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Ludovic Taillefer ne prend pas de vacances!

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Academic year: 2022

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Les enquêtes déroutantes de Ludovic Taillefer

Ludovic Taillefer ne prend pas de vacances !

Jean-Paul Tapie

Roman

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Mykonos

Georges-Alain m’a fait inviter chez son ami Spiros Katsoupis à Mykonos. Je n’y étais jamais allé. Je ne raffole pas des endroits à la mode où s’entassent les gays. On ne m’a jamais vu non plus à Ibiza, Saint-Tropez ou Sitgès.

Je ne me suis pas pris d’une passion soudaine pour ce genre de lieux. Mais je m’entends bien avec Georges-Alain et pour la première fois depuis plusieurs années, j’ai réussi à pro- longer une liaison au-delà de la troisième semaine. Je ne sais pas pourquoi j’en suis d’ordinaire incapable. Je ne suis pas certain que ce soit uniquement de ma faute. Mes amants aussi, je pense, sont responsables de la brièveté de ces rela- tions. Le plus souvent, en fait, ce sont eux qui me rejettent.

Bon, ils ne me jettent pas comme un amant Kleenex, mais plus l’on se voit, plus ils semblent redouter de se faire pin- cer par leur femme, leurs enfants, leur famille, leurs amis, leurs associés, leurs relations, les membres de leur club de golf ou leur partenaire de bridge. C’est fou le nombre de réseaux dans lesquels sont inextricablement engagés

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les hommes de soixante ans – en tout cas, ceux que je fré- quente, qui sont souvent des hommes d’affaires ou des pro- fessions libérales. Ce n’est pas que je sois irrésistiblement attiré par les hommes riches, mais j’aime les hommes qui réussissent et s’il y a bien un point commun entre tous mes amants depuis quelques années, c’est leur réussite profes- sionnelle et sociale.

C’était le cas de Georges-Alain qui, alors que le temps des grandes vacances avait enfin sonné, était toujours mon amant. Je mentirais cependant en affirmant que je l’aimais.

Je l’aimais bien, qu’est ce que l’on ressent pour quelqu’un une fois que l’on a compris qu’on ne l’aimait pas tout court.

Je ne m’ennuyais pas une seule seconde avec lui, il assumait plutôt bien notre liaison et, sans me couvrir de cadeaux oné- reux, il se montrait volontiers généreux avec moi.

Sa générosité et sa sérénité n’étaient cependant pas telles qu’il m’avait proposé de l’accompagner à bord de son Falcon 700 quand il s’était rendu à Mykonos. Il m’avait offert le voyage par un vol régulier, en classe Affaires. J’avais quand même mis plus de vingt-quatre heures pour rejoindre l’île de Mykonos depuis Paris à cause d’une correspondance assez longue à Athènes. En fait, j’avais dû y passer la nuit, après m’être entendu dire que le vol sur lequel je devais voyager jusque dans les Cyclades était complet, alors que j’étais censé y avoir une place réservée. L’hôtesse du bureau Aegian Airways à l’aéroport m’avait transféré sur un vol à sept heures le lendemain matin. Comme je protestais mol- lement, elle avait appelé son chef, qui s’était avéré être un joli garçon de moins de trente ans, avec lequel le courant était instantanément passé. Il s’appelait Adonis et n’était

pas loin de mériter amplement son prénom. C’était un beau garçon, brun évidemment, le cheveu bouclé, l’œil vif, les dents éclatantes, le sourire prompt, avec une adorable fos- sette au menton. Il n’était pas très grand, mais semblait har- monieusement bâti.

J’ai ressenti l’envie de me faire plaindre et je me suis lamenté sur tous les inconvénients que représentait ce chan- gement de plan. Il a tout de suite saisi où je voulais en venir et il m’a dit, dans un anglais impeccable : « Prenez la chose du bon côté ! Si vous ne connaissez pas Athènes – et quelque chose me dit que c’est le cas – vous allez pouvoir profiter de ce fâcheux, mais, convenons-en, minuscule contretemps pour découvrir le charme de sa vie nocturne. Et pour vous le faire découvrir, Aegian Airways vous propose la compa- gnie d’un guide patenté, en l’occurrence moi ! »

Adonis a fait plus que me faire découvrir la vie nocturne athénienne. Il m’a suggéré, puisque je ne disposais pas d’une réservation d’hôtel, d’accepter son hospitalité. Certes, son logement n’offrait pas le même confort que l’hôtel Grande- Bretagne, mais l’accueil y serait au moins aussi chaleureux, les Grecs étant réputés pour leur talent de recevoir leurs invités, fussent-ils de dernière minute.

Là-dessus, il m’a demandé de patienter encore une heure, le temps pour lui de mener à bien quelques tâches bureau- cratiques, et il se ferait un plaisir de me conduire dans sa propre voiture jusqu’à son appartement de Kolonaki.

« Mais si vous préférez aller à l’hôtel, je peux vous faire appeler un taxi… », a-t-il ajouté, l’expression de son visage et le son de sa voix me laissant clairement deviner combien il serait désappointé que j’opte pour cette solution.

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« Je vous attends au bar de l’aéroport », lui ai-je dit sur un ton de voix qui promettait plus que de simples retrou- vailles devant un verre d’ouzo.

Les ailes de son nez ont palpité, trahissant l’impatience qui le démangeait de me conduire séance tenante chez lui.

J’ai pensé que la qualité de son travail risquait de s’en res- sentir. En effet, à peine une demi-heure plus tard, il se tenait devant moi dans la cafétéria de l’aéroport, prêt à me conduire vers la folle nuit athénienne. Il avait perché sur sa tête une casquette d’uniforme qui l’aurait aisément fait passer pour le commandant de bord d’un Airbus A320. Je me suis levé et je l’ai suivi.

J’étais nettement plus grand que lui – une bonne quin- zaine de centimètres, dirais-je, à vue de nez – et cette dispa- rité entre nos tailles m’a légèrement embarrassé tandis que nous traversions l’aérogare en direction du parking du per- sonnel. Mais une fois dans la voiture, la différence est deve- nue quasi imperceptible. Adonis a rangé sur le siège arrière sa veste et sa casquette, il a dénoué sa cravate, ouvert les deux premiers boutons de sa chemise, m’offrant une vue de premier choix sur sa poitrine velue dont les poils sem- blaient être artistiquement tondus. Je pouvais remarquer que ses tétons pointaient déjà sous le coton de sa chemise, comme s’ils avaient senti qu’un festival des sens était sur le point de se produire.

J’ai eu le plus grand mal à ne pas agripper sa cuisse dès que je ne me suis assis à côté de lui. Il a chaussé une paire de Ray-Ban et j’ai eu un bref instant l’impression de me trou- ver au côté de Tom Cruise pour le tournage d’une scène iné- dite de Top Gun.

Le trajet m’a paru long, quasi interminable, et j’ai eu le sentiment qu’Adonis partageait mon impatience. Nous nous regardions de temps à autre, quand la voiture était à l’arrêt derrière un autre véhicule, et ce n’était pas l’envie de nous prouver à quel point nous nous désirions qui nous manquait.

Mais la présence autour de nous d’autres automobilistes qui n’avaient rien d’autre à faire qu’observer ce qui se passait dans les automobiles voisines nous contraignait à une tenue décente. Du coup, nous avons tacitement décidé d’attendre l’intimité de son appartement avant de constater de facto que le corps de l’autre correspondait bien à ce que nous en attendions. Dans l’ascenseur de son immeuble, la fièvre de nos sens a connu un pic qui s’est manifesté éloquemment au niveau de notre entrejambe. Le regard d’Adonis était fixé sur mon membre tumescent et il ne parvenait pas à l’en arra- cher. J’ai dû lui demander sur quel étage je devais appuyer afin de faire progresser l’appareil vers le haut.

« Dernier étage », a-t-il murmuré d’une voix rauque qui aurait pu me faire éjaculer dans mon jeans s’il avait proféré ne serait-ce que quelques mots de plus. Nous étions dans un tel état de harassement sensuel quand nous sommes entrés chez lui que nous n’avons pas pu attendre d’être nus dans sa chambre. Dès la porte refermée, nous nous sommes pré- cipités l’un sur l’autre dans l’entrée en poussant des feu- lements de fauves et moins d’une minute plus tard, nous avons souillé l’un et l’autre, qui son jeans, qui son pantalon d’uniforme. Puis, l’avant-dernier gémissement poussé, cha- cun s’est appuyé sur le mur derrière lui, fermant les yeux et exhalant un ultime soupir.

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J’ignorais encore à quoi allait ressembler la nuit athé- nienne, mais la soirée était idéalement engagée.

C’était un samedi et vers minuit, épuisés par plusieurs coïts successifs, après avoir avalé une salade grecque très opportunément sortie du réfrigérateur, nous avons décidé d’aller boire quelques verres dans le quartier, qui se trouve, avec celui de la Plaka, être l’endroit où l’on s’amuse le soir à Athènes.

J’étais on ne peut plus satisfait de ce contretemps aéro- nautique. Adonis était le garçon le plus adorable qui se pût imaginer. La découverte de son corps, une fois que nous nous fûmes débarrassés de nos pantalons souillés ainsi que du reste de nos vêtements – en l’occurrence, une che- mise pour l’un, un polo pour l’autre, tous deux trempés de transpiration, ainsi que deux boxers qui avaient subi l’essen- tiel de nos tsunamis intimes respectifs – fut une délicieuse surprise. Adonis avait un corps joliment dessiné, avec des muscles secs que les poils tondus de son torse sculptaient avec beaucoup de talent.

De son côté, il n’avait pas eu l’air d’être trop déçu en découvrant mon gabarit d’un mètre quatre-vingt-dix – quatre- vingt-neuf en fait, mais j’aime bien arrondir les chiffres autant que les angles – pour quasiment un quintal de chair et de muscles. Il s’était jeté sur moi avec une voracité qui m’avait laissé présager un deuxième coït sauvage et violent, à peine moins bref que le premier.

Je ne l’avais pénétré que lors de notre troisième étreinte, que la fatigue naturelle de nos corps après les deux pre- mières avait fait durer un temps agréablement long. Il avait

tout de suite été clair, dès les premières caresses, que le rôle le plus actif m’était dévolu, mais je ne saurais, en me sou- venant de la frénésie qui s’était emparée de mon jeune par- tenaire, qualifier sa prestation de passive. Disons que nous nous sommes montrés aussi avides de jouir l’un que l’autre, mais que l’envie d’y parvenir a distribué les rôles comme je l’ai indiqué un peu plus haut. D’ailleurs, la quatrième étreinte, qui a précédé notre décision d’aller boire une bière dans un bar voisin, s’est déroulée selon le même scénario, la paresseuse remplaçant la levrette.

J’avais pu expérimenter, par le passé, une légère décep- tion en me retrouvant dans le brouhaha de la vie nocturne en compagnie d’un partenaire qui m’avait donné ample satis- faction. Certaines personnalités s’expriment plus volontiers dans l’intimité d’une chambre que dans la cohue de la rue.

Ce n’était pas le cas avec Adonis. Il demeurait aussi ado- rable, accoudé au comptoir d’un bar, une bière à la main, qu’écartelé au centre de son lit, prêt à se faire saillir pour la énième fois. Ce que voyant, je me suis penché vers lui et lui ai demandé s’il envisageait une autre forme de coït, par exemple, en proposant à un tiers de nous suivre dans l’ap- partement voisin. Il a secoué la tête, puis collant sa bouche à mon oreille, il m’a demandé : « Tu en as envie ? » J’ai secoué la tête à mon tour. « Alors je te propose de finir nos bières », ai-je proposé, « et de retourner chez toi. Après tout, j’ai un vol très tôt demain matin… » Il a acquiescé et je suis allé pisser.

Le type qui se tenait appuyé non loin de la porte des chiottes, comme s’il surveillait qui entrait et qui sortait, m’a fait regretter d’avoir décliné ma propre proposition. Il aurait fait un excellent partenaire afin de former un trio. Il n’était

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pas aussi beau qu’Adonis, mais il exsudait une virilité bru- tale qui faisait la part belle à l’imagination. Le regard qu’il m’a lancé était explicite : il acceptait déjà ma proposition, quelle qu’elle fût. J’ai failli lui proposer un plan à trois – il me paraissait être de ces garçons qu’aucun plan ne peut dérouter – puis retourner vers Adonis pour lui annoncer que j’avais changé d’avis et lui présenter notre nouvel ami.

Mais j’ai songé que j’avais un avion à prendre à une heure assez peu orthodoxe – elle n’eût pas été plus catholique en France – et que je ne devais pas présumer de mes forces, Georges-Alain m’attendant à Mykonos avec certainement des projets sexuels assez précis. De peur de changer d’avis, je lui ai aussitôt tourné le dos, sans même entrer dans les toilettes, et, alpaguant Adonis au passage, je suis sorti du bar. Il m’a demandé ce qui s’était passé, j’ai secoué la tête et, pour ne rien révéler, je lui ai murmuré : « Tu n’as pas envie d’une douche dorée ? » L’effet a été immédiat sur sa libido et il s’est mis à marcher plus vite que moi.

Je n’ai pas voulu qu’il m’accompagne à l’aéroport, il n’était pas censé travailler en ce matin de dimanche. Je l’ai obligé à se recoucher, après lui avoir tendu un post-it avec mon numéro de portable. Je lui ai suggéré de m’appeler et de venir me rejoindre à Mykonos, par exemple le week-end suivant.

Il n’a pas insisté pour m’accompagner. Il avait sous les yeux des cernes qui étaient très flatteurs pour moi. D’ailleurs, j’avais les mêmes, c’est la première chose que Georges- Alain a remarquée quand j’ai pénétré dans la petite aéro- gare de Mykonos. Mes lunettes de soleil ne l’ont pas abusé.

Je lui ai spontanément avoué les grandes lignes de ma nuit

athénienne, je n’ai aucun goût pour le mensonge, et je lui ai dit : « Je ne te demande pas comment se sont passés ces trois jours sans moi dans ce petit paradis de la baise… On remet les compteurs à zéro, balle au centre. »

Georges-Alain n’est pas vraiment un sportif, le vocabu- laire du hand ou du foot lui passe largement au-dessus de la tête, mais il a compris ce que j’essayais de lui dire. Une heure plus tard, nous étions en train de renouer notre liaison.

Je mentirais si je disais que le souvenir du mec des toilettes n’a pas tenté de s’intercaler dans mon esprit entre deux sou- venirs du petit cul poilu d’Adonis.

Je n’ai pas aimé Spiros Katsoupis qui ne m’a pas aimé non plus. Un véritable coup de foudre à l’envers : l’animo- sité au premier regard. J’ai anticipé un séjour chaotique.

Heureusement, nous étions pratiquement une douzaine d’invités dans sa superbe villa d’Àgios Nikólaos, à quelques minutes du port de Mykonos. Si nous n’avions été que nous trois, Spiros, Georges-Alain et moi, je ne serais sans doute pas resté plus de vingt-quatre heures.

J’ignore l’origine de cette hostilité spontanée. Je me suis demandé si nous nous étions déjà rencontrés quelque part, mais ma mémoire, dont je suis plutôt satisfait la plupart du temps, ne m’a fourni aucun indice. J’en ai été désolé pen- dant une heure ou deux, car je le trouvais plutôt sédui- sant. Certes, son visage l’était moins que son corps. Il avait abusé de la chirurgie esthétique sans pour autant renoncer à la noce. L’alcool alourdissait ses traits et creusait ses rides.

Son corps, en revanche, était au-dessus de tout éloge. Il faut dire qu’il bénéficiait d’un coach à plein temps, un Allemand

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