• Aucun résultat trouvé

La relation entre les courtiers et les gestionnaires en valeurs mobilières et leurs clients : quelques observations sur l influence du

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "La relation entre les courtiers et les gestionnaires en valeurs mobilières et leurs clients : quelques observations sur l influence du"

Copied!
32
0
0

Texte intégral

(1)

La relation entre les courtiers et les gestionnaires en valeurs mobilières et leurs clients : quelques observations sur l’influence du Code civil du Québec†

Stéphane ROUSSEAU*

Julie BIRON**

Les courtiers et les gestionnaires en valeurs mobilières sont assujettis à une réglementation complexe. Cette réglementation prend sa source dans la Loi sur les valeurs mobilières1 et ses règlements d’application. Elle découle également des règles adoptées par les organismes d’autoréglementation qui ont la responsabilité d’encadrer ces intermédiaires financiers2.

Face à cet enchevêtrement complexe de règles, il est aisé de perdre de vue que les relations entre les courtiers et les gestionnaires en valeurs mobilières et leurs clients sont également soumises au régime général du Code civil du Québec. Pourtant, ce rôle fondateur ressort clairement de la disposition préliminaire du Code civil qui fait de ce dernier le substrat de l’ensemble législatif québécois. En effet, tel que le soulignait avec à propos la Cour suprême dans l’affaire Doré c. Verdun, le Code civil «constitue … le fondement des lois qui font appel, principalement ou accessoirement, à des notions de droit civil. »3

Dans cette perspective, l’objectif du présent texte est de s’intéresser à l’influence qu’exercent les principes généraux du droit civil sur les relations des courtiers et des gestionnaires avec leurs clients. Comme nous le verrons, le droit civil vient compléter la

† Ce texte a été présenté lors de la conférence Insight, La réglementation des courtiers et gestionnaires en valeurs mobilières, 17 octobre 2005. Les auteurs tiennent à remercier le Fonds réservé à l’éducation des investisseurs et à la promotion de la gouvernance de l’Autorité des marchés financiers pour son appui à ce texte.

* Titulaire de la Chaire en droit des affaires et du commerce international et professeur agrégé à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

** Avocate et étudiante au doctorat en droit des affaires et du commerce international, Faculté de droit, Université de Montréal.

1 L.R.Q., c. V-1.1.

2 Par exemple mentionnons les Règles de la Bourse de Montréal et les Règles de l’Association canadienne des courtiers en valeurs mobilières (ACCOVAM).

3 Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, 874.

(2)

réglementation complexe des valeurs mobilières en fournissant des règles qui enrichissent le cadre obligationnel de ces relations.

1. LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE LA RELATION ENTRE LES COURTIERS ET LES GESTIONNAIRES EN VALEURS MOBILIÈRES ET LEURS CLIENTS

Il existe essentiellement trois types de contrat pouvant se former entre un investisseur et un courtier, soit le contrat conclu avec le courtier exécutant, le contrat de gestion assisté et le contrat de gestion d’office aussi appelé contrat de gestion de portefeuille.

Le courtier exécutant a essentiellement l’obligation d’exécuter les ordres de son client qui prendra seul ses décisions de placement. Le courtier exécutant n’aura pas l’obligation d’évaluer la pertinence des placements demandés par l’investisseur, ni de conseiller l’investisseur sur l’opportunité d’effectuer une transaction. De ce fait, en choisissant de recourir à un service à rabais, l’investisseur devra agir en investisseur averti et rechercher lui-même l’information financière qui lui permettra d’effectuer les placements convenant à sa situation personnelle. Par ailleurs, le courtier exécutant ne sera le représentant de l’investisseur que pour effectuer la transaction demandée et ne possédera par la suite aucune obligation de suivi, ni de relation personnalisée avec le client4. En effet, la jurisprudence et la doctrine sont constantes sur le fait que le mandat sera exercé de façon ponctuelle et qu’il se renouvellera à chaque transaction5.

Pour sa part, le courtier de plein exercice ou le conseiller parti à un contrat de gestion assisté possédera des responsabilités beaucoup plus étendues que celle du simple courtier exécutant, puisqu’il devra également offrir des conseils accessoirement à la transaction qui sera effectuée. Ces conseils devront être donnés en conformité avec les objectifs de placement et la tolérance aux risques exprimés par l’investisseur dans son formulaire d’ouverture de compte. Partant, l’investisseur pourra donc tirer avantage les

4 J.Vincent O’Donnell et Alain Olivier, « Les grandes tendances de la jurisprudence récente » dans Association Henri Capitant, La responsabilité civile des courtiers en valeurs mobilières et des gestionnaires de fortune : aspects nouveaux, Cowansville, Yvon Blais, 1999, p. 63, à la page 65.

5 Voir entre autres, Beatty c. Inns, [1953] B.R. 349.

(3)

recherches et analyses du courtier en payant toutefois les coûts reliés à ces divers services. Soulignons que dans ce type de relation, le client investisseur demeurera responsable de toutes les décisions d’investissement qui seront prises.

Enfin, on parlera d’un contrat de gestion d’office du portefeuille de l’investisseur lorsque ce dernier aura délégué son pouvoir de décider à un conseiller de plein exercice qui assumera seul la gestion du portefeuille de valeurs.

Ce bref aperçu nous amène maintenant à examiner les régimes juridiques applicables à la relation entre l’intermédiaire de marché et son client.

1.1 Le régime juridique du contrat liant le courtier à son client

La nature de la relation qui existe entre l’intermédiaire de marché et son client est pertinente en ce qu’elle influe sur l’étendue des obligations et des devoirs qui seront imposés aux parties contractantes.

Si traditionnellement, le contrat de mandat a été employé pour qualifier la relation entre un intermédiaire de marché et son client, depuis la réforme du Code civil du Québec, un doute s’est installé au sein de la communauté juridique. Plusieurs possibilités ont été énoncées par les juristes quant à l’application des nouvelles règles de droit civil à ce type de relation. Certains ont fait appel aux règles du nouveau contrat de service, d’autres ont souligné l’importance des nouvelles règles de l’administration du bien d’autrui et plusieurs sont restés fidèles à la qualification traditionnelle en référence avec les règles du mandat.

Sans avoir la prétention de fournir une réponse finale à ce débat, nous proposons d’en examiner les grandes lignes et de mettre en relief l’impact de cette qualification ci- dessous.

(4)

1.1.1 La position classique : l’omniprésence du contrat de mandat

En jurisprudence, comme en doctrine, la relation du courtier avec son client a traditionnellement été qualifiée de mandat6. Cette qualification a été employée tant à l’égard d’un compte d’exécution que d’un compte discrétionnaire. Deux exemples permettent d’illustrer cette position.

En 1953, dans l’affaire Beaty c. Inns7, la Cour du Banc de la Reine rappelait péremptoirement qu’il était alors couramment admis dans la doctrine que le courtier agissait à titre de mandataire de son client aux fins d’achat et de vente de titres. Depuis, et cela jusqu’à tout récemment, la jurisprudence et la doctrine ont unanimement qualifié la relation entre le courtier et son client en ayant recours au contrat de mandat.

De même, dans l’arrêt Laflamme c. Prudential-Bache Commodities Canada Ltd.8, la Cour suprême du Canada référait au mandat pour qualifier la nature juridique du lien qui unissait le courtier agissant à titre de gestionnaire de portefeuille dans le cadre d’un compte discrétionnaire. Bien que la Cour ait reconnu que le courtier possédait de vastes pouvoirs dans ce contexte, elle considéra que « [p]our l’essentiel, la relation juridique entre le client et le courtier en valeurs mobilières relève des règles du mandat ». Ainsi, le courtier gestionnaire agissait, en l’espèce, à titre de mandataire pour le compte de son client. Selon la Cour, l’objet du mandat ne se limite pas à l’exécution d’une transaction, il englobe également la gestion « plus ou moins discrétionnaire du portefeuille du client ».

6 Voir, par exemple, Raymond D. Lemoyne et Georges R.Thibaudeau, « La responsabilité du courtier en valeurs mobilières au Québec » (1991) 51 R. du B. 503; Adrian Popovici, La couleur du mandat,

Montréal, Éditions Thémis, 1998, p. 209-210.

7 Précité, note 5.

8 Laflamme c. Prudential-Bache commodities Canada ltd., [2000] 1 R.C.S. 638.

(5)

Tout en reconnaissant que les termes employés dans l’arrêt Laflamme laissent peu de place à l’interprétation, la position de la Cour suprême mérite néanmoins d’être nuancée étant donné qu’elle a été formulée en fonction des règles du Code civil du Bas-Canada. En effet, la définition du contrat de mandat sous le Code civil du Bas- Canada et sous le Code civil du Québec diffère. Sous le Code civil du Bas-Canada, l’article 1701 définissait le mandat comme « un contrat par lequel une personne, qu’on appelle mandant, confie la gestion d’une affaire licite à une autre personne qu’on appelle mandataire… ». Sous le Code civil du Québec, le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers… ».

Cette différence de formulation limite la portée de l’opinion de la Cour suprême dans l’arrêt Laflamme en ce qui concerne le contrat de gestion d’office du portefeuille, puisque le législateur paraît avoir restreint la portée du mandat sous le nouveau Code civil. Il ne s’agit plus pour le mandataire d’assumer la gestion d’une affaire licite, comme c’était le cas en vertu de l’article 1701 C.c.B.-C., mais plutôt d’exercer un pouvoir de représentation pour l’accomplissement d’un acte juridique. Même si nous donnons une interprétation large au terme acte juridique, le concept de représentation sied mal à la gestion d’office de portefeuille. En effet, tel que le soulignait Beaudoin, dans ce contexte, « le client délègue au gérant son pouvoir de décision ou de gestion sur une partie de ses biens ». La tâche ainsi confiée au courtier visera entre autres l’exécution d’activités intellectuelles, tactiques et stratégiques qui viseront à maximiser le rendement du portefeuille9. Autrement dit, dans le cas du contrat de gestion d’office, le client délèguera un pouvoir de gestion qui est beaucoup plus vaste que celui d’exécuter certaines opérations financières. De ce fait, le pouvoir de passer des actes juridiques, tels que l’achat et la vente de titre, ne constituera qu’un moyen accessoire permettant d’accomplir l’objet même du contrat qui est de gérer un actif.

1.1.2 Et le contrat de service?

9 Lise I. Beaudoin, Le contrat de gestion de portefeuille de valeurs mobilières, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p. 25, 49 et 50.

(6)

Dans une décision récente10, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable juge Rousseau-Houle, proposait une classification des règles applicables aux divers contrats pouvant intervenir entre l’investisseur et l’intermédiaire de marché. Rappelant la règle selon laquelle la qualification juridique d’un contrat découle de l’intention des parties et de la relation juridique qui s’établit entre elles plutôt que par la qualification qu’elles attribuent elles-mêmes audit contrat, la Cour a souligné que, bien que sous l’ancien Code civil les tribunaux et les auteurs aient traité le rapport juridique existant entre un intermédiaire de marché et son client comme relevant essentiellement des règles du mandat, le nouveau Code civil est venu modifier cet état de choses.

Sous le Code civil du Québec, une qualification plus nuancée peut être proposée. Le contrat de gestion de portefeuille pourrait, selon les circonstances, être qualifié de simple mandat, de contrat de gestion assistée ou encore de contrat de gestion d’office. Le premier est celui où le courtier n’est que le représentant du client pour une transaction particulière. Ce mandat se renouvelle à chaque transaction et le courtier n’y joue qu’un rôle d’intermédiaire. Le contrat de gestion assistée est celui qui délimite l’étendue des pouvoirs du gestionnaire et énumère les activités que le professionnel pourra exercer seul. Celui de gestion d’office est un contrat qui délègue la gestion pleine et entière du portefeuille de valeurs mobilières. L’essence de ce contrat n’est pas tant la représentation d’autrui dans l’accomplissement d’actes juridiques que la fourniture de services de gestion dans le respect des règles d’administration du bien d’autrui11.

Or, malgré quelques ambiguïtés terminologiques, il nous semble que ce passage illustre bien toute la complexité de l’exercice de qualification de la relation contractuelle intervenant entre l’investisseur et l’intermédiaire de marché. Ayant clairement qualifié la nature de la relation existant entre l’investisseur et le courtier exécutant, qualifiée ici de

10 Groupe Albatros International inc. c. Financière McLario inc., REJB 2003-42340 (C.A.).

11 Id., par. 22.

(7)

simple mandat, ainsi que les règles applicables à la gestion d’office de portefeuille, la juge laisse planer un doute sur les règles applicables au contrat de gestion assistée laissant toutefois entendre que le tout sera fonction de la nature et des termes de la relation contractuelle existant entre le courtier et l’investisseur.

À l’heure actuelle, le courtier partie à un contrat de gestion assisté possède des responsabilités beaucoup plus étendues que de simplement agir comme représentant de l’investisseur pour l’achat et la vente de titres12. La nature des services que les courtiers fournissent à leur client a beaucoup évolué dans les dernières années, et la plupart des courtiers offrent désormais des conseils qui vont au-delà des conseils accessoires à la transaction effectuée.

Dès lors, il faut se demander si ces modifications apportées au contenu contractuel sont suffisantes pour justifier le recours aux règles du contrat de service pour qualifier les obligations découlant du contrat. En effet, tel que nous l’avons souligné précédemment, l’élément essentiel caractérisant le contrat de mandat se trouve dans le pouvoir de représentation qui est donné au mandataire pour la passation d’un acte juridique. Or, lorsque le pouvoir de représentation ne constitue plus l’élément essentiel de l’entente intervenue entre les parties, il faut alors se demander s’il n’y aurait pas lieu de référer à d’autres règles pour la qualification de la relation juridique ainsi établie13.

À la lumière du nouveau Code civil, la relation entre un professionnel et son client peut désormais être qualifiée de contrat de service en plus du traditionnel contrat de mandat.

Lors de la réforme du Code civil, le législateur a innové en adoptant des règles encadrant le contrat de service visant ainsi à offrir des règles plus compatibles avec la nature même du contrat examiné. Dans ce cadre, l’article 2098 du Code civil définit le contrat de service comme étant un contrat par lequel une personne, le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à fournir un service moyennant

12 Ces obligations, que nous examinerons ultérieurement, imposent le devoir de connaître son client, donc sa tolérance aux risques et sa connaissance des marchés financiers, pour ultimement pouvoir les conseiller correctement dans leurs démarches financières.

13 Madeleine CANTIN CUMYN, L’administration du bien d’autrui, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 25.

(8)

un prix que le client s’oblige à lui payer. Comme le souligne le professeur Fabien, la caractéristique essentielle de ce contrat est l’autonomie relative dont jouit le prestataire de services quant à la manière d’exécuter ses obligations14. Ainsi, dans ce cadre, le fournisseur de services définira les modalités d’exécution du contrat selon les résultats recherchés par le client, ce dernier conservant toutefois le droit de veiller à ce que les services rendus soient conformes à l’entente intervenue15.

Or, la qualification du contrat sera fonction de la nature et des termes de la relation contractuelle existant entre le courtier et l’investisseur et variera en fonction de la nature véritable de la relation qui existe entre les parties16. Dans ce cadre, lorsque l’objet principal du contrat demeurera l’exécution de transactions boursières, on devra avoir recours aux règles du contrat de mandat pour qualifier la relation établie entre le courtier et l’investisseur faisant appel à ses services et cela malgré les conseils accessoires qui seront dispensés. Par exemple, nous croyons que les règles du mandat seront applicables dans une relation où il reviendra ultimement à l’investisseur de prendre toutes les décisions finales sur les opérations qui seront effectuées ponctuellement dans son compte et cela malgré le fait que ces décisions aient été guidées par les conseils du courtier de plein exercice.

Par ailleurs, dans le cas où la relation avec l’investisseur comporte de nombreux conseils en plus des services d’exécution purs et simples, et que ces derniers ne sont pas donnés de manière ponctuelle et successive, mais bien dans l’idée d’orienter et de déterminer une structure financière fructueuse et respectueuse des objectifs de placements de l’investisseur, la relation contractuelle tiendra davantage du contrat de service, les pouvoirs d’acheter et de vendre les titres devenant un accessoire permettant de réaliser l’objet même du contrat. Ainsi, les règles du contrat de service

14 Claude FABIEN, « Le nouveau cadre contractuel de l’exercice des professions » dans Alain Poupart (dir.), Les journées Maximilien-Caron -- 1994, Le défi du droit nouveau pour les professionnels, Le Code civil du Québec et la réforme du Code des professions, Montréal, Thémis, 1995, p. 73, à la page 78. Voir également l’article 2099 C.c.Q..

15 Article 2100 C.c.Q.

16 En effet, l’exercice de qualification du cadre juridique du contrat devra se faire à partir d’une analyse de l’objet principal qui sera déterminé en se référant à la nature de la convention, à l’intention des parties contractantes et en référence aux connaissances de l’investisseur en matière de planification financière.

(9)

nous sembleront particulièrement appropriées, dans les cas où il s’agira d’un investisseur néophyte ayant développé une relation de confiance et de dépendance avec son courtier.

1.1.3 L’applicabilité des règles de l’administration du bien d’autrui

Les règles du chapitre huitième, en ce qui a trait à l’énumération des obligations du prestataire de services, ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour définir l’ensemble du contrat intervenant entre un courtier et un investisseur ayant conclu une entente de gestion assistée ou un contrat de gestion d’office. Afin de compléter les règles du contrat de service dans le cas particulier de la relation entre un investisseur et un courtier de plein exercice, deux possibilités s’offriront aux juristes : le recours à titre supplétif aux règles du mandat ou à celles de l’administration du bien d’autrui.

La distinction entre le mandat et la gestion du bien d’autrui s’effectuera essentiellement au niveau des pouvoirs consentis à l’égard des biens d’une autre personne. En effet, dans le cas des règles du mandat, les pouvoirs accordés consisteront principalement en des pouvoirs de représentation, tandis que, les règles applicables à l’administration du bien d’autrui seront susceptibles de s’appliquer à une personne s’étant vu confier l’administration du bien d’autrui, et ce, peu importe la raison ayant donné ouverture à cette situation.

Ceci étant, la question de savoir si l’on devra appliquer les règles du mandat ou de l’administration du bien d’autrui au contrat de service existant entre le courtier en valeurs mobilières et son client dépendra essentiellement du contenu contractuel et de la situation visée en l’espèce.

1.2 Les conséquences de la qualification juridique du contrat liant le courtier à son client

(10)

Si toutes les études qui portent sur les intermédiaires effectuent un exercice de qualification juridique, nous devons reconnaître que peu d’entre elles s’emploient à identifier les conséquences découlant de cette qualification. En effet, c’est en vain que nous avons cherché une étude comparative exhaustive des régimes obligationnels associés au contrat de mandat, au contrat de service et à l’administration du bien d’autrui. Cette lacune laisse perplexe et soulève la question de la pertinence de l’exercice de qualification juridique. Compte tenu de l’ampleur de la tâche, la comparaison des régimes obligationnels du contrat de mandat, du contrat de service et de l’administration du bien d’autrui dépasse largement le cadre de la présente conférence. Toutefois, il paraît opportun de faire quelques observations à cet égard afin de faire ressortir la pertinence de cette comparaison.

Nous devons constater que les trois régimes imposent des obligations générales similaires aux mandataires, aux prestataires de services et administrateurs du bien d’autrui dans le but de protéger l’intérêt de l’autre partie. Ainsi, dans ces trois contextes, le Code civil impose des obligations de prudence et diligence, de loyauté et de bonne foi. Étant donné l’ampleur de ces obligations, nous pouvons d’emblée constater l’étroite parenté entre ces régimes. De plus, il semble bien que les comportements abusifs les plus grossiers peuvent être sanctionnés par ces obligations, peu importe le régime applicable.

L’examen détaillé des régimes obligationnels révèle cependant des différences, certaines mineures, d’autres majeures dans les obligations des parties. Parmi les différences mineures, signalons que le contrat de service comporte une obligation précontractuelle d’information à l’article 2102 exigeant que le prestataire de services fournisse des renseignements au client avant la conclusion du contrat sur la nature de la tâche et sur les biens et le temps nécessaire pour l’accomplir. Bien que les régimes du contrat de mandat et de l’administration du bien d’autrui ne comportent pas pareille obligation, l’obligation de bonne foi fournit des assises solides pour reconnaître une

(11)

obligation d’information en l’absence de disposition spécifique17. De même, dans les règles régissant le contrat de mandat, nous retrouvons une obligation d’information de l’état de l’exécution du mandat que nous ne retrouvons pas dans les autres régimes. À nouveau, nous pouvons croire que cette règle peut s’inférer des obligations générales du prestataire de services et de l’administrateur du bien d’autrui.

Au-delà de ces différences mineures se retrouvent des différences majeures dont la portée ne devrait pas être sous-estimée. La première différence notable concerne la délégation des fonctions et des pouvoirs, question qui revêt une importance certaine en matière de courtage et de conseils en valeurs mobilières. Les règles du mandat sont les plus sévères : le mandataire est tenu d’accomplir personnellement le mandat, à moins que le mandant ne l’ait autorisé à se substituer une autre personne pour exécuter tout ou partie du mandat18. Cette règle suggère qu’un contrat passé avec un investisseur qui identifie nommément le courtier agissant pour ce dernier devrait comporter une autorisation de substitution pour permettre à un autre courtier d’agir si nécessaire. À défaut, il sera nécessaire d’obtenir l’autorisation, c’est-à-dire l’accord préalable de l’investisseur, pour effectuer la substitution. Le régime de l’administration du bien d’autrui prévoit une règle mitoyenne, mais plus ambiguë. L’administrateur peut déléguer ses fonctions ou se faire représenter par un tiers pour un acte déterminé19. En revanche, il ne peut déléguer généralement la conduite de l’administration ou l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, à moins que ce ne soit à des coadministrateurs. Cela signifie que dans le cadre de la gestion de portefeuille, il est possible de procéder à une délégation partielle auprès d’un autre gestionnaire de portefeuille qui dispose, par exemple, d’une expertise particulière, en concluant un contrat de service ou de mandat.

De fait, une telle délégation constituera parfois une façon pour l’administrateur de s’acquitter de son obligation de prudence et diligence. La rédaction de l’article 1337 du Code est toutefois peu heureuse en ce qui concerne les conséquences de la

17 Brigitte LEFEBVRE, La bonne foi dans la formation du contrat, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998;

Jean PINEAU, Serge GAUDET et Danielle BURMAN, Théorie des obligations, 4ème éd., Montréal, Thémis, 2001, p. 34 et ss. et Banque de Montréal c. Bail, [1992] 2 R.C.S. 554.

18 Art 2140 C.c.Q.

19 Art. 1337 C.c.Q.

(12)

délégation20. Aussi, il semble prudent de prévoir de manière détaillée dans le contrat les modalités de la délégation envisagée. Finalement, le contrat de service prévoit une règle qui paraît de prime abord plus libérale en matière de délégation. En effet, l’article 2101 C.c.Q. stipule qu’à moins que le contrat n’ait été conclu en considération des qualités personnelles du prestataire de services, ce dernier peut s’adjoindre un tiers pour l’exécuter. Cette restriction à la sous-traitance pourra être pertinente en matière de valeurs mobilières lorsque la réputation, l’expertise ou les aptitudes du fournisseur de services auront mené le client investisseur à conclure le contrat d’investissement. Ainsi, dans ce cas particulier, le courtier choisi devrait donc exécuter personnellement le contrat. Afin d’éviter l’application de cette disposition, il nous semblerait opportun de prévoir expressément le droit pour le courtier ou le conseiller de déléguer ses fonctions dans certaines circonstances.

Une seconde différence digne de mention concerne les règles relatives au conflit d’intérêts. À cet égard, le régime de l’administration du bien d’autrui édicte un ensemble de règles strictes qui s’apparente à celles qui prévalent en droit des sociétés. Selon l’article 1310 C.c.Q., l’administrateur ne peut se placer en situation de conflit d’intérêts entre son intérêt personnel et son intérêt d’administrateur. Cette interdiction se retrouve également dans les règles du contrat de mandat, quoiqu’elle paraisse moins contraignante. En effet, l’article 2138 C.c.Q. prévoit que le mandataire doit « éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de son mandant ». De fait, l’utilisation du verbe « éviter » en lieu et place de l’expression « ne peut se placer » suggère que le législateur cherchait possiblement à créer une obligation de moyen dans le cadre du mandat et une obligation de résultat dans le cadre de l’administration du bien d’autrui. Les règles sur le contrat de service pour leur part ne traitent nullement de cette question, ce qui signifie que les conflits d’intérêts doivent être abordés au regard de l’obligation générale de loyauté du prestataire de service.

20 Voir Adrian Popovici, op. cit, note 6, p. 123-125.

(13)

Quoi qu’il en soit, comme le soulignait une auteure, l’obligation de l’administrateur du bien d’autrui de ne pas se placer en situation de conflit d’intérêts est rendue fort délicate aujourd’hui dans le secteur de la gestion de portefeuille pour autrui qui se caractérise par la présence de situations particulièrement propices au développement de conflits d’intérêts21. On peut voir dans l’article 1311 une volonté du législateur d’aménager cette règle d’une manière qui permette de rendre compte de la réalité de l’industrie de l’administration du bien d’autrui, notamment de la gestion de portefeuille. Cette disposition indique qu’un administrateur peut avoir un intérêt dans une entreprise, même s’il soulève une possibilité de conflit d’intérêts, à condition de dénoncer cet intérêt au bénéficiaire. Cette disposition correspond à l’article 236 du Règlement sur les valeurs mobilières qui, après avoir formulé une règle similaire à celle de l’article 1310 C.c.Q., l’atténue par la voie d’une obligation de divulgation.

2. LES RÈGLES PARTICULIÈRES CONCERNANT LA RÉDACTION ET LINTERPRÉTATION DU CONTRAT

Les contrats d’adhésion ont connu une extraordinaire croissance dans les dernières décennies et les contrats régissant la relation entre un courtier et un investisseur n’ont pas fait exception à cette tendance. Or, le déséquilibre économique et informationnel qui existe normalement dans ce type de contrat a amené le législateur à adopter un certain nombre de règles afin de remédier aux injustices pouvant découler de l’inégalité des forces en présence lors de la négociation des contrats. Ces règles peuvent avoir un impact substantiel sur la relation entre le courtier et son client, comme l’illustrent les exemples ci-dessous.

2.1 Les règles particulières relatives à la forme du contrat

21 L. I. Beaudoin, op. cit, note 9, p. 96.

(14)

L’article 1379 du Code civil définit le contrat d’adhésion comme celui dont les stipulations essentielles ont été imposées ou rédigées par l’une des parties contractantes et que ces stipulations ne pouvaient être librement négociées. À la lumière de cette définition, on peut aisément conclure que la plupart des contrats d’ouverture de compte tombent dans cette catégorie. Cette qualification n’est pas sans conséquence pour les parties contractantes, puisque cette dernière aura pour effet d’entraîner l’application de certaines règles de protection, telle que celles sur les clauses externes et celle sur les clauses incompréhensibles.

2.1.1. Les clauses externes

L’article 1435 énonce que la clause externe à laquelle renvoie un contrat d’adhésion n’aura pas d’effet si elle n’a pas été expressément portée à l’attention de l’adhérent lors de la formation du contrat22. Appliquée au contrat de courtage, cette règle peut avoir des conséquences importantes. En effet, dans le cas où une clause contenue dans un contrat de courtage référerait à un document n’ayant pas été annexé, par exemple dans le cas où le contrat contiendrait une référence aux règles d’un organisme d’autoréglementation dont la maison de courtage est membre ou encore dans le cas où ce dernier contiendrait une référence à des règles de fonctionnement interne ayant été adoptées par la maison de courtage, les tribunaux pourraient priver la clause externe de ses effets si le courtier avait manqué à son obligation d’information au moment de la formation du contrat en ne portant pas cette clause et son contenu à l’attention de l’investisseur.

À cet égard, soulignons que la référence aux règles des organismes d’autorèglementation est chose fréquente dans les contrats d’ouverture de compte et bien que certains puissent croire que ces dernières possèdent un statut équivalent aux règles publiques de par la délégation de pouvoir qui est faite de l’Autorité des marchés

22 La clause externe est celle qui réfère à un document qui n'est pas énoncé dans le contrat principal.

(15)

financiers aux organismes d’autorèglementation pour l’encadrement des activités des maisons de courtage et des courtiers à leur emploi, la réalité est tout autre. En effet, la jurisprudence considère que ce type de règles est de nature contractuelle et que par conséquent, elles ne sont pas opposables aux tiers23.

Tel que le mentionnait le juge Tellier dans l’affaire Scotia Mcleod24, pour déterminer quel est la véritable nature d’une règle adoptée par un organisme privé, il faut se demander si l’Assemblée nationale a délégué à celui-ci un pouvoir de réglementer.

Dans le cas particulier de cette affaire, le juge rappelait que bien que la Bourse se soit vu confier certains pouvoirs concernant la réglementation de ses membres, cette dernière n’a reçu aucun pouvoir lui permettant d’adopter des règlements opposables au public en général ou à une catégorie de citoyens. De ce fait, les règles adoptées par la Bourse sont de nature contractuelle et ne sont opposables qu’à ses membres.

Conséquemment, une référence à ce type de règles ne pourrait tomber sous la couverture de l’article 1434 du Code civil qui énonce que le contrat oblige les parties contractantes, non seulement pour ce qu’elles y ont exprimé, mais pour tout ce qui en découle d’après sa nature, les usages, l’équité ou la loi25.

Par ailleurs, compte tenu de l’importance que l’on accorde désormais aux contrats d’ouverture de compte électroniques conclus par le biais d’Internet, et cela particulièrement dans le cas de contrats conclus auprès d’un courtier exécutant, on peut s’interroger sur l’application de l’article 1435 aux clauses externes contenu dans le corps du contrat électronique26.

23 Voir entre autres, Senez c. Chambre d’immeuble de Montréal, [1980] 2 R.C.S. 555; Bourse de Montréal c. Letellier, [1999] R.J.Q. 2839 (C.A.).

24 Voir Scotia McLeod inc. c. Bourse de Montréal, [1992] R.J.Q. 1040 (C.S.).

25 En effet, les prescriptions de l’article 1435 al. 2 C.c.Q. ne pourraient affectées une clause référant à une règle publique, qui est de par la délégation du législateur, une source d’obligations contractuelle implicite. Didier LLUELLES, Le mécanisme du renvoi contractuel à un document externe : droit commun et régimes spéciaux », (2002) 104 R. du N.11, 30.

26 Voir généralement sur ce sujet le texte de Vincent GAUTRAIS, « L’encadrement juridique du cyberconsommateur québécois », dans Vincent GAUTRAIS (dir.), Droit du commerce électronique, Montréal, Éditions Thémis, 2002, p. 261.

(16)

La Cour d’appel a eu à se prononcer sur cette question dans une décision récente. En effet, dans l’affaire Dell Computer Corporation c. Union des consommateurs27, le juge Lemelin de la Cour d’appel a, dans le cadre de l’examen de la validité d’une clause compromissoire inclus dans un contrat électronique de vente, indiqué que, l’article 1435 s’applique également aux contrats conclus par le biais d’Internet. Tout comme pour le contrat traditionnel, la clause externe au contrat devra nécessairement être portée à la connaissance de l’adhérent pour éviter une déclaration de nullité. Tous les documents ou clauses auxquels renvoie le contrat Internet sans y être expressément inclus sont inopposables à l’adhérent si ce dernier n’a pas eu connaissance du contenu de cette clause. Dans le cas en l’espèce, le contrat de vente de l’appelante contenait une clause de renvoi référant à un document externe, soit les conditions de vente de cette dernière, qui comportait également une clause externe référant aux règles d’arbitrage applicables en cas de différends. Le juge Lemelin, soulignant que le seul fait que le changement de site ait pu s’effectuer par le biais d’un lien hypertexte n’affectait en rien le caractère externe du document28, a déclaré que la clause compromissoire contenue dans une clause externe était nulle et inopposable à l’intimé-acheteur.

Appliqué au contrat d’ouverture de compte conclu par Internet, cela impliquerait donc que la maison de courtage devrait s’assurer d’être en mesure de prouver que l’investisseur a été mis au courant dès la formation du contrat de l’existence et du contenu de la clause externe. Pour se faire, la maison de courtage devrait s’assurer que la consultation du document auquel la clause externe réfère constitue une étape impérative que doit franchir l’investisseur avant d’accepter l’entente.

Dans un autre ordre d’idée, notons que la preuve de la connaissance de la clause par présomption est inadmissible, et cela, même, si la clause que l’on cherche à opposer à la partie qui a adhéré au contrat est d’usage courant29. Ainsi, dans l'examen de la suffisance de l'information donné à l’investisseur qui adhère à un contrat de courtage, il faudra tenir compte de l'ensemble des renseignements fournis pour déterminer si une

27 Dell Computer Corporation c. Union des consommateurs, [2005] R.J.Q. 1448 (C.A.).

28 Id., par. 41.

29 Vincent KARIM, Les obligations, vol. 1, 2ème éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, p. 383; J. PINEAU, S. GAUDET et D. BURMAN, op. cit, note17, p. 50-56.

(17)

clause externe a été expressément portée à son attention. Conséquemment, afin d’éviter l’application de cette disposition, le courtier devra démontrer que l’investisseur avait connaissance de la clause au moment de la conclusion du contrat. La règle prévue par l’article 1435 étant impérative, il ne serait par ailleurs pas possible d’y déroger en incluant une clause à cet effet dans le contrat.

D’autre part, on peut se demander si une modification au cours du contrat faite à des règles auxquelles on réfère par le biais d’une clause externe lie l’investisseur. En effet, les modifications apportées aux différentes règles peuvent-elles faire partie du contrat et lier les parties ? Selon la thèse statique, on doit répondre que le document auquel il est fait référence dans le contrat doit être celui qui existait à la date de la conclusion de l’entente. Ainsi, dans le cas où le document ferait l’objet d’une modification après la formation du contrat, cette dernière ne pourrait pas lier l’investisseur, à moins que ces modifications ne soient portées à l’attention de l’investisseur et acceptées par ce dernier30.

2.1.2. Les clauses incompréhensibles

Le nouvel article 1436 du Code civil du Québec permet à l’adhérent de faire déclarer nulle toute clause objectivement illisible ou incompréhensible d’un contrat, si cette dernière lui cause préjudice. Ainsi, il serait possible pour un investisseur de faire annuler une clause très technique ou savante qui lui porterait préjudice. En ce sens, les auteurs semblent s’accorder sur le fait que le caractère illisible ou incompréhensible de la clause doit être évalué selon un test objectif modifié31, c’est-à-dire un critère d’évaluation in abstracto qui tient compte des particularités de l’adhérent, comme ses connaissances dans le domaine ou son expérience antérieure.

Dans ce cadre, la clause illisible sera évaluée, entre autres, de par la forme du contrat ou la taille des caractères utilisés, et la clause incompréhensible sera celle qui est écrite

30 D. LLUELLES, loc. cit., note 25, 27 et 33.

31 Voir entre autres, le texte de Benoît MOORE, « À la recherche d’une règle générale régissant les clauses abusives en droit québécois », (1994) 28 R.J.T. 177, 217.

(18)

dans un « langage si savant et technique qu’elle ne peut être comprise que par une personne initiée dans ce domaine32 ».

Ainsi, afin d’éviter l’application de l’article 1436 du Code civil, le courtier devra démontrer qu’il a fourni toutes les explications utiles à l’investisseur afin de lui permettre de comprendre la nature et la portée de la clause contestée au moment de la formation du contrat. Néanmoins, malgré le poids de cette obligation s’imposant au courtier, cette obligation est, tel que nous le verrons plus loin, contrebalancée par l’obligation qui est faite à l’investisseur de se comporter comme un investisseur raisonnable en s’informant et en posant des questions à son courtier s’il ne comprend pas la signification d’une clause contenue dans son contrat d’investissement33. En effet, l’investisseur ne pourra rester passif en attendant les renseignements pertinents, il doit également participer activement à l’obtention des informations en posant des questions. De ce fait, dans l’examen de l’application de l’article, le tribunal pourra tenir compte du comportement général de l’investisseur. En effet, le tribunal pourrait décider d’appliquer une clause litigieuse s’il concluait qu’une personne raisonnable, appartenant à la même catégorie sociale que l’adhérent et placé dans les mêmes circonstances, aurait été en mesure de saisir la portée de la clause34.

2.2. Les règles particulières relatives au contenu et à l’exécution du contrat

Outre les dispositions qui concernent la forme du contrat, le Code civil contient également des dispositions curatives qui permettent de maintenir un certain équilibre entre les parties à un contrat d’adhésion.

Dans ce cadre, nous proposons de traiter de deux de ces dispositions qui peuvent avoir des répercussions sur certaines considérations guidant la rédaction du contrat d’ouverture de compte et sur le comportement subséquent du stipulant.

32 V. KARIM, op. cit., note 29, p. 389.

33 B. MOORE, loc. cit., note 31, 219.

34 V. KARIM, op. cit., note 29, p. 390.

(19)

2.2.1. Les clauses abusives

L’article 1437 définit la clause abusive comme étant celle qui désavantage l’adhérent ou le consommateur de manière excessive ou déraisonnable dans l’exécution d’un contrat.

Ainsi, tel que l’indiquait la Juge Hélène Langlois dans l’affaire Massé35, une clause sera considérée comme abusive lorsqu’elle constitue une dérogation sérieuse aux standards de comportement généralement reconnus dans la rédaction des conventions et constitue, à cet égard, une déviation claire par rapport aux normes habituellement admises36. Compte tenu des règles établies par les organismes d’autoréglementation régissant ce domaine et imposant un certain nombre de règles à respecter lors de l’ouverture du compte client, la clause déraisonnable sera celle qui déroge aux normes établies et dont le contenu est excessif ou déraisonnable compte tenu des exigences de bonne foi qui s’imposent aux cocontractants.

Notons néanmoins, que le caractère abusif d’une clause doit s’apprécier non seulement en fonction de ces termes, mais également en fonction de ses effets. Ainsi, une clause qui semblerait à première lecture non abusive, pourrait lorsque mise en application dans un contexte particulier devenir abusive.

En ce sens, on peut s’interroger sur le caractère abusif de la clause prévoyant un délai de 15 jours pour la dénonciation d’une erreur commise sur un relevé de compte mensuel ou sur un relevé de transaction. Compte tenu des conséquences importantes que cela a sur les droits de l’investisseur, on pourrait penser qu’un délai prolongé serait plus raisonnable. Or, l’importance que prend un délai court dans ce domaine particulier et de la nécessité de garantir une certaine stabilité des transactions laisse présumer qu’un délai de 15 jours ne serait pas considéré comme étant abusif. Par ailleurs, les brefs délais que prévoit la Loi sur les valeurs mobilières dans d’autres situations où l’investisseur se voit accorder une certaine forme de protection, nous laissent également croire qu’un délai de 15 jours est raisonnable. Néanmoins, si une maison de

35 Massé c. 3311066 Canada inc., [2004] n˚ AZ-50214319 (C.S.) (Azimut).

36 Voir au même effet B. MOORE, loc. cit., note 31, 223.

(20)

courtage décidait unilatéralement d’imposer un délai différend de celui qui semble actuellement appliqué par l’industrie, les tribunaux pourraient considérer que ce délai est abusif.

2.2.2. Les clauses limitant la responsabilité du courtier

L’insertion de clauses d’exonération de responsabilité dans les contrats d’ouverture de compte semble actuellement monnaie courante dans le domaine du courtage de valeurs mobilières. On peut néanmoins se demander si l’acceptation d’une pareille clause par l’investisseur peut constituer une renonciation par ce dernier au recours en responsabilité découlant de l’obligation d’agir avec prudence et diligence. En effet, selon la doctrine, il semblerait que ces clauses n’aient d’effet que dans les limites prévues par l’article 1474 du Code civil qui énonce qu’une clause de non-responsabilité ne peut produire d’effet dans le cas d’une faute intentionnelle ou lourde37. Cette affirmation implique qu’une clause d’exonération de responsabilité emporterait néanmoins une renonciation au recours s’appuyant sur un manquement à l’obligation d’agir avec prudence et diligence. Conséquemment, en présence d’une pareille clause, l’investisseur ne pourrait rechercher la responsabilité du courtier que dans les cas de mauvaise foi, d’incompétence notoire ou dans une situation ou celui-ci aurait dépassé les pouvoirs que lui confèrent le contrat et les règles encadrant ce type de contrat.

Ainsi, la présence d’une pareille clause entraînera l’alourdissement du fardeau de preuve de l’investisseur qui devra prouver une faute intentionnelle ou lourde dans l’exécution des obligations contractuelles du courtier. Cependant, tel que le soulignait Beaudoin :

[…] la notion même de faute lourde et la difficulté d’appréciation qui l’accompagne doivent être placées dans leur contexte. On a noté d’abord la sévérité des tribunaux à l’égard du comportement du professionnel, entraînant

37 Selon les termes du premier alinéa de l’article 1474 C.c.Q., la faute lourde est celle qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière. Il s’agit d’une situation où le débiteur de l’obligation se place dans un état d’omission qui démontre un mépris total des intérêts d’autrui et une insouciance quant aux conséquences qui peuvent résulter des gestes posés. V. KARIM, op. cit., note 29, p. 638 et 639.

(21)

ainsi un abaissement du standard de la faute. C’est donc dire que la faute du professionnel tend à être plus facilement qualifiée de faute lourde et qu’en définitive les clauses d’exonération de responsabilité perdent leur efficacité. 38

Cette affirmation correspond à notre avis à la réalité observée devant les tribunaux de droit commun qui ne semblent pas faire état des clauses d’exonération de responsabilité.

Par ailleurs, soulignons en terminant que dans certaines circonstances les tribunaux pourraient être amenés à annuler la clause d’exonération de responsabilité par le biais de l’article 1437 C.c.Q. si cette dernière avait un caractère abusif.

3. LES OBLIGATIONS DES PARTIES AU CONTRAT

Bien que plusieurs des obligations s’imposant aux parties proviennent de la réglementation sur les valeurs mobilières et des normes autoréglementaires, on néglige souvent le fait que le droit civil constitue un complément important à ces règles pour établir les obligations des parties à un contrat d’investissement. La présente partie propose donc un examen sommaire de certaines de ces obligations s’imposant aux courtiers et aux investisseurs.

3.1. Les obligations du courtier

Les courtiers ont une obligation de moyen et non une obligation de résultat. La Cour suprême exprimait dans l’affaire Laflamme39 cette obligation comme étant celle, non pas du meilleur ou du pire courtier ou conseiller, mais plutôt comme celle du courtier ou conseiller raisonnablement prudent et diligent exerçant des fonctions semblables et placé dans une situation analogue. Partant, l’appréciation de la conduite professionnelle

38 L. I. BEAUDOIN, op. cit, note 9, p. 122.

39 Laflamme c. Prudential-Bache, précité, note 8, 652.

(22)

d’un intermédiaire de marché s’effectuera de la même façon que celle de la plupart des professionnels, c’est-à-dire par une évaluation objective de son comportement, prenant toutefois en considération le contexte particulier dans lequel il exerce ses activités professionnelles.

3.1.1. L’obligation de conseil et d’information incidente à la formation du contrat

Avant même que le contrat d’investissement ne soit formé, certaines obligations incombent à l’intermédiaire de marché. Tel que le mentionne l’article 2102 du Code civil du Québec, le prestataire de service est tenu, avant la conclusion du contrat, de fournir au client toute information utile relativement à la nature de la tâche qu’il s’engage à effectuer. Cette obligation initiale d’information, qui découle de l’obligation générale d’obtenir le consentement libre et éclairé de la personne qui s’engage40, permettra donc à l’investisseur d’obtenir toute l’information nécessaire afin de s’engager en toute connaissance de cause, tout en comprenant les implications du choix qu’il effectue. À cette fin, l’intermédiaire de marché devra, dès la première rencontre, fournir à l’investisseur tous les renseignements nécessaires afin qu’il puisse déterminer si les services proposés correspondent effectivement à ses besoins et à ses objectifs financiers41.

Par ailleurs, selon la doctrine et la jurisprudence, cette obligation d’information peut se doubler d’une obligation de conseil dans le cadre d’une relation de mandat ou d’une relation semi-professionnelle42. L’obligation de conseil exige non seulement la communication d’information mais également « une présentation objective de l’ensemble des renseignements obtenus, […] l’évaluation des différentes décisions que

40 Voir l’article 1399 C.c.Q. Cette obligation générale de renseignement a été développée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Banque de Montréal c. Bail, précité, note 17 et prend une place particulièrement importante dans les situations de déséquilibre informationnel. On peut de plus se référer à l’article 2102 C.c.Q. dans l’hypothèse où l’on considère que le contrat de service est le contrat nommé qui encadre à titre principal la relation des parties.

41 En effet, il s’avérera parfois nécessaire pour un client possédant des connaissances limitées en matière de placement de solliciter les services d’un conseiller en valeurs ou ceux d’un gestionnaire de portefeuille afin de réaliser l’objectif établi.

42 Baril c. Industrielle Co. d’assurances, [1991] R.R.A. 196 (C.A.).

(23)

le cocontractant peut prendre, et même éventuellement […] l’émission d’une opinion sur l’opportunité de conclure l’engagement. »43

L’affaire Therrien44 constitue une bonne illustration des problèmes pouvant être soulevés par suite du défaut de la part de l’intermédiaire de marché de respecter cette obligation initiale de renseignement. Dans cette affaire, où le demandeur ne connaissait que très peu le domaine financier, ne s’y intéressait pas et n’avait surtout pas le temps de s’y intéresser, la Cour a indiqué qu’il appartenait au courtier de renseigner son client adéquatement sur les divers types de services de courtage disponibles et des honoraires y afférents afin que ce dernier puisse faire un choix éclairé et adapté à ses besoins réels45. Le tribunal à cette occasion a rappelé qu’il s’agit là d’une des obligations d’information et de renseignement applicables en matière contractuelle et a conclu à une faute de la part du courtier qui, en l’espèce, n’avait pas respecté son obligation de renseignement sur la nature et surtout sur les limites de son mandat46. L’affaire Maizel c. Conseillers en valeurs Planiges inc.47, constitue un autre exemple du manquement d’un courtier à son obligation initiale de renseignement. Dans cette affaire, les demandeurs, deux adolescents néophytes dans le domaine de l’investissement, souhaitaient investir les sommes dont ils avaient hérité de leur grand-mère dans des placements sûrs, qu’ils pourraient retirer en tout temps et sans restriction. Dans le but de réaliser des économies sur les frais d’administration et de gestion, le défendeur a proposé aux demandeurs de placer l’argent dans le compte du père de ces derniers en leur affirmant que l’argent serait traité comme ayant été placé dans des comptes séparés à leur seul bénéfice. Or, ces contrats ne mentionnaient pas que les sommes investies pouvaient servir de garantie aux institutions finançant les opérations de leur père. C’est néanmoins ce qui se produisit. Invoquant que le défendeur n’avait pas transmis aux demandeurs toute l’information nécessaire afin qu’ils consentent de façon

43 Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations, 6ème éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, pp. 265-266.

44 Therrien c. David, [2002] R.J.Q. 1515 (C.Q.).

45 Id.

46 Id. Voir au même effet, l’affaire Luppoli c. Mannella, [1995] R.R.A. 876 (C.S.).

47 [1997] R.R.A. 615 (C.Q.).

(24)

libre et éclairée à l’entente de partage de compte, et d’autre part que le défendeur avait failli à son obligation de s’assurer que ses clients avaient effectivement compris la teneur des explications données, le tribunal a retenu la responsabilité du défendeur pour la totalité des pertes subies.

Au début de la relation contractuelle, l’investisseur et l’intermédiaire de marché possèdent un certain nombre d’attentes en ce qui a trait à la responsabilité que chacun devra assumer. Or, des malentendus deviendront inévitables si certaines précisions ne sont pas apportées dès le départ, particulièrement dans les cas où il s’agit d’un investisseur néophyte qui, compte tenu de ses faibles connaissances du domaine financier, sera davantage susceptible d’entretenir des attentes irréalistes48. Malheureusement, la réglementation actuelle régissant l’industrie des valeurs mobilières n’exige pas que les parties discutent de leurs rôles et de leurs responsabilités respectives49, entraînant ainsi un certain laxisme de la part des intermédiaires de marché au détriment des investisseurs. Or, l’apport de certaines précisions, dès le début de la relation, aurait, selon nous, pour effet d’éviter de nombreuses insatisfactions qui, accompagnées de pertes substantielles, se solderont par un différend et la rupture de la relation50.

3.1.2. L’obligation de conseil et d’information incidente à l’exécution du contrat

Une fois que l’intermédiaire de marché aura bien cerné les besoins de son client, i.e.

qu’il aura respecté en tout point son obligation de bien connaître ce dernier, il devra lui

48 Ces précisions et interrogations pourront toucher autant le nombre de rencontres annuelles entre les parties, la nature des obligations des parties, la mise à jour des renseignements contenus dans le formulaire d’ouverture de compte, la fréquence de la vérification de la composition du portefeuille par l’intermédiaire de marché, etc…

49 En effet, l’échange minimal d’information qu’oblige le formulaire d’ouverture de compte ne permet pas à notre avis de clarifier tous les points importants au début de la relation.

50 Le principe premier du Modèle de courtage équitable tente de remédier à ce problème. Il vise à assurer, par l’adoption de lignes directrices précises et d’un document de courtage équitable, à ce que les rôles et les responsabilités de l’investisseur, du représentant et de la maison de courtage soient clairement établis et consignés par écrit au moment de l’établissement de la relation.

(25)

offrir des services ou produits financiers qui correspondront aux besoins exprimés51. En effet, ce devoir de conseil et d’information, circonscrit à l’article 161 de la Loi sur les valeurs mobilières, obligera l’intermédiaire de marché à formuler ses recommandations en tenant compte des objectifs de placement et de la tolérance au risque exprimés par l’investisseur dans le formulaire d’ouverture de compte52.

À cette fin, l’intermédiaire de marché aura l’obligation de communiquer à l’investisseur de manière compréhensible toute information utile à la prise d’une décision éclairée compte tenu de ses objectifs d’investissements et de sa tolérance au risque.

La question visant à déterminer si la relation contractuelle entre le courtier et l’investisseur est sporadique ou continue prendra un sens particulier pour l’investisseur faisant affaire avec un courtier de plein exercice dans le cadre d’un contrat de gestion assisté. En effet, tel que nous l’avons évoqué, un investisseur faisant appel aux services d’un courtier de plein exercice, s’attendra normalement à obtenir des services continus afin que ses investissements correspondent en permanence à sa situation personnelle. Compte tenu de la réglementation applicable et de la publicité que font actuellement les maisons de courtage pour promouvoir leurs services, les attentes des investisseurs nous semblent légitimes et devraient normalement se refléter dans la qualification du contrat liant les parties53. À l'heure actuelle, la jurisprudence, la doctrine et la réglementation ne semblent toutefois pas refléter ces attentes.

3.1.3. L’obligation d’agir avec bonne foi, honnêteté et loyauté

Compte tenu de sa nature et de son étendue, l’obligation de bonne foi, d’honnêteté et de loyauté trouve application dans pratiquement tous les litiges pouvant survenir dans

51 En effet, le pendant de l’obligation de connaître son client est de le tenir bien informé des changements importants pouvant influencer sa situation personnelle. William HESLER, « La responsabilité du courtier en valeurs mobilières au service du particulier » dans Association Henri Capitant, La responsabilité civile des courtiers en valeurs mobilières et des gestionnaires de fortune : aspects nouveaux, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 63, à la page 70. Notons toutefois qu’il est possible de mettre de côté cette obligation d’information par accord de volontés.

52 Cette règle est mieux connue dans les provinces de common law sous l’expression « suitability rule ».

53 W. HESLER, loc. cit, note 51, p. 63.

(26)

le cours de la relation entre l’intermédiaire et son client. Néanmoins, cette obligation trouve un écho particulier dans l’obligation qui est faite aux courtiers d’éviter de se placer en situation de conflits d’intérêts qui se retrouve à l’article 2138 du Code civil, dans le cas des règles applicables aux mandataires, de même qu’à l’article 1310 du chapitre troisième contenant les règles applicables à l’administrateur du bien d’autrui.

Or, à la lecture de ces dispositions, on peut légitimement se demander quelles sont les implications de ces règles dans le cadre de la relation entre un courtier et son client.

En consultant la littérature portant sur le sujet, il est possible de dire qu’il y aura conflit d’intérêts à chaque fois que le courtier pourra bénéficier d’un geste qui irait à l’encontre des intérêts de son client ou encore lorsque le courtier, possédant une clientèle diversifiée ayant des intérêts opposés, devra choisir entre l’intérêt d’un de ses clients.

Dans ce cadre, trois situations spécifiques méritent notre attention, soit les cas de multiplication des opérations, de front running et de transactions entre personnes liées.

1. La multiplication indue des opérations. La multiplication indue des transactions dans le compte d’un client dans le seul objectif de générer des commissions constitue une infraction à l’article 193 de la Loi sur les valeurs mobilières. Dans un contexte où la rémunération repose sur le volume d’opérations effectuées, il ne sera pas surprenant qu’un intermédiaire de marché tente de tirer profit de la situation en recommandant des activités non rentables pour l’investisseur dans le seul objectif de générer des commissions. En effet, les courtiers étant rémunérés à la commission ne recevront aucun avantage financier immédiat pour la recommandation de stratégies qui ne comportent ni achat ni vente, même si ces stratégies représentent la meilleure option pour l’investisseur de ce fait ils peuvent être tenté de recommander des opérations ou encore de les effectuer sans l’autorisation du client dans le seul objectif d’augmenter leur rémunération.

2. Le front running. Un courtier se trouvera également en situation de conflit d’intérêts s’il fait pour son compte des transactions spéculatives pour profiter du

(27)

changement de cours qui résultera de l’exécution subséquente des instructions de son client concernant l’achat ou la vente des mêmes titres54.

3. Les transactions entre personnes liées. Une firme de courtage peut également se retrouver dans la position où elle serait à la fois placeur de titres à la suite d’une prise ferme et responsable à titre de courtier, de conseiller ou de gestionnaire de portefeuille de plusieurs investisseurs privés. Dans ce cas, la tentation de favoriser les titres pris ferme sans tenir compte des intérêts et des objectifs de placement de leurs clients pourrait être forte55.

Ainsi, ces situations de conflit d’intérêts étant, dans certains cas, inévitables, le courtier devra informer son client du contexte conflictuel entourant la transaction à être effectuée pour respecter son obligation de bonne foi, de loyauté et d’honnêteté.

3.2. Les obligations de l’investisseur

Les règles du droit civil imposent également des obligations aux clients des courtiers, en outre de celles prévues par la réglementation sur les valeurs mobilières.

3.2.1. L’obligation de se renseigner

L’obligation de renseignement du courtier que nous avons décrite ci-dessus comporte une contrepartie pour le client. Ce dernier a, à titre de cocontractant, l’obligation de se renseigner et d'obtenir l'aide et l'assistance nécessaires pour évaluer les risques et les implications de la relation juridique dans laquelle il s’engage. Cette obligation prend sa source dans l’obligation de bonne foi qui régit les rapports contractuels.

54 Id., 83.

55 À titre d’illustration, voir Conseil de la santé et des services sociaux de la Montérégie c. Brault, Guy, O’Brien, [1993] R.R.A. 45 (C.S.); Conseil de la santé et des services sociaux de la Montérégie c. Brault, Guy, O’Brien, [1996] R.R.A. 275, J.E. 96-481 (C.A).

(28)

L'obligation de se renseigner est au fond la limite imposée à l'obligation de renseignement, l'envers de la médaille. En effet, dans la mesure où, d'une façon générale, le contractant a la possibilité de connaître l'information ou d'y avoir accès (en dehors évidemment des hypothèses où la loi impose malgré tout l'obligation de communiquer le renseignement), l'obligation de se renseigner vient faire échec au devoir corrélatif de renseignement de l'autre partie.56

À un niveau théorique, c’est le critère de l’impossibilité de se renseigner qui départage l’obligation de renseignement de l’obligation de se renseigner. Lorsque l’information peut être obtenue aisément, une obligation de se renseigner incombe au cocontractant.

Si celui-ci omet de se renseigner, son défaut pourra être sanctionné en vertu des principes généraux de la responsabilité civile et pourra constituer une fin de non recevoir. En revanche, lorsque l’information est plus difficile à obtenir ou qu’elle est inconnue, l’obligation de renseignement prend la relève.

D’une certaine manière, l’obligation de se renseigner permet de réintroduire le concept de caveat emptor dans la relation juridique qui se tisse entre le courtier et son client. Ce résultat peut paraître de prime abord difficile à réconcilier avec la réglementation sur les valeurs mobilières qui a une finalité protectrice et qui cherche à bien des égards à mettre de côté ce concept. Pourtant, récemment, dans Allaire c. Girard et Associés57, la Cour d’appel du Québec semble avoir reconnu que le concept de caveat emptor demeurait pertinent en matière de valeurs mobilières. En l’espèce, il s’agissait d’un recours en responsabilité civile intenté par des investisseurs contre un comptable agréé dans le cadre d’un appel public à l’épargne. Le comptable avait produit un rapport d’expert au soutien du prospectus. Ce rapport omettait de traiter d’une convention qui imposait certaines limites à l’exploitation du projet et qui pouvait affecter sa valeur et ses profits. La Cour confirma la décision de la Cour supérieure qui concluait que le comptable avait effectivement commis une faute en omettant de traiter de cette

56 J.-L. et P.-G. JOBIN, op. cit., note 43, p. 270.

57 2005 QCCA 713 (C.A.).

(29)

omission. Appelée à examiner si cette faute avait été la source du dommage réclamé par les investisseurs, la Cour d’appel fit sienne les observations du juge de première instance qui étaient particulièrement sévères à l’égard des investisseurs. Ces remarques soulignaient que les investisseurs avaient été négligents en se fiant aux représentations verbales du promoteur plutôt qu’au contenu du prospectus lui-même :

Il est clair et évident, de l’ensemble de la preuve soumise devant le Tribunal, que l’ensemble des demandeurs, lors de leur investissement, ont fait preuve d’absence de rigueur et de prudence et se sont majoritairement fiés aux représentations verbales de vendeurs professionnels aguerris. [Les soulignés sont de la cour]

En retenant ces reproches de la Cour supérieure, la Cour d’appel entérinait implicitement la vision selon laquelle les investisseurs ont une obligation de prudence dans leur analyse de l’information afférente au placement. De là à reconnaître le principe caveat emptor il n’y a qu’un pas que la Cour semble avoir franchi. Compte tenu du contexte réglementaire de protection dans lequel cette remarque est faite, à savoir le régime de l’appel public à l’épargne, il n’y a pas de raison de croire qu’elle ne pourrait pas s’appliquer au contexte des relations entre le courtier et son client. Si tel était le cas, l’obligation de se renseigner pourrait devenir onéreuse pour le client et limiter du même coup l’obligation de renseignement du courtier.

L’affaire Tabak c. Nesbitt Burns ltée permet d’illustrer les conséquences de l’obligation de se renseigner pour un client58. En l’espèce, le demandeur reprochait au courtier de ne pas l’avoir informé des caractéristiques des débentures qu’il avait achetées. Plus particulièrement, les débentures en question étaient assorties des conditions suivantes.

Elles pouvaient être converties en actions à l’initiative du client avant une certaine date.

Après celle-ci, la société pouvait les racheter unilatéralement à leur valeur principale. La preuve révéla que l’investisseur avait en main le prospectus préparé pour l’émission des débentures. Bien qu’elle admit que le prospectus était un document complexe à

58 Voir aussi Ferrier c. Nesbitt Thompson Bongard ltée, [1987] R.R.A. 77 (C.P.).

Références

Documents relatifs

Dans cette méthode, nous utilisons tous les bits de la représentation que l'on découpe en sous-mots d'un nombre égal de bits que l'on combine à l'aide d'opérateur sur bits..

(Klimas et Patarca, 2001: p 75) A partir de ces définitions, nous pouvons confirmer que le sens donné à la fatigue nerveuse rejoint l’idée de "Colez" ce dernier affirme que

Les valeurs numériques et les pourcentages sont en faveur de la corrélation entre la sévérité de l’Aphasie qui résulte d’une lésion sylvienne gauche et de plusieurs

Forts de 40 ans d’expérience et d’une expertise reconnue, nous identifions pour vous les meilleurs talents disponibles sur le marché, partout en France et dans tous les

Quelle est l'image par f de l'axe des réels purs?. Quelle est celle de l'axe des

concurrents 3 , clause générale qui peut être élargie aux entrainements en vue d’une compétition (telle qu’elle se dessine à travers la jurisprudence de la Cour

A la différence d'une opposition entre modèles culturels de la vie privée et contraintes économiques "publiques" s'oppose la perspective, plus

Nous voyons donc de nouveau que la« doctrme des deux règnes» de Luther ne nous montre pas comment éviter les conflits, mais au contraire, elle nous montre où sont