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Revue internationale d éducation de Sèvres. Quel avenir pour les études en sciences humaines?

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Revue internationale d’éducation de Sèvres

49 | décembre 2008

Quel avenir pour les études en sciences humaines ?

La philosophie, le projet et le laboratoire

Les SHS dans l’enseignement secondaire italien

Philosophy, the project and the laboratory. Human and social sciences in Italian secondary education

La filosofía, el proyecto y el laboratorio. Las ciencias humanas y sociales en la enseñanza secundaria italiana

Anita Gramigna

Traducteur : Fiorenza Donella et Michel Lussault

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/ries/566 DOI : 10.4000/ries.566

ISSN : 2261-4265 Éditeur

Centre international d'études pédagogiques Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2008 Pagination : 61-70

ISSN : 1254-4590

Référence électronique

Anita Gramigna, « La philosophie, le projet et le laboratoire », Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 49 | décembre 2008, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 03 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ries/566 ; DOI : 10.4000/ries.566

© Tous droits réservés

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La philosophie, le projet

et le laboratoire

Les SHS dans l’enseignement secondaire italien*

Anita Gramigna

L’enseignement secondaire italien connaît, encore, aujourd’hui une séparation assez nette entre enseignement général et enseignement technique et professionnel,malgré les réformes réalisées pendant ladernière décennie. Une longuetradition,quiremonteàl’époque fasciste et àla réformescolaireGentile en 1923, a créécette différence en instituantle lycéeclassique1 comme élément central de laformationsecondaire,entre 11 et18ans, avec descritères d’accès très sélectifs pour en garantir le sérieuxet mettre ainsi un frein àlamobilité sociale. Gramsci avait bien remarqué les défauts de cette réforme :institution d’une formation générale humanisteréservéeauxenfantsde la classe dominante etd’une formation professionnelle destinéeauxenfantsdes classes subalternes.

Il en précisait aussi le contexte:« le développementde la base industrielle, tant urbaine qu’agricole »,entraînant une «scission de l’enseignementenclassique et technique (professionnel,maisnon manuel),quia remisen question le principe d’une formationsecondaire orientée vers la culture générale, comme levoulait l’héritage de la tradition classique »2. Confronté à la séparation irréductible culture générale/culturetechnique, Gramsciavait soutenu vers1920lanécessité derevenir à une formation générale humanisteunique pour touslesélèves âgés de six à seize ans, suivie par une phase de professionnalisation dans les trois dernières années de l’enseignement secondaire.

Une séparation

culturellement enracinée

Ce bref rappel historique nous semble significatif pour deux raisons : parce que les cadres posés par la réforme fasciste de l’école secondaire ne sont véritablement abolisenItalie qu’en 1999,grâceàlaloisurl’autonomie desétablis- sements scolairesexpérimentéeàpartirde 1997 ;etparce que, culturellement, ce

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*Article traduit parFiorenza Donella avecla collaboration deMichelLussault.

1. Ndt: Aprèsl’école élémentaire (cinqans),le lycéeclassique prévoyaitcinqannées de gymnase,qui étaient lapré- paration pouraccéderaux troisannées de lycéeclassique.L’étude du latin et du grecétait prévue pour tout lecur- sus.Actuellement, aprèsle cycleprimaire (cinqans),lecycle secondairecomprend troisannées descuolamedia inferiore etcinqannées descuolamediasuperiore pour les lycées généraux et pour les instituts techniques.Les ins- tituts professionnels prévoient uneformationde troisans, complétée de deuxans pour l’obtention dubaccalauréat professionnel.

2. Gramsci, 1975,p. 483.

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sontdeuxintellectuels seréférant àdeux traditionsphilosophiquesopposées,le matérialisme historique, dont Gramsci fut l’un des interprètes les plus origi- naux, etl’idéalisme,que Gentileréélabora dans son «actualisme », qui se sont particulièrementintéressés au sortdu systèmescolaire italien.

Depuis les années 1920, la philosophie semble être le savoir capable d’offrir unevéritable qualification et unevraie orientation intellectuelle: c’estla discipline quicaractérise, avec lalangue et culture latine,la spécificité dulycée général comme filière réservée aux « élites», tandis que les autres disciplines, comme lesmathématiques,les sciences,leslettresetleslanguesétrangères, sont enseignéesdans toutesles filièresdu cycle secondaire,générales, techniques ou professionnelles, selon les programmes spécifiques prévus pour chaque filière.

Ce n’est donc pas un hasard si le gouvernement de centre-droit a proposé pendantlalégislature 2001-2006 une loivisantàlalicealizzazione3 de la formation secondaire, avec l’insertion de l’enseignement de la philosophie dans toutes les filières technologiques,économiques,scientifiques.Cette géné- ralisation avait été proposée aussi par le gouvernement de centre-gauche pendantlalégislature précédente,suivantl’avisautorisé d’experts reconnus.

Dans le mêmetemps,les Régions se sont vu confier l’organisation de laformation professionnelle, ce quiaentraîné un déclassementpour les lycées professionnels qui ontainsi perdule statutd’établissements d’État.Cette déci- sion repose sur l’idée d’une orientation précoce,le jeune devantenvisager son avenir avant 14 ans, âge du premier choix, de la première «vocation ».

Implicitement, ce choix procède de la volonté de fournir au monde du travail une majorité de jeunesadaptésauxexigences desentreprises, ayant uneculture générale réduite et donc plus faciles à utiliser en fonction des logiques du marché du travail :précarité,flexibilité,occupation intérimaire.

En principe, l’enseignement secondaire actuel en Italie est organisé pour permettre à l’élève de passer du lycée à la formation professionnelle et vice-versa,selonun parcoursindividuel qui prévoit,entoutcas,l’obligation de poursuivre laformation jusqu’à18ans.Maiscesdeuxmodèlescoexistent sépa- rémentetne parviennentpas às’harmoniser:d’uncôté,on souligne lanéces- sité d’un savoir vaste, souple, ouvert aux transformations imposées par le monde du travail actuel,dans la perspective de la formation continue tout au long de la vie; de l’autre, on confirme la volonté de fournir aux élèves des compétences et des aptitudes spécifiques, qui constitueront la base certaine pour une future profession,surtoutdans les troisdernières années ducursus.

Danscecontexte laphilosophie,plusencore que les scienceshumaines, en particulier la psychologie et la sociologie, est le point de référence incon- tournable dupremiermodèle de formationsecondaire.Ilse propose de fournir àl’élèveunsavoirpermettantd’effectuerde multiples tâchescomme:ordonner 62

3. Ndlr :italianisme intraduisible:« lycéaliser » (donner le statut de lycée)àlaformationsecondaire.

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les connaissances venant de différentes disciplines, résoudre des problèmes, créer des rapports significatifs entre disciplines et stimuler des réflexions personnelleset constructives.Enrevanche,lapsychologie etla sociologie pour- raient entrer dans le deuxième modèle de formation, comme savoirs opéra- toires, importants aussi pour la formation professionnelle, par exemple pour faciliterles «relations publiques» ou les études statistiques, comme disciplines possédant des règles d’application certaines, en fonction d’une épistémologie linéaire etnoncomplexe.

Pour comprendre la différence entre la philosophie et les autres sciences humaines, rappelons que dans le système de recrutement des profes- seurs en Italie, deux classes de concours sont proposées normalement : l’une pourles candidats venantde lafaculté de philosophie etl’autre pourles candi- datsformésen psychologie, sociologie,pédagogie et,plus rarement,en philoso- phie. Le professeur de philosophie enseigne aussi l’histoire dans les lycées généraux, classiques et scientifiques. En revanche, le professeur de sciences humaines ou sociales dans les lycées techniques ou professionnels n’enseigne paslaphilosophie,saufsison posterelève d’un lycée pédagogique oud’un lycée àorientationsociale issu d’une expérimentation.

Entre historicisme et complexité

Toute la culture italienne,etnon laseule philosophie, a été fortement influencée par l’idéalisme du philosophe Benedetto Croce. La diffusion de l’idéalismeaentraînéunesous-estimation de laportéethéorique des scienceset une fortetendanceàl’étude historique de l’ensemble desdisciplines,remise en questionseulementdanslesannées1990,quand lebesoin deréformerlesecon- daireaétéressenticommeune nécessité.

Cette empreinte historiciste,présente tantdans les manuels des élèves que dans laformation des professeurs, a été alors discutée en considérant que si l’étude de l’histoire de laphilosophie permetàl’élève desituerlesformesde lapensée dansleurcontextesocial,économique etculturel,enrevanche elle ne l’aide pasàsaisirle lienavec le présentetdonc à apprendreàréfléchir,grâceà des critères philosophiques, sur les problèmes liés à l’actualité. Dans cette approche historico-philosophiqueayant safin en elle-même,etdece fait unila- térale,on perd ladimension épistémologique de laphilosophie eton réduit son aspectlogique qui permettrait une perspective critique. On perd surtout cette relation avec les autres disciplines, qui donne la possibilité de recomposer et d’intégrerce qui aété artificiellementmorcelé.

L’approche historique est encore aujourd’hui solidement ancrée dans l’enseignement de la philosophie. Elle domine dans les lycées généraux, situa- tion provoquée parlescarences de laloi de 1999 quiadonné l’autonomieaux établissements scolaires sans la compléter par une réforme des filières et,

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surtout,par unerévision desprogrammesofficielspropres à chaque filière.Sur ce point,quirevêt une grande importance stratégique,on en est resté au stade des conclusionsdes commissionsd’experts,nommées tantparle gouvernement decentre-gauche (1996-2001) que par le gouvernementdecentre-droit(2001- 2006),dansle souci d’obtenirdes avis significatifs pourpouvoir rechercherdes convergences et un consensus sur les connaissances fondamentales dans l’apprentissage desjeunes.

Lesphilosophesnommésdanslescommissionsontprésenté desobser- vations intéressantes sur l’importance actuelle de la philosophie, sur son rôle d’axe porteurdans le dialogue desdifférentesdisciplines,dans la confrontation de différentes épistémologies.D’où lanécessité de faire découvrirauxélèvesle caractère provisoire et hypothétique des connaissances, l’importance de construire un système ouvert, fonctionnant d’autant mieux que les élèves s’y insèrent dans un rapport de dialogue, sans préjugés ou hiérarchies de valeur préétablies.Lesphilosophesont relevéaussiunetendanceacritique dansl’ensei- gnement des sciences,qui pousse les élèves à croire àla valeur absolue de ces connaissances.

Danslecyclesecondaire, c’estbien laphilosophie qui devraitouvrirla voie vers une culture de la complexité et de l’incertitude. La philosophie italienne,pour le cycle secondaire général,devraitchercheràmettre les jeunes encontactavec cetteculture dudoute,du relativisme etdupossible,quirepré- sente l’autrevisage de la culture de notresiècle,pourqu’apprendreà apprendre ne reste pas seulement un slogan et que l’acquisition de méta-compétences commence à produire ses effets dans le système scolaire, avant d’être transfé- rable dansle monde du travail dufutur.

Le projet et le l ab or a toire

Depuis la loi sur l’autonomie, tous les établissements sont tenus de proposerchaque annéescolaire àleurs usagers,élèves etfamilles, un projetde l’offre de formation (POF,Piano dell’offerta formativa).La caractéristique prin- cipale duprojet réside dans son lienàunterritoire,dontl’établissementdevient un élément vital, ensynergieavec les institutions, les associations et lesentre- prises locales. Le POF, en plus des disciplines spécifiques de chaque filière prévues par les programmes officiels, propose aussi des projets d’innovation didactique,élaborésen fonction ducontexte de l’établissement, afin de favoriser un apprentissage orienté vers l’actualité et vers l’environnement proche de l’élève, mais sans entraver les caractéristiques générales de toute forme de connaissance.

Les projets mettent souvent en relation des approches disciplinaires différentesautourd’unthème:parexemple,dansle deltaduPo,lebassinafait l’objet d’études historiques, géographiques, environnementales, économiques et touristiques, agricoles,productives,piscicoles,en fonction du type d’établis- 64

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sement scolaire etdes finalités desa formation.Cette pratique est intéressante parce qu’elle permetauxélèvesderéaliserdes activitésd’apprentissagecollabo- ratif4,d’effectuerdes recherches sur le terrain oude pratiquerdes enquêtes en groupe,parexemple, avecdes résultats significatifsen matière de qualité de leur formation.

Les POFprésentent toutefois un risque :pérenniserles inégalités déjà existantes dans la structure de l’Italie. Indépendamment des financements réduits attribués par le ministère à chaque établissement scolaire pour les projets, les lycées peuvent avoir recours à d’autres financements, tant publics que privés : ainsi le Nord continue à être dans une position privilégiée par rapport au Sud, et la ville à être privilégiée par rapport à la campagne.

Toutefois, pour beaucoup d’analystes, l’utilisation des POF est un pari à prendre parce que « les activités de projet produisent une transformation chez les élèves, si les professeurs respectent les caractères authentiques de l’épisté- mologie du projet, en valorisant leurs ressources humaines et en utilisant au mieuxleurprédisposition innée pourlarecherche »5.

On valorise donc la perspective du «savoir faire », une praxis qui permet à l’élève de se rapprocher du monde du travail et de ses règles : apprendreàtravaillerencoopérantavec les autrespourlaréalisation d’unbut, s’approprier des stratégies d’observation et d’interprétation des données, concentrer sonattentionsur unesituation déterminée et surleséléments qui la distinguent, toutes ces activités aboutissent au développement de la compé- tence,si recherchée actuellement.

En plus de la notion de projet, une autre notion semble très impor- tante, celle de « laboratoire ».Plusieursprojetsque nousavonsconsultéspropo- sentauxélèvesdesactivitéspratiques significativesdansle domaine des sciences humaines:savoir utiliseravecunecompétencecroissante desméthodescomme l’interview, le questionnaire, l’autobiographie, dans un contexte déterminé et avec des personnes qui vivent dans une situation d’urgence. Par exemple, en utilisantlaméthode derecherche des récits devie, uneclasse d’un lycée péda- gogiqueaessayé dereconstruire lesmomentslesplus significatifs du vécud’un groupe de personnes âgées résidanten maison deretraite. Cette expérience ne se limite pas à être un cas d’étude pratique original pour les élèves, mais les conduità assumer uneattitude éthique pour s’interroger surle problèmesocial posé parlavieillesse.En même temps,elle ouvre lavoieversd’autresméthodes etd’autrespossibilitésderecherche,vers une plusample réflexionsurlavariété des épistémologies quicaractérisentlesdifférentes sciences.

Si l’autobiographie est une méthode typiquement « qualitative » qui tend à étudier la spécificité de chaque cas humain, les sciences naturelles,

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4.Ndt:«cooperative learning ».

5. Righetti, 2007,p.68.

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habituellement,privilégientles enquêtes « quantitatives»,les objets mesurables et tendent à expliquer les faits plutôt qu’à les interpréter. Il ne s’agit pas d’établir siune méthode estpréférableà uneautre,maisdecomprendre que les disciplinespeuvent choisirdifférentsparcoursderecherche en fonction des buts de leur analyse, sans pour celafaire de discriminations entre un modèle et un autre.Expérimenter une ouplusieurs activitésde « laboratoire »,peutpermettre àl’élève de se poser des questions sur la nature et les finalités des différentes disciplines etdes’orienter, surle plan personnel,en évaluant ses propres inté- rêts et sespropres «talents».

L’idée fondamentale,que l’on peut saisirdans les pratiques réellesdes enseignants,estqu’aucunsavoirne peutêtre construit sansactivité de « labora- toire ». Ainsi, les sciences humaines se présentent aux yeux des apprenants seulementdans leurdimension d’application:il est vain,en effet,dethéoriser surles procéduresde l’autobiographie,de parlerdethéories psychologiques ou de modèles ethnographiques, sans considérer la façon dont les chercheurs du secteurles appliquentdans leurs recherches sur le terrain,et sans travailler sur desexemples concrets.C’est pourquoi,lorsqu’on veut réaliser une enquête sur la condition de groupes marginalisés (par leur ethnie, leur situation écono- mique,sociale,ou des problèmes de déviance), activité très répandue dans les lycées sociauxetpédagogiques,ils’avère trèsformateur de mettre en place des techniques de jeuxderôle.Ainsi,l’élève neresterapas simple observateurd’un phénomène,mais saurase mettreàlaplace despersonnesobservées.Et,dansle futur, quand il travaillera, parexemple,dans le domaine de l’assistance socio- sanitaire,l’élève quiaura cetype de formation pourras’intéresser véritablement auxbesoinsdesautresetnerépondrapasaux situationsd’urgence parl’optique froide dubureaucrate,quiréduitlesindividusàdesdonnées statistiques.

Une expérimentation sans fin ?

Le retard que le pouvoirlégislatif italien apris pour lancerla« grande réforme » de l’enseignement secondaire, par ailleurs restée inaccomplie, a produit un phénomène intéressant d’adaptation « de la base » face aux muta- tions productives, sociales et culturelles de notre société. Ce phénomène vaste et varié, appelé ici « expérimentation », aproduitdeseffetspositifsmaisn’apas manqué d’avoir aussi des répercussions négatives. Cette expérimentation a-t-elle contribuéà abrégerou à allongerle temps nécessaire àlaréforme ?

Malheureusementelle l’a augmenté,fournissant unalibiau vide légis- latif et aux tactiques des partis politiques, incapables de trouver de larges ententes, même dans un domaine d’intérêt public si important. À partir des années quatre-vingts s’est ainsi créé un mouvement d’opinion favorable à l’instauration d’une quantité incalculable de petites réformes, confiées à la responsabilité de chaque établissement, qui ont eu de ce fait le rôle d’espaces 66

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6.Le lycée linguistique (cinqans),àdominante languesmodernes(étude detroislanguesétrangèresdansles troisdernières annéesdu cycle etde deuxlanguesétrangèrespendantlesdeuxpremières années), aétéà sa naissanceun lycéeprivé enItalie.Aveclesexpérimentations,dansles années1990,leslycées classiquesoules instituts techniques commerciauxontpu créerdesfilièresexpérimentales àdominanteslanguesmodernes.

7. Piani distudio della scuola secondaria superiore e programmi deitrienni,1992,pp. 44-45.

privilégiés pour tester des innovations dans les systèmes de formation, les méthodologies, lesemploisdu temps,les programmations,les objectifs.Or, en schématisant, le concept noble d’expérimentation à l’origine des sciences modernes se caractérise par le cycle observation-hypothèse-théorisation-vérifi- cation etne doitpasêtreconfondu aveclebanal « faireune expérience » du sens commun.

Latendance dans le systèmescolaire italien aété malheureusementde retenircette dernière définition etelles’estdiffusée,de manière hétérogène,sur le territoire national.Lapratique généralisée du «bricolageaveclesmoyensdu bord », a produit alors un mélange explosif avec la mode de la concurrence, comme si les établissements étaient des entreprises en compétition sur un marché. L’offre est devenue toujours plus déconcertante et incompréhensible pour les élèves et leurs familles, tout en vantant des facilités pour l’insertion dans le monde du travail,desmodernisations stupéfiantesdescyclesde forma- tion,des simplifications des processus d’apprentissage grâce àdes technologies extraordinaires.Lesétablissementsontcommencéune guerre intestine, à coups desloganspublicitaires retentissants,tolérésquand ilsn’étaientpasencouragés par le ministère de l’instruction publique et par ses antennes locales.

Cependant,il faut rappeler que s’il n’yavaitpas eu l’expérimentation,l’intro- duction de l’informatique danslesprogrammes scolairesauraitprisdu retard et que les études linguistiques seraient restées l’apanage, plus ou moins exclusif, des classesprivilégiées6.

En 1992,la commissionBrocca,dunom du sous-secrétaire quia coor- donné les travaux au parlement, a tenté de remettre de la cohérence, et pour celad’imposerle recoursàun « espace de projet»,initiative quiaeudes résul- tats appréciables. En effet, les équipes enseignantes sont depuis obligées de proposer des projets pédagogiques dans laprogrammationannuelle d’activités pour la classe, dans un esprit de collaboration interdisciplinaire. Ces projets doiventavoir une durée de deuxans,surles trois années ducycle terminal,et prévoir un nombre d’heures suffisant,en fonction de cesindications :« entout cas les projets orientés vers un sujet théorique doivent en partie prévoir un aspectopératoire,tandis queceuxquisontorientés vers un problème pratique doiventêtre insérés dans uncontexteculturelsignificatif »7.

Les projets doivent donc sauvegarderladouble exigence,théorique et pratique,et parveniràmettre en évidence un nœud problématique qui puisse êtreanalysésousplusieurspointsdevue. La classe doitêtre amenéeàle perce- voir comme un élément significatif à soumettre à une activité de recherche

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parce qu’il suscite curiosité, intérêt, désir d’approfondissement. On introduit ainsi la recherche-actioncommestratégie « qui prendson mouvementde l’inté- rieur des situations pour repérer les problèmes, les procédés, les modèles, les langages, les technologies, les analyses qui amènent in itinere à la conscience épistémologique et à la reconnaissance des identités des disciplines, ainsi qu’à la résolution de problèmes»8.

Aujourd’hui,enrégime d’autonomie, chaque équipe pédagogique peut expérimenter des projets d’innovation didactique, en interdisciplinarité et par enseignemententandem, surdes thèmesde grand intérêt,parexemple la bioé- thique du point devue philosophique, juridique, religieux, biologique,écono- mique. Chaque professeur peut décider d’y participer pour enrichir son programme :il dispose d’un temps correspondantà 15-20% du nombre total d’heures disponibles dans l’année scolaire. Malheureusement, un risque de dérive existe quand,surla base devariationsminimesdans l’emploi du temps, parexemple une heure hebdomadaire d’éducation physique, un établissement scolaire peut se présenterindûmentcomme « lycée du sport», bien évidemment inexistant.Oubien quand une heuresupplémentaire d’histoire de l’artpermet de promouvoirauprèsdes usagers un « lycéeàorientationarchitecturale », aussi peuavéré que le premier.

Ces pratiques d’information quasi mensongères dénaturent le sens authentique de l’autonomie, qui devrait permettre d’aller vers une formation plus sérieuse etproduisentl’illusion du « pays desjouets»,lieu fabuleux,juste- ment,quePinocchio voulait rejoindre :un élève àne pasimiter.

Dans le l ab yrinthe uni v e rs i ta i r e :

l a diffic u l t é de choi s i r

La législation sur l’autonomie des établissements scolaires et, en général,des institutions de formation, afini parproduire deseffets importants sur l’organisation de l’Université italienne. En effet, dans cette dernière décennie, chaqueuniversitéapuélargirl’offre de filières, ceci en l’absence d’un centre decoordination national oud’un programme établi.Le goûtbien italien du particularisme local (le pays «auxcents villes etaux milleclochers»)ainsi que leculte de ladifférence parl’antagonisme («si mon ennemi estguelfe,je ne peuxêtre que gibelin »),ont renforcécette tendance.Des dénominationsorigi- nales, peu communes, ont été attribuées aux filières traditionnelles pour répondre à l’exigence de nouveauté et pour faire augmenter, vraisemblable- ment,le nombre d’inscrits,notammentdansle domaine des scienceshumaines.

Ainsi, le pouvoir décisionnel local s’est renforcé et les universités ont suivi, comme l’avaientdéjàfaitleslycées,lalogique quiconsisteàdrainerlademande 68

8.Ib.p. 46.

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étudiante en usant s’il le faut du battage publicitaire. L’augmentation du nombre de filières a été déterminée aussi par la réorganisation des cursus de formation, puisque l’Italie s’est conformée au processus dit deBologne. On a ainsi introduit le cursus licence, master, doctorat.Les pouvoirs politiques ont soutenucettetendance.L’offre de filières s’estélargie,maislesétudiants sesont trouvés désorientés et le système n’a pas obtenu les résultats escomptés. Le nombre de diplômés n’a pas augmenté, la qualité des études ne s’est pas améliorée : le nombre d’étudiants abandonnant leurs études ainsi que le nombre d’étudiants au cursusirrégulier reste élevé enItalie,sans comparaison avec d’autrespaysde l’OCDE.

Les activités d’orientation durant les deux dernières années de lycée confirmentladifficulté rencontrée parles élèves dans leurschoix, ceci pourde nombreuses raisons, parmi lesquelles, au premier chef, la difficulté de comprendre la spécificité d’un cursus par rapport à un autre, à cause des variantes dans les dénominations de filières, pourtant en réalité proches, offertes par de nombreuses universités en situation de concurrence. Quels approfondissements pédagogiques spécifiques font-ils la différence entre le parcoursd’un «animateurculturel » par rapportà celui d’un « éducateurprofes- sionnel extrascolaire » ?Cesdifficultés se manifestentpar uneréductionspecta- culaire d’inscriptions dans des disciplines clés importantes dans la société, et qui,en Italie,possèdent unetradition illustre :les mathématiques en sont une bonne illustration.

Laréduction d’inscriptions en mathématiquesdepuisquelques années asoulevéun débatnon seulementparmi les experts,mais aussi dans le monde de la culture. L’explication «savante » la plus répandue, fait appel à un syllo- gismesimple,que nouspourrions synthétiserainsi : a) lesjeunes sonthabitués à une vie facile;b) les mathématiques ne sontpas faciles ; c) les jeunes préfè- rent donc une vie sans mathématiques. Cette explication peut contenir une partie de vérité, mais elle nous semble quand même incomplète. Un autre élémentexpliquerait ladésaffection:l’idée des mathématiques comme science exacte, qui semble immuablement peser, telle une chape de plomb, sur les facultés scientifiques traditionnelles :une seule science existe, dontles canons ont été établis définitivement, et en dehors de laquelle personne ne peut s’arroger le droit de se considérer comme un «scientifique ». Ainsi, le savoir mathématique quisupporte les sciencesde lanature estindiscutable etdoitêtre administré àl’apprenantcommeun médicament.

Les sciences exactes, elles aussi en crise, semblent dans l’Université italienne conserver intacte une patine épistémologique datant du XIXe siècle, sauf exceptions. La révolution épistémologique du XXe siècle semble avoir davantagetouché le secteurphilosophique,qui produitdes débats vivantset se différencie, produisant chez les jeunes diplômés une facilité d’adaptation aux différents segments du travail intellectuel d’aujourd’hui. En revanche, des

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scienceshumaines comme lapsychologie etla sociologietiennent une position plus ambiguë:elles s’oriententdavantageversla technocratie,les étudesquan- titatives et statistiques, et sont donc plus adaptées aux ambitions du modèle économique dominant,mêmesi elles risquent alorsde fournir unalibiculturel aumodèle de globalisationactuel,pourlequelsembleseréaliser, tristement,la prophétie de Pasolini : un développement sansprogrès.

Bi b liogr a phie

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