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Katherine Lapierre : Des singularités du sens aux folies de la raison

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Academic year: 2021

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Katherine Lapierre : Des singularités du sens aux folies de la raison

texte de Nicolas Reeves

La conscience pose en permanence à l’esprit des questions aux réponses impossibles, gravitant autour de celle, fondamentale pour sa propre perpétuation, du sens des choses. Elles deviendraient assourdissantes, n’étaient les multiples modes d’apprivoisement élaborés par l’esprit pour y faire face. Parmi ceux-ci, la raison tient en occident une place prépondérante. Classifiant le monde en séries d’objets raisonnés, elle relie les événements en une séquence sans fin de causes et d’effets qui trop souvent substitue la quête du

« comment » à celle du « pourquoi ».

Il en va ainsi des plus petites comme des plus grandes entreprises ; il en va ainsi de toutes les échelles de l’architecture. Impuissantes d’une part à donner sens au monde, d’autre part terrifiées par l’idée d’un sens ouvert qu’elles assimilent au chaos, les architectures d’obédience rationnelle deviennent terrifiantes. Elles annoncent un monde dans lequel les villes et les comportements humains sont orientables et prévisibles, arraisonnés en une systémique qui installe l’architecture dans une illusoire téléologie. Elles organisent le cadre de vie en fonction d’objectifs à atteindre, de moyens immanquablement confondus avec des fins. En une rigoureuse inversion cartésienne, elles espèrent reconstituer un monde complexe par la sommation d’opérations élémentaires d’où émergerait, par une étrange alchimie sémantique, le sens de leurs scénarios ordonnateur. Elles ne réalisent pas que le premier germe d’un sens se situe précisément dans cet espoir impossible ; et que la première folie du rationnel – et donc sa première issue – est de croire obstinément et contre toute attente que l’accumulation à l’infini de petites opérations explicitables, compréhensibles et maîtrisées, finira par générer de l’inconnu, du mystère, de la vie.

Aux antipodes des architectures raisonnées s’élèvent d’autres architectures bien plus petites, des villes bien moins grandioses, directement enracinées dans des réseaux de sens et des arbres de significations qui leur tiennent lieu de structure, de raison d’être, d’identité. Tous les éléments de leurs formes, de leurs volumes, de leurs matériaux, sont imprégnés de sens. Rien n’est placé pour rien ; toutes, sans se perdre dans d’éternels bavardages, content et racontent des histoires de modes d’habiter transmis à travers les âges et les territoires, d’homme à homme, de femme à femme, dans des modalités de communication bien plus proches du conte que du plan coté. Échappant aux diktats structuraux et esthétiques de leurs temps, elles ne feront jamais école puisqu’elles sont hors de toute école. Elles n’auront pas de descendance puisque chacune est son aboutissement et sa fin. Si elles sont issues des démarches de femmes et d’hommes seuls, si elles ne sont pas toujours stables ni même habitables, elles n’en racontent pas moins, avec leurs moyens propres, des maisons étonnamment proches de celles dont nous avons tous rêvé, maison dans les arbres, maisons sous la terre, maisons rondes comme des bulles ou hautes comme des tours, maisons peuplées de tout petits dieux qui assurent la pérennité du foyer, maisons dont chaque pouce carré est habité et pénétré des images que porte celui qui la crée et qui se sait, consciemment ou pas, habité du rôle de les transmettre pour que rien ne s’en perde, jamais. Les rares fois où elles transgressent la frontière des architectures officielles, elles provoquent, dérangent, fascinent. Elles deviennent même, à l’occasion, de très grandes choses. Gaudi, le Facteur Cheval, sont aujourd’hui acceptés comme des œuvres majeures ; leur descendance reste toutefois rarissime. Les Hundertwasser, les Kroll, apparaissent comme de véritables singularités, malgré leur succès auprès des citoyens de Vienne et de Louvain-la-Neuve. La simple évocation d’un après-Gaudi ou d’un après-Cheval laisse perplexe. La possibilité d’en dériver des leçons transposables aux architectures officielles reste encore hypothétique. Pourtant, leur charge de rêve, leur poésie immense et inaliénable, leur impertinente liberté, les territoires imaginaires qu’elles laissent entrevoir, ravivent chez chacun de nous l’espoir de réenchanter la maison, la ville, le monde.

KATHERINE LAPIERRE – 05/09/08 • 11/10/08

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Questionnant avec une grande justesse la place du rationnel dans l’architecture contemporaine, les petites architectures de Katherine Lapierre sont des objets déraisonnables, directement issus d’un regard à la fois précis, sensible et profondément poétique sur les œuvres des architectes hors-la-raison. Y a-t-il là de nouveaux passages pour redonner aux objets d’architecture la chair et le sens rejetés par la raison, la systémique, la norme ? Étudiée par plusieurs architectes des dernières décennies, cette question se pose aujourd’hui avec une acuité accrue, en regard de l’explosion urbaine de la planète. Katherine est l’une des rares architectes de sa génération à s’y intéresser. Cette première exposition installe les outils par lesquels elle en amorce l’investigation : une pensée riche, effervescente, informée de première main par un parcours de terrain ; une mise en œuvre posée, habile et perpétuellement exploratoire. Elle place les jalons d’une démarche au long cours qu’il vaudra la peine de suivre de très près. S’il faut en croire l’un de ses premiers travaux – la maquette à l’échelle 2 :1 d’une pierre ramassée dans un parc, triangulée, modélisée par ordinateur puis construite en acétate transparent – il se pourrait bien qu’elle y apporte des éléments de réponse, par une oscillation consciente entre les architectures du sens et celles qui, outrepassant le rationnel qui les fonde, rejoignent par des chemins de traverse la délirante poésie du surrationnel.

Katherine Lapierre est architecte de formation ; elle mène depuis cinq ans un travail de recherche sur la question des architectures outsider et d’autodidactes. Son travail a été montré lors d’expositions collectives à Axenéo7, à la SAT et au Centre de design de l’UQAM.

Nicolas Reeves...

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