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Place du style de vie «hyperactif» dans les syndromes de fibromyalgie et de fatigue chronique

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E. Masquelier N. Scaillet O. Luminet A. Desmet J. Grisart

introduction

Le syndrome de fibromyalgie (FMS) et le syndrome de fatigue chronique (SFC) sont deux entités cliniques complexes, énig­

matiques et encore controversées malgré les progrès de la re­

cherche.

De nombreux auteurs estiment que ces deux syndromes repré­

sentent des conditions similaires, s’inscrivant dans un con ti­

nuum, bien que les mécanismes physiopathogéniques puissent différer.

Ces syndromes peuvent être classifiés parmi les syndromes fonctionnels soma­

tiques, lesquels partagent des facteurs étiologiques et des facteurs de maintien psychosociaux communs.

L’«hyperactivité» ou le style de vie hyperactif, très caractéristique de notre so­

ciété postmoderne, semble contribuer fortement à l’apparition et au maintien de ces syndromes.

casclinique

Madame X, âgée de 48 ans, architecte et mère de trois garçons, a fonctionné depuis son enfance sur un mode intense, avec des responsabilités très précoces.

Depuis deux ans, elle décrit des douleurs diffuses musculosquelettiques en rapport avec un syndrome de fibromyalgie et une prise de poids.

Elle poursuit son activité professionnelle d’architecte à raison de douze heures/jour, s’occupe de la gestion de ses enfants. Les répercussions dans la vie quotidienne sont importantes. Malgré cela, elle continue à forcer mais a peur de s’effondrer. Elle se sent incomprise de ses enfants.

commentdéfiniretévaluerl

’«

hyperactivité

» ?

Il n’existe pas de claire définition de l’«hyperactivité».

Dans les entretiens en profondeur des patients FMS ou SFC, ceux­ci évoquent avant la maladie un niveau élevé d’engagement dans de multiples activités ainsi que des pensées et ruminations incessantes liées à ces activités menant à un irré­

sistible besoin de bouger et d’action.

What’s about overactive lifestyle in fibro­

myalgia and chronic fatigue syndrome Fibromyalgia and chronic fatigue syndrome are clinical conditions different but they share common components, particularly multifac­

torial aetiology. High level of action prone ness and «overactive» lifestyle can be considered as predisposing risk factors and perpetuating factors for these somatic functional syndro­

mes. For the clinicians managing complex situa tions, only a holistic, circular and biopsy­

chosocial approach could restaure a new equi­

librium (allostasis) with strategies of coping with chronic pain and planification of activi­

ties.

Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 1421-5

La fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique sont des entités cliniques distinctes mais partageant des éléments com­

muns, en particulier une étiologie multifactorielle.

L’orientation élevée vers l’action et le style de vie hyperactif peuvent être considérés comme des facteurs de risque et d’en­

tretien de ces syndromes fonctionnels somatiques. Pour les cliniciens confrontés à ces situations complexes, seule une ap­

proche globale, circulaire et biopsychosociale permettra de restaurer un nouvel équilibre (l’allostasie) à travers une meil­

leure gestion de la douleur chronique et de la planification des activités.

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Par ailleurs, pour une même quantité d’actions, les pa­

tients FMS restent mentalement plus engagés dans une si­

tuation liée à l’activité que les sujets normaux. «Mon esprit ne se repose jamais».

La littérature anglo­saxonne utilise de nombreux termes pour évoquer cette «hyperactivité» prémorbide : «hyper ac­

ti vity», «overactive lifestyle», «action proneness», «ergo­

mania».1

Ces termes évoquent­ils la même réalité ou au contraire différents aspects de ce style de vie ? «Hyperactivity» et

«overactive lifestyle» suggèrent un engagement effectif dans de nombreuses activités (comportement actif). «Action pro­

neness» suggère une disposition mentale à l’action. Dans une étude résumée plus loin dans cet article,2 nous avons émis l’hypothèse que le style de vie prémorbide peut avoir une composante représentationnelle et une composante comportementale. L’élaboration d’études qualitatives pour­

rait permettre de mieux répondre à cette question.3 En général, la mesure de l’«hyperactivité» reste basée sur des appréciations subjectives.

A notre connaissance, il n’existe pas d’étude qui mesure ce qui correspondrait à un niveau d’activité normale et une valeur­seuil de cut-off distinguant valeur normale d’activité et ce qui pourrait correspondre à une hyperactivité.

Dans la littérature, bien que la classification ICF (Inter­

national classification of fonctionning, disability and health) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) conseille la mesure du niveau d’activité afin d’objectiver le niveau de fonctionnement des patients présentant des douleurs mus­

culosquelettiques, très peu de questionnaires présentant des propriétés psychométriques adéquates ont été déve­

loppés.4

Le questionnaire HAB (vragenlijst voor Habituële Actie­

bereidheid) 5 contient 50 items autodescriptifs qui évaluent les attitudes vis­à­vis des activités.

Voici quelques items typiques : «avant de m’en rendre compte, je suis engagé dans toutes sortes d’activités» –

«pour moi, la vie est trop courte pour tout réaliser».

Cet instrument a prouvé être suffisamment fiable et va­

lide.5

Ce questionnaire HAB a été traduit en français à partir de la version originale en néerlandais.2 Il peut être rempli par le patient lui­même (autoévaluation) et par un proche de la famille (hétéro­évaluation).

Un autre questionnaire, appelé questionnaire de niveau global d’activités et de repos, a été développé. Ce ques­

tionnaire, quantitatif, met l’accent sur les aspects compor­

tementaux du mode de vie actif.10

hyperactivitéprémorbideetsyndromes defibromyalgieetdefatiguechronique

Il apparaît assez clairement, selon notre expérience clini­

que, qu’un nombre important de patients FMS et SFC (+ de 70%) rapportent un style de vie prémorbide décrit comme hyperactif, parfois appelé aussi «ergomanie». Ces observa­

tions vont à l’encontre de recherches systématiques et quantitatives dans la littérature sur la douleur chronique où les études s’avèrent non concluantes.7

Dans l’étude de B. Van Houdenhove et coll.,1 62 patients,

parmi lesquels 28 répondaient aux critères de l’ACR pour la fibromyalgie et 34 aux critères de Fukuda pour le syn­

drome de fatigue chronique, ont été sélectionnés de façon randomisée.

En utilisant le questionnaire HAB pour les patients et les proches, les auteurs ont mis en évidence une tendance à l’action significativement élevée chez les patients FMS et SFC par rapport aux normes. Ce niveau élevé de tendance à l’action prémorbide est confirmé par l’évaluation des proches, indépendamment d’une attitude positive ou né­

gative vis­à­vis de ces deux syndromes.

Nous avons évalué dans une étude rétrospective 2 la tendance de l’action prémorbide chez 24 patientes FMS en comparaison avec 24 sujets témoins, à l’aide du question­

naire HAB et du questionnaire de niveau global d’activité et de repos.

En ce qui concerne la composante représentationnelle (HAB), l’hyperactivité antérieure à la maladie est nettement plus élevée chez les patientes FMS.

Les scores d’hétéro­évaluation par les proches ne sont pas significativement différents des scores d’autoévaluation par les patients. Cela signifie que les patients FMS n’idéa­

lisent pas leur état antérieur, peut­être par peur d’être stig­

matisés comme patient fainéant ou psychiatrique.

Enfin, il est très intéressant d’observer que, selon les ré­

ponses au questionnaire comportemental, les patientes FMS consacrent moins de temps pendant la période anté­

rieure à leur maladie, et cela de façon significative, aux ac­

tivités de repos et de sommeil que les sujets témoins.

Mentionnons que ces deux études rétrospectives1,2 ont été réalisées parmi les centres multidisciplinaires de dou­

leur chronique ou de fatigue chronique, ce qui peut impli­

quer un biais de sélection.

A notre connaissance, une seule étude prospective a été réalisée dans le domaine du syndrome de fatigue chroni que 8 avec comme objectif de mieux comprendre les facteurs étio­

logiques et le rôle des exercices physiques dans sa surve­

nue. Elle a été réalisée parmi une cohorte de 4779 partici­

pants suivis de façon régulière pendant 53 années de leur vie. 62% de l’échantillon initial ont bénéficié d’une interview semi­structurée. Un haut niveau d’activités physiques à tra­

vers l’enfance et la vie adulte jeune et un indice de masse corporelle bas sont associés à un risque important de déve­

lop per un syndrome de fatigue chronique. Cette étude, réali­

sée sur une large cohorte, est cependant critiquable. L’échan­

tillon interrogé est peu représentatif de la cohorte totale (peu d’hommes, moins de problèmes sociaux et de maladies pendant l’enfance). Par ailleurs, les autres activités de la vie quotidienne et professionnelle n’ont pas été évaluées, ainsi que les facteurs événementiels ou environnementaux.

Enfin, ce n’est pas la quantité d’exercices réalisés qui serait pathogène mais plutôt l’association de l’attitude vis­à­

vis de l’endurance et des facteurs de personnalité éventuels.

déterminantsdustyledeviehyperactif dans lessyndromesdefibromyalgie

etdefatiguechronique

Comment peut­on expliquer ce style de vie «hyperactif»

chez ces patients ?

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D’un point de vue psychodynamique, selon Van Hou­

denhove et coll.,1,6 ce style de vie pourrait être lié à «une tendance narcissique à vouloir dépasser ses limites, par des besoins de dépendance irréalisés ou inachevés, par une rivalité phallique, par une attitude perfectionniste ou obsessionnelle renforcée par des parents exigeants, par la présence d’expériences antérieures d’abus ou de maltrai­

tance».

Ces hypothèses, concernant les caractéristiques de per­

sonnalité explicative de l’hyperactivité, n’ont pas été véri­

fiées de façon empirique, sauf en ce qui concerne le per­

fectionnisme.9 D’autres hypothèses apparaissent dans un cadre plus biographique, lors d’entretiens cliniques avec ces patients : la faible estime de soi de ces patients qui se reconstruisent à travers l’action et la reconnaissance des autres. L’activité peut être aussi un moyen d’affronter les émotions négatives ou de rechercher des sensations.

Enfin, d’un point de vue contextuel, le style de vie hyper­

actif peut s’expliquer par des obligations familiales, des pressions sociales ou financières, ou par des processus d’ac­

célération du rythme de vie dans notre société.

Une étude récente de Scaillet et coll.10 s’est penchée sur les facteurs de personnalité et démographiques liés à l’hyperactivité chez 45 patientes FMS. Les résultats mon­

trent une association très forte de l’hyperactivité avec le non­respect des besoins de base du corps (tels que man­

ger quand on a faim, dormir quand on est fatigué, etc.), ainsi qu’avec le perfectionnisme. L’hyperactivité était aussi liée à la tendance au don de soi et au nombre d’enfants.

hyperactivitépathogène

Une étude expérimentale11 a démontré que parmi des sujets sains et sportifs, qui sont privés d’exercices, ceux qui vont développer des douleurs musculosquelettiques, de la fatigue et des troubles de l’humeur, présentaient un niveau de cortisol sanguin bas.

Il est tentant d’évoquer l’hypothèse que dans les syn­

dromes somatiques fonctionnels, après une période pro­

longée en surrégime s’associant à d’autres causes (douleurs aiguës, traumatisme, circonstances de vie difficiles…), le système de stress perd son adaptabilité et entraîne une charge allostatique,12 entraînant des modifications des sys­

tèmes immunitaire et de la douleur.

conséquencesthérapeutiques

Dans ce syndrome somatique fonctionnel, l’objectif thé­

rapeutique est celui de réadapter le patient à retrouver un autre équilibre, restaurer l’allostasie, ce qui tend à norma­

liser le fonctionnement neuroendocrinien et immunitaire en réponse à des stimuli physiques ou mentaux.

La tendance à l’action élevée peut être modifiée par une

approche multidisciplinaire associant exercices graduels et thérapie cognitivo­comportementale.6

conclusions

L’étiologie de la fibromyalgie et du syndrome de fatigue chronique est multifactorielle. L’histoire de patients et des études récentes convergent vers l’idée que l’orientation vers l’action et le style de vie hyperactif de ces patients doivent être considérés comme des facteurs prédispo­

sants, d’initiation ou de maintien de ces syndromes soma­

tiques fonctionnels. La prévention et l’approche thérapeu­

tique biopsychosociale de ces syndromes doivent tenir compte de ces données récentes.

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29 juin 2011 1 ** Van Houdenhove B, Neerinckx E, Onghena P, et al. Premorbid «overactive» lifestyle in chronic fati- gue syndrome and fibromyalgia. An etiological factor or proof of good citizenship ? J Psychosom Res 2001;

51:571-6.

2 * Grisart J, Masquelier E, Desmet A, et al. Beha- vioral and representational components of «hyperac- tivity» in fibromyalgia syndrome patients. Journal Mus-

culoskeletal Pain 2010;18:1-9.

3 Aïni K, Curelli-Chéreau A, Antoine P. L’expérience subjective de patients avec une fibromyalgie : analyse qua- litative. Annales Medico-Psychologique 2010;168:255-62.

Bibliographie

Implications pratiques

La fibromyalgie et le syndrome de fatigue chronique doivent être considérés comme des priorités en termes de santé pu- blique, l’augmentation de la prévalence pouvant s’expliquer par des déterminants sociologiques comme l’accélération du changement social et du rythme de vie13

Dans ce syndrome somatique fonctionnel, l’objectif thérapeu- tique est celui de réadapter le patient à retrouver un autre équilibre en agissant notamment sur la tendance à l’action Une approche globale, multidisciplinaire et précoce, en parti- culier centrée sur le mode de vie, est indispensable et souvent efficiente

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Dr Etienne Masquelier

Nathalie Scaillet, docteur en psychologie Centre de référence multidisciplinaire de la douleur chronique

Clinique UCL Mont-Godinne Avenue Dr G. Therasse 1, 5530 Yvoir Belgique

Dr Etienne Masquelier

Jacques Grisart, docteur en psychologie Centre de référence multidisciplinaire de la douleur chronique

Service de médecine physique et réadaptation Cliniques universitaires St Luc

Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles Belgique

etienne.masquelier@uclouvain.be nathalie.scaillet@uclouvain.be jacques.grisart@uclouvain.be Pr Olivier Luminet Alicia Desmet, psychologue

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation – ECSA

Place Cardinal Mercier 10, 1348 Louvain-La-Neuve Belgique

olivier.luminet@uclouvain.be Dalicia5@hotmail.com

Adresses

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4 Verbunt JA, Huijnen IPJ, Köke A. Assessment of physical activity in daily life in patient with musculoske- letal pain. Euro J Pain 2009;13:231-42.

5 Dirken JM. Vragenlijst voor Habituele Actiebereid- heid. Handeleiding, Norma, Betrouwbaarheid en Vali- dering. Woleters – Noordhof, Grossingen, the Nether- land, 1970.

6 * Van Houdenhove B, Bruyninckx K, Luyten P. In search of a new balance. Can high «action-proneness»

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7 Gamsa A. The role of psychological factors in chro-

nic pain : I. A half century of study. Pain 1994;57:5-15.

8 Harvey SB, Wadsworth M, Wessely S, et al. Etio- logy of chronic fatigue syndrome : Testing popular hypo- thesis using a national birth cohort study. Psychosom Med 2008;70:488-95.

9 Luyten P, Van Houdenhove B, Cosyns N, et al. Are patients with chronic fatigue syndrome perfectionnistic or were they ? A case-control study. Pers Individ Dif 2006;40:1473-83.

10 * Scaillet N, Michaux M, Grisart J, Masquelier E, Luminet O. (en preparation) Contribution of persona- lity and demographic factors in the determination of premorbid hyperactivity in fibromyalgia patients.

11 Glass JM, Lyden AK, Petzke F, et al. The effect of brief exercise cessation on pain, fatigue and mood de- velopment in healthy, fit individuals. J Psychosom Res 2004;57:391-8.

12 ** McEwen BS. Protecting and damaging effects of stress mediators. N Engl J Med 1998;338:171-9.

13 Hartmut R. Accélération. Une critique sociale du temps. Paris : Editions La Découverte, 2010. Traduction en français par Didier Renault.

* à lire

** à lire absolument

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