL, 1978

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4977

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SILENCES SUR LA MORT et

DISCOURS SUR L'EUTHANASIE

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Frédéric Maurice

Octobre 1978

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Quelques grands procès ont, dans un passé re- lativement récentl),porté

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de l'actualité l'homi- cide par pitié. Pratiquant un "déc()upage de la réalité emprun- té aux théories de la causalité et de la culpabilité", la c:ms- truction juridique de l'euthanasie est alors apparue comme ar- tificielle, voire choquante, comme l'écrit justement F. Mauri- ce. Pourtant l'état de la question n'a gu~re évolué jusqU'à l'é- mergence de deux événements médicaux décisifs: l'évolution scientifique des concepts de la mort et les nouvelles possibi- lités thérapeutiques offertes par certaines greffes d'organes2).

D'abord largement dissimulée par des actes médi- cat'. réalisés en milieu hospitalier sans grande visibilité socia- le, la mort ou plus exactement ce qui la précède ou la provo- que, est devenu Objet d'étude, de réflexion; l'euthanasie, pas plus que l'avortement et les greffes d'organes n'allaient d~s lors échapper à ce regard social porté sur des pratiques médi- cales, auxquelles le droit semble ne pas devoir S'appliquer, ou pour lesquelles il n'offre pas de solution satisfaisante 3 ).

Ce phénomène n'est pas propre au champ des ac- tes médicaux rappelés ci-dessus et l'on pourrait ici indiquer que,dans bien des domaines où le droit décline, l'opinion pu- blique, par des mécanismes nouveaux, demande des comptes, reven- dique un certain contrôle. exige que soit clairement énoncée la pratique de eertains experts et spécialistes.

. ..

(4)

L'euthanasie n'est donc plus saisie exclusi- vement par la médecine et par le droit; elle justifie un écla- tement de la réflexion et la référence aux disciplines qui par- lent encore de la mort : anthropologie, philosophie et

théologie. Il suffit, comme le démontre F.naurice,de jeter les rudiments d'une histoire et d'une sociologie de la mort, pour constater combien la mort est refoulée, cachée aujourd'hui. Peut - on encore di.scourir sur l'euthanasie, sans réintégrer la mort dans notre culture ?4)

Il faut donc savoir parler de la mort et de la souffrance pour parler de l'euthanasie 5 ) et pour comprendre ce concept dans sa nouvelle dimension éthique, impliquant cer- tes des références à la qualité de la vie. mais aussi des réfé- rences à la qualité humaine de la mort6

) •

Le texte de F. Maurice replace eXE'.ctement le problème de l'euthanasie dans notre contexte socio-culturel.

qui a tué la mort tout en prétendant saisir justement les pra- tiques sociales qui lui sont intimement liées; il indique enfin parfaitement en quoi l'euthanasie est à la fois une réalité

"étrangère" au droit, et une "solution ambiguë par laquelle le médecin résout mal un conflit né soudain entre ses deux devcirs fondamentaux devenus incompatibles".

Le difficile chemin de l'euthanasie qui égare quiconque s'y engage n'en est pas pour autant devenu sans em-

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bûches, sans pièges. sans simplifications réductrices; il nous semble pourtant qu'en introduisant enfin une distinc- tion nouvelle et claire entre euthanasie passive et euthana- sie active, cette réflexion peut être d'une grande utilité et contribuer à faire de certaines pratiques médicales des lieux ouverts de discussion aD chacun. quel que soit son rôle et sa fonction (malade. parents et équipe soignante) puisse dire et vivre sa mort.

Christian-No ROBERT octobre 1978

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1/ BARRE RE (I)

&

LALOU

g.-D,

Le dossier confidentiel de l'eutha- nasie, Paris, Stock, 1962

21 En ce qui concerne les greffes d'organes, le compte rendu don- né à la presse par: le Dr. Barnard~ors de la première greffe

car~iaque indique, certainement involontairement, l'importan- ce du moment de la mort par rapport au processus chirurgical ccmplet. Cf. Publication de ce comrte rendu, Médecine et Hy- giène, 1977, No 1264, p. 4025.

31 En Suisse, le refus massif du législateur d'aborder cette ques- tion est assez ~ignificatif; il est apparu tant au niveau fé- déral, qu'au niveau cantonal (Refus de l'initiative zurichoi- se par la Conunission du Conseil National, Journal de Genève, 5 septembre 1978, et refus du Conseil d'Etat genevois de légi- férer, Journal de Genève, 6 octobre 1978). Ce qui contraste certainement avec l'opinion pUblique, qui s'est exprimée

not~~ent à Zurich, où elle approuvait Que des démarches soient entreprises au niveau fédéral pour que la question de l'euthanasie active soit légalisée (Journal de Genève, 28 septembre 1977).

4/ Pour reprendre l'interrogation d'un aumonier de l'hôpital can- tonal genevois, partagé,d'ailleurs par un groupe composé de médecins, d'infirmières et de pasteurs hospitaliers, demandant que soit aussi abordée, au sein de l'hôpital, la question de la la "sortie" des malades (ROCHAT (F.) & aL),"Prendre ou donner la mort"? Médecine et Hygiène, 1978, No 1232, p. 985).

51 Malgré ses grandes faiblesses, il faut peut-être lire tout de même une certaine littérature actuelle cheminant entre la con- fession tragique et la description catamnestique de grandes souffrances. Par exemple: RAIMBAULT (G.) : L'enfant et la mort, Paris, Privat, 1978, RAI~rnAULT (E.) : La d€livrance, Paris, Nercure de France, 1976, SCHWARTZENBERG (L.) et

VIAUSSON-PONTE (P.) Changer la mort, Paris, Albin ~lichel, 1977, QUINLAN (J. et J.) : Karen Ann, Paris, C.F.L., 1978.

6/ FLETCHER (J.) ; "Ethics and Euthanasie Il in ~IILLIAMS CR.H.) To Live and to die: when, why and how, Berl.Ln-Heidelberg-New- York, Springer, 1973.

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problème, tantôt au contraire, comme un problème insoluble.

Pour échapper à ces impasses, un document dit de réflexion ne

doit pas se contenter de réaffirmer des dogmes, mais plutôt frayer une place à la théorie de ce thème qui, entre le jeu de mots et l'examen positif des normes de conduites où il se trouve alterna- tivement confiné, lui semble pourtant irrémédiablement rebelle.

Or, en posant ex abrupto la question "Faut-il pu- nir l'euthanasie ?,,3), les juristes de ces vingt dernières années ont choisi de déployer leur problématique sur un terrain pres- que exclusivement pratique. L'euthanasie ne constituant à leurs yeux rien d'autre qu'un mode particUlier de l'homicide, il ne leur restait plus qu'à déterminer si un tel acte peut être jus- tifié au regard de la morale - et partant, du droit - compte te- nu à la fois de la grandeur des sentiments qui avaient animé son auteur et de la misère physique et morale de celui qui en avait été l'objet. En d'autres termes, la vie mérite-t-elle tou- jours une protection absolue ou bien, peut-on admettre que dans certaines conditions exceptionnelles son sens serait à ce point diminué que l'acte qui y mettrait fin resterait impuni? Cette perspective aboutissait immanquablement à aborder la question de la valeur de la vie en même temps que des critères d'appré- ciation de celle-ci4

). On le sent, aucun débat moral ne sera jamais assez rigoureux pour affronter le problème posé en ces termes 5 ). Et de fait, l'éthique jUdéo-chrétienne et peut-être

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"

plus encore notre individualisme imposaient-ils à ces auteurs une stratégie de: défense et d'interdit là où. précisément. une attitude véritablement morale. chargée de charité chrétienne.

eût au contraire conduit il. une plus profonde compréhension et à la prise en charge du problème.

A l'impuissance du discours moral devant un pro- blème ainsi posé devait naturellement répondre l'ineffectivité d'un droit qui n'en constituait que la réplique ou l'ombre por- tée. Et. de fait. les normes juridiques inspirées de cette so- solution furent largement inappliquées. démontrant par là l'ab- sence de pragmatisme des choix réalisés selon des principes mo- raux et des valeurs juridiques abstraits.

Si nous jetons en effet un rapide coup d'oeil re- trospectif sur les procès d'euthanasie qui émurent l'opinion publique tout au long de ce siècle. nous devons constater que

la loi y fut quasi-systématiquement tenue pour lettre-morte. Les tribunaux ont en effet acquitté. en violation flagrante des tex- tes légaux. les auteurs de "crimes euthanasiques" et ce en dé- pit des prises de positions unanimes de l'Eglise. du corps médi- cal et des juristes qui s'accordaient toutes sur la punissabi- lité des actes commis. Ajoutons que cette clémence nous paraît d'autant plus inattendue qu'elle aurait. aux dires des commen- taires. précisément pour objet des atteintes à la vie. le bien qui. d'entre tous ceux que protège le code pénal. est élevé il.

la plus haute valeur et mérite la protection la plus absolue.

On a pu avancer. pour expliquer l'ineffectivité dans laquelle était maintenue la loi. que l'attitude des tri- bunaux découlait - en droit anglo-saxon comme dans le droit classique d'inspiration française - de la trop grande rigidité

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de leurs codes qui faisaient des crimes euthanasiques des as- sassinats par préméditat10n passibles des peines les plus lourdes et les plus infâmantes; il apparaissait dès lors aux jurés et aux juges plus équitable de libérer de toute peine ces auteurs que de les soumettre à la répression aveugle que dictait l'ap- plication d'une loi incapable de prendre en considération les circonstances particulières ayant présidé à la commission de l'infraction7 ) .

Cette explicatior, !lb peut certes pas être mécon- nue; sa portée est néanmoins diminuée par l'examen du C.P.S., qui en dépit d'une typologie plus nuancée des homidides, reste inappliqué : aucune condamnation pénale n'a été prononcée au chef de l'art.ll4 C.P.S., par exemple, depuis 19658). Doit-on en conclure que la Suisse n'a pas connu d'euthanasie active sous forme de "meurtre à la demande de la victime?" ou alors.

ce qui est plus vraisemblable, que l'on n'incrimine pas les ac- tes de cette nature, fût-ce au titre de meurtre privilégié pas- sible d'une peine largement individualisable et atténuable ?9)

Les soupçons qu'ont fait naître l'inapplication systématique de la loi quant à son aptitude à saisir les états de faits que recouvrent les comportements euthanasiques sont

corroborés par l'incapacité dans laquelle se trouva le légis- lateur à apporter une solution au problème dont il a été sai- si au début du mois de janvier 197510 ); à la suite des remous provoqués par l'inculpation d'un médecin-chef d'une grande cli- nique de Zurich pour des faits d'euthanasie passive, une ini- tiative et un postulat furent en effet déposés au Conseil natio- nal qui tous deux demandaient une réglementation de l'euthana- sie dans le but de fournir au médecin la sécurité juridique propre à l'exercice de sa profession et au malade la définition de son statut et de ses droits.

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Or' les parlementaires commis à l'élaboration du rapport prélimi- naire ont jugé inutile et impossibl~ à la fois de légiférer en cette matière. Cette prise de position n'empêchait cependant pas la commission d'admettre dans ses conclusions que l'opinion qui a dominé en son sein était "que ces problèmes gagneront en acuité et en gravité parce que science et technique ne cesseront de progresser sans qu'il faille s'attendre à un renversement

de situation. Ainsi. la majorité de la commission est-elle d'avis qu'il serait déjà indiqué d'établir une réglementation légale sur certains points de cette matière et que cela deviendra iné- vitable dans un avenir prévisible"ll).

Ineffectivité donc. qui traduit,à notre sens, beaucoup plus une difficulté du discours juridique à appréhender la réalité de l'euthanasie qu'un aménagement insatisfaisant du droit pénal existant; comme si la solution du problème ne pou- vait se trouver dans une relativisation ou une atténuation des effets prévus à la violation de l'interdiction de tuer mais dans la saisie par le droit d'une réalité qui lui est étrangère et, qu'il ne sait pas encore nommer; ainsi malgré une trompeuse ressemblance au plan des actes commis, l'euthanasie différerait au plan anthropologique de l'homicide ••• Le professeur J. Graven a pu dire que l'euthanasie "arrive difficilement à naître juri- diquement,,12), et l'on peut se demander si cette difficulté ne tiendrait pas à une ambiguïté du langage pénal. ambiguïté embus- quée au seuil de la problématique. dans son ononoo d6jaf on

d'autres termes. faut-il admettre d'entrée de cause que nous som- mes en présence d'une modalité de l'homicide? Telle est la pre- mière question que fait naître en nous le constat que l'euthana-

sie est "impunissable". et qui pour nous s'impose avant celle de savoir si l'euthanasie "doit être punie".

• ••

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S'il s'avérait qu'elle fût infondée, la question ainsi posée del'2urerait cependant légitime : cette approche pragmatique nous impose en effet un point de vue théorique

(nature de l' hon:icide, nature de l'euthanasie) dès lors que le prOblème pratique de la mise en oeuvre de la norme (faut-il pu- nir et comment punir ?) devient second; il nous appartient donc en premier lieu de chercher à déterminer oü se situe l'euthana- sie, quelle réalité elle recouvre, quel bien elle tend à promou- voir ou à violer. Nous chercherons donc à donner au problème de l'euthanasie une certaine autonomie. à la regarder pour elle-mê- me avant de la qualifier juridiq>.:.emen~ et de voir quel traite- ment normatif cette qualif'ication nous suggère.

Ajoutons que , si les problèmes d'euthanasie trou- vaient une incidence pratique somme toute très épisodique et qu'ils appartenaient donc au domaine des tragiques curiosités ju- diciaires, des étrangetés du droit pénal, l'évolution récente des techniques médicales et des pratiques hospitalières a chargé le thème d'une importance croissante et l'issue juridique encore floue donnée à ce problème concerne dorénavant la frange toujours plus large de la population qui meurt à l'hôpital13

). Ainsi, l'euthanasie a cessé d'être le problème de l'élimination des êtres malformés handicapés devant la vie, voire celui des seuls mourants à l'agonie, mais il est devenu véritablement l'expres- sion de notre civilisation technologique face à la mort. Il est apparu en particulfer que la lutte contre la mort engagée par la médecine, et qui la conduit dans certains cas extrêmes à maintenir les malades dans un état artificiellement prolongé de vie létale, dans une vie qui n'est plus que végétative, ma- nifestait surtout l'angoisse d'une société qui refoule l'idée de la mort et se trouve incapable d'aider le malade à aborder sereinement les derniers instants de la vie: "l'un des effets

...

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des nouvelles possibilités offertes au médecin est une terreur psychologique pour ~a population; le processus de mort est décou- pé en tranches et complété sans cesse par de nouvelles branches, si bien que le service que l'on prétend rendre à l'homme se trans- forme en terreur pour l'humanitén14 ).

Comment mourir dans la société actuelle ? Telle est la préoccupation angoissante que nourrissent toujours plus nombreux nos contemporains et dont nous allons tenter d'évoquer certains aspects symboliques et matE::rL:ls.

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• •

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CHAPITRE l De la souffrance à la mort

1. Définitions communes de l'euthanasie: "Mort douce "?

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Examinons les définitions que nous donne la lit-

térat~e juridique et médicale en la matière; un juriste d"abord qui, en se fondant sur le dictionnaire Littré, caractérise l'eu- thanasie de la manière suivante : "bonne mort, mort douce, mort sans souffrance, l'euthanasie sera donc un homicide volontaire, consommé à l'aide de moyens permettant à la victime de trépasser sans souffrance et même a&ns' une certaine eUPhorie,,15). Plus res- trictive mais d'une inspiration proche, voici la définition qu'en donne un médecin: "Il s'agit en fait d'un meurtre décidé et réa- lisé dans une louable intention, pour épargner à un être humain une somme de souffrances injustifiée au cours du temps qui lui reste à vivre,,16) •

On peut nuancer indéfiniment les définitions de ce genre en y introduisant des conditions relatives, par exemple, à l'état dans lequel doit se trouver la victime (nature des dOU- leurs, conscience/inconscience. degré d'avancement de la maladie, voire inéluctabilité et proximité de l'éChéance finale). au type de comportement adopté par l'auteur (commission

=

tuer, commis- sion par omission

=

laisser mourir en ne soignant pas ou en ces- sant de soigner. omission

=

ne pas empêcher que la victime por- te elle-même atteinte à sa vie, ou omission par commission

=

ai- der la victime à porter elle-même atteinte à sa vie) et proposer,

selon que ces critères sont ou non réalisés, des catégories d'eu- thanasies (passive, active. directe, indirecte) diversément

punissables 17 ).

• • •

(14)

En fait, la quasi-totalit~ des auteurs s'entend pour attribuer il l' p· ... thanasie les caractéristiques suivantes :

a) l'euthanasie est un meurtre, car elle consis- te en un comportement ayant pour résultat final d'attenter à la vie.

b) Cette forme d'atteinte à la vie diffère cepen- dant de l'homicide ordinaire en ceci que l'au- teur ne poursuit pas seulement le but d'ôter la vie mais cherche par là à procurer à la

"victime" une mort douce voire "euphorigue".

Pour devenir une euthanasie, le meurtre défini négativement comme une atteinte à un bien juridiquement protégé doit donc se doubler d'un élément positif, d'une "prestation"

réalisée par l'auteur au profit de la "victime".

Toutes ces constructions juridiques qui condui- raient d'ailleurs, si elles étaient appliquées, à des solutions artificielles, sinon tout à fait ChOqUantes,l8) ne projettent, comme on le verra, guère de clarté sur le fond du problème : doit-on articuler la définition de l'euthanasie sur celle des at- teintes à la vie, ou doit-on au contraire faire progresser l'a- nalyse vers la définition et la formalisation du bien que ces comportements tendraient à protéger ou à promouvoir ?

Autrement dit, l'euthanasie se caract6rise-t-elle d'abord ou même exclusivement comme atteinte à un bien protégé, la vie? Sinon, quel bien protège-t-elle, quel est son sens? La réponse à cette question, son analyse et son développement pour- ront seules nous permettre une définition globale des actes dits "euthanasiques", à savoir une compréhension qui recouvre et unifie un ensemble de comportements qui, aux yeux du droit pénal, sont au contraire divers et irréductibles les unes aux

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autres dans la mesure où ils sont dirféremment subsumes à l'uni- té de réflexion p€n~lci de base. l'homicide. Le sens et cette dé- finition une fois dégagée. alors seulement sera possible une con- frontation de l'euthanasie avec les valeurs pénalement protégées.

et nous pourrons mieux discerner s'il y a conflit entre le bien que protège le droit pénal et le but poursuivi par l'acte eutha- nasique ou si. au contraire. cette opposition que nous avions cru devoir admettre de prime abord - tant était évidente la sub- somption de l'euthanasie à l'homicide - n'était en réalité qu'une opposition de forme qui s'estompe daM l'analyse du sens.

2. ~~_1~!!~_22~!~~_1~_~2~1~~~_l_~~_2Èj~2!!!_œ~!_~~!!~!

On a vu ci-dessus que les auteurs désignent par le terme d'euthanasie les actes qui permettent la survenance d'une mort douce que le moribond vivra dans un état proche de l'euphorie - sans souffrances. Une telle définition du "program- me" de l'euthanasie. en plus du fait qu'elle présente une faible capacité opératoire du strict point de vue technique 19 ). mérite un examen attentif sous l'angle de l'esprit qui l'inspire.

En effet. de même que l'ascèse n'est pas une va- leur. mais. littéralement. un exercice. de même la lutte contre la soufrrance n'est-elle pas une fin en soi : elle relève de la compétence d'une technique. la médecine, et celle-ci ne doit pas. au risque de pervertir le sens de son action. s'affranchir de la pensée qui. en fondant ses valeurs. l'oriente et en défi- nit les limite~.

A cet égard. l'euthanasie qui. d'un point de vue déontologique. se présente coœne la solution ambiguë par laquelle le médecin résoud mal un conflit né soudain entre ses deux de-

•••

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voirs fondamentaux devenus incompatibles de protéger la vie et de soulager les dou::'eu~>s, !lanifeste bien le désarroi d'une te ch-

nique devenue aveugle po~r avoir perdU les fins de son action.

Cela étant, toutes les civilisations ont professé et cultivé des défenses pour contenir la douleur, "qui sont au- tant de méthodes pour la recevoir et la sUbir,,20)., Ces méthodes peuvent, en gros, être classées en deux groupes principaux qui conduisent à des rencontres radicalement différentes avec la

soufft'ance : "l'une consiste â lutter activement contre les motifs objectifs naturels et sociaux de la souffrance: c'est la résis- tance absolue contre un mal en tant que conformation objective du monde, l'autre méthode consiste dans l'essai, non pas d'arrê- ter les maux ( ••• ), mais de réduire intérieurement la souffrance provoquée par n'importe quel mal ••• 21). Dans le premier cas, l'homme souffrant choisit d'affirmer son individualité par un re- jet de ce qui le meurtri~ alors que le second groupe de doctrines présente au contraire le modèle d'un homme qui cherche la disso- lution de son moi par les participations à un ordre qui le trans- cende.

Ces deux méthodes ou thérapies de la souffrance s'inspirent, pour la première feis, de la conception d'après la- quelle les causes de la souffrance sent extérieures à ce,lui qui la subit et qu'il convient dès lors d'adopter une attitude qui va de la défense à la lutte contre uen réalité objective et, pour la seconde, que la souffrance résulte pour une bonne part de la violence de ma résistance instinctive aux stimuli extérieurs rieurs excitant les sens. Dans cette seconde hypothèse, la souf- france trouve son origine immédiate dans le domaine subjectif ou intérieur; elle appelle donc, pour être dépassée, à une concen- tration sur soi-même, à une méditation.

••

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On peut affirmer en généralisant beaucoup que les attitudes sché- matisées ci-dessus correspondent respectivement, pour la premiè- re à l'attitude occidentale d'''activisme héroïque" ou de rejet de la souffrance et, pour la seconde, aux voies d'un certain mysticisme oriental. De ce point de vue, l'attitude de la méde-

cine d'aujourd'hui face à la souffrance présente une manière ca- ricaturale de la voie occidentale : la souffrance entièrement saisie en extériorité a perdu tout statut existentiel. De ce fait, une lutte contre la souffrance s'est ouverte qui n'a pas d'autre but que son élimination définitive. Cette attitude cari- caturale témoigne de la manière superficielle avec laquelle l'homme moderne réfléchit sur la douleur physique comme sur toutes les manifestations essentielles de son existence humai- ne 22)

Nous voyons donc qu'en dépit des différences ra- dicales qui caractérisent ces réponses à la souffrance, l'homme a toujours cherché à l'endiguer par la domination des sens ou au contraire par une lutte active des sens mis à vif. Cependant, au delà de cette diversité de moyens, la thérapeutique de la souffrance doit s'interpréter comme une recherche d'adaptation de l'how~e aux conditions de vie, dans tous ses aspects, y com- pris et surtout les plus fondamentaux, ceux qui modèlent en quelque sorte la condition humaine et qui, en dépit des change- ments intervenus au cours de l'histoire et en particulier du développement des teChniques utilisées par ~'hon~e pour agir sur la nature, sont demeurées immuables. C'est pourquoi toutes les doctrines de la souffrance, qu'elles fussent d'inspiration orien- tale ou qu'elle appartinssent de manière caractéristique à la tradition occidentale, étaient constituées.de trois ou quatre niveaux: une cosmogonie qui rend compte de l'origine de la

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souffrance (exemple: le récit de la ahute), une ontologie qui est une théorie de l'être de la souffrance (ou,si l'on veut, de sa manière de participer â l'existence dans le monde), d'une éthique qui définit le comportement "juste" face à la souffran- ce et donc aussi les vcies qui permettent de la dépasser (techni- que).

Les deux premiers niveaux d'explication ayant dis- parus de la culture de l'homme occidental, celui-ci ne sait plus pourquoi il souffre et a une conscience de moins en moins claire de la nature de la souffrance; c'est pourquoi l'homme moderne,

qui sans conteste dispose des moyens les plus efficaces pour endiguer la souffrance, est paradoxalement celui qui est le plus désorienté face à ce phénomène et le maîtrise au fond assez mal.

Ce paradoxe, s'il ne doit pas nourrir des nostalgies toutes pa- thologiques de la souffrance, doit nous inciter à porter un re- gard critique sur la proposition dite progressiste de l'euthana- sie co~~e moyen d'atténuer les douleurs de l'agonie. La proposi- tion n'est pas univoque â notre sens, prise à la lettre, elle annonce peut-être plus un désert culturel â venir que le "pro- grès d'humanité" qu'elle prétend promouvoir.

3.

~~~!E~E!2DS~_9~_!~_~9~ffE~D~~

En vérité, le désarroi que manifeste l'homme mo- derne en présence de la souffrance ne peut être mis au compte d'une désaccoutumance à celle-ci, ainsi que certains auraient tendance à l'avancer; après tout, notre société et ses techni- ques médicales ont aussi produit des souffrances nouvelles aux- quelles les douleurs d'antan n'ont probablement rien à envier et, surtout, la douleur reste un fait incommunicable, absolu et qui, en dépit de sa relativité évidente, ne se compare pas. A

...

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chacun de ses degrés, la douleur pourra être insupportable, et cela en fonction de critères et de circonstances qui lui sont parfaitement extérieurs, et qui ne dépendent en particulier pas de son intensité. De telle sorte que, en ad~ettant même que l'homme moderne soit confronté à des douleurs moins inten- ses que ses ancêtres, on ne pourrait en déduire que l'èxpérien- ce de la douleur l'ait épargné.

En fin de compte, l'attitude de l'how~e occi- dental face à la souffrance et qui l'entraîne à une lutte aveu- gle de caractère prométhéen contre elle, ne peut s'expliquer de manière naturaliste: le désarroi de l'occidental face à la

souffrance ne trouve pas sa raison dans la douleur, son objet, mais plutôt dans l'expérience de la souffrance; l'expérience de la

souffrance qui, réduite à sa forme la plus simple, la plus élé- mentaire et la plus irréductible, est celle de la finitude :"On peut dire que l'homme souffrant fait l'expérience fondamentale de la finitude et ne peut être compris oomme un organisme alté- ré par des lésions anatomiques ou des privations physiologi- ques,,23) .

"L'expérience de la souffrance est celle de ma finitude, non pas qu'elle anticipe le savoir de la mort (car la certitude de la mort est un savoir qu'aucune expérience ne confirme), mais précisément parce que ma présence au monde et surtout à moi-même, n'est jamais aussi vive que dans la souf- france,,24). L'expérience vive de ma présence au monde me li- vrant le sentiment de la contingence, elle vient fournir le support psychologique et affectif dans lequel s'intériorisera le savoir de ma mort. Au coeur de l'expérience de la souffrance, nous trouvons donc l'angoisse de la mort, l'une des plus puis- santes sources de souffrances de l'homme; la mort est donc la

souffrance de la souffrance25). à la fois souffrance et facteur de

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souffrance. La souffrance, pourrait-on dire, est donc idée de la mort. C'est pcurquoi, un hédonisme primaire qui fait sa ma- xime de la fuite devant la souffrance conduit à la nostalgie de ln mort. De surcroît, quand l'hédonisme n'est pas conséquent, c'est-à-dire qu'il ne reconnaît pas la souffrance, il conduit à ne pas reconnaître la mort dont il finit par proposer le dépas- sement.

Avec "l'expérience de la finitude", nous tou- chons à l'élément irréductible commun à toute souffrance et c'est par elle que celle-ci participe à la réalité existentielle de l'homme. De ce point de vue, la souffrance cesse d'être un mal qui fait obstacle à la vie, la source d'un moindre-être, elle devient ur. mal congénital de l'existence dans le monde sans l'expérience de laquelle la conscience de soi est inconcevable.

C'est en ce point précis que la souffrance conduit à la formula- tion de l'être-dans-le monde de l'homme.

La "lutte contre les douleurs" que propose l'euthanasie ne peut donc être déployée que dans la question de la présence à la mort, la seule fondamentalement définitive, car elle seule nous apprendra si la formulation actuelle de l'euthanasie et la gestion de la souffrance qu'elle propose va dans le sens d'une adaptation de l'homme au monde ou si, au con- traire, elle est la manifestation d'une crise de la culture, im- puissante à répondre au savoir de la finitude qU'annonce toute expérience de la souffrance.

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CHAPITRE II La mort dans notre société et dans notre culture I. La socialisation de la mort aujourd'hui

(indications descriptives)

1/ Du cannibalisme (appropriation des vertus du mort par le groupe)26) aux grands sermons funéraires de Bossuet et de Bourdaloue (qui étaient l'occasion de réaffirmer avec force que la vie du chrétien doit être une préparation à la mort et au jugement). toutes les sociétés organisaient autour de la mort un ensemble de rituels et de paroles collectives qui étaient les formes apparentes et symboliques d'une "économie de la mort"

par laquelle le groupe réalisait à la fois son appropriation. son exorcisme et sa redistribution sous une forme culturelle.

Par un trait spécifique de sa culture, notre socié- té sécularisée n'a pas su développer ou conserver de telles procé- dures de socialisation de la mort. Tout concourt au contraire à en cacher le spectacle : nos pratiques sociales tissent derrière cet- te réalité hier encore familière et fréquemment évoquée. un rideau qui éloigne le mourant du groupe social avant même qu'intervien- ne l'événement du décès proprement dit. Ainsi une nouvelle pu- deur à l'endroit de la mort confine le malade dans le "No Man's Land" social et psychOlogique - zone de honte et de gêne - de cet événement aussi inavoué à soi qu'il est inavouable aux autres 27 ) •

Cette exclusion de la mort. comme toute absence, est difficile à montrer; on peut cependant rappeler. sans les égré- ner tous. certains indices qui permettent de conclure à une évolu- tion de nos attitudes à son endroit.

(22)

2/ Tout d'abord, nous avons tous fait l'expérience une fois ou l'au+re de la gêne qui s'empare de nous, lorsque, en présence d'un proche ou d'un familier d'un mort, nous devons lui adresser nos condoléances. Toutes les excuses nous paraîtraient bonnes pour éviter cet instant en dépit de l'amitié et de la

pitié sincères qui nous animent, rien ne peut être dit, nous semble-t-il, car toute parole, toute question prendrait imman- quablement une teinte inquisitrice. un aspect du curiosité mal placée. Sentiment de maladresse que nous devons à l'impression d'être placé par les événements devant une sphère intime et interdite28) et ainsi toute erreur du comportement en ces cir- constances prendrait vite les accents de la "faute de goût", voire de l'obscénité 29 ). Cette impuissance à parler nous conduit à adopter les attitudes et les formules les plus conventionnelles, les moins "risquées", mais aussi les plus figées et qui expriment bien mal nos sentiments du moment. Un auteur30 ) a pu rapporter que dans un village de France où les mêmes personnes qui s'étaient livrées, vingt ans plus tôt, sans craindre de s'y appesantir lour- dement. à force condoléances et commentaires sur la mémoire du mort, avaient au contraire adopté depuis, dans des circontances analogues un comportement de silence et de gêne, fuyaient les proches ou abrégeaient les conversations afin d'éviter de devoir évoquer le malheur survenu. Sans aucun doute, un changement s'était produit dans la mentalité des villageois : pas plus triste en

elle-même, la mort était cependant devenue un événement trop cho- quant pour qu'on puisse réellement en parler et confier

les 8=ntiments qu'elle avait pu inspirer.

3/ Ce mutisme qui affecte l'ensemble des laies trou- ve au demeurant une certaine complicité jusque dans la prédi- cation chrétienne sur la mort qui subit ainsi une sécularisa - tion du coeur de sa doctrine et du thème qui a constitué

(23)

de la théologie pratique.

"Nous avons dans le cours de la vie, des passions

à ménager. des conseils à prendre. des devoirs à accomplir. o~pour

tout cela. la pensée de la mort nous SUffit,,31). Cette exhorta- tion maintes fois reprises dans les prédications d'enterrement tentait l'intégration profonde de la mort dans la trame de la vie du chrétien; l'articulation mort-péché-salut faisait frémir les vivants et personne n'était sourd à l'appel à la conversion qu'elle impliquait. La mort se jouait donc en ce monde, elle était le "salaire du péché" et c'est pourquoi elle ne pouvait

être laissée au hasard : aussi le chrétien ne devait-il jamais perdre de vue la perspective de la mort à venir qui perd-ait donc sa qualité d'événement soudain et inattendu qui fait irrup- tion dans le monde des vivants pour devenir un événement prépa- ré et attendu de longue date.

Or, une étude récente 32 ) nous apprend que parmi les trois thèmes de la consolation des survivants, de l'annonce de la résurrection et de l'appel à la conversion, seuls les deux premiers font l'objet de la prédication d'enterrement pro- noncée de nos jours par les pasteurs de l'Eglise protestante de France. On observe donc une réticence à parler en ces occasions du péChé et du salut, c'est-à-dire "de ce qui, dans la concep- tion chrétienne, fait de la mort une dimension permanente de l'existence quotidienne et non un événement extérieur à cette vie,,33). La résurrection est donc prêchée sans référence aux thèmes de la faute et du salut et devient ainsi "une simple es- pérance de survie qui s'amalgame avec toutes les croyances que l'après-mort suscite. c'est-à-dire avec des éléments foncière- ment étrangers à la doctrine chrétienne,,34) • La prédication chré- tienne actuelle favorise donc, elle aussi, contre toute atten-

•••

(24)

te, une occultation de la mort désormais en rupture avec la vie, et cela par une perversion de la doctrine qui perd son élément spécifiquement chré'len ".\' p't'ofit, comme le remarque J. Freund,

"d'une vague de religiosité, indéterminée quand à son sens et informelle quand à son contenu,,35).

41 Mais la mort n'a pas perdu qu'une société sécularisée, elle a été aussi privée temps et d'un lieu.

parole dans notre parallèlement d'un

Ainsi, les exemples étaient nombreux - en dépit

de leur valeur dogmatique douteuse - des rites qui avaient pour fonction principale de revivifier la mémoire des morts par un culte qu'on leur adressait régulièrement et, par là, de faire renaître constamment à la conscience de chacun le sort qui iné- vitablement l'attend. Et si les morts affirmaient ainsi presque quotidiennement leur présence, le calendrier religieux désignait de surcroît certains jours à l'attention particulière des parois- siens ; la plus marquante de ces fêtes était, en terre catholi- que, la Toussaint, jour de grandes prières d'intercession pour les âmes au purgatoire où revivait la mémoire des défunts, oc- casion de processions mortuaires et, dès le dix-neuvième siècle, d 'un "culte des tombeaux". Or. l'abandon de cette fete ne signa·- le pas seulement la déviation des formes religieuses de la vie sociale, elle manifeste aussi que la société laïque actuelle n'introduit plus dans son temps une place à la mort.

Enfin, à cet abandon d'une confession collective et d'un tempe des morts correspond tout naturellement la désaf- fection de leur lieu traditionnel, le cimetière. Issu à la fois de la tradition grécO-latine et jUdaique,le cimetière n'était pas destiné en Occident aux seuls chrétiens qui y attendaient

(25)

d'un parc de repos, d'un espace de détente sinon d'amusement:

"bien souvent. le cime~~ère est le seul endroit convenable de la cité. peu à l'aise dans son enceinte fortifiée où les places sont rares et en tout cas exiguës. Cela. joint aux privilèges divers d'immunité. suffit à lui conférer tout un ensemble de fonctions sur lesquelles il semble normal qu'un contemporain s'étonne: existence de marchés et de foires. lieu de refuge au moment des invasions. maisons de rapport construites sur une partie du cimetière. centre d'affaires. lieu de justice.

etc. ,,36).

Or. le cimetière. à la suite d'une évolution in- sensible. â perdu la place centrale qu'il occupait durant le Moyen Age et jusqu'aux dernières années du dix-huitième siècle;

l'Eglise une fois expropriée. il deviendra bien de la commune qui le c10turera et le repoussera hors de l'espace urbain. ne le réservant plus qu'à sa destination initiale. Demain. le ci- metière aura peut-être définitivement disparu, donnant raison à Baudrillard selon qui les morts sont proscrits "de plus en plus loin du groupe des vivants. de l'intimité domestique au ci- metière. premier regroupement au coeur du village ou de la vil-

le. puis premier ghetto et préfiguration de tous les ghettos futurs. rejetés de plus en plus loin au centre vers la périphé- rie. enfin nulle part comme dans les villes nouvelles ou les métropoles contemporaines. où rien n'est plus prévu pour les morts, ni dans l'espace physique ni dans l'espace mental ••• n37 )

Les quelques indices que nous avons repris ici.

s'ils sont insuffisants à décrire exactement les comportements collectifs de notre société face à la mort. disent assez bien que la mort et le cortège de questions qu'elle entraîne dans son sillage sont aujourd'hui comme jamais auparavant éludées.

voire refoulées.

• • •

(26)

La ~~~j~te de la mort a, en effet, toujours h~n­

té l'homme, même pendant les périoè.es de certitude métaphysique, et c'est Cl.onc par un penchant bien naturel qu'il en évoque le moins possible la pensée. Ainsi Calvin pouvait-il constater que

"non seulement les gens savants connaissent que la vie humaine est semblable à ombre ou fumée, mais c'est un proverbe commun entre le populaire. Et parce qu'on voyait que c'était une cho- se fort utile à connaître, on l'a célébré par plusieurs belles sentences. Et néanmoins, il n'y a chose au monde que nous consi- dérions plus négligemment, ou dont il nous souvienne moins. Car nous faisons toutes nos entreprises comme constituant notre immortalité sur terre,,38). Cette inclination permanente et natu- relle à oublier la mort fait la part de ce que Max Scheler a pu appeler "la légèreté métaphysique de l'homme,,39) qui est à l'o- rigine de cette propension, qu'aucune culture et aucune foi n'a pu tout à fait éliminer, de se cacher la contingence de la vie humaine. Il serait donc faux d'identifier le passé à un âge d'or où l'homme a pu vivre en harmonie avec la mort; cette con- ception que certains historiens ont pu contribuer à répandre sert en fait de prétexte à nourrir des nostalgies gratuites pour le "temps passé" et la tradition40

). Cependant, la peur de la mort, en tant que fait universel, est un phénomène normal à condition de ne pas devenir obsessionnel ou trop intense. Or, les exemples que nous avons développés ci-dessus nous montrent très bien que la tolérance de notre culture à l'idée de la mort a singulièrement décru, à tel point que les instances sociales qui fonctionnaient comme des processus d'intégration de la mort.

ont été soit écartés, soit inféodés au silence général qui s'est

. ,41)

l.nstaure •

L'état actuel de l'imagination collective du monde occidental ne paraît donc pas explicable du seul fait de

(27)

cette tendance -ctni v<?1"sf>lle et normale de la psychologie humaine à considérer la mort comme une idée un peu froide et irréelle mais ressort plutôt à d~s ceuses particulières, spécifiques à l'idéologie par laquelle nous pensons et agissons. Avant de voir les effets pathologiques de ce refoulement, effets qui ne man- queront pas de se produire dans les circonstances proches de la mort, au chevet du grand malade ou dans certaines pratiques mé- dicales42

) - nous devons donc chercher à l'expliquer en esquis- sant à gros traits la rencontre de l'idéologie dominante et de la mort.

II. Mort et histoire

1. L'homme archaïque ne voit pas dans la mort le si- gne d'une fatalité individuelle, aussi n'est-elle pas, à ce ti- tre du moins,l'objet d'une crainte ou d'une angoisse particuliè- re. En effet, la conscience que l'individu prend de lui-même ne s'actualise dans ces sociétés que par le mode des participa- tions au groupe 43 ); en témoigne très bien le fait que les noms propres ne désignaient jamais l'individu comme donnée première et irréductible en soi, mais signifiaient toujours un rôle so- cial, la fonction dans le groupe, le clan, la tribu - l'indivi- du changera donc d'identité au fil des rôles qu'il assumera.

La nlblbion même de personne est donc absente complètement ou en partie de l'univers mental primitif: Mauss44

) a montré que c'est par "l'aspect de personnage que l'homme accède à la no- tion de personne"; l '-ét_ymologie du terme latin "persona" nous l'apprend qui a successivement signifié "masque", "rôle", "ac- teur", et enfin, à la période classique, la personne représen- tée par l'acteur (on observe une évolution en tout point paral- lèle avec l'équivalent grec

fTf

o(....> fT 0 y'

4~

Cette évolution atteste le fait très important que "le moi n'est pas une catégorie im- médiate, simple et primitive de l'esprit humain, mais qu'elle est au contraire médiate, construite et complexe,,46)

(28)

C~l rl>!"'lltait de cette absence de conscience inté- rieure 'le soi que "même la naissance et la mort ét~ient conçus

cow~e des phénomènes dépassant la personne, non cow~e des évé- nenents avec lesquels l'individu avait personnellement i1 compo- ser,,47). Le même 8.uteur souligne q1le "pratiquement, la mort n'est pas en soi l'Objet d'une crair-te, ce qui est terrible c'est èe mourir sans enfants: l'individu, en tant que membre de la collectivité, survivait dans ses cnfants,,48).

Mais, si la mort n'était pas particulièrement re- doutée par les archaïques, les morts

49 )

méritaient au contraire toute leur attention car il ne fallait pas qu'ils se retournent contre le groupe et qu'ils le hantent de leurs pouvoirs maléfi- ques. Cha.que société respectait donc des rituels qui avaient pour fonction d'amadouer l'âme ou l'esprit des morts, et Batail- le50 ) a pu montrer que le sacrifice en particulier permettait d'exorciser cette crainte que les doubles des morts inspiraient au primitif: la mise à mort d'un être, qu'il soit animal ou végétal, attestait aux yeux des assistants qui participaient à l'acte rituel la continuité,de l'être (=nature et société) malgré la mort survenue. Autrement dit, le groupe subissait à l'occasion du sacrifice une sorte de mise i1 l'épreuve dont il sortait victorieux car il y apprenait la solidité du groupe qui survit et n'est pas altéré par la mort.

On a pu dire que le primitif abordait sereine- ment la mort précisément parce qu'il ne doutait pas de sa sur- vie qu'il se représentait généralement sous une forme à peine différente de cell& ~e sa vie dans le monde sensible. Cette opi- nion est fausse, si elle doit signifier que le primitif tr~u­

vait un motif Qe consolation dans la préservation de son indi- vidualité cow~e le prouve l'exemple des hébreux: ceux-ci, de

(29)

manière tout à fait exceptionnelle pour un peuple de structure archaïque, avaient ban3i toute croyance en la survie et tout culte des tombeaux, "la foi de Yahvé s'étant toujours opposée avec la dernière intransigeance à toutes les formes du culte des morts n5l ). Et pourtant les paroles d'Abraham "Puis Abraham expi- ra et mourut dans une belle vieillesse, âgé et rassasié de

jours ••• ,,52), ou de Josué: "Je m'en vais par le chemin de toute terre,,53)et de bien d'autres patriarches de la tradition sa- pientale nous saisissent par la sérénité et le consentement qu'elles expriment au moment du trépas : "Israël ne connaissait ni la façon moderne de faire un absolu de la vie et de ce qu'el- le contient ni la prétention faustienne à l'immortalité n54 ).

2. Ces exemples doivent suffire à attester que la peur de la mort telle que nous la concevons naîtra avec la cons- cience individuelle : "La conscience de la mort ne suppose pas seulement la conscience de ce qui était inconscient chez l'ani- mal, mais une rupture au sein du rapport individu-espèce, une promotion de l'individu par rapport à l'espèce, une décadence de l'espèce par rapport à l'individualité,,55). Spécifier cette nouvelle conscience de la mort comme catastrophe de la vie, c'est donc spécifier la nature réelle de la rupture qui nous oppose à l'ho~me archaïque.

Plusieurs hypothèses ont été avancées qui rendent plus ou moins compte de cette rupture et qui se fondent chacunes sur des définitions différentes de l'archaïsme lui-même. Il est vrai que les sociétés et les cultures ainsi dénommées sont mul- tiformes et que l'on ne saurait, sans se méprendre profondément sur leur variété et leur richesse, les réduire à un concept uni- que. Cependant, Gurvitch56 ), alors même qu'il tentait d'établir une typologie des archaïques afin de les mieux différencier, découvre qu'elles présentent toutes, à des degrés divers, la

...

(30)

caractéristiquE; d'êtl'è non-prométhéennes. Etendons par là qu'elles n'ont !=las con:::cience de l'efficacité de leur action sur leur destin, celui-ci relevant à leurs yeux d'une autre ins-

tance~ le mythico-religieux. Ce sont donc ,des sociétés sans histoire, non pas des sociétés figées ou des sociétés qui se- raient à l'aube de leur histoire, mais des sociétés qui n'ont pas conscience de "faire l'histoire".

Rappelons très brièvement que la mesure de la réa- lité n'est pas donnée au primitif par le monde de l'expérience mais, à l'inverse. par la participation du vécu à la sphère sa- crée du mythe et de l'archétype; en d'autres termes, l'ex!=llica- tion du monde par l'homme archaïque ne repose pas sur une valo- risation du sensible mais est proche au contraire d'une ontolo- gie de type platonicien pour laquelle une chose n"'est" pas parce qu'elle "est", mais parce qu'elle est le reflet d'une idée transsensible qui lui confère réalité57 ). L'expérience ne prend donc un sens aux yeux du primitif que dans la mesure où elle s'insère dans un temps et un espace sacralisés: les évé- nements et le monde ne sont que les signes d'une réalité généra- le. englobante et transhumaine; le fait isolé n'a donc pas de sens tant qu'il est singulier, ce n'est qu'en se redimension- nant et en acquérant une vertu hiérophanique qu'il entre dans l'''histoire". Nous sommes donc en présence d'une transfigura- tion dans les traits du mythe. "il suffit de comprendre le my- the pour connaître la vie,,58) •

Or, "la conscience mythique a tendance il. laisser le temps "stationner". Cela ne signifie pas que l'horloge s'ar- rête : cela marque que la question quand? est devenue indiffé- rente,,59) L'événement n'est donc pas un fait irréversible pour la conscience archaïqu~ mais il est au contraire l'occasion de répéter et renouveler le Moment originel, il est abolition pé-

...

(31)

riodique du temps. On p,"ut donc dire que l'archaïque vivait sans la contrainte du temps considéré du point de vue de son irréversibilité et que l'association au mythe lui conférait son allure cyclique : le devenir est en effet universellement représenté et conçu selon une symbolisation du mythe lunaire.

Or, "le destin métaphysique de la lune est de vivre en restant en même temps immortelle, de connaître la mort comme une régé- nération et un repos, jamais comme une fin. C'est avec ce des- tin que l'homme cherche à se solidariser par tous les rites, symboles et mythes,,60). La sacralisation du temps et sa modali- té sélénique nous donne donc la double image d'un temps qui est sans cesse retrouvé, d'une part, et qui est circulaire selon la représentation qu'en donne le cycle de la lune, d'autre part.

3. Ce n'est pas le lieu de s'arrêter ici sur les circonstances matérielles et sociales qui ont rompu le temps mythique et la représentation privilégiée du destin de l'homme selon le mythe lunaire. Rappelons cependant que la "chute de l'homme dans le temps" ne nous vient pas de la culture gréco- romaine qui en avait de l'histoire une représentation mythique thique61

), mais trouve son origine danS la tradition prophéti- que et messianique d'Israël; la valorisation de l.'histoire com- me suite d'événements singuliers et autonomes dans lesquels l'homme est enchaîné sans retour possible provient en effet de la volonté des prophètes "de regarder l'histoire en l'ace et de l'accepter comme un terrifümt dialogue avec Iahvé,,62). Les prophètes, en annonçant les événements à venir. contraignirent le peuple d'Israël à s'intéresser et à interpréter les l'aits historiques comme "épiphanie de la volonté de Dieu" et comme

"situations de l'homme,,63); désormais, "l'avenir est défini com- me nouveau,,64). Le surgissement du temps prol'ane (même s'il est

(32)

paradoxalement ~~~~ à l'origine), qui n'est pas imitation et renouvellement du temps originel, du Grand Temps, mais temps singulier et irréversible donc historique et linéaire, va impo- ser à l'ho~~e une reconquête du temps par l'action, celle-ci étant rendue possible par la conscience de la liberté acquise sur le mythe: l'hommé, en prenant conscience de la singulari- té de son devenir, apprendra qu'il -doit agir pour être65 ).

Or, avec la fin du mythé qui "apprenait à l'homme que la souf- france n'est jamais définitive, que la mort est toujours suivie de la résurrection", l'identification au destin cosmique, et à celui de la lune en particulier, s'estompe pour laisser pla- ce à une souffrance qui n'a pas d'autres sens qu'elle-même, qui ne renvoie à une autre réalité qui l'explique et la rende né- cessaire à la fois : une souffrance nue en quelque sorte,

~ssive> Jar elle n'a pas d'autres sens que la relativité de son historicité. Un double phénomène va donc s'introduire dans l'histoire de la pensée, et ce, dès le XVIIe siècle, après une longue évolution que nous ne pouvons retracer ici: d'une part.

la conception linéaire de l'histoire va s'affirmer avec force, rendant nécessaire la foi dans son déroulement progressiste - à défaut de référence à la nécessité du mythe et à l'évolution circulaire qu'il introduit, il faudra que le sens de l'événe- ment qui advient soit puisé dans ce qu'il promet, dans ce qu'il annonce pour le futur; l'histoire en effet, n'a plus d'autre signification que l'histoire à venir, il faudra qu'elle soit la réalisation progressive d'un projet, une histoire téléolo- gique. Cependant, et c'est le second phénomène très important, la projection dans le futur a cessé. dans la mentalité moderne, de prendre la forme d'une esche_tologie de l'au-delà : en se sécularisant, le projet collectif a fixé cette attente non pas dans l'espérance d'un monde meilleur promis après la mort, mais a reporté la promesse des fins dernières à ce monde-ci •

. . .

(33)

Les divers socialismes du XIXe siècle sont bien à cet égard l'expression de la volonté de réaliser désormais dans ce mon- de le futur paradis •••• Il n'est pas question de discuter ici le bien-fondé ou l'absurdité de la sécularisation

du projet collectif il ne fait pas de doute que

de cet aspect l'attente d'un monde meilleur a longtemps incliné les masses opprimées à supporter les injustices sociales et qu'ainsi la vision reli- gieuse du monde a servi à certains égards les forces réaction- naires et oppressives, qu'elle a pu donc jouer le rôle d'''al- lié objectif" des classes dominantes. Mais il est évident aus- si, et c'est là que cette évolution des mentalités nous impor- te, que l'attitude historiciste laïque pour laquelle la recher- che du sens de ln vie ne peut s'éprouver que dans le futur du monde profane vécu sans participation par des individualités singulières rend

de la mort ainsi

difficile, voire insurmontable l'obstacle . 66)

que nous allons l'expl~quer

4. Le point de tension entre l'historicisme et la

conceptio~ de la mort qui en procède a trouvé son expression théorique dans la philosophie de Hegel dont on peut dire qu'elle est la préfiguration implacable de la hantise que la mort exer- ce sur les esprits aujourd'hui et qui a conduit à son refoule- ment. L'historicisme idéaliste, en effet, montre que la pré-

tention à la liberté et à l'individualisme. qui sont les traits Œominants de notre pSYChologie, commande

simiste de la mort comme néant 67 ) •

une conception pes-

En gros, la conception hegelienne de l'homme n'est pas celle d'un être-donné-statique-naturel, ainsi que l'a con- çu toute la philosophie païenne et jusqu'à Descartes, mais il est acte-de-se-poser ou de se créer soi-même; la distinction Objet-sujet (ou si l'on préfère homme-Chose) est fondée sur

. . .

(34)

l'idée que l'être de l'homme est radicalement différent de l'être donné naturel, il lui est opposé et il entre en lutte contre lui: il le ~ et le recrée. C'est pourquoi la réalité spécifiquement humaine n'existe-t-elle que comme mouvement créa- teur de l'être en général et aussi de l'homme comme être dans le monde. Nous nous trouvons donc en présence de l'explication au plan ontologique de la proposition selon laquelle l'homme

"fait l'histoire". "Faire l'histoire" implique en effet que l'homme échappe aux lois de la nature ou du mythe (cosmomorphis- me) et donc qu'il est ontologiquement différent dé la nature qu'il s'approprie (pe~ le travail) et s'assujettit (par l'expli- cation). Or, la philosophie antique, en désignant l'être comme stable et donné, n'avait jamais pu comprendre la différence es- sentielle entre l'homme qui parle et la chose. Elle n'a pu ren- dre compte en particulier de la liberté de l'homme qui, pour- tant, révèle l'être par le Logos.

Cette métaphysique n'avait pu, en particulier, in- tégrer l'acquis de l'anthropologie préphilosophique judéo-chré- tienne qui avait révélé à l'homme, comme on l'a vu son histori- cité et sa liberté; Descartes, puis Hegel rompent donc avec la tradition métaphysique occidentale pour laquelle "l'homme est un être purement naturel qui, tout comme l'animal, ne fait que

"représenter', dans et par son existence agissante, une "idée"

ou une "essence" éternelle, donnée une fois pour toutes et res- tant identique à elle-même,,68) •

Cependant, la liberté de l'homme que révèle l'an- thropologie jUdée-Chrétienne est appelée à se réaliser dans . l'au-delà conformément à la perspective théologique dans la- quelle elle s'inscrit; l'homme n'est vraiment libre, non pas en tant qu'existant dans le mende sensible, mais, virtuellement,

(35)

dans un monde transcendant. Ainsi, dire que l'homme a une âme immortelle c'est admettre cette transcendance. Hegel rejette cet aspect fondamental de la théologie. Pour lui, supposer.

l'existence de l'immortalité et donc du monde transcendant, com- me infini et intamporel. équivaut à ré-introduire un "donné onto- logique", un être an-historique, qui est précisément négation de la liberté et de l'individualité. On comprend donc que la con- ception d'un homme libre ne se conçoit que dans son existence- empirique (Dasein) et avec l'affirmation claire et nette de sa finitude, à savoir de la mort comme néant. En donnant une méta- physique selon l'anthropologie judéo-chrétienne, Hegel nous ap- prend, en la préfigurant, la hantise de l'homme moderne qui a.

perdu la foi chrétienne tout en ayant gardé l'héritage existen- tiel et €thique "que l'on ne peut être individuel qu'en étant libre et que l'on ne peut être libre sans être historique et mor- tel,,69). La philosophie de Hegel qui "est en

derni~re

analyse une philosophie de la mort,,70) nous explique son refoulement dans notre société athée où elle se présente avec d'autant plus d'in- sistance et d'aggressivité que la prétention à l'individualité (singularité) est forte, mais où elle comporte d'autant moins de réponse rassurante possible (Au-delà, immortalité, etc.) que la prétention à vivre sa liberté et son bonheur dans ce mon- de est vive. Or, la sécularisation du projet social et pOliti- que paradoxalement impliqué par l'anthropOlogie chrétienne est vécue à une large échelle sociale dès le XVIIe si~cle comme l'atteste l'insistance et les difficultés, rétrospectivement extrêmement frappantes, des prédicateurs du XVIIe si~cle à ap- prendre la mort et à en intérioriser le sens7l). On peut dire que cette évolution est aujourd'hui consommée comme l'indique la tendance du discours religieux actuel à renoncer à la con- ception chrétienne de la mort qui l'inscrivait au coeur de la

• • •

(36)

vie et en particulier de la liberté révélée 72 ).

5.

La négation de la Nature qu'impose désormais à l'homme la volonté de s'autocréer comme être différent ainsi que la projection dans l'avenir historique du règne des fins trouve sa cristallisation symbolique et matérielle dans la no- tion de progrès. spécialement de progrè~ technique auquel est confédérée la tâche de réaliser le boDheur sur terre par la do- mination définitive de la nature par l'homme, y compris la na- ture de l'homme : "On comprend dès lors que la mort soit deve- nue l'imperfection radicale qu'il faut conjurer par refoulement pour pouvoir jouir de l'illusi0n du projet collectif,,73). Max Weber en 1914 déjà a décrit le drame que représente toujours la mort de l'homme occidental pour qui elle survient toujours trop tôt: il n'aura jamais plus le sentiment d'avoir épuisé la to- talité de la vie, celle-ci étant toujours apte à réaliser des potentialités nouvelles, et en particulier cette dernière poten- tialité, le dernier acte de la lutte engagée contre la nature qui est la victoire sur la mort : "Abraham ou les paysans d'au- trefois sont morts "vieux et comblés par la vie" parce qu'ils étaient installés dans le cy.cle organique de la vie, parce que celle-ci leur avait apporté au déclin de leurs jours tout le sens qu'elle pouvait leur offrir et parce qu'il ne subsis- tait aucune énigme qu'ils auraient encore voulu résoudre. Ils pouvaient donc se dire "satisfaits" de la vie. L'homme civilisé au contraire, placé dans le mouvement d'une civilisation qui s'enrichit continuellement de pensées, de savoirs et de problè- mes, peut se sentir "las" de la vie et non pas "comblé" par

elle. En effet, il ne peut jamais saisir qu'une infime partie de tout ce que la vie de l'esprit produit sans cesse de nou- veau. il ne peut saisir que du provisoire et jamais du défini- tif. C'est pourquoi la mort est à ses yeux un événement qui

, " 74).

n a pas de sens •

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