Cet ouvrage est construit autour de la question « En quoi ces réseaux d’échanges réciproques de savoirs » sont-ils actuels ? Sont-ils « d’actualité » ? » Question posée par André Giordan pour participer à un ouvrage collectif qui n’a pas abouti.
Question qui nous a permis, alors que nous avions le sentiment de ne plus rien avoir à dire de plus sur ces réseaux, de les réinterroger, de nous réinterroger. Point de vue donc partiel et partial : tous les participants des réseaux pourraient être invités à y apporter leur propre réponse « il y a une foule de manières de parler du monde qui ne seront jamais découvertes » : il y a une foule de manière de parler de ces réseaux que nous pourrions plus systématiquement solliciter !
Depuis quarante ans (et plus si on y intègre nos racines, nos sources, nos expériences
« préalables »), nous continuons à nous passionner pour cette histoire, ce projet, cette démarche, cette pratique et ses développements foisonnants et in/imaginés in/imaginables pour nous.
Nous avons répondu à cette question en la considérant de cinq points de vue différents qui vont faire les parties de cet ouvrage.
I. Première réponse, première partie : ces Réseaux sont d’actualité parce qu’ils ont toujours été une construction (jamais un donné) et, qu’ils se sont construits en s’inscrivant dans les questions de société qui se posaient à leur « entrepreneurs ».
• Leurs enracinements, je ne vais évoquer ici, à travers ma classe, que l’enracinement, l’éclairage et l’enrichissement dans la pédagogie Freinet, pédagogie coopérative, ouverte sur le milieu, s’appuyant sur une conception du savoir comme construction par les apprenants par tâtonnements expérimentaux, comme articulation entre l’individuel et le coopératif : questions sur la réussite pour tous, questions sur le fait qu’on ne peut apprendre à des enfants sans s’appuyer sur ce qu’‘ils savent déjà, question sur l’importance de considérer les parents, leurs richesses, leurs savoirs, question sur le changement de regard sur soi et les autres
• Leur développement à partir du réseau d’Evry, réseau qui s’est construit sur des questions autour de la construction par tous du Vivre ensemble (investissement de la Mairie d’Evry, qui ne s’est jamais démenti depuis). Je ne vais pas redire ici toutes les étapes de leur développement en s’appuyant pour les prendre en compte ou pour y résister aux réalités sociales, culturelles, pédagogiques…
• Tout au cours des huit grandes étapes que nous avons identifiées, ce que nous avons essayé de faire, c’est d’allier le plus possible la pratique, la formation des acteurs, la recherche sur nos pratiques, le partenariat et les coopérations multiples, la communication (un peu faible !).
• Nous nous savons héritiers et inscrits dans des mouvements sociaux plus larges : l’éducation populaire, les mouvements pédagogiques, les
mouvements en recherche sur la citoyenneté active, l’économie sociale et solidaire.
• Nous nous sommes enrichis, tout au long de cette histoire, questionnés et laissés interpellés par des théoriciens de la formation et de la pédagogie, je n’en nommerai qu’un, ce soir ici présent, Gaston Pineau qui nous a accompagnés de façon très impliquée et amicale dans l’inscription de la fonction recherche dans notre mouvement ; des sociologues, des psychosociologues, des philosophes… des citoyens et citoyennes engagés
• Ces réseaux sont les fruits de rencontres, soutiens, courages individuels, amitiés, intelligences multiples, engagements, croisements de réseaux… c’est ce que nous avons essayé de montré dans cette première partie, en l’adossant à une présentation des faits d’actualité vécus dans la société qui les ont interrogés et qu’ils ont interrogé.
II. Ces réseaux sont d’actualité parce qu’ils contribuent à prendre en charge un certain nombre des questions de société qui se posent à nous tous. En sachant qu’ils ne sont qu’une toute petite partie des réponses possibles et qu’ils doivent donc impérativement se relier à d’autres
Et tout d’abord, traversant les cinq points je vais présenter, la nécessité pour nous tous, individuellement et collectivement, et concernant ces cinq domaines séparés ici arbitrairement, d’apprendre, d’apprendre, d’apprendre en tous lieux et en tous temps
Apprentissages permanents et responsabilités comme indissociables si nous voulons avoir des chances d’être cohérents
• Questions sociales
Une seule idée exposée ici : ces réseaux sont un outil convivial (Illich) : ils construisent une sorte de Vivre ensemble qui est en lui-même un refus de toutes les exclusions. Ils ont un outil convivial, c’est-à-dire :
- efficace (ici au niveau de l’apprendre) sans dégrader l’autonomie personnelle, mais en la construisant mais en construisant des relations sociales, en favorisant les belles rencontres
- Qui ne suscite ni dominations ni soumissions mais instaure des parités multiples et nécessaires pour de la vraie reconnaissance sociale
« réciproque », pour se situer, pour apprendre (je n’entends ce que me dit l’autre que s’il me parle comme étant un égal »
- Elargit le champ d’action personnelle mais aussi le champ des actions coopératives et collectives et augmente ainsi le capital social culturel et symbolique de chacun
• Questions culturelles
- quels savoirs pour demain ? Qui aura accès aux savoirs nécessaires pour vivre, être heureux, trouver un emploi, participer aux débats démocratique ?
Nous répondons :
Tous les savoirs pour tous par tous
Parce que les savoirs sont des biens communs (refus d’en faire des marchandises
Combat contre les formes de hiérarchisations des savoirs qui empêchent certains de nos concitoyens de se croire capable d’aller vers leur propre excellence
Prise de conscience que chaque savoir est un réseau de savoirs, que les savoirs sont en réseaux
- Comprendre que les savoirs ne valent que par leurs fruits
- Une question cruciale : quelle articulation féconde entre des réseaux à distance et des réseaux de proximité ?. Nous avons tous besoin de présences, proximités (« vocation les travaux de Hall). On ne peut négliger les chances que donnent les NTIC. Ni non plus les problèmes qu’ils posent : vérification des savoirs ; solitude sociale pour apprendre (cf.
CNED et réseaux) ; risques d’être « hors-sol » humainement déconnecté…
Intéressant d’essayer davantage des croisements entre les logiques « à distance » et les logiques « en présence »
- Question de l’éducation et de la formation dans tous les lieux et temps de la vie. (question de l’appétence à apprendre ; du sentiment de capacité nécessaire ; de l’énergie nécessaire pour se former ; des situations et organisations qui le rendent possible ; des représentations du savoir et de l’apprendre : toutes choses qui peuvent faire obstacle à cette EFTLV nécessaire pour tous
Une culture (comme bain global d’accompagnement des individus) de réciprocité ? La réciprocité comme culture ?
• Questions pédagogiques
- Quid de l’école ? ennui des élèves ? stigmatisations parfois meurtrières ? quoi enseigner ? Pour que les élèves grandissent comment ? en apprenant par l’exercice et l’expérience quelles valeurs ? l’Ecole comme lieu de synthèse entre les savoirs dits scolaires et les savoirs acquis hors de l’école ? Comment reconnaître les savoirs qui circulent entre les élèves ? Comment faire pour qu’ils apprennent l’entraide en même temps que les maths ou la gestion ?
- Mais cette pratique est-elle bonne pour l’école ? Nous donnons la parole dans ce livre à Françoise Heinrich et Jacqueline Culetto qui, depuis plus de vingt ans, dans leur établissement animent un réseau et dans leurs
méthodes pédagogiques intègrent la réciprocité formatrice sur laquelle je vais revenir. En tous cas, et dans toutes les expériences que nous connaissons, les élèves trouvent le plaisir d’apprendre, travaillent, et s’entraident !
- OK, si les échanges réciproques ne concernent que les savoirs scolaires.
Sinon, l’école est-ce bien le rôle de l’école ?
- Et quid alors du métier d’enseignant ? Deux livres collectifs
• Questions économiques
- Très interrogés sur ce que ça pourrait donner en entreprise pendant de nombreuses années, nous n’avons pas su répondre. Maryannick van Den Abeele, soutenue par son mari Michel, ils sont ici présents, a depuis 3 ans mis un réseau en place dans l’entreprise encore de service public, la Poste - Question économique parce que les savoirs et la formation doivent être
considérés comme des biens communs et non comme des marchandises - Question économique parce que nous sommes bien là dans une économie
du don : tout ne s’achète pas ! on pourrait même affirmer que ce qui compte vraiment ne se compte pas ! Quels sont toutes les richesses qui ainsi se mutualisent, se partagent se diffusent ? La coopération, la solidarité comme richesses ?
- Question économique au niveau individuel : nous avons ainsi des récits de personnes qui ont trouvé un emploi, fait une formation professionnelle (encore récemment, le réseau d’Evry nous informait de deux réussites de ce point de vue), maintenu et renforcer leur compétences pendant une période de chômage en les offrant, entendu parler d’un emploi possible en élargissant et en diversifiant son réseau social
Et pour la personne, passer de l’estimation à l’estime ?
- Relations sociales et économie du savoir. L’économie du savoir suppose la conjonction d’intelligences interactives, une sorte d’amitié sociétale qui pousse les acteurs à échanger des informations, à partager des connaissances, à privilégier, entre eux, la multiplication des compétences… » Hervé Seyriex
• Questions politiques
- Il s’agit de pouvoir : capacité, puissance – c’est possible – je décide
- Il s’agit bien de « notre pouvoir ensemble » de construire la société que nous voulons, nos institutions, de former les systèmes qui nous forment.
Quand on apprend dans la compétition, on apprend la compétition ; dans la coopération, on apprend à coopérer ; dans des systèmes que l’on contribue à construire on apprend que les systèmes sont peuvent être construits par tous, interrogés, modifiés, contestés…
- Conscience d’incomplétude et responsabilité : le besoin absolu des savoirs de tous comme choix démocratique et logique
- Laïcité
III. Ils sont d’actualité parce qu’ils développent de la présence à soi, à autrui, au monde - Présence à soi. Présence formatrice à soi
Explorer ses savoirs et ses ignorances, se faire es récits ‘apprentissages, prendre conscience que si l’on sait, c’est que l’on a appris. Et d coup se projeter dans des apprentissages. Se comprendre capable d’apprendre. Se restituer son pouvoir de « se former » (autoformation)
- Présence à autrui, réciprocité formatrice. Bienveillance ; sollicitude ; expression et appui sur les désirs
Don Parité
Dynamique de formation dans les deux rôles
Les deux rôles conjointement pour mieux jouer chacun d’entre eux réciprocité coopérative
- Présence au monde :
Les RERS sont différents ; ils reposent sur les mêmes valeurs et la même démarche et se construisent différemment en fonction des réalités de leurs promoteurs, animateurs et participants
- Présence au Nous, construction de nous qui restituent du sens et qui font sens grâce à l’apport de tous
IV. Ils sont d’actualité parce que c’est nous qui les créons, qui les faisons vivre, qui les réajustons, qui les redynamisons… et qu’ils nous construisent, nous forment, nous citoyens de ce temps. Parce que nous les créons avec notre raison, en cohérence avec le réel et avec notre imaginaire, nos utopies
- Combien parmi nous dans cette salle ont contribué par leurs offres et demandes, leurs animations, leurs formations, leurs soutiens personnelles et institutionnels ? Nous sommes bien d’actualité, non ?
- Création collective d’abord du réseau. Il est vrai que c’est si difficile, que souvent là, le bât blesse. La tension vers cette utopie créatrice : que chacun et tous soient à la fois offreur, demandeur et contributeur, animateur, constructeur et élargisseur du réseau. C’est vraiment dans cet esprit que le réseau d’Evry, qui va fêter le 8 mai 2010 ses trente ans, s’est construit et a donné envie à d’autres de faire es réseaux
- Echanges de savoirs qui génèrent des créations collectives et des créations collectives qui impulsent de nouveaux apprentissages : par exemple le beau livre de cuisine du réseau d’Orléans (des participants ici présents) dont la création a généré de nouvelles offres et demandes : gestion,
aquarelle, écriture, orthographe, géographie, histoire, informatique, budget…
- Création de nouveaux savoirs dont nous avons besoin (savoirs émergents), mais aussi de nouveaux métiers : bien sûr celui d’animateurs ou coordinateur de réseaux d’échanges réciproques de savoirs, mais aussi coordinateur d’organisations en réseaux (il ne suffit pas de faire des listes pour que ça réseaute !
- Je ne développerai pas ici cette analyse faite dans l’ouvrage des dimensions communes à l’échange réciproque des savoirs et à la créativité.
V. Enfin, ils sont d’actualité parce qu’ils se veulent fondés sur des valeurs. Ils souhaitent contribuer à une permanence de valeurs. Lesquelles ?
- Bien sûr les valeurs de la république. Bien sûr celles qui sont énoncés dans la Déclaration des droits de l’home et du citoyen
- Ils se sont donnés une Charte (dès 1985, sur impulsion de Christian Mongin, qui avait organisé des échanges réciproques de savoirs concernant la santé ; initiative qui a été la référence première de nombreuses autres dans les réseaux ; des échanges de cette sorte recommencent dans le réseau d’Evry ce mois-ci !). Un commentaire de cette Charte (révisée collectivement depuis) est proposé dans cet ouvrage.
- Surtout, nous insistons ici sur l’importance de défendre, construire, inventer, pratiquer, essayer la solidarité.
Solidarité :
Se rendre plus solides ensemble (Emmaüs). Se former réciproquement pour se rendre plus solides chacun (nous avons tous intérêt à l’enrichissement intellectuel et moral de tous) et ensemble.
Système social où chacun répond pour le tout (Larousse). Si l’assistance est absolument nécessaire (qui d’entre nous n’a jamais eu besoin d’être aidé ?), elle ne suffit pas à la dignité et à ce que chacun ait vraiment un rôle, soit attendu pour ce qu’il peut apporter ! Nul ne peut être exclu (nul ne devrait l’être) puisque chaque personne est essentielle (Evry 1989).
La solidarité à considérer comme objet de construction ensemble et interminablement ! et pour cela l’apprendre en la faisant.