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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagande

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langages, information, médiations  

53 | 2019

Fake-News ! Pouvoirs et conflits autour de l’énonciation publique du « vrai »

Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagande

Considering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

Florian Dauphin

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/edc/9132 DOI : 10.4000/edc.9132

ISSN : 2101-0366 Éditeur

Université de Lille Édition imprimée

Date de publication : 15 décembre 2019 Pagination : 15-32

ISBN : 978-2-917562-22-2 ISSN : 1270-6841 Référence électronique

Florian Dauphin, « Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagande », Études de communication [En ligne], 53 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 06 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/edc/9132 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edc.9132

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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagande

Considering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

Florian Dauphin

Université de Picardie Jules Verne Laboratoire Habiter le Monde (EA 4287) florian.dauphin@gmail.com

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Florian Dauphin

Résumé / Abstract

L’objectif de cet article est de montrer que si la notion de « fake news » apparaît révélatrice d’enjeux sociaux démocratiques, journalistiques et juridiques, particulièrement à l’ère des réseaux sociaux numériques, elle n’en demeure pas moins une notion limitée pour les Sciences Humaines et Sociales si elle ne prend pas en compte les recherches antérieures sur les rumeurs et la propagande. Il s’agit donc de pointer l’intérêt et les critiques de ces notions, en sociolo- gie, en histoire, en philosophie et en psychologie sociale pour comprendre la complexité du phénomène et les limites de la notion de « fake news ».

Mots-clés : fake news, fausses nouvelles, rumeurs, propagande, in- formation, désinformation.

We argue that while the notion of

“fake news” can shed light on demo- cratic, journalistic and legal issues, par- ticularly in the era of social networks, it is of limited value as a concept for the humanities and social sciences as long as previous research on rumor and propaganda is not taken into account.

In order to understand the complexi- ty of the phenomenon of “fake news”

and the limits of the notion, it remains essential to examine how rumor and propaganda have been studied in so- ciology, history, philosophy and social psychology.

Keywords: fake news, rumor, pro- paganda, information, misinformation.

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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagandeConsidering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

Introduction

L’expression « fake news » a été largement médiatisée par les journalistes suite à deux faits politiques majeurs sur le plan mondial dont les résultats vont à l’encontre des prévisions journalistiques : l’élection du Président des États- Unis Donald Trump en 2016 et le référendum pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne : le « Brexit » la même année. Cette expression qui se démocratise dans le débat public apparaît particulièrement polysémique et confuse (Tandoc et al., 2018). Nous pouvons distinguer quatre types d’usage de la notion : un usage journalistique (professionnel), un usage du sens commun, un usage politique et un usage scientifique. Pour les journalistes, face à la mé- fiance, voire à la défiance de l’opinion publique envers les professionnels de l’information1, les fake news apparaissent comme un moyen de rendre légitime leur métier. Leur crédibilité dépend justement de leur capacité à démentir les

« fausses nouvelles »2 et à révéler leur naissance ainsi que les intérêts politiques et/ou économiques des désinformateurs par les techniques professionnelles de « fact checking ». Par la dénonciation des fausses nouvelles, les journalistes jouent donc leur rôle d’experts de l’information et peuvent rendre légitime leur savoir être (posture, éthique et déontologie), leur savoir-faire (investigation : recherche des faits et des sources) et leur faire savoir face à une proportion croissante d’individus qui s’informent via les réseaux sociaux numériques (RSN) : principalement Facebook et Twitter3. Chez les journalistes, la notion reste floue, souvent employée comme synonyme de « rumeurs » comme nous le verrons.

Pour le « grand public », le concept de « fake news » semble également confus, comme en témoigne une enquête menée aux États-Unis par Monmouth Uni- versity en 2018. En France, des entretiens qualitatifs montrent que l’expression n’est pas connue de tous, elle est parfois comprise comme une information humoristique provenant de sites satiriques ou comme une information non

1 Selon le 32e baromètre de la confiance accordée par les Français aux médias réalisé par Kantar, en 2019, la crédibilité accordée aux médias diminue (50 % de confiance en la radio, 44 % à la presse écrite, 38 % à la télévision et 25 % à internet). Cf. https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Barometre-medias- journalistes-sommes-remettre-question-2019-01-24-1200997667?from_uni- vers=lacroix

2 Par commodité, nous traduirons l’expression de « fake news » par « fausses nouvelles », même s’il est nécessaire de préciser que le terme existe depuis longtemps dans la langue française. Marc Bloch (1999) l’emploie dès 1921 et le terme a également une existence juridique. Cf. article 27 de la « loi du 29 juil- let 1881 » sur la presse, à l’époque où elle émerge conjointement à l’opinion publique (Tarde, 1989).

3 Ce constat est particulièrement avéré pour les jeunes de 15 à 34 ans. En France, ils sont 71 % à privilégier les réseaux sociaux comme moyen d’infor- mation et seulement 14 % à consulter la presse papier ou en ligne. Cf. Média- métrie, Les jeunes et l’information, Synthèse, Juillet 2018 : http://www.culture.

gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Les-jeunes-et-l-information-une- etude-du-ministere-de-la-Culture-vient-eclairer-les-comportements-des- jeunes-en-matiere-d-acces-a-l-information

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vérifiée qui circule sur les RSN4. Alors que le vocable a été employé pour la première fois en 2014 par le journaliste Craig Silverman dans un tweet à l’en- contre de Trump pour dénoncer une rumeur colportée durant sa campagne, c’est le Président américain lui-même qui le popularise. Sa célèbre invective à l’encontre d’un journaliste de la CNN « You are fake news ! » le 11 janvier 2017, montre un usage politique de l’accusation de mensonge pour décrédibiliser les contradicteurs. Face au succès de la notion, des chercheurs ont tenté de la définir et d’en comprendre les enjeux. Certains ont relativisé la portée du supposé nouveau phénomène (Sauvageau et al., 2018 ; Bourdin et Le Bras, 2018). Mais la majorité des travaux ne rendent pas précisément compte des études antérieures sur les rumeurs et la propagande qui nous semblent pourtant incontournables pour comprendre le développement des dites « fake news ».

1.

Les fake news au prisme des rumeurs

Les fausses nouvelles ne représentent ni une rupture, ni une révolution par rapport aux rumeurs. Les travaux sur les rumeurs remontent à plus d’un siècle ; elles sont un enjeu politique et de recherche depuis l’apparition de la presse. Comme le rappelle Kapferer (1987), la rumeur circulant de bouche à oreille constitue le plus vieux media du monde. La transmission de la rumeur orale a été étudiée dès 1902 par William Stern qui a proposé un protocole expérimental (Froissart, 2002, 62-68), mais c’est à la fin de la Seconde Guerre mondiale que la rumeur est devenue, plus que jamais, un enjeu scientifique. À cette époque, les psycho-sociologues Allport et Postman (1945) réalisent une étude en laboratoire et montrent les processus de transformation des messages (réduction, accentuation, assimilation). Les expérimentations sur les rumeurs ont suscité de nombreuses critiques (Bloch, 1999 ; Reumaux, 1996). Dès la démocratisation d’internet en France, des recherches (Dauphin, 2002 ; Taïeb 2001) ont interrogé l’impact du nouveau média sur la circulation des rumeurs, improprement appelées hoax5. À cette époque, il s’agissait de rumeurs et de légendes urbaines colportées de façon massive par courrier électronique, avec des variantes internationales. Mais cela ne constituait en rien une révolution.

Une typologie révélait que leur contenu était sensiblement le même que les rumeurs classiques et légendes urbaines transmises par le bouche à oreille, et les « chaînes magiques » (Rouquette, 1994) circulant antérieurement par

4 Des entretiens menés dans le cadre d’un cours d’initiation aux méthodes qualitatives sur les usages sociaux de l’information par des étudiants de Licence 3 Sciences de l’éducation à l’Université de Picardie Jules Verne (2018- 2019) en attestent.

5 Le terme « hoax », que l’on peut traduire par « canular », n’apparaît pas perti- nent dans la mesure où il réduit l’ensemble des rumeurs qui circulent entre les internautes à des messages intentionnels créés dans un but ludique.

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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagandeConsidering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

courrier postal. La seule nouveauté de contenu était les rumeurs liées à l’infor- matique et en particulier aux virus. La « rumeur électronique » subissait moins de transformation par rapport à celles se diffusant de bouche à oreille. Autre différence notable, elles étaient majoritairement créées intentionnellement dans le but de désinformer, via de fausses sources officielles. Mais la rumeur échangée par email est devenue aujourd’hui minoritaire par rapport aux rumeurs qui s’échangent sur les RSN et par les messageries privées mobiles comme WhatsApp. L’effet de la participation en ligne des acteurs dans la diffusion de contenus informatifs (like, retweet, repost, commentaires) concourt probablement au sens que prend aujourd’hui l’expression « fake news », associée à internet et principalement aux médias sociaux. Dans ce contexte, le mode d’accès et de transmission de l’information évolue. Les RSN favoriseraient « l’entre soi » (Pariser, 2011) et la « polarisation » (Sunstein, 2017). Par ailleurs, les fake news s’inscriraient selon Bronner (2013) dans un dérèglement du « marché cognitif » abondant et concurrentiel de l’information.

1.1. Fausses nouvelles ou rumeurs provoquées ?

Si l’expression « fake news » naît et se popularise lors de la campagne de Trump et lors du Brexit, l’essor de « fausses nouvelles » en politique n’est pas nouveau. Pour prendre le cas de la France, on peut noter qu’à chaque campagne présidentielle, de nombreuses rumeurs apparaissent. Des bruits courent sur tel ou tel candidat. Déjà en 1974, Jacques Chaban-Delmas, candidat plausible à l’élection présidentielle est cible de rumeurs sur les circonstances de la mort de sa femme dans un accident de voiture, qui sont même relayées par la presse. Plus récemment, durant le débat du second tour de 2017, Marine Le Pen fait elle-même allusion à un compte offshore aux Bahamas qu’aurait son adversaire Emmanuel Macron. Des journalistes du Monde affirment que la rumeur « est apparue moins de deux heures avant le débat, sur un espace du forum américain 4chan, conservateurs pro-Trump de l’alt-right [expression pour qualifier l’extrême droite américaine], et a été ensuite partagée par des journalistes de cette mouvance, avant d’être relayée dans la “fachosphère”

française, mais aussi par des comptes pro-russes »6. Il s’agit donc de ce que l’on qualifie d’une rumeur « provoquée » à dessein de nuire, ici au candidat Macron. Les adversaires qui ont créé et ont relayé massivement cette rumeur sont donc multiples et la situation correspond à l’usage de la rumeur comme outil de « propagande politique » (Ellul, 1990). Dans ce cas, l’expression « fausse nouvelle » apparaît comme un synonyme de « rumeur provoquée » pour dési- gner l’intentionnalité d’un message faux. La notion de fake news suggère une

6 Samuel Laurent et Adrien Sénécat, « Présidentielle 2017 : une campagne plombée par les rumeurs, les intox et les fausses “informations” », Le Monde, Les décodeurs, 5 mai 2017 : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/ar- ticle/2017/05/05/une-campagne-plombee-par-les-rumeurs-et-les-fausses-in- formations_5122623_4355770.html

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intentionnalité, c’est-à-dire une information créée dans le but de duper un public (un fake : un faux qui ressemble à un vrai, un truquage). Les fausses nouvelles peuvent provenir d’un groupe d’individus ou d’un seul individu, via des médias traditionnels ou numériques. L’intentionnalité va de pair avec la question des intérêts. La volonté d’induire en erreur par une « infox » s’effectue dans le but d’en tirer un avantage en influençant l’opinion publique dans les domaines du politique (pour changer le cours d’une élection par exemple), de l’économique (« pièges à clics » ou campagne anti-vaccin dans le but de vendre des livres par exemple, etc.), ou même du prestige (par le nombre de lecteurs, de like et de relayeurs, de retweet)7.

1.2. Une fausse nouvelle peut-elle être spontanée ?

Si la « rumeur spontanée » (non intentionnelle) ne rentre pas stricto sensu dans la catégorie des fake news, les théories sur les rumeurs montrent que la distinction entre les « rumeurs provoquées » et les « rumeurs spontanées » ne s’avère pas si évidente. Cette classification dépend pour une part de la possibilité de remonter à la source première de la rumeur et donc de dévoiler l’intentionnalité et son caractère de duperie. Les rumeurs ont la particularité de ne jamais mentionner explicitement leur source (mis à part les rumeurs électroniques comme on l’a vu). Un individu ne propage pas une rumeur en la faisant directement sienne. Ce sont toujours des « on dit », ou bien « l’ami d’un ami ». Jamais le relayeur n’est témoin direct. Ainsi, dans un nombre important de rumeurs, il n’est pas possible de remonter à la source première. C’est par- ticulièrement le cas des légendes urbaines (Renard, 1999) et de nombreuses rumeurs classiques comme par exemple la rumeur du baccalauréat qui circule chaque année à propos de l’épreuve de philosophie, où il suffirait de répondre d’une phrase à un sujet de type « Qu’est-ce que l’audace ? » pour avoir 20/20.

Pour convaincre de sa véracité, sans indiquer précisément sa source, la ru- meur joue sur la source de confiance, selon l’expression de « source sûre ».

Dans la majorité des cas de bouche à oreille, la source serait « l’ami d’un ami » (une connaissance directe et proche de la personne à qui est arrivé l’histoire).

Cette caractéristique typique des rumeurs est si fréquente qu’elle a amené Campion-Vincent et Renard (1992) à utiliser le sigle « ADUA » (l’ami d’un ami).

L’oralité de la rumeur implique le narrateur dans l’histoire (Rouquette, 1990).

Enfin, la rumeur n’expose pas clairement sa source empêchant ainsi son dé- menti. A l’inverse, la fake news annonce souvent sa source. C’est le cas des fausses nouvelles lancées par l’ancien maire de Londres Boris Johnson avant le référendum sur le Brexit8, et par Donald Trump durant sa campagne et de-

7 On constate ici un paradoxe : plus l’information est relayée, plus elle semble vraie. Le phénomène d’influence normative prend le pas sur la recherche de la vérité. La psychologie sociale montre que face à la complexité du traite- ment de l’information, croire en la majorité paraît plus fiable et plus rentable.

8 Boris Johnson, qui a mené à bien la campagne « Vote Leave » (pour la sortie

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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagandeConsidering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

puis sa présidence. Nous verrons que la propagande peut utiliser la rumeur précisément parce que la source n’est pas explicite.

En principe, l’usage du vocable « fake news » vise à designer les rumeurs provoquées, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Pendant l’incendie de Notre Dame de Paris, dans la nuit du 15 avril 2019, des rumeurs se propagent à toute vitesse, qualifiées par les journalistes de « fake news ». Par exemple, un article du Parisien intitulé « Notre-Dame : une fake news fait d’une statue et d’un pompier des “pyromanes” »9, du 16 avril, fait état des rumeurs circulant sur Twitter s’appuyant sur une photo d’origine inconnue sur laquelle l’on pourrait apercevoir un individu contemplant le feu, juché sur la coursive de la tour de la cathédrale (cf. Figure 1). L’Agence France-Presse va aussitôt démentir cette rumeur : ce que l’on pourrait prendre pour un individu n’est autre qu’une statue.

Le « grand public » ne voulant pas croire à la thèse accidentelle, de fil en aiguille les rumeurs et les théories du complot vont surgir : les fomentateurs sont tour à tour des gilets jaunes, des terroristes islamistes, des hommes politiques10, etc.

De nombreuses autre rumeurs s’appuyant sur d’autres photos ou vidéos vont s’opposer à la version officielle de l’accident. « Il n’y pas de fumée sans feu » comme dit le proverbe, ou bien la question « à qui profite le crime ? » permettent de comprendre le raisonnement de causalité. Mais la rumeur spontanée peut prendre un caractère de propagande lorsqu’elle est relayée par exemple par le chef du parti « Debout la France », Dupont-Aignan dans le but de faire parler de lui pendant la campagne des élections européennes11.

de l’UE) lors du référendum de 2016 sur le Brexit, a répété à maintes reprises que la contribution hebdomadaire du Royaume-Uni à l’UE était de 350 mil- lions de livres et que cette somme pouvait être utilisée pour financer le NHS (équivalent britannique de la Sécurité sociale). Le message a été placardé sur les bus de campagne de « Vote Leave » faisant le tour du pays.

9 http://www.leparisien.fr/faits-divers/notre-dame-une-fake-news-fait-d-une- statue-et-d-un-pompier-des-pyromanes-16-04-2019-8054823.php 10 La thèse de l’islamisme est largement reprise. Suite à la photo citée précé-

demment, un internaute demande qui est cet homme en djellaba. L’accusa- tion des islamistes ira jusqu’aux États-Unis où Alex Jones, influenceur complo- tiste de l’extrême droite américaine, pense que l’incendie de Notre-Dame de Paris est un acte de terrorisme islamique. Certains gilets jaunes accusent le Président Macron, l’un d’entre eux poste sur Facebook : « Un jour de bilan de grand débat... le hasard fait décidément bien les choses... ». Enfin, les gilets jaunes sont également accusés, à la suite d’une vidéo montrant des individus avec des gilets jaunes pendant l’incendie.

11 Il déclare : « dans un pays comme le nôtre, où il y a plus de 1000 incidents ou actes de malveillance anti-chrétiens qui sont cachés volontairement [...], c’est le devoir d’un homme politique de poser une question ». Cf. l’article de Leia Hoarau et Benjamin Sportouch, « Notre-Dame : Nicolas Dupont-Aignan continue de s’interroger sur l’hypothèse d’un attentat », 21/04/2019, https://

www.rtl.fr/actu/politique/notre-dame-nicolas-dupont-aignan-a-un-doute-sur- l-origine-de-l-incendie-7797475340

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Figure 1 : Photographie de l’incendie de Notre-Dame Source : Twitter – auteur d’origine inconnu12

Par ailleurs, dans sa définition, une fake news ne pourrait pas être non intentionnelle, ce qui exclut l’apparition de fausse nouvelle spontanée. Ainsi, le faux serait le propre de la manipulation et ne pourrait pas être une invention du sens commun. Ce présupposé renvoie à une conception de la démocratie où le faux proviendrait nécessairement d’une manipulation de l’opinion pu- blique. Enfin, la distinction entre « fausse nouvelle » (provoquée) et « rumeurs spontanées », soulève au final les mêmes problématiques que l’adhésion aux croyances fausses. L’intentionnalité de la rumeur, incluant le mensonge (ou fake news) n’empêche pas que pour fonctionner elle doit paraître plausible afin de se propager. Dans cette forme de transmission, le colporteur ne pense a priori pas diffuser un mensonge, il transmet une information qu’il pense vraie ou du moins qu’il ne considère a priori pas comme fausse. Autrement dit, une rumeur provoquée par des individus doit pour fonctionner avoir une part de véracité et de crédibilité. La fausse information peut émaner d’individus ayant de « bonnes raisons » (Boudon, 1990, 1995) de croire à l’information qu’ils diffusent.

Le caractère spontané d’une rumeur pose une question complexe. Les rumeurs peuvent naître spontanément sans être orchestrées et conscientisées en tant que désinformation dans le but d’agir sur l’opinion publique. C’est le cas des légendes urbaines – elles trouvent un écho dans les représentations sociales préexistantes chez les individus qui les relaient. Selon Fargette, « Les rumeurs spontanées naissent d’événements fortuits, mal interprétés et déformés, ou purement imaginaires. Par son effet rassurant et explicatif, la rumeur répond

12 http://www.leparisien.fr/faits-divers/notre-dame-une-fake-news-fait-d-une- statue-et-d-un-pompier-des-pyromanes-16-04-2019-8054823.php

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à la perplexité de la population » (2007, 313). Il s’agit en somme de la création d’une croyance collective. Ce qui est pertinent pour expliquer la naissance des rumeurs spontanées peut l’être dans le cas des rumeurs provoquées (et donc des fake news) pour expliquer l’adhésion. Marc Bloch (1999, 48-49), l’un des premiers historiens à rendre légitime l’étude de la rumeur dans sa discipline, emploie à ce titre l’expression de « fausse nouvelle » comme un synonyme de

« rumeur », écrivant : « Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance ». L’adhésion à la rumeur spontanée ou provoquée pose de nombreux problèmes épistémologiques d’analyse similaires à l’analyse des croyances aux fake news. Le « paradigme psychopathologique » (Aldrin, 2005), considère la rumeur comme anomique et s’inspire des travaux sur la foule (la contagion, l’irrationalité et l’inconscient collectif). Le « paradigme transactionnel » (Aldrin, 2005) apparaît plus stimulant, dans la mesure où dans une perspective microsociologique, il s’intéresse à la rumeur comme un phé- nomène normal de communication dans lequel les acteurs sont actifs et pas nécessairement crédules. Dans cette perspective, Shibutani (1966) considère que la rumeur n’est pas forcément l’objet de croyance mais peut être un moyen de socialiser, de donner du sens collectivement à un évènement et d’envisager des versions alternatives. De même, la propagation de rumeurs peut s’effectuer dans le but de négocier sa place au sein d’un groupe (Elias et Scotson, 1997).

A contrario, les rumeurs dites « négatrices » (Renard, 2006) qui nient la réalité de faits avérés, peuvent susciter une pleine adhésion à la croyance en une vérité cachée, propre aux théories du complot (Taïeb, 2010), où l’individu se sent dépositaire d’un secret, d’une vérité contre la vérité officielle en proposant une nouvelle réalité/vérité. Ces rumeurs négatrices apparaissent largement minoritaires par rapport aux rumeurs dites « affirmatives » qui témoignent de

« faits imaginaires » (Rouquette, 1975, 1990).

1.3. Fausses nouvelles et rumeurs : véracité, réalité et mensonge

Pour adhérer à une rumeur, elle doit paraître plausible. Il en va de même pour la fausse nouvelle. Toutes les rumeurs, comme les fake news, n’atteignent pas une popularité, seulement certaines rencontrent du succès et se propagent abondamment. Classiquement, la rumeur a la particularité d’être une histoire racontée comme vraie, mais non vérifiée, d’une source inconnue mais de confiance. Du latin rumor, le terme rumeur apparaît au XIIIe siècle et sert à qualifier un « bruit » informel, une nouvelle qui se propage dont la source est anonyme et la véracité est incertaine, mais qui semble crédible et qui est présentée comme véridique. Contrairement à l’acception du sens commun, ce qui définit la rumeur n’est pas la fausseté du contenu mais le fait que l’in- formation va à l’encontre de l’information officielle. Par exemple, la rumeur sur le cancer du Président François Mitterrand circulant lors de son premier septennat s’est avérée vraie. Si une rumeur devient vraie, elle perd son statut de rumeur et devient une information. Par conséquent, le critère de vérité n’est pas pertinent pour définir une rumeur (Morin, 1982). Généralement, l’impossi-

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bilité de vérifier une information ne veut pas forcément dire qu’elle soit fausse, comme on peut le constater avec l’exemple du cancer de François Mitterrand.

L’expression de « fausse nouvelle » induit que l’information est délibérément fausse, mais cela ne se vérifie pas toujours dans les usages qu’en font les jour- nalistes qui emploient régulièrement le vocable de fake news pour définir les rumeurs, comme on en a donné un exemple sur les supposés incendiaires de Notre-Dame de Paris. L’expression de fausse nouvelle insiste sur le caractère totalement faux d’une information. Dans cette conception, l’absolutisme du faux existerait face à l’information idéale, l’absolutisme du vrai que défendent les journalistes. Pourtant, la rumeur entretient un lien complexe avec la réalité.

Certaines rumeurs peuvent devenir des « prophéties auto-réalisatrices » au sens de Merton (1953), c’est le cas par exemple de certaines rumeurs de virus informatiques (Dauphin, 2002), mais c’est aussi le cas de ce que Vidal-Naquet (2000) appelle la « rumeur performative » : une rumeur qui se traduit dans les faits. Les infox peuvent s’avérer « vraies » et « réelles » dans les comportements, attitudes ou croyances des individus qui les colportent. Or, le sens de « fake » caractérise d’emblée les fake news comme fausses, ce qui semble limité et postule l’existence d’une vérité toujours connue. Ainsi, suivant la perspective pragmatique, ce que l’on entend par vrai et faux s’avère plus complexe.

2.

Les fake news au prisme de la propagande

2.1. Fake news : la propagande 2.0 en démocratie ?

Les discours sur les fake news, en plus de faire abstraction des nombreux apports théoriques sur les rumeurs, font table rase des travaux historiques, psy- chosociologiques et sociologiques sur la propagande qui là encore présentent des éclairages pertinents. Les notions de « rumeur », de « propagande » et de

« fake news » s’entrecroisent. À la différence de la propagande, la rumeur peut être spontanée, mais elle peut être aussi déclenchée et devenir propagande.

Ainsi, comme le remarque Fargette (2007) « répandre ou exploiter des rumeurs à des fins propagandistes est facilité par le fait qu’une rumeur reste une infor- mation anonyme transmise oralement, dont on ne peut dire ni où, ni quand elle est apparue ». La rumeur peut être employée contre l’opposant afin de le diaboliser par la calomnie. La notion de fake news s’avère complexe à définir et peu opératoire si elle ne prend pas en compte les nombreuses questions similaires que se sont posées les théoriciens de la propagande. L’étymolo- gie du terme propagande nous enseigne qu’il renvoie d’abord à la botanique (la bouture qui va devenir une nouvelle plante) avant de s’employer dans le domaine religieux au sens de transmission – littéralement pour propager la doctrine catholique. Enfin, le terme prend un nouveau sens politique durant la

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Révolution française, en qualifiant les moyens d’influencer l’opinion publique.

La connotation du terme devient négative et cela particulièrement lors de la Seconde Guerre mondiale. Les deux Guerres mondiales vont contribuer à l’usage scientifique du terme de propagande et à une littérature abondante.

Aux États-Unis dans les années 1920, on a défini la propagande en insistant sur ses aspects psychologiques : « la propagande est une manipulation de sym- boles psychologiques ayant des objectifs dont l’auditeur est inconscient » (Ellul [1962] 1990, 7). Cette conception de la propagande est présente chez Edward Bernays (1928), publicitaire et neveu de Freud, qui se servit des acquis de la psychanalyse et de la psychologie des foules (Le Bon, 1895) pour développer la propagande politique institutionnelle et celle des « relations publiques » a visée commerciale. Dans la même lignée, Lippmann (1922) considère la propagande comme « la fabrique du consentement » en démocratie. C’est également le sens que lui donne plus récemment Chomsky et Herman (1988).Par ailleurs, deux auteurs ont rencontré un vif succès : Lasswell et Tchakhotine. Harold Lasswell (1929) démontre qu’il existe aussi des moyens de propagande avec des objectifs avoués. Serge Tchakhotine (1939), biologiste, qui a eu un rôle actif dans la propagande, tente de formaliser les techniques dans une conception behavioriste. Dans la perspective de Lasswell, la propagande est une arme qui vise à être efficace et à « maximiser le pouvoir ». Poursuivant cette idée, Ellul affirme qu’« une propagande inefficace n’est pas une propagande [...]. Et comme toute technique, la propagande est soumise à la loi de l’efficacité » (6).

Cette caractéristique nous paraît généralement similaire à la conception des fake news qui vise l’efficacité via des techniques afin de renforcer un pouvoir politique et/ou économique. Ainsi, Ellul pointe le rôle que joue la technique sur l’influence sociale et sur la construction de l’opinion publique.

Inspirée de Lasswell, une définition de la propagande proposée par l’Ins- titute for Propaganda Analysis13 fait consensus : « C’est l’expression d’opinion ou l’action effectuées délibérément par des individus ou des groupes en vue d’influencer l’opinion ou l’action d’autres individus ou groupes, avec référence à des fins prédéterminées et au moyen de manipulations psychologiques » (Ellul, 1990, 7). Cette définition qui a rencontré un vif succès peut s’appliquer pour définir les fake news. Malgré la complexité d’une définition, Ellul tente de réhabiliter l’usage scientifique et la pertinence de l’étude de la propagande dans les démocraties, car elle constitue « un objet qui existe et qui doit être délimi- té », qui est un « phénomène sociologique existant » (8) même si son étude se heurte à des obstacles. Il est instructif de considérer qu’on peut aujourd’hui se

13 Une organisation américaine à but non lucratif créée en 1937 dans le but d’« apprendre aux gens comment penser plutôt que quoi penser ». Malgré le succès de cet institut, il dut suspendre ses opérations car « [il] fut placé de- vant un dilemme : en plus d’analyser la propagande de l’ennemi, il aurait dû, afin d’être objectif, étudier également la propagande américaine, et du même coup lui faire perdre de son efficacité en révélant ses secrets aux adversaires des États-Unis » (Augé, 2007, 11).

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poser les mêmes questions à propos des fake news. La première « incertitude » est « provoquée par un a priori moral ou politique » (6). Le fait que l’opinion courante considère la propagande comme un mal ne permet pas d’envisager son existence dans les démocraties – ce qui est la thèse du philosophe : la propagande est consubstantiellement liée à l’information et à la technique.

Selon lui, en démocratie comme en dictature, les techniques de propagande existent. Ainsi, « la propagande est dans le monde actuel une nécessité à laquelle il n’est guère possible d’échapper » (11). Dans cette perspective, les analyses attribuant aux fake news l’avènement de l’ère de la « post-vérité »14 (Keyes, 2004) nous semblent peu pertinentes et sont symptomatiques d’une conception démocratique des sociétés au sein desquels l’individu est pensé comme un être purement rationnel et indépendant. Deuxième incertitude selon Ellul, « la propagande consiste principalement dans la diffusion de “bobards”, par le moyen de mensonge ». Si la notion de mensonge (de faux) est au cœur des fake news, la propagande est plus large. En effet, Ellul distingue deux types de propagande, la « propagande politique », déjà ancienne et largement étudiée et la « propagande sociologique », propre aux démocraties, que Troude-Chastenet (2006) résume de la manière suivante :

« La première (celle des gouvernements, partis et groupes de pression) se distingue de la seconde qui, moins visible, se rapproche de la sociali- sation, que l’on peut définir elle-même comme “processus d’inculcation des normes et valeurs dominantes par lequel une société intègre ses membres”. Ellul oppose le caractère direct, délibéré et coercitif de la propagande politique (que l’on trouve en priorité dans les régimes tota- litaires) au caractère “plus vaste”, “plus incertain”, idéologique, “diffus”, inconscient et spontané, de la propagande sociologique ».

La complexité du sens que donne le philosophe à la « propagande socio- logique » nous semble peu opératoire pour comprendre le phénomène des fake news. En revanche, à l’instar de la propagande politique, les fake news peuvent avoir un caractère institutionnel (Trump, le Brexit) et délibéré, qui vise à produire de l’action. Mais les fausses nouvelles émanent-elles toujours d’une institution ? Comme on l’a vu, elles peuvent naître d’une photographie postée par un individu n’ayant pas forcément le but de désinformer. Malgré les similitudes entre les notions de fake news et de propagande, on peut ob- server plusieurs distinctions. Leur mode de propagation apparaît différent : classiquement la propagande est verticale (c’est le cas dans les dictatures), elle vient d’en haut pour contaminer le « peuple », or les fausses nouvelles se transmettent davantage dans l’horizontalité, dans l’interaction, comme la rumeur.

Avec les RSN, la propagande peut devenir horizontale, ou « intérieure » comme

14 Le terme de « post-truth » fait son entrée dans le Oxford Dictionary en 2016. Il apparaît à la suite des attentats du 11 septembre 2001 et devient populaire en même temps que l’expression de fake news.

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la qualifie Badouard (2017). Une autre spécificité, liée à la précédente, apparaît significative : la rumeur peut parfois s’opposer aux puissants, comme le font les théories conspirationnistes, or la propagande sert historiquement les intérêts des dominants. Enfin, concernant les canaux de transmission, historiquement, la propagande s’effectue par les médias traditionnels (affichage, radio, presse, cinéma, télévision), alors que l’usage du terme « fake news » s’applique presque exclusivement à l’information circulant sur internet et les RSN.

2.2. Relativiser l’effet des fake news

Malgré l’intérêt des études sur la propagande, elles confèrent une toute-puissance et un caractère déterministe aux médias. En effet, les travaux sur la propagande s’inscrivent dans le modèle dit des « effets directs » des médias qui agiraient comme une « seringue hypodermique », selon l’expres- sion de Lasswell, piquant les individus passifs et crédules. Katz et Lazarsfeld (1955) ont largement contribué à relativiser cette conception en proposant le paradigme des « effets limités ». Les craintes liées au fake news semblent nous replonger dans une conception déterministe et toute-puissante des médias.

Éric Maigret (2015, 50) remarque que si « la propagande existe bien dans l’intention de l’émetteur, qui désire noyer toute résistance [...] elle ne permet pas de comprendre les actes du récepteur qui dispose de capacité de fuite et de contradiction ». C’est tout l’enjeu de la compréhension de la réception des fake news. Comme nous l’avons vu, les motivations à diffuser des rumeurs sont nombreuses et ne signifient pas nécessairement des changements d’attitude et de comportement chez les individus qui les propagent ou ceux qui cliquent (retweet, like, tag...). Le numérique permet de retracer le succès du partage de fake news sur les RSN mais cela n’induit pas nécessairement des effets significatifs sur les croyances. Maigret (2015, 50) conclut en affirmant que

« Utilisé souvent dans un sens très large qui en trahit le véritable sens – l’idée que les médias manipulent les gens – le concept de propagande est en fait un concept limité, peu opératoire en tant que tel ». Ainsi, « le mot [propagande]

pourrait être réservé aux sociétés totalitaires où il n’y pas de pluralisme ni même de pluralité des messages et aux situations de contrôle extrême de la communication publique, par exemple les guerres. Mais, là encore, la question de l’effet des médias est à nuancer » (Maigret, 2015, 50). En effet, le terme de propagande fait davantage consensus dans les dictatures au sein desquelles l’information est contrôlée par le pouvoir. La notion de fake news apparait dans les démocraties pluralistes où l’information émane des médias publics et privés. Si les objections à l’usage du terme de propagande nous semblent judicieuses, comment peut-on qualifier la manipulation d’informations en dé- mocratie, particulièrement avec le développement du numérique ? Les fake news remettent au goût du jour la propagande contemporaine en démocratie quand le terme apparait délaissé. L’expression « fausses nouvelles », à l’image de la propagande, peut servir à qualifier une action délibérée ayant un caractère institutionnel dans le but de manipuler l’opinion publique par des mensonges

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ou de la désinformation15. De même, à l’instar de la propagande, les fausses nouvelles visent l’efficacité et l’obtention ou le maintien du pouvoir par un ensemble de techniques, comme ce fut le cas pour le Brexit et l’élection de Donald Trump. Néanmoins, inférer qu’une propagande a fonctionné parce que les effets se sont produits n’exclut pas que la communication a simplement fait écho à des représentations préexistantes (confusion de l’effet et de la cause).

De fait, à l’instar des critiques que l’on peut émettre à l’encontre des théories sur la propagande, les fake news ne sont pas toutes-puissantes, quelles que soient leurs propriétés technologiques. Enfin, à l’image de la propagande, les fake news peuvent être retournées contre leur détracteur. C’est le cas de Trump accusant les médias de diffuser des fausses nouvelles alors que le terme a d’abord été employé à son encontre. Dans ce cas, il s’agit de relever une supposée vérité en pointant un supposé mensonge de l’autre camp.

Conclusion

Cet article n’a pas la prétention de faire un état de l’art exhaustif des travaux sur les rumeurs et sur la propagande, mais il permet de relativiser la prétendue nouveauté des fake news. En occultant les travaux antérieurs et donc par son a-historicité conceptuelle, l’expression de « fake news » apparaît polysémique, confuse, simpliste et peu opératoire. Si l’unification d’une théorie sur les rumeurs n’est pas évidente (Froissart, 2002), il y a un consensus relatif sur la définition du terme et les travaux apparaissent heuristiques. Comme on l’a vu, l’histoire des rumeurs montre que les distinctions entre les rumeurs spontanées et provoquées, et entre vérité et fausseté, sont complexes alors que la définition de la notion de fake news signifie exclusivement l’intention- nalité et la fausseté. De même, les théories sur les rumeurs permettent d’éviter certains présupposés. Le paradigme transactionnel, s’opposant au paradigme

« psychopathologique », relativise la crédulité totale de l’individu contaminé par la fausse information et considère que la rumeur n’est pas pathologique mais qu’elle est normale et donc intemporelle dans la communication. De fait, relayer une rumeur ne signifie pas nécessairement y adhérer totalement (Delouvée, 2015). L’hypothèse de la crédulité totale de l’individu, souvent associée aux fake news, est discutable. Enfin, les théories sur les rumeurs nous montrent que les fausses croyances n’apparaissent pas ex nihilo.

Ainsi les travaux sur les rumeurs ont posé des questions stimulantes sur la production, la réception et donc sur les modèles d’explication des croyances.

15 Augé distingue cependant la propagande de la désinformation : « La désin- formation emploie des informations délibérément fausses, alors que la propa- gande joue sur l’apparence de l’information [...]. En fonction de ses objectifs, la désinformation présente donc : une information fausse comme vraie ; une information vraie comme fausse ; une partie d’information vraie comme une totalité indépendante et vraie pour elle-même » (2007, 17-18).

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Les Fake News au prisme des théories sur les rumeurs et la propagandeConsidering Fake News in Light of Previous Research on Rumor and Propaganda

Quant aux travaux sur la propagande, et en particulier ceux d’Ellul, ils permettent de comprendre comment la désinformation est inhérente aux démocraties. Mais c’est finalement les critiques des travaux sur la propagande qui permettent de relativiser les préconçus associés aux fake news. Comme la propagande autrefois, l’efficacité toute-puissante prétendue des fausses nouvelles renvoie à un déterminisme technique et donc à nier la question de la réception.

Cet article ne prétend pas trancher la question du bien-fondé ou non du terme, puisque l’expression de fake news est déjà entrée dans le vocable commun. Mais, hormis la dimension davantage technicisée de la rumeur et de la propagande, rien n’apparaît nouveau. Seul le rôle des nouvelles technologies dans la formation de l’opinion publique (participation active des usagers, robots, algorithmes dans l’information, etc.) et les réactions qu’elles produisent sur les différents acteurs concernés sont réellement originaux et donc à étudier. Le dernier exemple en date est le rôle des « deepfakes » (que l’on peut traduire par hypertrucages), une technique de synthèse fondée sur l’« intelligence arti- ficielle » pour truquer des vidéos, en faisant dire à quelqu’un des phrases qu’il n’a pas prononcées, en reconstituant sa voix, ou en remplaçant un visage par un autre. Face à l’ampleur de l’infox, les géants du Net (GAFAM) sont sommés d’agir en vue des élections de 2020 aux États-Unis. Par conséquent, quel que soit le sens donné et les critiques que l’on peut opposer à cette notion, force est de constater que la popularité des fake news les rendent performatives : elles mobilisent des acteurs (journalistes, politiques, juristes, GAFAM, enseignants, etc.), des discours et des pratiques qu’il convient d’étudier.

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