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L histoire de la mécanisation des armées s intéresse. Avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, l Armée

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Des membres du 1er Bataillon, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry qui jouent le rôle des forces de la coalition s’abritent derrière un véhicule blindé léger (VBL) 6.0 au cours de l’exercice MAPLE RESOLVE, à Wainwright, en Alberta, le 10 mai 2021.

Photo du MDN par le matelot-chef Dan Bard, Caméra de combat des Forces canadiennes

Véhicule de combat d’infanterie ou taxi de combat? Les difficultés de l’infanterie canadienne en matière de mécanisation

par Peter Kasurak Peter Kasurak a publié deux ouvrages sur l’Armée canadienne :

A National Force, dans lequel il retrace l’évolution de cette institution qu’est l’Armée de terre de 1950 à 2000, et plus récemment Canada’s Mechanized Infantry: The Evolution of a Combat Arm, 1920-2012.

Monsieur Kasurak enseigne à l’occasion au département des études permanentes du Collège militaire royal du Canada.

L

’histoire de la mécanisation des armées s’intéresse avant tout à l’évolution de la doctrine des chars et des blindés. L’évolution de l’infanterie, pourtant tout aussi importante, en est généralement exclue.

Une vérification rapide sur Amazon.ca produit plus de 20 000  résultats pour le mot tank, mais seulement 58 pour le terme mechanized infrantry, dont des réimpressions de manuels de campagne. Dans l’imaginaire populaire, l’infanterie est passée du rôle de « reine du combat » à celui de Cendrillon.

Or, la façon de concevoir et de structurer l’infanterie – le noyau même de l’armée – n’en demeure pas moins un facteur central dans la conception d’une force terrestre.

De même, le rôle confié au véhicule d’infanterie constitue un facteur central dans la conception de troupes d’infanterie mécanisée.

Ainsi, deux grands axes d’évolution sont apparus : une infanterie à pied doublée de véhicules de transport faisant figure de « taxi de combat », ou une infanterie repensée en tant que force motorisée où les soldats et leur véhicule forme un tout parfaitement intégré.

Or, le rôle que jouera le véhicule d’infanterie est étroitement lié au rapport censé exister entre l’infanterie et le char. Les troupes d’infanterie mènent-elles leur propre combat à l’aide de chars,

mais à bonne distance de ceux-ci, ou en sont-elles inséparables?

Une mauvaise décision sur ce point fondamental pourrait avoir des résultats désastreux.

L’Armée canadienne appartient traditionnellement à l’école de pensée du « taxi de combat », même si son expérience du combat et les jeux de guerre inspirés de la Guerre froide sont venus remettre en cause ce choix de doctrine. Le présent article traite de l’évolution de l’infanterie mécanisée du Canada et témoigne de la prééminence de la tradition sur la logique et l’innovation.

Un mauvais départ : la doctrine de l’Armée britannique

A

vant et pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Armée canadienne fait partie de l’Armée impériale britannique et n’a donc pas de doctrine propre. Son état-major n’est pas suffisamment développé pour élaborer une doctrine nationale et, de toute façon, celle-ci irait à l’encontre de l’objectif d’inté- gration des troupes canadiennes aux Forces armées impériales.

Malheureusement, l’Armée britannique prend mauvaise décision sur mauvaise décision à l’égard de ses forces blindées et de la mécanisation de son infanterie. En vérité, elle fait peu de cas de l’intégration des différentes forces de combat. En  1889, un observateur allemand formule cette observation :

En vérité, les différentes forces de l’armée anglaise ne sont pas suffisamment unies. Il y règne un esprit de caste;

elles ne rendent pas compte que l’une n’existe que pour

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L’HISTOIRE

l’autre et que l’efficacité d’une armée se mesure au produit, et non à la somme, de l’efficacité de chacune des forces qui la composent1 [TCO].

En outre, l’Armée britannique est fermement convaincue que l’infanterie doit être composée de fantassins. Comme l’a dit Richard Simpkin, brigadier de corps blindé britannique pendant la Guerre froide : « Qu’elle s’y rende en marchant ou qu’elle y soit envoyée en parachute, en planeur ou en camion, c’est à pied que l’infanterie britannique se mobilise, se déploie et se rend au combat. Et c’est pareillement qu’elle se défend dans les trous de tirailleur »2 [TCO].

Au sortir de la Première Guerre mondiale, les plus éminents théoriciens britanniques n’envisagent pour l’infanterie qu’un rôle de second plan dans l’avenir mécanisé qui s’annonce. J.F.C.  Fuller songe à des chars qui surgiraient de for- teresses terrestres, dotés seulement d’une poignée d’hommes sans blindés. Dans le volume III de ses Lectures on Field Service

Regulations, publié en 1932, Fuller soutient que de « combiner chars et infanterie revient à atteler un tracteur à un cheval de trait ». Le rôle de l’infanterie se résumerait à occuper le territoire conquis par les blindés. Dans le même esprit, B.H. Liddell Hart réduit le futur rôle de l’infanterie à celui de « marines terrestres » chargés de faire le ménage et la police dans les territoires dont les forces blindées se sont emparées3.

En 1931, la doctrine britannique telle qu’elle est énoncée dans Modern Formations consiste à mécaniser l’infanterie, qui combattra certes aux côtés des forces blindées, mais séparément. Les chars deviendront la principale force offensive et seront protégés par des chars légers pendant les assauts et par l’infanterie lorsqu’au repos.

Celle-ci sera munie d’un véhicule blindé léger de transport, la chenillette Carden Loyd, dont l’unique fonction sera de transporter une mitrailleuse de calibre .303 qui sera ensuite débarquée pour être utilisée au sol. Ces véhicules de transport n’appartiendront pas aux bataillons d’infanterie, mais plutôt à la brigade. Le commande- ment du transport d’infanterie sera même confié à la division et le

« convoi » jouera un rôle purement administratif, jamais tactique.

L’Armée britannique abandonne l’idée de développer un véhicule d’infanterie tactique dès 19364.

En 1939, l’Armée britannique compte trois types d’infanterie portée : la compagnie de soutien portée chargée de transporter les armes lourdes de chaque bataillon d’infanterie; les « bataillons motorisés » des divisions blindées avec leur compagnie de soutien, mais aussi leurs pelotons d’éclaireurs de compagnie d’infanterie dotés chacun de deux véhicules de transport et de leurs troupes d’in- fanterie portées par des camions ou des semi-chenillés appartenant au bataillon; et le régiment de reconnaissance des divisions blindées (qui pourrait protester à l’idée d’être inclus dans l’infanterie) avec ses blindés de reconnaissance et ses chars légers, peut-être même des chars sans tourelle.

Pendant la bataille de France, l’Armée emploie fort mal les deux bataillons motorisés de la 1re Division blindée dans la défense de Calais et les perd tous deux dans une bataille statique n’offrant aucune leçon utile sur la guerre de manœuvre. Les véhicules de transport des bataillons d’infanterie, en revanche, étonnent par leur performance. Dans son rapport de constatations, le lieutenant- général Sir  William  Bartholomew déclare que la chenillette porte-Bren (ou porteur universel) « s’est avérée d’une grande effica- cité, même lorsqu’elle est utilisée dans un rôle d’assaut pour lequel elle n’est absolument pas conçue » et qu’elle a « démontré son immense valeur dans toutes les fonctions, avec ou sans hommes à bord, même pour monter au front sans tirer pour effrayer l’infanterie ennemie. » L’enthousiasme de Bartholomew transparaît dans la bro- chure d’instruction militaire The Infantry (Rifle) Batallion datant de 1941, dans laquelle il préconise une utilisation agressive des véhicules de transport pendant les attaques d’infanterie contre des positions défensives, pour gagner du temps ou attaquer l’ennemi de flanc.

De concert avec l’infanterie et les chars, ces véhicules pourraient s’engouffrer dans les brèches et obliger l’ennemi à abandonner ses positions. Ils pourraient précéder l’infanterie et repérer les failles dans la défense ou travailler en tandem avec les chars en déployant les armes antichars. Leur équipage serait composé de soldats capables de

« réfléchir à vingt miles à l’heure plutôt qu’à trois miles à l’heure » et « doués d’un esprit vif et combatif »5 [TCO].

Toutefois, cette vague d’enthousiasme pour les forces de combat portées et les formations interarmes n’est que de courte durée. En 1943, l’état-major général sert de nouveau cette mise en garde : les véhicules de transport ne doivent pas être utilisés comme des chars et être envoyés au front toutes armes déployées. La meilleure position pour ces véhicules se trouve derrière les pelotons de l’effort principal. Utilisés en combinaison avec des chars, ils doivent servir uniquement de taxis6.

Lebrecht/Alamy Stock Photo

Chenillette biplace anglais appelé Carden Loyd carrier Mark VI. Véhicule de reconnaissance d’avant la Deuxième Guerre mondiale et mitrailleuse mobile.

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En 1941, si l’Armée britannique parle parfois de coopération

« toutes armes », elle ne fait généralement référence qu’à l’infanterie, aux mitrailleuses et à l’artillerie, à l’exclusion des véhicules blindés.

Pour elle, la coopération infanterie-blindés demeure deux batailles distinctes. Les fantassins doivent utiliser au mieux le terrain et se fier à leurs propres armes. Ils ne peuvent compter sur les chars. La façon dont ces éléments s’articulent reste plutôt nébuleuse. The Infantry Division in the Attack rapporte qu’il existe plus d’une solution, mais qu’aucune n’est entièrement satisfaisante. L’infanterie se doit simplement d’être « entreprenante »7.

Une innovation voit le jour au cours de la campagne du désert occidental : les Jock Columns du brigadier J.M. « Jock » Campbell, qui réunissent un bataillon d’infanterie motorisée avec son peloton antichar, un parc de voitures blindées pour faire écran et une batterie de canons de campagne tractés, le tout formant une force mobile qui est fréquemment utilisée pour mener des attaques d’infanterie et excelle contre un ennemi en infériorité numérique, mais non contre une résistance musclée. En octobre 1942, l’Armée britannique organise un colloque à la School of Infantry en vue de parvenir à un consensus sur l’utilisation autonome des véhicules de transport.

Les délégués concluent que ceux-ci ne sont utiles que comme écrans de protection et flancs-gardes8.

Les Canadiens qui se préparent au combat n’ont donc pas grand-chose à se mettre sous la dent en matière de doctrine des for- mations interarmes. L’infanterie et les chars combattront ensemble, mais séparément. L’infanterie possède d’ailleurs quelques véhicules et s’en est servie en combat avec brio dans certaines conditions.

La seule chose dont on ne peut douter, c’est que la chenillette porte-Bren « n’est pas un char d’assaut ».

L’apprentissage par l’expérience

L

’Armée canadienne, qui a hérité de la doctrine défaillante de l’Armée britannique, n’a d’autre choix que d’improviser pendant les combats. Le Canada explore alors deux voies de mécanisation de l’infanterie : une infanterie à pied couplée à des taxis de combat, et une infanterie embarquée sur un véhicule de combat. Les deux modèles connaissent un certain succès.

Parmi les innovations qui découlent de ces expéri- mentations, la mieux connue est sans doute le transport de troupes blindé  (TTB) Kangaroo, créé par le lieu- tenant-général Guy Simonds comme moyen de transport pour faire traverser les lignes allemandes à l’infanterie pendant la phase d’assaut de l’opération Totalize. Simonds ordonne que 60  TTB soient fabriqués à partir de canons automoteurs Priest desquels les canons seront retirés et aux- quels du blindage sera ajouté.

Ces TTB étant découverts, les troupes y entrent et en sortent par le côté. Un seul véhicule peut transporter une section d’infanterie tout entière. Au cours de l’opération Totalize, l’innovation qui consiste à protéger l’infanterie pendant une attaque porte ses fruits : l’infanterie embar- quée sur blindé ne déplore qu’environ 20 pour 100 des pertes subies par l’infanterie à pied9.

La Première Armée canadienne et son supérieur, le 21e Groupe d’armées, sont emballés par le Kangaroo. Au Canada comme en Grande-Bretagne, des régiments de transport de troupes blindé faisant appel à des chars et des canons automoteurs sans tourelle voient le jour au sein du parc de « curieux véhicules » de la 79e Division blindée de Percy Hobart. Ces TTB sont trop complexes et trop rares pour être remis directement à l’infanterie. S’il est possible de gérer les véhicules de transport administratifs au niveau divisionnaire, il en va autrement des véhicules de combat. À qui, du régiment de TTB ou de l’infanterie, faut-il confier la responsabilité de ces véhi- cules? La 79e Division blindée soutient que les TTB rappellent les engins de débarquement et que le commandement doit être confié au commandant de l’unité de TTB tant que les troupes se trouvent à bord. Montgomery se range du côté de l’infanterie, mais le débat reste ouvert. En effet, des problèmes tactiques sont susceptibles de survenir si des TTB, prêtés par la division à un bataillon d’infante- rie, arrivent en retard ou qu’un conflit éclate avec le commandant d’infanterie. Les Kangaroo intègrent néanmoins à merveille le principe de protection de l’infanterie, mais témoignent également des désavantages d’employer des véhicules qui ne font pas partie intégrante de l’unité de combat10.

D’autres troupes canadiennes testent divers véhicules de combat d’infanterie improvisés. L’utilisation de chars Honey (Stuart) sans tourelle par la troupe de reconnaissance du régi- ment Lord Strathcona’s Horse (Royal Canadians) lors de l’assaut de la rivière Melfa en est un brillant exemple. Le major-géné- ral Bert Hoffmeister, commandant de la 5e division canadienne (blindée), s’est mis en tête qu’une attaque conventionnelle par des troupes d’infanterie couvertes par un barrage d’artillerie ne pourrait fonctionner, car la poussière et la fumée réduiraient la visibilité et trahiraient la position des troupes canadiennes. Il laisse donc au brigadier J.D.B. Smith, commandant de la 5e brigade blindée canadienne, et au lieutenant-colonel Paddy Griffin, commandant du Lord Strathcona’s Horse, le soin de concevoir un plan. Smith

Military Images/Alamy Stock Photo

La chenillette porte-Bren britannique en Afrique du Nord. Le Bren était le pilier de l’appui-feu des sections d’infanterie pendant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre de Corée.

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L’HISTOIRE

jugent moins bien défendu que les ponts et enjoignent au lieute- nant Edward Perkins, commandant de la troupe de reconnaissance, de s’en saisir. La troupe compte onze chars Honey équipés de mitrailleuses de calibre .50. L’équipage de cinq hommes trans- porte également une mitrailleuse Browning de calibre .30, quatre mitraillettes Thompson et une arme antichar PIAT. La traversée organisée par Perkins se déroule sans anicroche grâce aux véhicules de transport qu’il a utilisés de façon intégrée au lieu de les reléguer à un rôle de transport. Des problèmes subsistent néanmoins. Certes, les PIAT parviennent à tenir en échec les blindés allemands, mais une arme plus lourde ne serait pas superflue. Perkins constate que pour rejoindre les chars des British Columbia Dragoons chargés de soutenir ses troupes, il doit traverser lui-même la rivière, car les Sherman des Dragoons ne sont pas aussi mobiles que les Honey et sont incapables d’effectuer la traversée. Le corps d’infanterie principal, le Westminster Regiment, un bataillon motorisé, arrive en retard parce qu’il manque également de mobilité et doit emprunter un autre itinéraire. L’opération, quoique de petite envergure, révèle qu’une équipe dotée d’un véhicule suffisamment blindé, intégré à son plan tactique, peut accomplir de grandes choses. Perkins se voit décerner l’Ordre du service distingué et on lui demande de préparer un compte rendu de bataille sous forme d’une dépêche qui servira à l’instruction des troupes11.

D’autres troupes canadiennes déployées en Italie parviennent aux mêmes conclusions : l’infanterie doit disposer de véhicules de combat et les unités d’infanterie et de blindés doivent être mieux intégrées. Après une série de batailles coûteuses, le chroniqueur du Three Rivers Regiment propose qu’une force d’assaut spéciale soit créée :

cette force, qui ne pourrait être que très mobile, serait composée de Sherman, de M-10, de Stuart, de voitures tronquées et blindées et peut-être même de véhicules de transport. À leur bord se trouveraient des troupes d’in- fanterie spécialement entraînées. Ces hommes, robustes, seraient armés de fusils automatiques, de grenades (…) de

« bombes collantes » et d’une petite quantité de matériel du génie (pour démolir les routes). Cette force d’assaut serait prête à faire face à n’importe quelle opposition, que l’on parle d’infanterie ou de chars12 [TCO].

Au terme de la guerre, le 1st  Canadian Armoured Personnel Carrier Regiment, la 79e Division dont il relève et le Lake Superior Regiment (Motor) dressent un compte rendu de leur expérience des transports d’infanterie et émettent des recommanda- tions pour l’avenir. Le 1st Regiment souhaite que le futur TTB soit couvert et muni d’une rampe de débarquement arrière. Une tourelle protégerait l’artilleur et le véhicule serait doté de mitrailleuses de calibre .30 et .50. La 79e Division, quant à elle, veut un véhicule blindé léger de transport amphibie également muni de roues pour les mouvements routiers. Elle recommande que les unités d’infanterie qui utilisent ces véhicules en soient propriétaires, mais maintient que le commandement doit être confié au commandant de l’unité de TTB tant que les troupes se trouvent à bord, une position en droite ligne avec le modèle du taxi de combat.

Le Lake Superior Regiment (Motor), pour sa part, préconise plutôt l’utilisation de véhicules de combat d’infanterie. Dans son compte rendu d’expérience de guerre, on peut lire :

Rien n’empêche d’utiliser le transporteur comme un char léger, particulièrement contre une résistance désor- ganisée. L’expérience a été tentée à plusieurs reprises, avec de bons résultats. Un fantassin attaquant au sol ne pose aucun problème pour l’infanterie dissi- mulée et protégée dans une tranchée, mais ce même fantassin a très peu de chances contre un véhicule de transport. Quand bien même on effectuerait un tir a priori à pleine puissance avec une mitrailleuse Browning de calibre .50 ou .30, si les véhicules de transport sont pro- tégés par d’autres véhicules, seules des armes antichars et des mines pourront freiner leur progression.

JuistLand/Alamy Stock Photo

Char d’assaut Sherman III de l’Armée canadienne après l’invasion et la libération de la Sicile en 1943.

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Le Lake Superior Regiment (Motor) rapporte le cas d’une opération de nettoyage qui s’est déroulée dans un village et où le peloton d’éclaireurs s’est servi de toute sa puissance de feu pour couvrir l’infanterie. L’officier allemand qui s’était fait prisonnier se disait impressionné par cette puissance de feu et affirmait qu’il ne se serait pas rendu s’il en avait soupçonner toute l’ampleur13.

Au terme de la guerre, le taxi de combat et le véhicule de combat d’infanterie comptent tous deux des adeptes, selon leur expérience respective de la guerre. Les grandes lignes du concept de taxi de combat moderne sont en place, tout comme celui, étayé par l’expérience des batailles, d’un véhicule de combat d’infanterie.

Or, aucun de ces concepts ne trouvera d’application directe dans l’après-guerre.

Le développement des forces mécanisées

A

u début de la période d’après-guerre, la demande en matière d’infanterie mécanisée – en infanterie tout court, en fait – est inexistante. Le gouvernement de Mackenzie King sabre les effectifs de l’Armée canadienne, qui se voit réduite à quelque 15 500  hommes sur les 500 000 qu’elle comptait jusque-là. La possibilité que l’Union soviétique prenne pied dans le Nord pour y installer des bases aériennes avancées nécessaires à ses forces de bombardement de portée réduite représente la seule menace immédiate à l’horizon. L’Armée canadienne réagit en mettant sur pied la Force de frappe mobile, qui est alors composée d’un seul bataillon aéroporté, mais finira par en compter trois. À cause des limites de la flotte de transport de l’Aviation royale canadienne, la Force de frappe mobile n’a ni véhicule blindé léger ni véhicule de transport d’infanterie, uniquement des autoneiges. L’aviation soviétique finit par réaliser des progrès et parvient à atteindre des cibles nord-américaines d’un seul coup, ce qui signe la fin de la Force de frappe mobile14.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le Canada est convaincu de la supériorité de sa doctrine, qui nécessite au plus de légers rajustements, et se trouve plus riche d’une abondance de surplus, dont 1 300 porteurs universels. Il ne songe à les remplacer qu’en 1951 et parvient à un concept fini en mars 1952. Le XA-20, un véhicule découvert de 6 350 à 6 800 kilogrammes, d’une capacité de chargement de 1 360 kilogrammes, est conçu pour transporter cinq hommes, conducteur y compris, et n’est muni que d’un très léger blindage15. Selon l’énoncé des besoins approuvé par le lieute- nant-général Simonds, chef d’état-major général (CEMG), à la fin de l’année 1953, « ce véhicule a pour principale fonction d’assurer le transport rapide des armes collectives en terrain accidenté tout en protégeant l’équipage contre les munitions de petit calibre et les éclats de mortier ». Autrement dit, l’Armée canadienne est revenue au point de départ, reprenant la doctrine d’avant-guerre de l’Armée britannique sans même se poser la question : taxi de combat ou véhicule de combat d’infanterie16?

Toutefois, l’avènement des armes nucléaires tactiques vient vite remettre en cause ce retour à un passé connu et rassurant. La cible formée par la longue queue logistique d’une armée classique préoccupe Simonds, qui lance alors l’exercice Gold Rush en vue de trouver une solution. Simonds se dit qu’on pourrait remplacer bon nombre de camions par des avions capables de décoller et d’atterrir sur de courtes distances. Cette piste de solution ne donne aucun résultat probant, mais l’exercice Gold Rush permet cependant

d’élaborer un concept d’opération pour la guerre nucléaire. Au vu des effectifs respectifs de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et des pays du pacte de Varsovie, les tacticiens cana- diens présument que l’OTAN n’aura d’autre choix que de recourir aux armes nucléaires tactiques. Il en résulterait alors un « combat de chiens d’une grande fluidité », car chaque côté chercherait à repérer et à attaquer les cibles nucléaires ennemies tout en évitant de se masser trop longtemps pour devenir lui-même une cible. Or, ce concept nécessite que l’Armée canadienne soit entièrement méca- nisée et structurée en groupements tactiques toutes armes pas plus gros que ce qu’elle peut se permettre de perdre en une seule frappe nucléaire. Non seulement l’infanterie, mais aussi l’artillerie, l’appui tactique et le service soutien devront être embarqués17.

Le CEMG qui succédera à Simonds, le lieutenant- général Howard Graham, approuve l’exercice GOLD RUSH en tant que « concept » seulement, mais non en tant que doctrine. Il souhaite plutôt amener l’Armée canadienne vers la toute nouvelle voie de la mobilité aérienne totale. Il s’ensuit une période de confusion doctrinale qui durera trois ans, au cours desquels les tacticiens en structure des forces et en équipement n’auront aucune ligne direc- trice pour les guider. Parmi les exposés du Collège d’état-major de 1957, les opinions divergent sur l’épaisseur du blindage requise et le rôle – transport ou assaut – de ces véhicules. Ce n’est qu’en août 1958 qu’émerge enfin un consensus, avec la présentation d’un concept de guerre de l’avenir approuvé à la troisième conférence tripartite sur l’infanterie qui réunit les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada. Le concept en question, érigé au rang de doctrine en 1960, mise sur « l’attaque et l’évasion », une version élaborée du « combat de chiens » de l’exercice GOLD RUSH. L’infanterie aurait alors besoin d’un degré de mobilité et d’une puissance de frappe encore inégalés. Ses véhicules devraient être amphibies et aérotransportables.

Elle aurait pour élément principal un groupement de combat toutes armes de la taille d’une compagnie, capable d’autonomie et apte à manœuvrer dans une zone de trois à quatre mille yards. Les véhi- cules d’infanterie feraient partie intégrante des unités et serviraient seulement de taxis de combat, de moyens de transport protégé. Des chars ouvriraient la voie aux TTB, qui seraient protégés par les armes d’appui de l’artillerie et de l’infanterie. Il ne fallait pas exposer ces véhicules à des risques inutiles, mais ils étaient aussi censés servir d’armes de choc, dans un assaut combiné avec les chars « d’une extrême violence »18.

Le concept d’attaque et d’évasion et celui de TTB en tant que taxi de combat deviennent alors la nouvelle orthodoxie, et ce, sans même que l’Armée canadienne ait analysé la faisabilité de cette tactique ou la viabilité d’autres types de véhicules. L’Armée part simplement du principe que le taxi de combat peut être utilisé comme un char léger, même si les concepts et la doctrine démentent cette thèse.

L’adoption de cette nouvelle doctrine, même sous la forme de

« concept », signifie que le projet de véhicules XA-20 ne répond pas au besoin d’un TTB destiné au transport d’infanterie, mais pouvant également servir au transport de n’importe quelle unité de combat et d’armes d’appui au combat. En avril 1956, alors que le prototype du XA-20 est presque achevé, le projet est annulé et transformé en vue de produire plutôt une chenillette légère conçue pour le transport de n’importe quelle formation. Comme le XA-20, ce véhicule que l’on nommera Bobcat doit être amphibie et aérotransportable, même si les raisons justifiant ces exigences restent obscures. La Force de frappe mobile n’avait visiblement que faire de TTB et d’après l’exer-

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L’HISTOIRE

cice GOLD RUSH, seuls des systèmes d’arme très légers auraient besoin d’un transport aérien. Son caractère amphibie serait certes utile dans certaines circonstances, mais à moins que les chars à ses côtés puissent également se déplacer dans l’eau, il pourrait bien se retrouver du mauvais côté d’un obstacle, seul avec son blindage et son armement légers.

Or, la capacité industrielle du pays – et peut-être même des meilleurs ateliers de l’époque – ne peut répondre à ce besoin exigeant et à l’ambition de l’Armée de faire construire au Canada un véhicule encore inédit. Après avoir manqué à plusieurs reprises de satisfaire aux exigences, après être passé entre les mains de différentes firmes, le projet du Bobcat est finalement annulé en novembre 1963. Pour le remplacer, l’Armée canadienne choisit le véhicule de transport M-113 de l’Armée américaine, qui deviendra le taxi de combat par excellence de l’OTAN, et porte son choix sur l’obusier M-109 comme canon automoteur, car aucun châssis alors en production ne peut servir à la fois de TTB et de plate-forme de tir19.

En 1960, alors que le projet du Bobcat est en cours, le Canada est invité à se joindre à un groupe de travail de l’OTAN afin de conce- voir un TTB. Il accepte l’invitation, mais sans grand enthousiasme, proposant d’abord le ministère de la Production de la défense, et non la Défense nationale, en tant que représentant. Les pays du FINABEL (soit la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et l’« Allemagne », alors nommée République fédérale d’Allemagne) adoptent un concept de véhicule de combat d’in- fanterie selon lequel la France et l’Allemagne mettront en service des véhicules lourdement blindés et armés, destinés à travailler en étroite collaboration avec les chars. Ce concept entre clairement en conflit avec celui du Bobcat et le modèle de taxi de combat, aussi le Canada rejette-t-il les standards de l’OTAN à mesure que celui-ci les propose. Le colonel James Tedlie, directeur du développement des méthodes de combat, conteste la nécessité d’un blindage lourd pour qu’un véhicule d’infanterie puisse fonctionner en tandem avec des chars. Il écrit :

En l’état, ce qu’on demande, c’est un autre char; un char capable de transporter plus d’hommes, mais doté d’une puissance de feu moindre. Ce me semble être un concept fallacieux, car en utilisant des VCIB [des véhicules de combat d’infanterie blindés], nous risquerions la vie de dix ou onze hommes pour effectuer une tâche moins effi- cacement que ne pourraient le faire trois à cinq hommes à bord d’un char [TCO].

James Tedlie résume ainsi avec justesse la position de l’Armée canadienne, mais s’appuie pour ce faire sur une opinion plutôt que sur des essais ou des expérimentations20.

L’Armée canadienne finit par réaliser un examen général de sa doctrine et de la structure de ses forces au début des années 1960.

Le chef d’état-major général, le lieutenant-général Geoffroy Walsh, commande la tenue d’une série de jeux de guerre afin de déterminer l’efficacité de la doctrine « attaque et évasion » de l’Armée. Les résultats de ces jeux, les Iron Crown, n’ont rien d’encourageant et poussent Walsh à mettre sur pied l’Army Doctrine and Organization Board (ATOB) sous la direction du major-général Roger Rowley.

L’ATOB réalise toute une série d’études et d’essais sur le terrain qui infirment la doctrine « attaque et évasion » et lui substituent une défense plus statique derrière des obstacles majeurs. Dans ses études, l’ATOB ne revient toutefois pas sur la question des TTB, car le Bobcat est alors considéré comme le véhicule de l’avenir. Rowley conclut qu’une intégration beaucoup plus étroite de l’infanterie et des blindés est nécessaire. Il souhaite étudier la fusion de ces deux branches dans ce qu’il appelle une structure de panzergrenadier.

Walsh lui oppose un refus pur et net21. Le concept de taxi de combat est maintenant bien installé dans l’Armée canadienne.

La révolution du BMP

À

peine l’Armée canadienne22 a-t-elle décidé de sa doctrine que l’environnement commence à changer. Ce chan-

gement s’accélère avec l’avènement du BMP-1 de l’Armée rouge en 1967. Cette version nettement améliorée du véhicule de combat d’infanterie  (VCI) est capable de transporter une section d’infanterie entière, elle est amphi- bie, mais surtout, elle est équipée d’un canon de 73  mm dont les projec- tiles perforants peuvent percer le blindage des chars de combat prin- cipaux de l’OTAN. Sur le plan tactique, cela implique qu’un bataillon de défense de l’OTAN confronté à une force soviétique de cinquante chars et VCI vulné- rables à une distance de 2 000  mètres aurait moins de cinq minutes

Viktor Karasev/Alamy Stock Photo

Véhicule de combat d’infanterie russe BMP-2 au Orr’s Hill Army Museum, à Trincomalee, au Sri Lanka.

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à sa disposition pour neutraliser l’attaque et devrait détruire les véhicules ennemis au rythme de dix par minute23.

Le BMP-1 ne s’illustre pas particulièrement pendant la guerre israélo-arabe du Kippour de 1973, mais au lieu de délaisser ce modèle de VCI, les Soviétiques et les Américains intensifient tous deux les travaux de développement et aboutissent au BMP-2, pour les pre- miers, et au Bradley, pour les seconds. L’Armée canadienne relance sa capacité de développement des méthodes de combat et commence à se pencher sur le problème. En 1977, BRONZE RAMPART, le premier grand jeu de guerre, l’amène à conclure que le groupe-brigade du Canada en Europe ne pourrait déplacer ses éléments d’infanterie ou ses éléments antichars contre les forces soviétiques modernes.

D’après un commentaire du lieutenant-colonel W.E.J. Hutchinson, alors commandant des forces canadiennes, « la question la plus dérangeante » est de savoir : « Quel rôle l’infanterie joue-t-elle sur un champ de bataille de blindés? » Équipée du M-113, l’infanterie est devenue « une nuisance, si ce n’est une charge ». Le fait est que le M-113 manque de puissance de feu et de blindage pour pouvoir se frotter au BMP. Hutchinson doit détourner des chars, des armes antichars et des ressources aériennes de leur usage premier pour récupérer son infanterie; en effet, s’il l’abandonnait là, les hommes seraient peu enclins à retourner au combat24.

Au vu des résultats de BRONZE RAMPART, l’Armée cana- dienne lance une étude sur l’infanterie qui donnera lieu à deux grands rapports de l’état-major. Le Collège d’état-major préconise de rééquiper des VCI avec un canon de 20 à 30 mm et d’en modifier la disposition en conséquence. En Allemagne, le 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada voit les choses autrement. Il maintient que l’infanterie doit être à pied et combattre à partir des retranchements, et préconise l’utilisation d’un « véhicule de combat d’infanterie canadien » qui peut être enfoui dans le sol et transporter les matériaux pour les abris. Pour augmenter la puissance de feu de l’infanterie, un « chasseur de chars » muni d’un blindage lourd et d’une arme

de gros calibre pourrait être ajouté au peloton antiblindé du bataillon25. Si l’équipe chargée de l’étude sur l’infanterie juge que la proposition du Collège d’état-major

« suscite la réflexion », elle adopte néanmoins l’approche privilégiée par le 4e Groupe-brigade mécanisé du Canada.

Par conséquent, l’Ar- mée canadienne passera plus de dix ans à mettre en place une structure de force faisant appel à deux véhicules uniques en leur genre : un taxi de combat amélioré capable de transporter une section d’infanterie complète, mais également muni d’une arme de 25 mm, ainsi qu’un chasseur de chars. Les jeux de guerre démontrent que la force conçue dans le cadre de l’étude sur les systèmes de l’Armée cana- dienne pourrait se défendre contre une force de style soviétique, mais le projet consistant à développer deux véhicules uniques et à les intégrer à la structure désirée, en corps d’armée, est irréaliste, pour ne pas dire pharaonique26.

L’avènement du véhicule blindé léger

L

e comité de développement des méthodes de combat de l’Armée canadienne ne démord pas du concept à deux véhi- cules, même après que le gouvernement conservateur abandonne son projet de division lourde en Europe et décide de rééquiper son armée en véhicules blindés légers. L’option des VCI a été rejetée sans appel, mais il s’avère irréaliste de séparer le véhi- cule de transport de troupes et le véhicule armé (dit « véhicule de tir d’appui direct  »), car celui-ci ne peut être confiné à un rôle anti-BMP. Dès qu’il commence à tirer, les chars ennemis engagent à leur tour le feu et avec son blindage léger, les pertes sont immenses27. Le projet de véhicule blindé léger  (VBL) passera par plusieurs versions en raison de conflits entourant la doctrine et de réductions budgétaires avant qu’une force externe, la politique industrielle, le rattrape finalement.

L’Armée canadienne possède des véhicules blindés sur roues depuis 1977, c’est-à-dire depuis l’achat d’un véhicule blindé poly- valent comme véhicule d’entraînement. Cette acquisition aboutit à la mise sur pied d’une capacité de fabrication de véhicules blindés légers au Canada, à l’usine de GM Diesel (rebaptisé plus tard General Dynamics) de London, en Ontario. L’achat d’un autre blindé léger est effectué en 1990 en réponse aux besoins d’entraînement de la Milice au pays. L’Armée aurait préféré faire l’acquisition du M-113 pour que la Milice puisse s’entraîner avec le même véhicule que celui en usage en Europe, mais le VBL de GM Diesel peut être configuré comme le M-113 et la société offre un financement à des conditions avantageuses tout en menaçant de fermer son usine si

dpa picture alliance archive /Alamy Stock Photo

Des soldats du 1er Bataillon du 68e Régiment blindé patrouillent à bord d’un véhicule de combat d’infanterie M2 Bradley près de Bakouba, en Irak, en mai 2006.

(8)

L’HISTOIRE

elle n’obtient pas une commande. Cette commande enfin passée, la société remporte une autre commande du US Marine Corps, le LAV-25, semblable au modèle commandé pour la Milice, mais équipé d’une mitrailleuse à chaîne de 25 mm. L’Armée canadienne fait ensuite l’acquisition du Coyote, inspiré du LAV-25, pour répondre à ses besoins en matière de reconnaissance. Enfin, en 1995, le gou- vernement conservateur de Jean Chrétien annonce qu’il rééquipera tout le parc de véhicules de l’Armée canadienne avec la dernière version du VBL, le VBL III. Cette version répond aux standards de mobilité de l’OTAN, égale le rendement hors route du VCI Bradley de l’Armée américaine à 95 % et est capable de transporter 3,5 tonnes de blindage ou de matériel de plus que le Coyote28.

C’est ainsi qu’une suite de décisions dictées par la politique industrielle et les restrictions budgétaires de l’Armée donne naissance à un véhicule que d’aucuns considèrent sans doute comme un VCI.

Muni d’une mitrailleuse à chaîne de 25 mm, il peut transporter six ou sept fantassins en plus de son équipage de trois hommes. Il est aérotransportable, mais trop lourd pour être amphibie. Des jeux de guerre ont lieu en 1999, des essais sur le terrain sont réalisés en 2001 et la doctrine tactique de compagnie est mise au point en 2003. L’industrie et l’équipement ont été plus rapides que la doctrine.

L’Armée canadienne a fait l’acquisition d’un quasi-VCI sans jamais statuer sur sa position relative au rôle de l’infanterie dans le combat mécanisé. Certes, ce n’est « pas un char », mais le VBL devrait être en mesure d’abattre les BMP ennemis et sa mitrailleuse fera partie intégrante de la section d’infanterie29.

Dénouement : le véhicule de combat rapproché

L

e débat opposant taxi de combat et VCI prend fin en juillet 2009 avec la décision du gouvernement de rééquiper l’Armée en chars, renversant ainsi la politique de maintien d’une force légèrement blindée motivée par des considérations politiques. Peu après, le ministère de la Défense nationale annonce qu’il compte faire l’acquisition d’un véhicule de combat rapproché (VCR) que

l’on pourrait véritablement qualifier de VCI. Selon le devis, ce véhicule pourrait transporter moins d’une section d’infanterie complète, mais il devra être suffisamment mobile et protégé pour manœuvrer avec les chars30. Toutefois, l’évaluation des candidats comporte des lacunes et accuse du retard. Les hauts placés de l’Armée canadienne eux-mêmes semblent en faire peu de cas. Le projet est annulé en décembre  2013 lorsque le chef d’état-major de la défense et le commandant de l’Armée canadienne annoncent que le VBL III a été si bien amélioré que l’Armée n’a plus besoin du VCR31.

Conclusion

P

endant plus de soixante-dix ans, l’institution de l’Armée canadienne est restée fidèle à la conviction que lui avait transmise l’Armée britannique, à savoir que l’infanterie doit se rendre au combat à pied et que sa place est dans les tranchées.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’innovation est née de la nécessité et l’afflux de réservistes de la Milice est venu rompre avec la tradition. Cette expérience de guerre plaidait en faveur de la supériorité du modèle du véhicule de combat d’infanterie et a conduit à une meilleure intégration de l’infanterie et des blindés, mais l’Armée n’avait pas les moyens institutionnels nécessaires pour diffuser les leçons apprises.

L’Armée de l’après-guerre a eu tôt fait d’oublier et n’a d’abord cherché rien de plus qu’une chenillette porte-Bren améliorée.

L’arrivée de la guerre nucléaire tactique l’a obligée à accepter le concept de taxi de combat, mais elle en a ensuite fait un dogme, sans jamais remettre en question sa décision par des essais sur le terrain ou même des jeux de guerre. Avec l’avènement du BMP, les jeux de guerre ont démontré une fois pour toutes que le concept de taxi de combat était lettre morte. L’Armée canadienne s’y est néanmoins accrochée, même si son concept nécessitait des véhicules inédits, qui n’existaient dans aucune autre armée. Finalement, l’acquisition d’un quasi-véhicule de combat d’infanterie, le VBL III, est davantage le produit des besoins étran- gers et de la politique industrielle canadienne que le résultat d’un choix de doctrine délibéré. La doctrine n’est venue que bien plus tard.

Le débat entre taxi de combat et véhicule de combat d’infanterie illustre bien le pouvoir de la ligne de pensée toute tracée de l’Armée cana- dienne et les répercussions des décisions prises autre- fois dans un pays lointain sur celles d’aujourd’hui.

Photo du MDN par le caporal Tina Gillies/AR2011-0142-020

Le VBL III à l’œuvre dans le district de Panjawii, dans la province de Kandahar, en Afghanistan, le 8 mai 2011.

(9)

NOTES

1 Cité dans Richard Simpkin, Mechanized Infantry, Oxford, Brassey’s Publishers Limited, 1980, p. 13.

2 Ibid., p. 20.

3 J.  P.  Harris, Men, Ideas and Tanks: British Military Thought and Armoured Forces, 1903- 1939, Manchester, Manchester University Press, 1995, pp 225-227 et p.208.

4 War Office de Grande-Bretagne, Modern Formations, 1931, Provisional, Londres, HMSO, 1931, pp. 11-13, ministère de la Défense nationale, Direction de l’histoire et du patrimoine  (DHP), groupe d’archives  (RG)  87/134; Harris, op.  cit., p. 280-282.

5 Cité dans David Fletcher, Universal Carrier, 1936-48: The “Bren Gun Carrier” Story, Botley (Grande-Bretagne), Osprey, 2005, p. 14; voir aussi

« Some Lessons Learned of Recent Operations », s.d., Bibliothèque et Archives Canada  (BAC), RG  24, vol.  10751, anciennement à la DHP, col- lection Kardex  220C1.009  (D25); War Office de Grande-Bretagne, The Infantry (Rifle) Battalion, Part  2: The Carrier Platoon, Military Training Pamphlet No. 39, Londres, War Office, 1941, p. 8, réimprimé au Canada, DHP, RG 77/129, mai 1941.

6 War Office de la Grande-Bretagne, Infantry Training, Part 5: The Carrier Platoon, Military Training Pamphlet (s.n.), Londres, War Office, 1943, p. 15, DHP, RG 93/62.

7 War Office de Grande-Bretagne, Notes on Tactics as Affected by the Reorganization of the Infantry Division, Army Training Instruction No.  1, Londres, War Office, 1941, p. 3, DHP, RG 86/436;

War Office de Grande-Bretagne, The Infantry Division in the Attack, Part  9, 1941, Military Training Pamphlet No.  23, Londres, War Office, 1941, pp. 16-17 et 20-21, DHP, RG 90/38.

8 Army Tactics and Organization Board, «  Report on 1964 Activities  », annexe  P du chapitre  3,

«  British and Canadian Unit Reconnaissance  », octobre 1964, BAC, RG 24, vol. 19836.

9 Kenneth R. Ramsden, The Canadian Kangaroos in World War  II, Cavan (Ontario), Ramsden- Cavan, 1998, pp.  1-3; «  Brig. C.C. Mann, Chief of Staff to LGen. H.D.G. Crerar, COCinC, First Cdn Army, Personnel Carrier Sqn, CAC  », 26 août 1944, BAC, RG 24, vol. 10457.

10 «  Correspondence between First Canadian Army, 1 British Corps, 30 British Corps and 21 Army Group HQ », du 24 février au 31 mars 1945, BAC, RG 24, vol. 10457; 1st Bn, Lake Superior Regiment (Motor), « War Diary », le 28 février 1945, BAC, RG 24, vol. 15099.

11 H.J.  Perkins, «  Crossing of the Melfa  », Canadian Army Training Memorandum No.  43, octobre 1944.

12 «  12th Canadian Armoured Regiment (TRR) War Diary », juillet 1944, BAC, RG 24, vol. 12744.

13 Lake Superior Regiment (Motor), « General Report on the Motor Battalion – France, Belgium and Holland, 30 June 1944 to 31 December 1944  », s.d., DHP, collection Kardex 145.2L1013(D1).

14 Sean M. Maloney, «  The Mobile Striking Force and Continental Defence, 1948–1955 », Canadian Military History, vol.  2, no  2, article  10 (1993).

<http://scholars.wlu.ca/cmh/vol2/iss2/10>.

15 «  Brig. A.E. Wrinch. DGQMG(D&D) to DRB (Attn: Col. G.M. Currie, Canadian Carrier)  », 27 décembre 1952, BAC, RG 24, 7116 Carriers/4, vol. 1.

16 « LGen. G.G. Simonds, CGS, to Minister, Infantry Carrier Project », 17 octobre 1953, BAC, RG 24, 7116 Carriers/4, vol. 1.

17 «  Exercise “GOLD-RUSH,” vol.  1, The Tactical Concept  », s.d. [juin1955? mentionné au Conseil de l’Armée le 28 juin 1955], DHP, RG 73/1299.

18 «  Canadian Army Statement of Position, Third Tripartite Infantry Conference, 1958 », août 1958, BAC  R112, vol.  35568, dossier  S-1200-E4-2, pt  9; «  The Infantry Battalion in Battle (APC’s) 1959 (Provisional)  », CAMT  7-84, Quartier général de l’Armée canadienne, mai  1959, DHP, collection Kardex 145 036(D1).

19 Un compte rendu plus fouillé du projet du Bobcat se trouve dans l’ouvrage de Peter  Kasurak  : Canada’s Mechanized Infantry: The Evolution of a Combat Arm, 1920-2012, Vancouver et Toronto, UBC Press, 2020, pp. 87-109.

20 «  Col. James Tedlie, Director of Combat Development to DEP, Proposed NBMR for AIFV and ATV Long Term », 28 juin 1962, BAC, RG 24, vol. 35589, dossier 1325-6-AC/176, pt. 1.

21 Kasurak, op. cit., pp. 78-83.

22 Dans cet article, les forces terrestres sont désignées par la dénomination « Armée canadienne » même si celle-ci a disparu en 1964 avec l’intégration des forces armées et n’est rentrée officiellement en usage qu’en 2011. Entre-temps, le commandement des forces mobiles est confié au commandant supérieur des forces terrestres (de 1965 à 1993) puis au chef d’état-major de l’Armée de terre (de 1993 à 2011).

23 W. Blair Haworth  Jr, The Bradley and How It Got That Way: Technology, Institutions, and the Problem of Mechanized Infantry in the United States Army, Westport (Connecticut), Greenwood Press, 1999, pp. 48-51.

24 « DLOR Staff Note 77/3, Presentation on Research War Game BRONZE RAMPART to the Defence Symposium 14 Jan 77 by Lieutenant-Colonel G.C.F. McQuaid and Lieutenant-Colonel W.E.J.

Hutchinson  » (en italique dans le texte original), BAC, RG  24, dossier  CFBV  3189–3-12, vol.  1.

Pour accès à l’information  : A201100004_2011- 06-14_13-40-52.pdf.

25 «  The Canadian Infantry  », annexe  G du document  3189–2 (IST) [compte rendu de la deuxième réunion de l’équipe chargée de l’étude sur l’infanterie canadienne, du 26 au 29  septembre  1977], 14  octobre  1977, DHP, RG  81/38; «  4  CMBG Concept Paper, The Role of Mechanized Infantry in the 1986–95 Period », annexe  F du document  3189–2 (IST) [compte rendu de la deuxième réunion de l’équipe char- gée de l’étude sur l’infanterie canadienne, du 26 au 29  septembre  1977], 14  octobre  1977, DHP, RG 81/38.

26 « Land Force Combat Development Study LFCDS 77–8-1, The Canadian Infantry: 1986–1995  », 1er  mars  1978, DHP, RG  81/46; «  Land Force Combat System Study for the Period 1986–96  », 22 septembre 1981, DHP, RG 82/6.

27 «  Discussion of Certain Technical Aspects of Light Armoured Vehicle SOR  », 9  mars  1989, BAC, RG 24, ACC 2004–00510–6, boîte 44, dos- sier  32065–100–003; «  5  Project  L2065 Light Armoured Vehicles, Statement of Requirements », s.d., BAC, RG 24, ACC 2004–00510–6, boîte 44, dossier 32056–100–003.

28 Kasurak, op. cit., pp. 178-189.

29 Canada, ministère de la Défense nationale, Force terrestre – Tactiques de la compagnie de VBL (ver- sion provisoire), B-GL-321–007/FP-002, 2003, p.  1. <https://archive.org/details/B-GL-321-007_

LAV_Company_Tactics_Interim_2003> [lien en anglais].

30 Ministère de la Défense nationale,

«  Documentation  –  Véhicule de combat rap- proché  », le 6  septembre  2012. [Récupéré le 20  novembre  2017] <https://web.archive.org/

web/20130531223423/http://forces.gc.ca/site/

news-nouvelles/news-nouvelles-fra.asp?id=4220>.

31 Ministère de la Défense nationale, « Déclaration – Le chef d’état-major de la Défense et le commandant de l’Armée émettent une déclaration conjointe au sujet de l’annulation du processus d’acquisition des véhicules de combat rapproché », le 20  décembre  2013. <https://web.archive.org/

web/20131221015743/http://www.forces.gc.ca/fr/

nouvelles/article.page?doc=le-chef-d-etat-major- de-la-defense-et-le-commandant-de-l-armee- emettent-une-declaration-conjointe-au-sujet-de- l-annulation-du-processus-d-acquisition-des- vehicules-de-combat-rapproche/hpf8gsnx>.

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