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Une statisticienne dans les institutions politiques de l’Europe

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Statistique et société, Vol. 2, N° 1 janvier 2014

www.statistique-et-societe.fr | © Société Française de Statistique (SFdS)

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L’article de Delphine Nivière décrit, du point de vue du chercheur, la mise en place en 2003-2004 de la statistique européenne sur les revenus et les conditions de vie. Statistique et Société a souhaité recueillir le témoignage d’une statisticienne d’Eurostat directement engagée dans ce type de processus. Nous avons rencontré Anne Clémenceau, qui a conduit il y a dix ans le travail d’Eurostat pour le règlement sur les revenus et les conditions de vie, et qui tout récemment a conduit un travail analogue pour le règlement

« Statistiques démographiques ».

Statistique &Société : Vous reconnaissez vous dans la description que Delphine Nivière donne du processus d’élaboration d’un règlement européen en matière statistique ?

Anne Clémenceau : Je me reconnais dans ce texte, et je trouve qu’il donne une description fidèle d’une partie de notre travail, celle qui se réalise entre les statisticiens des Instituts nationaux de statistique (INS) et ceux d’Eurostat. Le travail de concertation Eurostat-INS aboutit à l’adoption d’un projet de règlement par l’ensemble des chefs des INS : cette instance s’appelait il y a dix ans le « Comité du programme statistique » (CPS), elle s’appelle maintenant « Comité du Système statistique européen » (comité SSE – acronyme anglais ESSC). Delphine Nivière décrit bien les discussions qui interviennent en amont de cette instance, en insistant sur le point de vue de la France où les données sont collectées par enquête (dans d’autres pays, elles proviennent de sources administratives).

Mais il y a ensuite tout le cheminement politique que la chercheuse n’a pas pu voir.

S&S : Tout un cheminement ?

AC : Oui. Dans un premier temps, la Commission européenne adopte le projet, dans les termes retenus par l’ESSC. Ensuite, le projet est transmis au Conseil européen et au Parlement et là, tout recommence dans le cadre de deux discussions parallèles ! Dans la discussion avec le Conseil, les représentants des Etats membres peuvent prendre des positions différentes de celles qu’avaient prises les statisticiens des mêmes pays. Au Parlement, des amendements sont souvent introduits. Ensuite, il y a un « trilogue » Commission-Conseil-Parlement pour aboutir à un texte commun, qui va être finalement traduit par des juristes-linguistes (qui ne sont pas des statisticiens) dans toutes les langues de l’Union.

S&S : Pouvez-vous donner un exemple ?

AC : Plutôt que de parler du règlement EU-SILC de 2003, je préfère vous parler du récent règlement sur les données démographiques.

Une statisticienne dans les institutions politiques de l’Europe

Anne Clémenceau

Responsable de l’unité « Population » à Eurostat

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Statistique et société, Vol. 2, N° 1 janvier 2014

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S&S : D’accord ; repartons du besoin initial, si vous le voulez bien

AC : Il s’agit, pour chacun des États membres, du chiffre de population totale d’une part, et d’autre part de données détaillées de structure de la population au niveau national et au niveau régional. Depuis le Traité de Nice, le chiffre de population totale joue un rôle important dans le fonctionnement des institutions européennes : il sert à déterminer les nombres de voix au Conseil (vote à la majorité qualifiée) et de sièges au Parlement. Les données structurelles servent de base statistique pour de nombreuses enquêtes ou études, en particulier pour l’allocation des fonds structurels, pour le calcul des projections de population ou pour le suivi de la stratégie européenne de développement durable.

Depuis toujours, Eurostat collectait ces données auprès des Etats membres par « gentlemen’s agreement » : il n’y avait pas de règlement. Or on se heurtait à de gros problèmes de comparabilité.

S&S : Quel genre de problèmes ?

AC : Les différents pays, dans leurs statistiques nationales, n’adoptent pas tous la même définition de population. Dans les pays disposant de registres de population, cette définition est calée sur l’inscription des habitants dans le registre. Or, une personne n’est pas forcément radiée du registre lorsqu’elle quitte le pays, par exemple pour travailler dans un autre pays de l’Union. Il en est résulté des doubles comptes au niveau européen, pouvant atteindre plusieurs millions de personnes. Pour y remédier, il était nécessaire d’imposer une définition commune de la population résidente, inspirée de celle de l’ONU, qui fait référence à une durée de séjour de douze mois. La prise en compte de cette définition pouvait être difficile dans certains pays.

La discussion entre les statisticiens a débouché sur un compromis : imposer sans délai la définition harmonisée pour les chiffres de population totale1 pour le vote à majorité qualifiée au Conseil, admettre plus de flexibilité pour les données structurelles. Sur cette base, l’ESCC a adopté le projet de règlement en décembre 2011.

S&S : Mais, si j’ai bien compris, les choses n’en sont pas restées là ?

AC : Non ! Les étapes politiques ont été mouvementées. D’abord, au Conseil, certains pays ont voulu un moment revenir sur l’obligation d’adopter immédiatement la définition harmonisée pour la population totale ; mais finalement le projet en est sorti presque sans changement. C’est au Parlement que les divergences ont été les plus vives, avec la remise en cause du principe même de s’aligner sur le concept international de population habituellement résidente. J’ai assisté à des moments très tendus au cours des réunions du « trilogue », pendant lesquelles la Commission a un rôle d’observateur et apporte les explications nécessaires à la compréhension du dossier. On a craint un moment qu’il faille retirer le projet. Finalement, sous l’impulsion de la présidente de la commission « Emploi-Affaires sociales » du Parlement européen, le texte est sorti de cette étape meilleur que nous ne l’espérions. Non seulement la définition fondée sur la résidence habituelle a été adoptée pour les votes à la majorité qualifiée, mais un délai de trois ans a été fixé pour réaliser des études de faisabilité d’une harmonisation plus complète des statistiques de population, y compris les statistiques structurelles.

1. NDLR : Voici cette définition telle qu’elle figure dans le règlement européen n°1260/2013 :

« population habituellement résidente » : toutes les personnes ayant leur résidence habituelle dans un Etat membre à la date de référence « résidence habituelle » : le lieu où une personne passe normalement la période quotidienne de repos, indépendamment d’absences

temporaires à des fins de loisirs, de congé, de visites à des amis et à des parents, pour affaires, traitement médical ou pèlerinage religieux.

Seules les personnes suivantes sont considérées comme des résidents habituels de la zone géographique spécifique :

i) les personnes qui habitent sur le lieu de leur résidence habituelle depuis une période continue d’au moins douze mois avant la date de référence ; ou

ii) les personnes qui sont arrivées sur le lieu de leur résidence habituelle dans les douze mois précédant la date de référence avec l’intention d’y demeurer au moins un an.

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Statistique et société, Vol. 2, N° 1 janvier 2014

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S&S : Est-ce qu’en pratique Eurostat a maintenant les moyens d’éviter les doubles comptes ? AC : Chaque pays va nous transmettre un chiffre en stipulant « c’est un chiffre de population conforme au règlement », en l’accompagnant des métadonnées requises. Nous allons vérifier le chiffre à l’aide de ces métadonnées et s’il y a un doute demander des précisions au pays concerné : comment avez-vous traité les migrants présents depuis moins de douze mois ? comment avez- vous traité les étudiants étrangers ? etc. Nous avons une liste de points de contrôle et ces vérifications pourront donner lieu à des modifications du chiffre en accord avec l’Etat membre.

Jusqu’alors nous sommes toujours arrivés à de tels accords. Dans le cas contraire, il existe des procédures qui permettraient de traiter, à un autre niveau, les difficultés qui subsisteraient.

S&S : Vous avez participé à l’élaboration d’un règlement statistique en 2002-2003, puis d’un autre en 2010-2013. Voyez-vous une évolution pendant ces dix années ?

AC : Les choses deviennent de plus en plus difficiles. Un règlement ambitieux comme celui concernant « EU-SILC » serait passé plus difficilement dans les conditions que l’on a connues récemment. Les difficultés se multiplient au niveau ESSC, au Conseil, au Parlement. Les Etats membres sont sur la réserve, et il a fallu deux années pleines pour que le règlement ‘démographie’

adopté par l’ESSC finisse par être adopté par les instances politiques. Les contraintes budgétaires sont de plus en plus présentes : ainsi, un règlement concernant les enquêtes de victimation, qui était passé au Conseil, n’a pas fait l’objet de discussion au Parlement européen, l’opération (d’un coût de douze millions d’euros) étant considérée comme « trop chère ».

Une autre évolution que l’on peut remarquer concerne la langue. En 2003, les discussions se déroulaient avec une interprétation en trois langues, systématiquement. Maintenant, sauf exception, tout se déroule en anglais. Pour moi, c’est plutôt mieux, car les traducteurs ne sont pas des statisticiens spécialisés : les difficultés dues à des traductions trompeuses prolongeaient parfois inutilement certaines discussions.

S&S : Vos fonctions à Eurostat vous apportent-elles des satisfactions professionnelles ?

AC : Beaucoup ! Il s’agit de négocier, de rechercher des compromis afin de faire avancer une réelle harmonisation statistique. Et il est très enrichissant de travailler avec les différents acteurs nationaux !

Références

Règlement n°1177/2003 du 16 juin 2003 du Parlement et du Conseil concernant les statistiques communautaires sur les revenus et les conditions de vie (EU-SILC)

Règlement n°1260/2013 du 20 novembre 2013 du Parlement et du Conseil concernant les statistiques démographiques européennes

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