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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

TANQUEREL, Thierry

TANQUEREL, Thierry. Le droit de préemption légal des collectivités publiques. In: Tanquerel, Thierry et Bellanger, François. La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix. Genève : Schulthess, 2009. p. 140-170

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14419

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

THIERRY TANQUEREL Professeur à rUniversité de Genève

1. Introduction

Le droit de préemption légal des collectivités publiques avait vers la fin du siècle passé quelque peu disparu des radars juridico-politiques. Il n'y avait à ce sujet que très peu de jurisprudence, à tout le moins publiée, pas davantage de propositions législatives pour l'étendre ou le renfor- cer, et son usage paraissait extrêmement réduit. Depuis quelque temps, il suscite pourtant un regain d'intérêt, en tout cas dans le canton de Genève. L'actualité à ce sujet reste en effet très calme au niveau fédéral et dans les autres cantons. On notera simplement, sur le plan fédéral, la proposition d'introduire un droit d'emption - et non simplement de préemption - de la collectivité sur les terrains sujets à une obligation de construire, qui figure à l'article 47, alinéa 2 du projet de loi sur le dé- veloppement territorial (LDTer) 1 mis en consultation en 2008. On sait cependant que, suite aux réponses à la consultation, ce projet va être profondément remanié'.

En ce qui concerne le canton de Genève, on relève une série de jurispru- dences de portée significative ces dernières années. Ces jurisprudences seront commentées plus loin. Quant à l'utilisation effective du droit de préemption, au vu des statistiques collectées par l'Office cantonal du

Voir l'annonce de l'ouverture de la consultation, avec le projet et le rapport expli- catif sur le site de l'Office fédéral du développement territorial (ARE): www.are.

admin.chldokumentationI00121100224Iindex.html?lang=fr8cmsg-id=24535.

Le projet de LDTer est aussi disponible à l'adresse: wItJJu,admin.ch/ch/(/gglpc/

documentsl159 5lVorlage. pdf.

2 Voir le communiqué de presse du Département fédéral de l'énergie, des transports et de la communication, du 15 mai 2009: www.are.admin.chldokumentationl 00121100224Iindex.htm/?/ang=fr8cmsg-id=26924.

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logement', elle a sensiblement augmenté ces dernières années, les chiffres absolus restant cependant relativement modestes. Pour l'Etat, après une pointe en 1990, avec 8 cas de préemption, l'usage de ce droit est resté très limité jusqu'en 1998 où il n'y a eu aucun cas, puis il a augmenté à une moyenne d'environ 4 ou 5 cas par an, avec un pic en 2003 (11 cas) et un creux en 2008 (aucun cas). S'agissant des communes, on recense 5 cas au total de 1993 à 2002, mais ensuite 20 cas de 2003 à 2008. S'agissant des interventions politiques, il faut signaler l'initiative populaire IN 140

«Stop aux loyers abusifs et à la pénurie de logements: 10 mesures ur- gentes », déposée en 2007, qui proposait notamment l'extension du champ d'application du droit de préemption de l'Etat et des communes sur les terrains susceptibles d'être affectés à la construction de logements d'uti- lité publique. Cette initiative a été cependant été déclarée irrecevable par

le Grand Conseil pour violation du principe de l'unité de la matière" dé- cision confirmée par le Tribunal fédéral'. Par ailleurs, un projet de loi dé- posé le 1" septembre 2008 par des députés socialistes et verts (PL 10321) vise à étendre le droit de préemption en matière de création de loge- ments d'utilité publique. L'entrée en matière sur ce projet a été refusée par la commission compétente et le plénum doit encore se prononcer'.

Le moment paraît donc tout à fait opportun pour cerner un peu mieux les contours du droit de préemption légal des collectivités pu bliques, notamment à la lumière de la jurisprudence récente.

Je traiterai d'abord de ce droit d'une manière générale, puis je donnerai un bref aperçu de sa concrétisation sur le plan fédéral et dans les can- tons, enfin je décrirai la situation dans le canton de Genève, parce que c'est sans doute dans ce canton que l'arsenal législatif en la matière est le plus développé et le contentieux, y compris jusque devant le Tribunal fédéral, le plus important. Ce dernier élément a d'ailleurs pour consé- quence que même ma première partie, la plus longue, sera largement imprégnée d'exemples genevois.

Je remercie ici MICHEL BUERGISSER, directeur de l'Office cantonal du logement du canton de Genève, de ses efforts pour réunir et me transmettre ces données.

.. Voir tes Cravaux parlementaires relatifs à ceUe initiative à l'adresse: www.ge.c.h/

grandconseillmoteurPdf. asp?typeOh;=1 N &num Oh;= 14 O.

5 ATF du 9 mars 2009 (lC.28912008).

6 Sur les travaux parlementaires à ce jour, voir: www.ge.ch/grandconseillmoteurPdf asp?typeOh;=PL&numOb;=10321.

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

Il. La notion et les fonctions A. La notion

1. Le droit de préemption simple

En droit privé, le droit de préemption permet à une personne (le pré- empteur) d'exiger d'une autre personne (le promettant) le transfert de la propriété d'un bien dans l'éventualité où le promettant vend ce bien à un tiers '. Le droit de préemption est donc un droit d'acquisition conditionnel' qui est subordonné à la survenance de deux conditions:

premièrement, la conclusion entre le promettant et un tiers d'un contrat de vente ou d'un acte qui y est assimilé et, deuxièmement, la déclaration selon laquelle le préempteur exerce son droit.

Le droit de préemption est dit ordinaire ou simple, ou encore - un peu curieusement - «illim ité "" si le prix que doit verser le préempteur est celui que le tiers acquéreur s'est engagé à payer. Même s'il n'y a pas, juridiquement, changement de sujet et que le préempteur ne se substitue pas au tiers 10, le préempteur évince néanmoins en définitive l'acquéreur choisi par le promettant, cela aux conditions prévues par le contrat de vente. C'est le seul changement, d'importance il est vrai, porté à la situa- tion voulue par le contrat de vente.

Toujours en droit privé, la création du droit de préemption peut résulter d'un contrat (art. 216 ss COll) ou de la loi (art. 681 ss

ecu

et 42 ss de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 199113).

7 PAUL-HENRr STEINAUER, «La renonciation au droit de préemption ou à l'exercice de ce droit», in: ]lts/etter 12 macs 2007, nD 4; PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome II, 3erne éd. Berne, 2004, na 1719; ROBERT MAX BRUNNER, Kaufsrechte an Grundstücken: Versuch einer einheitlichen rechtJichen Erfasslmg lJertraglich begründeter Kaufs-, Riickkaufs- und Vorkaufsrechte: unter Berücksichtigung der Rechtssicherung und der Rechtsübertragung, Zurich, 1998, p. 42; ATF 13412008 111597,604, A.

STEINAUER, La renom:;at;on (n. 7) 6.

, ATF 134/2008 III 597, 605, A.

!O ATF 134/2008111 597, 604, A.

Il Code des obligations du 30 mars 1911 (RS 220).

i l Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210).

13 LDFR-RS211.412.11.

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Les collectivités publiques peuvent bien sûr se trouver dans une situa- tion où elles bénéficient d'un droit de préemption contractuel, voire d'un droit de préemption légal prévu par le droit civil, comme celui des copropriétaires de l'article 682, alinéa 1 CC. Je n'aborderai pas ces hypothèses, dans lesquelles les collectivités agissent comme n'importe quelle personne de droit privé. Je ne traiterai que du droit de préemption conféré aux collectivités par une disposition de droit public. Le droit de préemption examiné ici est donc un droit de préemption légal de droit public.

A l'instar de ce qui vaut en droit privé (art. 216d, al. 3 CO) et conformé- ment aux exigences du principe de la légalité, lorsqu'une disposition de droit public confère un «droit de préemption" sans autre précision, il y a lieu de partir de l'idée qu'il s'agit d'un droit de préemption ordinaire ou simple.

On précisera encore que même si le droit de préemption des collectivités peut porter sur des biens meubles, comme le prévoit l'article 25 de la loi fribourgeoise sur la protection des biens culturels du 7 novembre

19911' , c'est, dans le cadre de cette contribution, sa mise en œuvre dans

le domaine immobilier qui nous intéresse.

2. Le droit de préemption qualifié

En droit privé, le droit de préemption est dit «limitatif» ou «qualifié"

lorsque le prix de vente a déjà été fixé ou déterminé par les parties au contrat de préemption 15 ou lorsque la loi confère au préempteur le droit d'acquérir le bien à un prix différent de celui convenu entre les parties à l'acte d'aliénation, comme le prévoit notamment l'article 44 LDFR, qui, pour le droit de préemption des parents, prend pour référence la valeur de rendement d'une entreprise agricole et le double de la valeur de ren- dement d'un immeuble agricole.

Il arrive que la loi confère un droit similaire aux collectivités publiques.

Dans ce cas, s'agissant d'un droit de préemption légal, le prix ne sau- rait avoir été fixé par les parties. On peut imaginer qu'il résulte d'une formule déterminée à l'avance par la loi: c'est ce qui est prévu par la lé-

14 RS/FR 482.1.

15 ATF 134/2008 1II 597,605, A.

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

gislation fédérale relative à l'encouragement du logement à loyer ou prix modérés, ainsi qu'à l'encouragement de la construction et de l'accession à la propriété de logement 16. Mais la loi peut aussi prévoir que si le pro- mettant n'accepte pas l'offre inférieure à celle de l'acheteur contractuel que lui fait la collectivité publique, celle-ci peut recourir à la procé- dure d'expropriation pour faire fixer le prix: c'est le système retenu par la législation genevoise en matière d'aménagement du territoire et de logement

l'.

La portée du droit de préemption et, par conséquent, la position de la collectivité publique sont incontestablement renforcées par la possibilité d'acquérir un bien non pas au prix demandé par l'aliénateur, mais à un prix déterminé par la loi ou résultant d'une procédure d'expropriation.

Parler alors de droit de préemption «qualifié" ou «limitatif" ne dénote guère cette modification fondamentale du rapport de force entre les ac- teurs. Il serait donc plus clair et plus conforme à la réalité de parler de droit de préemption «renforcé» lorsque la collectivité peut préempter à un prix fixé par la loi et, plus encore, lorsqu'elle peut faire déterminer ce prix dans une procédure d'expropriation, cette dernière se greffant en quelque sorte sur la procédure de préemption.

B. Les fonctions

Un survol des législations fédérales et cantonales comportant un droit de préemption en faveur de collectivités publiques permet de mettre en évidence trois fonctions principales de ce droit

l' .

1. La fonction de garantie

Cette fonction est étroitement liée aux politiques d'encouragement du logement menées par la Confédération ou les cantons. Il s'agit de s'as- surer qu'un projet immobilier qui a reçu des aides de l'Etat n'est pas

16 Infra IV, A.

17 Infra V, B.

18 Pour une discussion des buts possibles du droit de préemption des collectivités, déjà ancienne et pour une bonne part antérieure à la législation et à la jurispru- dence étudiées ici, cf. MAX GLAUSER, Das offentliche Vorkaufsrecht, Zurich, 1969, p. 36 5Sj DORIS BINZ-GEHRING, Das gestzliche Vorkaufsrecht im schweize- rischen Recht, Francfort-sur-le-Main, 1975, p. 136 ss.

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détourné de son affectation. Grâce au droit de préemption, la collecti- vité qui a accordé une aide peut acquérir, pour maintenir leur affecta- tion au logement, des biens qui autrement seraient aliénés en vue d'un autre usage. On trouve un droit de préemption, la plupart du temps renforcé, assurant cette fonction dans la législation fédérale" et dans plusieurs cantons'·. Le droit de préemption qualifié a, dans ce cas, un effet préventif: l'intérêt de l'aliénateur à se séparer du bien, pour une utilisation non conforme au but de la loi, est considérablement réduit s'il n'y a plus de gain financier en raison de la préemption au ptix légal. On peut donc penser que la simple existence du droit de préemption devrait dissuader les propriétaires de logements subventionnés de se lancer dans des opérations contraires à l'esprit de la loi.

2. La fonction d'acquisition

On pourrait penset qu'il s'agit là, en toute logique, de la fonction prin- cipale du droit de préemption des collectivités publiques: leur permettre d'acquérir des terrains pour des buts d'intérêt public, qu'il s'agisse de la réalisation d'équipements publics, de la mise en œuvre de mesures d'aménagement du territoire ou de la construction de logements. En réalité, si cette fonction est centrale à Genève, elle n'apparaît qu'assez rarement ailleurs ". On notera toutefois que le droit de préemption sur des immeubles faisant l'objet de mesure de protection du patrimoine architectural, présent dans trois cantons", relève autant de la fonction d'acquisition que de celle de garantie.

La fonction d'acquisition doit être modulée, en relation avec les intérêts publics en cause, dans le respect du principe de proportionnalité. Elle ne saurait être une fin en soi, s'exerçant de façon illimitée et visant à la nationalisation à terme du sol, sauf à remettre en cause la garantie de la propriété dans sa dimension institutionnelle".

" Infra IV, A.

20 Infra IV, B.

" Infra IV.

" Infra IV, B.

23 GLAUSER (n. 18) p. 33-34; BINZ-GEHRING (n. 18) p. 133-134; ATF 8811962 1 248, 255, Dafllon.

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

3. La fonction de contrôle du prix

Cette fonction du droit de préemption est étroitement liée à l'usage de ce droit dans la mise en œuvre de l'aménagement du territoire: il s'agit d'éviter que, en raison d'un emballement spéculatif des prix, les ter- rains destinés selon les instruments de l'aménagement du terriroire à accueillir certains usages ne soient soustraits à ceux-ci, faute de renta- bilité. L'utilisation du droit de préemption pour assurer un contrôle des prix présuppose bien entendu que celui-ci soit renforcé. En effet, si les collectivités devaient acheter au prix spéculatif convenu par les parties, elles ne pourraient rétablir l'usage prévu des terrains que moyennant des dépenses dépassant certainement leur capacité financière, sans parler de l'effet de récompense de la spéculation qu'une telle manière de procéder comporterait. Cette fonction a récemment été clairement mise en évi- dence à Genève 24 •

III. Les conditions d'exercice

A. La restriction à la garantie de la propriété et à la liberté économique

Comme le Tribunal fédéral l'a relevé en 1962 déjà, dans l'arrêt Dafflon 15, l'exercice du droit de préemption prive le propriétaire de la possibilité de vendre son bien à une autre personne que la collectivité qui préempte.

Dans cette mesure, il s'agit à l'évidence d'une restriction au droit de propriété. Cette restriction affecte également l'acheteur évincé, la ga- rantie de la propriété portant aussi sur le libre accès à celle-ci". Dans ce contexte, le Tribunal fédéral répète depuis l'arrêt Dafflon que le droit de préemption équivaut dans ses effets réels à une expropriation 27. L'équi- valence est un peu exagérée. En effet, dans le cas de la préemption le propriétaire est de toute façon prêt à aliéner son bien. En outre, si la préemption est ordinaire, le propriétaire recevra le prix qu'il souhaitait

24 [ .. {ra Ill, C, 3.

2S ATF 88/19621 248, 258, Dafflo ...

26 ATF 114/1988 la 14, 16, G.; ATF du 11 mars 1992 (IP.534/199J), c. la; SJ 2005 1545,549·550, R. (TF, 19.04.2005)

27 ATF 88/19621248, 258, Dafflon; 114/1988 la 14, 19, G.; ATF du 22 avril 1993 (IP.767/1991), c. 1.

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pour son bien. Le Tribunal fédéral relève d'ailleurs lui-même que l'at- teinte au droit de propriété, certes grave, est de moindre gravité qu'en cas d'expropriation 28.

On peut aussi soutenir que le droit de préemption constitue une atteinte à la liberté économique, dans la mesure en tout cas où il interfère dans l'activité des professionnels de l'immobilier ou dans l'exercice des ac- tivités économiques envisageables sur les biens-fonds concernés. Dans l'immense majorité des cas ayant donné lieu à des décisions judiciaires, le droit de préemption ou son exercice ont été contestés, et ces contesta- tions jugées, sous l'angle de la garantie de la propriété. Dans un arrêt de 1987, le Tribunal fédéral a toutefois jugé que l'exercice du droit de pré- emption pour empêcher l'installation d'activités tertiaires dans une zone où elles sont en principe admises constituait une mesure de politique économique contraire à ce que l'on appelait alors la liberté du commerce et de l'industrie29. Plus récemment, le Tribunal fédéral a examiné, à titre éventuel, l'argument du violation de la liberté économique, pour l'écar- ter au motif que l'exercice du droit de préemption s'inscrivait dans le cadre d'un projet précis de construction de logements d'utilité publique et que les mesures de lutte contre la pénurie de logements poursuivent un but de politique sociale admissible au regard de la liberté économique'o.

Constituant une restriction grave à un droit constitutionnel, l'exercice du droit de préemption doit reposer sur une base légale claire et non équivoque", ce que le Tribunal examine librement", poursuivre un in- térêt public et respecter le principe de proportionnalité. Le Tribunal fédéral examine aussi en principe librement si ces deux dernières condi- tions sont remplies, s'imposant toutefois une certaine retenue lorsqu'il s'agit de tenir compte de circonstances locales ou de trancher de pures questions d'appréciation 3J.

28 ATF 88/1962 1 248, 258, Dafflon.

29 ATF du 4 mars 1987 (P.272/1986 et P.275/1986), c. 3b. Voir aussi !'ATF du 11 mars 1992 (lP.534/1991), c. 2c, où l'argument de la violation de la liberté du commerce et de l'industrie par une prétendue mesure de politique économique a été rejeté.

30 Sj 2009 1 257, 262, A. (TF, 24.11.2008).

" ATF du 22 avril 1993 (1P.767/1991), c. 1; ATF du 11 mars 1992 (1P.53411991), c.1b.

32 ATF du 11 mars 1992 (1P.534/1991), c. lb.

J3 SJ 20091257,260, A. (TF, 24.11.2008).

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Le dcoic de préemption légal des colleccÎvités publiques

B. La base légale

Au vu de la jurisprudence, la nécessité d'une base légale n'a, en tant que telle, guère posé de problème. On voit d'ailleurs mal qu'une collectivité puisse prétendre à un droit de préemption qui ne reposerait pas sur une base légale expresse. C'est donc sur la portée de la base légale topique que des contestations ont pu surgir, en particulier en ce qui concerne les objets soumis au droit de préemption légal. On en donnera quatre exemples, portant tous sur la même disposition légale genevoise, à sa- voir l'article 3 de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL)":

a. Interprétant l'article 3 LGL dans sa teneur de l'époque, qui évo- quait des «terrains» sur lesquels l'Etat et la commune disposaient d'un droir de préemption, le Tribunal fédéral a confirmé que ce droit portait aussi bien sur des terrains construits que non bâtis, dans la mesure où le potentiel constructible n'avait pas été épuisé. Il s'agis- sait en effet de permettre de réaliser les objectifs de densification de la zone de développement en vue de la construction de logements répondant à un besoin d'intérêt général, notamment lorsque les ter- rains en cause étaient bâtis aux normes de la zone villa, en tant que zone de base".

b. Le Tribunal fédéral a par ailleurs jugé que le même droit de pré- emption portait aussi sur la vente de gré à gré en cas de réalisation forcée. Il a traité le droit de préemption légal de l'article 3 LGL de la même manière que les droits de préemption légaux prévus par le droit fédéral, considérant que l'interprétation large donnée ainsi à la disposition genevoise ne violait pas le principe de la primauté du droit fédéral".

c. En revanche, dans un arrêt du 22 avril 1993, il a considéré que cet article ne constituait pas une base légale suffisante pour soumettre au droit de préemption une donation mixte. Le texte légal se réfé- rait en effet à plusieurs reprises à la "vente» et au "prix" convenu entre les parties. La LGL ne définissant pas les acres assimilables à

" RS/GE [405.

35 ATF du 11 mars 1992 (lP.534/1991), c. 2b.

36 5J 2005 [ 545, 550 ss, R. (TF, 19.04.2005).

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la vente soumis au droit de préemption, il fallait se référer au droit civil fédéral applicable à titre de droit public cantonal supplétif. Or, la donation mixte ne constitue en principe pas un cas de préemption au sens des articles 681 et 682 CC, à moins que le caractère onéreux de l'acte soit prépondérant ou que le choix de la forme de la dona- tion ait pour seul but d'éluder le droit de préemption, ce qui n'était pas démontré en l'espèce".

d. Enfin, dans un arrêt du 20 mai 2008, le Tribunal fédéral a confirmé que le terme d'aliénation utilisé à l'article 3 LGL recouvre tout trans- fert volontaire de la propriété ou d'un droit, opéré intégralement ou partiellement à titre onéreux. Il a précisé que, pour qu'une promesse de cession de droits indivis puisse être assimilée à une aliénation au sens de l'article précité, il fallait à tout le moins que l'objet, les conditions et le prix de vente ultérieurs en soient déjà précisés, ce qui n'était pas le cas en l'espèce38

C. L'intérêt public

Si l'on cherche à définir quels sont les intérêts publics qui peuvent justi- fier un droit de préemption, il convient de se rapporter aux différentes fonctions de ce droit que nous avons évoquées il y a un instant. On peut ainsi identifier, principalement, trois types d'intérêts publics qui peuvent être poursuivis par l'exercice du droit de préemption, parfois d'ailleurs simultanément.

1. Les intérêts publics dont le droit de préemption vise à assurer le maintien

Il s'agit ici des situations où, en l'absence d'une intervention de la col- lectivité, un intérêt public dont la poursuite est en quelque sorte «en cours» risquerait de ne plus être garanti pour l'objet en cause. Ce sont donc les situations déjà évoquées à propos de la fonction de garantie du droit de préemption de collectivités publiques. A savoir, d'une part, les règles de préemption prévues par la législation fédérale et cantonale en matière de logement et d'accession à la propriété39 qui visent à éviter que

37 ATF du 22 avril 1993 (IP.76711991), c. 2b.

38 ATF 134/2008 1 263, 265 ss, A., B. C. et D.

39 Infra IV, A.

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

des constructions réalisées avec l'aide de l'Etat ne soient affectées à un autre but que celui pour lequel l'aide a été versée; en d'autres termes il s'agit de garantir que l'intérêt public qui a justifié cette aide soit toujours servi par celle-ci. D'autre part, les cas où la collectivité dispose d'un droit de préemption sur des objets soumis à des mesures de conserva- tion du patrimoine". Il s'agit alors d'éviter qu'à l'occasion d'une alié- nation l'intérêt public au maintien de l'objet en cause ne soit menacé.

La préemption pourrait aussi à vrai dire viser à faciliter la préserva- tion de l'objet protégé en le faisant passer en mains publiques. Au-delà de ces deux hypothèses, recensées dans la législation mais guère dans la jurisprudence, on pourrait imaginer d'autres utilisations du droit de préemption à titre de garantie d'un intérêt public existant. Ainsi, on peut se demander si un droit de préemption qualifié accordé au canton, aux communes et à des fondations de droit public ne serait pas aussi efficace pour lutter contre le phénomène des congés-ventes et favoriser l'intérêt public au maintien d'un parc suffisant de logements locatifs que le système d'autorisation prévu par l'article 39 de la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitations du 25 janvier 1996 (LDTR)41.

2. L'intérêt public à l'acquisition de terrains

On peut subdiviser cet intérêt public en deux objectifs principaux.

Le premier est celui de la réalisation de travaux publics, infrastructures ou autres équipements publics. Il s'agit du cas classique dans lequel la mesure la plus incisive, soit l'expropriation, est admise". A fortiori, le mécanisme de la préemption, qui porte une atteinte un peu moins grave au droit de propriété, peut poursuivre le même intérêt public".

Le deuxième est celui de l'acquisition de terrains en vue de la construction de logements sociaux. Son admissibilité a naguère suscité les doutes de

40 Infra IV, B.

41 RS/GE l5 20.

42 Voir l'art. 1, al. 1 de la loi fédérale sur l'expropriation du 20 juin 1930 (LEx - RS 711), qui mencionne en premier lieu, comme motif d'expropriation, des «tra- vaux qui sont dans J'inrérêt de la Confédération », avant les «autres intérêts publics reconnus par une loi fédérale».

4) Pour l'exemple genevois) infra V, B, 1, a.

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la doctrine". Il a cependant été admis par une jurisprudence constante depuis l'arrêt Dafflon de 196245Il faut toutefois rappeler que l'existence d'un intérêt public ne doit pas seulement être démontrée dans l'abstrait, mais également dans le cas concret d'exercice du droit de préemption.

La jurisprudence a été ainsi amenée, dans le contexte de la promotion de la construction de logements, à examiner s'il y avait des possibilités réelles de construction de logements sociaux sur les parcelles en cause".

En ce qui concerne la règlementation genevoise, le Tribunal adminis- tratif et le Tribunal fédéral ont souligné qu'il n'était pas nécessaire que l'Etat ait d'ores et déjà un projet de construction au moment d'exercer son droit de préemption. Il suffit qu'il y ait un rapport d'adéquation entre l'acquisirion du terrain par la collectivité publique et l'édification d'immeubles de logements, dans un avenir qui n'est pas trop éloigné, selon le Tribunal administratif47 ou, dans les termes du Tribunal fédé- raI, que l'autorité rende plausible l'existence d'un besoin précis et tienne compte des possibilités réelles d'y satisfaire à l'emplacement envisagé, dans un avenir pas trop éloigné". On est ici, on le voit, véritablement à la jonction des principes d'intérêt public et de proportionnalité.

3. La lutte contre la spéculation foncière

Le Tribunal fédéral a admis cet intérêt public en le liant aux objectifs d'aménagement du territoire, en zone de développement industriel gene- voise, où il est au premier plan". Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a expressément considéré que l'objectif de l'article I l de la loi générale sur les zones de développement industriel du 31 décembre 1984 (LGZDI)50 , à savoir" favoriser la mise en valeur des zones de développement et évi-

" GLAUSER (n. 18) p. 41; BINZ-GEHRING (n. 18) p. 137-138. Ces deux auteurs minimisent la crise du logement d'une manière qui surprendra les lecteurs d'au- jourd'hui. Le Tribunal fédéral apparaissait, à la même époque, plus clairvoyant .

• , ATF 88/1962 1 248, 258, Dafflan; 5J 2009 1 257, 260, A. (TF, 24.11.2008) et la jurisprudence citée.

.. 5J 2005 1545, 554 ss, R. (TF, 19.04.2005).

47 ATAIGE du 8 avrjl2008 (ATAIl61/2008), c. 10.

48 SJ 2009 1 257, 261, A. (TF, 24.11.2008).

49 SJ 2008 1 416, 423, A. et B. (TF, 02.06.2008); ATF du 6 mars 1991 (IP.506/1990), c.3c.

50 R5/GE L 1 45.

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Le droit de préemption légal des collectivités publiques

ter que des biens-fonds fassent l'objet d'aliénation à des prix excessifs»

constituait un but d'intérêt public". Le Tribunal fédéral a aussi admis l'intérêt public à la lutte contre la spéculation en zone à bâtir résiden- tielle, en relation avec la construction de logements d'utilité publique", confirmant dans ce dernier cas un arrêt plus explicite du Tribunal ad- ministratif genevois qui affirmait que «le but d'intérêt public à la lutte contre la spéculation immobilière existe en tant que tel, indépendam- ment de celui de la construction de logements sociaux »53.

D. La proportionnalité

C'est dans l'exercice concret du droit de préemption que le principe de proportionnalité joue un rôle crucial: D'une part sous l'angle du sous- principe de subsidiarité et, d'autre part, en relation avec la règle de la proportionnalité au sens étroit.

La subsidiarité a été abordée en matière de préemption en vue de la construction de logements, les acquéreurs contractuels faisant valoir qu'ils seraient eux-mêmes prêts à réaliser du logement social. Cet argu- ment n'a guère eu de succès devant les tribunaux: soit les affirmations de l'acquéreur n'ont pas été jugés assez crédibles", soit les avantages d'une réalisation reposant sur la maîtrise publique du sol ont été jugés prépondérants". Le Tribunal fédéral affirme d'ailleurs sans ambages que « l'existence d'un projet privé ne fait pas échec à l'exercice du droit de préemption prévu par la LGL, à moins que le projet en question ne présente des avantages évidents, au regard des buts poursuivis par la

loi

»".

Au vu de cette jurisprudence, la position du promoteur privé qui

entend faire prévaloir son projet face à celui de la collectivité apparaît comme singulièrement précaire.

La proportionnalité au sent étroit a été analysée par le Tribunal fédé- ral en ce qui concerne la préemption en vue de lutter contre les prix excessifs du terrain. Le Tribunal fédéral a jugé à cet égard qu'il n'était

51 5J 2008 1 416, 423, A. et B. (TF, 02.06.2008).

52 ATF du 11 mars 1992 (IP.53411991), c. 3.

53 ATA/GE du 19 juin 1991 (89.CE .830 et 89.CE.831), c. 11.

54 SJ 2005 1 545, 556·557, R. (TF, 19.04.2005).

55 SJ 2009 1 257, 261-262, A. (TF, 24.11.2008).

" Id.

(15)

pas contraire au principe de proportionnalité de fixer une valeur de ré- férence prima facie pour déterminer si l'on était en présence d'un prix excessif justifiant l'exercice du droit de préemption. Ce n'était qu'une fois le prix de vente fixé par la commission cantonale de conciliation et d'estimation que la proportionnalité de l'opération dans son ensemble pourrait être examinéeS?

E. Le droit d'être entendu

La décision d'exercer le droit de préemption portant atteinte aux droits du vendeur et de l'acheteur, ceux-ci doivent pouvoir préalablement faire usage de leur droit d'être entendu. Le Tribunal fédéral a jugé en 1988 qu'il ne suffisait pas à cet égard de leur permettre de prendre position au moment où ils annoncent l'aliénation à l'autorité compétente. Ils doivent pouvoir se prononcer en connaissant les motifs de l'autorité qui entend préempter". Suite à cet arrêt, la législation genevoise prévoit expressé- ment que le préempteur doit interpeller préalablement le propriétaire et le tiers acquéreur en leur faisant part de son intention et leur offrant la possibilité de faire valoir leurs moyens".

La question délicate de la possibilité de réparer à un stade ultérieur de la procédure une violation du droit d'être entendu dépend étroitement de l'aménagement des voies de recours. Elle sera donc examinée plus loi à l'occasion de l'exposé de la procédure genevoise en la matière 60.

F. Le rapport avec les autres droits de préemption

Il se peut qu'un cas d'aliénation soumis à un droit de préemption légal d'une collectivité publique se recoupe avec un autre cas de préemption, contractuel ou légal.

Dans la mesure où le chevauchement concerne deux droits de préemp- tion légaux prévus par le droit cantonal, il incombe à ce droit de régler la question, une éventuelle lacune devant alors être comblée par voie d'interprétation .

. 17 SJ 2008 1 416, 423 ss, A. et B. (TF, 02.06.2008).

58 ATF 114/1988 la 14, 16 ss, G.

59 Infra V, B, 2, a.

60 J"fra V. B, 2, b.

(16)

Le droit de préemption légal des collectivités publiques

Lorsqu'un droit de préemption légal d'une collectivité est en concur- rence avec un droit de préemption contractuel, le premier doit primer.

Il n'y a aucune raison de privilégier, vis-à-vis de la collectivité, l'acqué- reur potentiel qui se retrouve dans cette position suite à un contrat de préemption plutôt que directement en raison d'un contrat de vente. A défaut, les droits de préemptions légaux des collectivités pourraient fa- cilement être contournés: il suffirait aux propriétaires qui envisagent d'aliéner des fonds soumis au droit de préemption des collectivités de passer des contrats de préemption avec l'acquéreur de leur choix pour faire obstacle à l'exercice du droit de la collectivité. La figure de l'abus de droit ne permettrait que très marginalement d'empêcher que le droit de préemption des collectivités publiques ne soit ainsi éludé. Au demeu- rant, la primauté du droit de préemption légal sur le droit contractuel est la solution prévue par l'article 681, alinéa 3, deuxième phrase CC 6I.

Même si l'on restreint la portée de cet article aux droits de préemption légaux du droit privé fédéral, son principe peut être transposé par ana- logie, voire en tant que droit public cantonal supplétif", aux droits de préemption légaux prévus par le droit cantonal".

La question est plus délicate en ce qui concerne une éventuelle concur- rence entre un droit de préemption cantonal et les droits de préemption légaux prévus par le droit civil fédéral. Il arrive que le droit cantonal tranche la question: l'article 3, alinéa 3 LGL prévoit ainsi que le droit de préemption que la LGL accorde au canton et aux communes est sub- sidiaire au droit de préemption de l'article 682 CC. Dans les autres cas, on pourrait se demander si la force dérogatoire du droit fédéral ne doit pas faire primer les droits de préemption du droit civil fédéral. S'agis- sant de droits de préemptions légaux clairement délimités, il n'y a pas de risque de contournement systématique du droit de préemption des collectivités. Le Tribunal fédéral avait toutefois en 1962 déjà affirmé que les droits de préemption prévus par la LDFR n'étaient pas oppo- sables à un droit cantonal de préemption qui équivaut en fait à une

61 LILIAN GHANDCHI, Das gesetzliche Vorkaufsrecht im Baurechtverhiiltnis-Art. 682 Abs. 22GB, Lucerne, 1999, p. 99 et 245.

62 ATF du 22 avril 1993 (1P.76711991), e. 2e.

63 Les considérations de BINZ-GEHRING (n. 18) p. 204-205, qui réserve le cas des droits contractuels antérieurs à la création d'un droit de préemption légal, ne sont plus d'actualité, ayant été émises avant l'adoption de l'arr. 681, al. 3 CC.

(17)

expropriation". Comme le Tribunal fédéral utilise très largement cette équivalence pour le droit de préemption des collectivités cantonales ou communales, il semble donc bien s'être rallié au principe de la primauté de ce droit sur les droits de préemption légaux du droit civil fédéral. On peut justifier cette solution en soulignant que les intérêts publics qui motivent les droits de préemption légaux des collectivités se recoupent avec ceux qui sont susceptibles de justifier une expropriation. Il ne se- rait donc pas logique d'empêcher une collectivité de. préempter, pour lui permettre ensuite d'exproprier l'acquéreur dont le droit de préemption aurait, par hypothèse, été jugé prioritaire.

IV. Le droit de préemption sur le plan fédéral et dans les cantons

A. En droit fédéral

Le droit de préemption des collectivités publiques est actuellement très peu développé en droit fédéral.

On trouve un droit de préemption qualifié à fonction de garantie à l'ar- ticle 20 de la loi fédérale encourageant le logement à loyer ou à prix modérés du 21 mars 2003 (LOG)". Sous l'intitulé «maintien de l'affec- tation,., cette disposition prévoit à son alinéa 2 que pour garantir que les logements bénéficiant d'une aide fédérale selon la LOG ne soient pas détournés de leur affectation, la Confédération jouit pendant la durée de l'aide de droits d'emption et de préemption correspondant au mon- tant de la valeur de rendement qui peut être obtenue par une location conforme à l'affectation. Ces droits peuvent être cédés aux cantons, aux communes ainsi qu'aux organisations œuvrant à la construction de lo- gements d'utilité publique (art. 20, al. 4 LOG).

Des règles analogues figurent aux articles 24 et 50 de la loi fédérale encourageant la construction et l'accession à la propriété de logements du 4 octobre 1974 (LCAP)" sous les intitulés «mesures de sûretés"

et «garantie» pour les terrains, respectivement les logements (apparte-

.. ATF 88/1962 1 248, 259, Dafflon.

65 RS 842.

" RS 843.

(18)

Le droit de préemption légal des collectivités publiques

ments ou maisons familiales) acquis avec l'aide de la Confédération. JI s'agit dans les deux cas d'un droit de préemption qualifié (en sus d'un droit d'emption): les droits d'emption et de préemption s'exercent au prix de revient majoré de la plus-value du capital propre (art. 24, al. 3 et 50, al. 2 LCAP).

B. Dans les cantons

Un peu plus présent dans les cantons, le droit de préemption des col- lectivités publiques est cependant loin d'y être universellement connu.

Là où il est utilisé, il n'est au demeurant pas concrétisé selon un modèle dominant. On peut classer ces occurrences en préemption de garantie, préemption en matière d'aménagement du territoire et cas particuliers sui generis.

1. Le droit de préemption à fonction de garantie

On rencontre un droit de préemption ayant la fonction de garantie en matière d'encouragement à la construction de logements, analogue à ce- lui qui existe en droit fédéral, dans les cantons de Vaud", Saint-Gall ", Obwald", Lucerne', Zoug", Zurich" et des Grisons7' . Sauf dans le canton de Vaud, il s'agit d'un droit de préemption qualifié.

67 Ne seront pas mentionnés ici les droits de préemptions entre entités publiques, les droits de préemption que les collectivités se réservent par voie contractuelle, quand bien même cette voie serait évoquée dans la législation cantonale de droit public, ainsi que les droits de préemption en matière de propriété foncière agricole.

" Arr. 20, al. 5 de la loi sur le logement du 9 septembre 1975 (RS/VD 840.11).

69 Art. 14, al. 1 Gesetz über Wohnbau-und Eigentumsf6rderu~Jg du 9 janvier 1992 (RS/SG 737.1).

70 Art. 6, al. 2 Gesetz über Wohnbau· und Eigentumsfordenmg du 27 septembre 1992 (RSIOW 880.1).

71 Art. 8, al. 2 Gesetz über Wohnbau· u1Id Eigentllmsfordenmg du 28 juin 1983 (RSILU 897).

i l Art. 5, al. 2 Gesetz über die F6rderung von preisgünstigem Wohnraum du 30 juin 2003 (RS/ZG 851.211).

73 Art. 5, al. 1 Gesetz über die Wohnbau· und Eigentumsforderung du 7 juin 2004 (RS/ZH 841).

74 Art. 9, al. 1 Gesetz über den sozialen Wohnungsbau und die Verbesserung der WohnverhaJtnisse im Berggebiet du 10 mars 1985 (RS/GR 950.250).

(19)

Un droit de préemption ordinaire du canton ou des communes existe dans les cantons de Vaud 75, Neuchâtel" et Genève 77 en ce qui concerne les immeubles faisant l'objet d'une mesure de classement. A noter qu'à Fribourg un droit de préemption n'existe que pour les meubles protégés"; pour les immeubles, c'est un droit d'expropriation qui est prévu".

2. Le droit de préemption en matière d'aménagement du territoire

Un droit de préemption à fonction d'acquisition ou de lutte contre la spéculation, dans une perspective d'aménagement du territoire ou de construction de logements est rare. Outre le cas genevois, examiné plus loin, un tel droit existe dans le canton du Jura80 - où il est qualifié", comme à Genève - ainsi qu'à Zurich, pour les zones inconstructibles et les zones de loisirs".

3. Cas particuliers

Le canton de Neuchâtel connaît un droit de préemption simple de l'Etat sur les terrains riverains du lac, les rives étant déclarées d'utilité pu- blique par la loi et le libre passage de chacun y étant garanti 83. Dans le même canton, l'Etat et les communes disposent d'un droit de pré- emption ordinaire dans les zones d'extraction de matériaux". Dans le

7J Art. 45 de la loi sur la protection de la nature, des monuments et des sites du 10 dé- cembre 1969 (RSIVD 450.11).

76 Art. 26 de la loi suc la protection de biens culturels du 27 mars 1995 (RS/NE 461.30).

77 lnfra V, A.

78 Art. 25 et 26 de la loi sur la protection des biens culturels du 7 novembre 1991 (RS/fR 482.1).

79 An. 27 de la loi précitée.

80 An. 106 à 108 de la loi sur les construccions et l'aménagement du territoire du 25 juin 1987 (RS/jU 701.1).

HI Art, 108, al. 2, let. c de la loi précitée.

82 Art, 64 Gcsetz über die Raumplanung und das o/fentliche Baurech! du 7 sep- tembre 1975 (RS/ZH 700.1).

83 Art. 11 de la loi sur les eaux du 24 mars 1953 (RS/NE 731.101).

84 Art. 13 de la loi sur l'extraction de matériaux du 31 janvier 1991 (RS/NE 705.1).

(20)

Le droit de préemption légal des collectivités publiques

canton des Grisons, l'entité chargée d'un remaniement parcellaire dis- pose d'un droit de préemption sur les terrains touchés par un ban de remaniement B5.

V. Le droit de préemption

à

Genève

A. Le droit de préemption simple en matière d'immeubles classés Selon l'article 24 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (LPMNS)", la commune du lieu de situation, subsidiaire- ment l'Etat, bénéficie d'un droit de préemption sur les immeubles classés lorsque leur propriétaire entend les aliéner à titre onéreux. Il s'agit ex- pressément, selon l'article 24, alinéa 4 LPMNS, d'un droir de préemp- tion ordinaire. Les buts de ce droit ne sont pas précisés dans la loi, mais, si l'on se réfère à l'article 1, alinéa 1, lettre a LPMNS, il ne peut s'agir que de la conservation de l'immeuble en cause. Un droit d'expropriation est aussi prévu à l'article 25 LPMNS. A noter, que la préemption ou l'expropriation ne sont pas prévues pour les immeubles faisant l'objet d'un plan de site ou mis à l'inventaire. Il ne semble pas que ce droit de préemption ait fait l'objet de jurisprudence, à tout le moins publiée ou accessible.

B. Le droit de préemption qualifié

On trouve à Genève un droit de préemption qualifié, ou renforcé, dans trois lois, qui reprennent le même modèle: un tel droit est prévu aux articles 30A et suivants de la loi genevoise d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT)87, aux article 3 et suivants LGL et aux articles 10 et suivants LGZDI. Dans les trois cas, le préempteur a le choix dans le délai imparti de renoncer à l'exercice du droit de préemption, d'acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés dans l'acre d'aliénation ou d'offrir d'acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés par lui et, à défaut d'acceptation de son offre, de re- courir à la procédure d'expropriation.

85 Art. 67 Raumplatlun.gsgeset~ für den Kanton Graubünden du 6 décembre 1004 (RS/GR 801.100).

86 RS/GE L 4 05.

R7 RS/GE L 1 30.

165

(21)

Les conditions générales d'exercice du droit de préemption, y compris quand il est qualifié, ont déjà été analysées plus haut. On se contentera donc ici de préciser ce qui distingue les trois domaines concernés en termes de titulaires du droit de préemption, d'objet ou de but de celui-ci et de formuler quelques remarques sur la procédure.

1. Les domaines concernés a. Les équipements publics

Les titulaires du droit de préemption sont l'Etat et les communes, la priorité entre eux étant définie par la destination des équipements en cause: équipements cantonaux respectivement communaux (art. 30A, al. 2 LaLAT).

Font l'objet du droit de préemption les biens-fonds compris dans une zone de développement affectée à de l'équipement public au sens de l'article 30A, alinéa 1 LaLAT. Le champ d'application de ce droit de préemption est donc tout à fait limité. Il en est de même de son but, qui est la réalisation de l'équipement pour lequel la zone en question est affectée.

A noter que, en vertu de l'article 30A, alinéa 3 LaLAT, le propriétaire peut demander au bénéficiaire du droit de préemption d'exercer son droit dans un délai de deux ans, faute de quoi, il reprend la libre dispo- sition de son bien selon les normes de la zone de fond.

b. Le logement

Le droit de préemption prévu par la LGL est large. Il appartient à l'Etat et aux communes (art. 3, al. 1 LGL), ces dernières étant prioritaires si elles ont moins de 3000 habitants (art. 3, al. 3 LGL). Il porte sur tous les biens-fonds faisant l'objet d'une modification des limites de zones ou sis en zone de développement qui peuvent être affectés à la construction de logement (art. 3, al. 1 LGL). A contrario, il ne porte donc pas, par exemple, sur les zones industrielles, d'activités, de loisirs ou d'équipe- ment public.

Il ne peut être utilisé que pour la construction de logements au sens de la LGL, soit des logements d'utilité publique au sens de cette loi (cf.

(22)

Le droit de préemption légal des collectivités publiques

art. 16 LGL) 88. Mais nous avons vu que la jurisprudence n'exige pas qu'il existe un projet de construction déjà prêt et qu'elle admet de tenir compte du prix du terrain, dans la perspective de préserver la possibi- lité de construire du logement d'utilité publique". Dans cette mesure, l'exercice de ce droit de préemption, y compris sous sa forme qualifiée, n'exige pas que les conditions de l'expropriation pure et simple, au sens des articles 7 et g LGL, soient remplies.

c. Les zones de développement industriel

Le droit de préemption prévu par la LGZDI n'appartient qu'à l'Etat et porte sur tout bien-fonds sis en zone de développement industriel (art. 10 LGZDI).

Selon l'article 11 LGZDI son but est de «favoriser la mise en valeur des zones de développement industriel et d'éviter que des biens-fonds ne fassent l'objet d'aliénation à des prix excessifs ». Nous avons vu que ce but très large a été considéré comme d'intérêt public par le Tribunal fédéral".

Il faut relever que, à l'instar des articles 3 à 6 LGL, l'article 11 LGZDI permet d'exercer le droit de préemption qualifié qu'il prévoit dans des cas où le droit d'expropriation pur de l'article g LGZDI ne serait pas ouvert, notamment parce qu'il n'y aurait pas de projet concret à réaliser dans l'immédiat91

2. La procédure a. Les étapes

La procédure est la même dans les trois cas de droit de préemption qua- lifié prévus par le droit genevois et comporte les étapes suivantes:

l'avis d'aliénation aux bénéficiaires du droit de préemption (art. 30B, al. 1 La LAT, art. 4, al. 1 LGL, art. 12, al. 1 LGZDI);

88 S'agissant de la proposition actuellement pendante devant le Grand Conseil d'élar- gir le champ du droit de préemption, d. 5t4pra note 6.

" Supra III, D.

90 Supra III, C, 3, en particulier note 5I.

" SJ 2008 1 416, 421, A. et B. (TF, 02.06.2008).

(23)

l'interpellation du propriétaire et du tiers acquéreur en vue de l'exer- cice du droit d'être entendu (art. 30B, al. 3 LaLAT, art. 4, al. 2 LGL, art. 12, al. 3 LGZDI)

la notification, dans les 60 jours dès l'acte de la décision du préemp- teur (art. 30B, al. 4 LaLAT, art. 5, al. 1 LGL, art. 12, al. 4 LGZDI), avec le cas échéant un délai de 30 jours dès la renonciation du pré- empteur prioritaire pour l'autre bénéficiaire (art. 30B, al. 5 LaLAT, art. 5, al. 2 LGL);

un éventuel recours contre la décision du préempte ur auprès du Tri- bunal administratif en vertu de l'article 57 de la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA) 92 et de l'ar- ticle 56A, alinéa 2 de la loi genevoise sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (LO])93;

en cas de refus d'une offre à un prix inférieur à celui prévu par les parties au contrat, une procédure d'estimation selon les articles 35 et suivants de la loi genevoise sur l'expropriation pour cause d'utilité publique du 10 juin 1933 (LEx/GE)".

b. La réparation de la violation du droit d'être entendu

A plusieurs reprises, le Tribunal administratif genevois a considéré qu'une violation du droit d'être entendu par l'autorité exerçant son droit de préemption pouvait être réparée devant lui, car il se reconnaît en la matière un pouvoir d'appréciation étendu". Il convient toutefois de rele- ver que l'exercice du droit de préemption réserve à l'autorité qui dispose de ce droit une incontestable liberté d'appréciation. Cette autorité peut donc décider «en opportunité» de renoncer à cet exercice quand bien même les conditions légales pour qu'elle fasse usage de son droit seraient remplies. Or, selon l'article 61, alinéa 2 LPA, les juridictions administra- tives genevoises ne peuvent contrôler l'opportunité des décisions qui leur sont déférées, sauf exception prévue par la loi. La position du Tribunal administratif semble donc en contradiction avec cette disposition.

92 RS/GE E 5 10.

93 RS/GE E 2 05.

" RS/GE L 7 05.

95 ATAIGE du 20 novembre 2007 (ATA/59112007), c. 6 et les références citées; ATAI GE du 1" septembre 1998 (A/I062/1997-CM), c. 6a.

(24)

Le droit de préemption légal des collectivités publiques

Il est vrai que le Tribunal fédéral a indiqué que l'article 33, alinéas 2 et 3 LAT était applicable aux cas de préemption prévus par la LGL".

Comme l'article 33, alinéa 3, lettre b LAT prévoit qu'une autorité de recours au moins doit avoir un libre pouvoir d'examen (s'étendant donc à l'opportunité), cette disposition peut constituer «l'exception prévue par la loi -, permettant au Tribunal administratif d'opérer un contrôle complet de la décision de préemption et partant de réparer une éven- tuelle violation du droit d'être entendu. Mais le Tribunal administratif devrait alors le dire clairement et non se référer à une «liberté d'appré- ciation" qu'il se serait arrogée souverainement en ignorant l'article 61, alinéa 2 LPA.

c. La nature de l'offre d'acquérir au prix fixé par le préempteur Les dispositions légales fondant le droit de préemption qualifié des col- lectivités publiques genevoises prévoient que le préempteur peut notifier aux parties son «offre" d'acquérir aux prix et conditions fixés par lui ct à défaut d'acceptation de cette offre, «s'il maintient sa volonté d'ac- quérir le bien-fonds» sa «décision" de recourir à la procédure d'ex- propriation.

Au vu de la lettre de la loi, on pouvait légitimement se demander si cette procédure constituait bien une décision ou si elle n'était pas une étape informelle précédant une éventuelle procédure complète d'expro- priation. Dans un arrêt de 1991, le Tribunal administratif genevois a considéré que l'offre d'acquérir à un prix fixé par le préempteur consti- tuait bien une décision sujette à recours". Cet arrêr a été confirmé, sans commentaire sur ce point, par le Tribunal fédéral". Ce dernier a récem- ment explicitement admis que cette manière de voir était soutenable, en ajoutant, ce qui n'était jusqu'ici pas clair, qu'il n'est pas nécessaire de mener une procédure complète d'expropriation en cas de refus de l'offre du préempteur". Seule la procédure d'estimation est encore nécessaire.

Le principe de l'expropriation est donc acquis au moment de la décision de préempter à un prix inférieur à celui prévu par les parties. Cette

" ATF 114/1988 la 14, 18, G.

" ATA/GE du 19 juin 1991 (89.CE.830 et 89.CE.831), c. 4b.

" ATF du 11 mars 1992 (1P.534/1991).

" SJ 2008 1 416, 421·422, A. et B. (TF, 02.06.2008).

(25)

interprétation de la loi renforce considérablement la position du pré- empteur, qui peut régler la question du principe de son acquisition dans une procédure relativement simple en s'évitant les étapes (enquête pu- blique, arrêté d'expropriation) de la procédure prévue par la LEx/GE.

v. Conclusion

Le droit de préemption légal apparaît comme un moyen à la fois intéres- sant, car moins lourd que l'expropriation, et puissant, surtout lorsqu'il est qualifié, de maîtrise du sol par les collectivités publiques. Cet ins- trument a encore été renforcé par la jurisprudence, qu i reconnaît assez généreusement les intérêts publics qu'il peut poursuivre, qui se montre souple sur la question de la proportionnalité et qui a admis des pro- cédures d'exercice du droit de préemption qualifié très favorables au préempteur. Son intérêt se révèle d'ailleurs aussi bien lorsque les col- lectivités l'utilisent effectivement, qu'en raison de son caractère pré- ventif, notamment lorsqu'il a pour fonction de lutter contre les prix spéculatifs.

On peut dès lors se demander pourquoi ce droit ne semble avoir connu de développement significatif que dans le canton de Genève, et, sur le papier en tout cas, dans celui du Jura. Le débat à venir sur le droit d'emption, plus incisif, proposé par le projet de LDTer permettra peut-être une redécouverte, sur le plan suisse, des charmes du droit de préemption.

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