• Aucun résultat trouvé

Responsabilité et/ou irresponsabilité sociale d'entreprise? Dr Jekyll et/ou Mr Hyde?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Responsabilité et/ou irresponsabilité sociale d'entreprise? Dr Jekyll et/ou Mr Hyde?"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

Responsabilité et/ou irresponsabilité sociale d'entreprise? Dr Jekyll et/ou Mr Hyde?

Marc Ingham a

a, COMUE – Université Bourgogne, Franche-Comté, Burgundy School of Business , CEREN,- Chaire Management et Innovations Responsables.

Abstract

While there are numerous publications on corporate social responsibility (CSR), few articles deal with corporate social irresponsibility (CSIr) and/or the links that may exist between CSR and CSIr. This "essay" paper presents a literature review on these topics in order to develop a conceptual grid that could help tackling the separation, coexistence and dynamic relationships that may exist between CSR and CSIr in organizations. The paper is organized as follows: after having discussed and clarified CSR and CSI concepts and presented a review of the literature that specifically addresses their characteristics and links, it identifies a set of behaviors adopted by organizations and their members. The focus is on the motivations that can guide companies to adopt CSR and CSIr behaviors, their ties, their positive or negative externalities and their possible effects on performances (economic, social, and environmental). It leads to conclude that, most of the behaviors organizations adopt probably fall (at various degrees) between an "exemplary" CSR, that would be an "ideal state" to which organizations can tender and a situation governed by deliberately and systematically irresponsible behaviors (which probably does not exist in the corporate sphere, except for criminal organizations). Are organizations looking like Dr Jekyll and/or Mister Hyde?

Résumé.

Alors qu'il existe de nombreuses publications sur la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), peu d'articles traitent de l'irresponsabilité sociale des entreprises (IrSE) et/ou des liens qui peuvent exister entre RSE et IrSE.

Cet "essai" vise à présenter une revue de la littérature qui fournit des éclairages sur ces questions dans le but de développer une grille d'analyse conceptuelle susceptible de rendre compte de la séparation, la coexistence et la dynamique des relations qui peuvent exister entre RSE et IrSE. Le texte est structuré de la façon suivante : après avoir discuté et tenté de clarifier les concepts de RSE et d'IrSE et présenté une revue de la littérature qui traite spécifiquement de leurs caractéristiques et de leurs liens, nous identifions différents comportements susceptibles d'être adoptés par les organisations et leurs membres. L'accent est mis sur les motivations qui peuvent guider les entreprises à adopter des comportements de RSE et IrSE, sur leurs liens, les externalités positives et négatives qu'ils peuvent induire, et leurs effets possibles sur les performances (économiques, sociales et environnementales). Ceci conduit à conclure que la plupart des comportements adoptés par les organisations se situent, sans doute à des degrés divers, entre l'adoption d'un comportement "exemplaire" en matière de RSE, qui constituerait un " état idéal" vers lequel elles peuvent tendre et une situation qui traduirait l'adoption de comportements délibérément et systématiquement irresponsables (qui n'existent probablement pas dans la sphère des entreprises, à l'exception des organisations criminelles ). Les organisations ressembleraient- elles au Dr Jekyll et/ou à Mr Hyde?

Introduction

Qui ne s'est pas un jour retrouvé dans une situation comme celle de voir une publicité d'entreprise (par exemple, une grande banque internationale) mettant l'accent sur son engagement en faveur du développement durable dans ses dimensions sociales et environnementales et de lire quelques secondes plus tard dans un journal économique que cette organisation est condamnée une nouvelle fois pour ses pratiques illégales? Quid d'une organisation qui intègre les dimensions environnementales au cœur de ses stratégies et activités et dont le management serait délibérément source de réel mal-être pour ses collaborateurs ? En forçant sans doute le trait, certaines organisations seraient-elles semblables à "L'étrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde," les conduisant à se comporter de façon responsable dans certains domaines et irresponsable dans d'autres ?

Sans prétendre apporter une réponse à cette question, l'objectif de cet essai est de porter un regard sur les quelques travaux consacrés à l'IrSE et sur ses liens à la RSE. Après avoir présenté brièvement une revue de la

(2)

littérature, nous isolons les dimensions utilisées pour proposer un essai de typologie des comportements des organisations en matière de RSE et/ou d'IrSE.

Le document est structuré de la façon suivante. Les premières sections présentent quelques définitions et conceptions de la RSE et de l'IrSE, et mettent l'accent sur les difficultés qui peuvent surgir quand il s'agit de délimiter les "frontières" entre ces concepts et pratiques. L'accent est mis ensuite sur les aspects de la RSE et de l'IrSe en lien aux valeurs; les questions éthiques y sont abordées. Les aspects précédents, couplés à une analyse de la littérature sur les comportements adoptés par les entreprises (ou par certains de leurs acteurs) débouchent sur le développement d'un essai de typologie.

Cadre conceptuel.

Les déclarations et les recherches sur l'éthique en entreprise et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) sont légion. Plus rares1 sont les études qui s'intéressent directement; aux pratiques irresponsables (IrSE) de certaines entreprises telles que la corruption, les violations des droits humains, le blanchiment d'argent, les pillages informatiques et internet et l'usage abusif de données privées, l'information faussée sur les caractéristiques et risques du fait des produits, la dégradation consciente de l'environnement pour n'en citer que quelques-unes. Si les exemples mentionnés ci-dessus parlent sans doute d'eux-mêmes, il est parfois difficile, dans d'autres situations, d'établir des "frontières" précises entre RSE et IrSE.

RSE et/ou IrSE?

Si les définitions et conceptions de la RSE sont nombreuses, il n'en va pas de même pour l'IrSE. Plusieurs définitions de ces concepts sont mobilisées pour préciser le cadre dans lequel se situent les réflexions présentées dans ce document.

Perspectives sur le concept de RSE.

Il existe de nombreuses définitions du concept de RSE. Pour la commission européenne, la RSE est

" L’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes" (CEE 2001) ou encore " La responsabilité des entreprises vis à vis des effets de ses activités sur la société". (CEE 2011). La première définition (CEE 2001) met l'accent sur une approche volontaire de la RSE qui va au-delà de l'approche légaliste et sur les parties prenantes alors que la seconde (CEE 2011) considère essentiellement l'impact des activités de l'organisation sur la société. D'autres définitions s'inscrivant dans la perspective de Carroll (1979,1981) mettent l'accent sur "les situations dans lesquelles les entreprises vont au-delà de la conformité et s'engagent dans des actions qui promeuvent le bien social au-delà des intérêts de l'entreprise et de ce qui est requis par la loi " (McWilliams et Siegel, 2001, p.17 traduit). La RSE a aussi été vue comme "un concept orienté vers les parties prenantes qui s'étend au-delà des frontières de l'organisation et est guidé par une compréhension éthique de la responsabilité de l'organisation eu égard à l'impact de ses activités, recherchant en retour l'acceptation par la société de la légitimité de l'organisation. (Maon, Lindgreen, Swaen, 2009, p.72 .traduit.). Cette définition ajoute aux précédentes une dimension éthique et une perspective de recherche de légitimité. D'autres définitions, qui sont aussi englobantes, étendent la notion de RSE au-delà des frontières de l'organisation. Tel est le cas de Blownfield et Frynas (2005, p.503, cités par Lund-Thomsen et Lindgreen (2014,p.12 ) qui définissent la RSE (traduit ) comme "un terme ombrelle… qui reconnait que (a) les entreprises ont des responsabilités quant à leur impact sur la société et l'environnement naturel, parfois au-delà du respect des lois et de la responsabilité individuelles (b) les entreprises ont une responsabilité pour le comportement des acteurs avec lesquels ils font des affaires ( par exemple au sein de la supply chain) et (c) que les entreprises doivent gérer les relations avec la société dans un sens plus large pour des raisons de viabilité commerciale ou pour accroître la valeur pour la société.

La pluralité des définitions du concept de RSE peut entraîner une pluralité d'interprétations des pratiques des entreprises.

Pour Gond et Moon ( 2011 p.2), la RSE fait (largement) référence à "(a) l'attente que l'entreprise est responsable envers la société - dans le sens de rendre des comptes –et pour la société – dans le sens de compenser les externalités négatives et de contribuer au bien-être social (b) l'attente que les entreprises se conduisent elles- mêmes de façon responsable, et plus spécifiquement (c) la gestion, par l'entreprise, de l'interface entreprise- société par le renforcement des relations avec les parties prenantes." (traduit). Ces auteurs notent " la qualité

1 Une consultation de la base de données EBSCO (en mai 2016) indique que les mots clefs CSR- RSE se retrouve dans plus de 13000 publications (academic -peer reviewed), ceux de business Ethics dans plus de 22000, d' unethical behaviour dans 1200 articles et celui de Corporate Social irresponsibility - 'IrSE dans environ 90 articles, en particulier depuis la publication en 2013 d'un numéro spécial du Journal of Business Research consacré à ce thème.

(3)

dynamique (de la RSE - ajouté par nous) repose en grande partie sur les développements dans les relations entre business et société- en ce compris au travers de compréhensions nouvelles ou revigorées de l'irresponsabilité".

Perspectives sur la notion d'IrSE.

Une première approche de la notion d'IrSE consisterait bien sûr à ne pas agir en conformité aux lois ou/et "aux normes sociales en vigueur". Il convient de souligner ici que les considérations de la légalité (la lettre et l'esprit de la loi), tout comme les normes sociales peuvent évoluer et varier selon les États et les sociétés. Ce qui était considéré comme (il) légal hier peut ne plus l'être aujourd'hui (et vice-versa). Le fait de ne pas obéir à des lois qui iraient à l'encontre de certains principes tels que le respect des droits humains ne peut-il être considéré comme responsable ? De même, ce qui peut être considéré comme un comportement conforme à une norme sociale ne signifie pas forcément qu'il soit responsable.

Une vue "minimaliste" consisterait aussi à considérer les effets des activités de l'organisation : "faire du mal" ou

"plus de mal", (détériorer les conditions de vie, l'environnement, etc…). Cela pose directement la question de la

"relativité" des actions eu égard aux situations et pratiques actuelles et des contextes dans lesquels les activités de l'organisation sont déployées. Une entreprise qui agit aujourd'hui de façon moins irresponsable que par le passé agit-elle pour autant de façon responsable ?

Pour Jones et al. (2009, p.304), l'IrSE consiste à "être réactif plutôt que proactif dans les façons et les moyens par lesquels l'entreprise se relie à la société". Si le caractère proactif de la RSE a été souligné dans plusieurs définitions de ce concept, des comportements réactifs sont-ils pour autant non responsables, voire irresponsables?

Une autre façon de qualifier et traiter de l'IrSE est de s'intéresser, comme cela a été mentionné plus haut, à des pratiques spécifiques. Bon nombre de travaux se situent dans cette perspective.

Reliant la notion d'IrSE à celle de RSE, Herzig et Moon (2013, p.1870), considèrent qu'étant donné que la RSE se réfère aux réponses apportées par l'entreprise, aux attentes de la société, l'IrSE peut être vue comme la non réponse ou la mauvaise réponse à ces attentes. De quelles attentes s'agit-il ?

Un autre exemple de perspective sur l'IrSE est celle qui est adoptée par Greenwood (2007). L'auteur insiste dans sa discussion sur l'engagement des parties prenantes, jugées légitimes, dans la RSE, sur le fait que cet engagement est une pratique qui est "neutre moralement" (ce qui ne signifie pas qu'elle soit a-morale). L'auteur note "L'IrSE se manifeste quand le management stratégique des parties prenantes n'est plus une pratique moralement neutre, mais devient une pratique immorale basée sur la tromperie et la manipulation des parties prenantes" (p.324, traduit).

Pour Armstrong et Green (2012), l'IrSE se préoccupe de savoir si les entreprises engagent des actions nuisibles que les gestionnaires ne seraient pas disposés à entreprendre agissant pour eux-mêmes, ou qu'une personne raisonnable s'attendrait à causer un préjudice net important quand toutes les parties prenantes sont prises en considération (traduit).

Pour Kotchen et Moon, (2012p.2), L'irresponsabilité sociale de l'entreprise est un ensemble d'actions qui accroît les coûts d'externalité et/ou promeuvent des conflits de distribution. Lange et Washburn (2012 p.308) ont avancé que les pratiques irresponsables recouvrent trois aspects principaux : - leurs effets sont indésirables - l'acteur est coupable - les parties prenantes qui subissent les effets indésirables ne sont pas complices. Enfin, comme le suggèrent Hibbert et Cunliffe (2015), l'IrSE impliquerait des actions qui démontrent un manque de respect et de prise en considération du bien-être d'autrui aux niveaux individuel et collectif.

Si ces points de vue se justifient, il est important de préciser ce que l'on entend par " externalités négatives", ou

"manque de respect et de prise en considération du bien-être d'autrui aux niveaux individuels et collectifs". Ceci ouvre le débat sur les notions de "bien-être", sur les niveaux d'analyse (individuel et collectif) et sur la légitimité de ceux (parties prenantes) qui apprécient et qualifient ces situations. Ces questions renvoient aussi à des considérations qui dépassent la sphère des entreprises, prises individuellement et/ou collectivement, en tant qu'acteurs centraux d'un système sociétal et invite à s'intéresser aux rôles des parties prenantes et aux équilibres nécessaires pour assurer un réel débat démocratique sur la RSE, le développement durable (Tihon, Ingham, 2011) qui intègre ces notions de bien-être individuel et collectif et celles qui y sont associées, telles que la dignité humaine, la justice ou le développement des capacités humaines (Nussbaum, 2011)

Ceci pourrait-il aussi s'appliquer à l'IrSE ? Un débat démocratique sur ce sujet est-il possible et/ou souhaitable ?

RSE – IRSE : une dichotomie?

(4)

Une première façon de présenter les vues sur la RSE et l'IrSe consiste à "opposer" ces notions, l'une étant l'antithèse de l'autre. Cette dichotomie se retrouverait dans différentes dimensions (Murphy, Schlegelmilch (2013), Jones, Bowd, Tench, 2009) - l'environnement (la dégradation et la pollution sont inévitables et peu de précautions sont prises (IrSE) –la dégradation de l'environnement et la pollution ne sont pas inévitables et ne devraient pas être tolérées, et il est important d'attirer l'attention sur la RSE et d'être impliqué dans l'action (RSE)), - les employés une ressource à exploiter (IrSE) versus une ressource à valoriser (RSE) – les parties prenantes (consultation et implication minimale (IrSE), versus consultation et implication maximale (RSE.) - les législations (respect minimum et "contraint" des lois en lien à la RSE (IrSE), versus respect volontaire des lois et politiques et actions qui vont au-delà des exigences légales en matière de RSE. (RSE), - les considérations éthiques: en périphérie/accessoires pour l'organisation (IrSE), versus centrales pour l'organisation (RSE) – Le profit : seul but de l'organisation et qui doit être atteint quel qu'en soit le prix (IrSE) versus le profit est un des buts qui doit être atteint mais pas à n'importe quel prix (RSE), - la soutenabilité (vue en termes de survie de l'entreprise (IrSE), versus définie en termes de survie et de croissance mutuelle de l'entreprise, de l'environnement et de la communauté (RSE),- Les fournisseurs et les clients : (traitement inéquitable (IrSE), versus traitement équitable (RSE).

Cette approche, a été adoptée par Jones, Bowd et Tench (2009) qui, s'appuyant sur la pyramide de Carrol (1979, 1999), développent un schéma conceptuel de la RSE –IrSE. Les auteurs notent que la réalité est souvent faite d'un mélange complexe d'IrSE et de RSE. Comme cela sera souligné dans les sections suivantes, RSE et IrSE coexistent dans un grand nombre d'organisations et différentes trajectoires menant de l'une vers l'autre peuvent être identifiées.

Si cette approche dichotomique permet de baliser les dimensions de la RSE et de l'IrSE, en les situant aux extrêmes d'un continuum, il n'est pas toujours aisé de dessiner les frontières et les liens entre ces notions.

RSE ou IrSE: Une "frontière" parfois difficile à tracer.

Il est parfois difficile d'identifier les frontières entre RSE et IrSE. Cette difficulté provient notamment, des perspectives que l'on adopte, des situations et des contextes dans lesquels elles se manifestent, de la nature des comportements individuels et collectifs adoptés et de leurs effets.

S'intéressant à l'évitement (l' "optimisation" diront certains) fiscal pratiqué par certaines entreprises, Dowling (2014) pose la question (traduit) " En raison du fait que le paiement des taxes d'entreprises peut être légalement évité, cette activité représente une condition limite pour la RSE. Si la loi et la RSE suggèrent qu'une entreprise doit payer sa juste part d'impôts, de nombreuses organisations prospères évitent activement cette obligation sociale; devraient-elles être considérées comme étant socialement irresponsables ? Pour Dowling (2014), la réponse à cette question n'est pas évidente et dépend du point de vue selon lequel on se place. L'auteur avance une première hypothèse selon laquelle toutes les entreprises doivent respecter la loi et la condition limite pour établir la frontière entre comportements responsables et ceux qui ne le seraient pas se situerait là où les théoriciens et les praticiens de la RSE traceraient la ligne entre l' "esprit" et la "lettre" de la loi fiscale. Ils notent aussi que, si l'on considère les parties prenantes que sont les clients, les salariés et les investisseurs, le fait d'éviter de payer des taxes peut entraîner des baisses de prix, des revenus (salaires) supérieurs, et une profitabilité plus élevée dont bénéficieraient ces parties prenantes. Cependant si l'on étend le nombre de parties prenantes aux fournisseurs, aux concurrents et au public, l'intérêt général doit être pris en compte. Enfin l'État apparaît comme étant un acteur central, ce qui est susceptible d'élargir le débat aux questions de politiques fiscales différenciées (par exemple, l'existence de "paradis" fiscaux) et de débat démocratique. ("Dumping" fiscal entre les États, concurrence fiscale entre les États ?)

Cet exemple traduit la complexité et la difficulté de délimiter les champs de la RSE et de l'IrSE et leur frontière.

Une première approche consiste, bien sûr, à se conformer aux lois, mais ceci est-il suffisant pour qualifier ces comportements de responsables ou d'exercice de la RSE, au vu des travaux et réflexions sur ces thèmes. Pour Carroll (1979), il existe différentes catégories de responsabilité; économique, légale, éthique et discrétionnaire (cette dernière catégorie étant qualifiée de philanthropique (Carroll 1991)). La présentation de ces catégories sous forme de "pyramide" laisse à penser l'existence d'une hiérarchie ou pondération (importance décroissante) de ces responsabilités. Comme le souligne Carroll (1991, p.200), "la composante économique représente la responsabilité sociale fondamentale de l'entreprise et la composante légale reconnait l'obligation de l'entreprise d'obéir aux lois. La dimension éthique est plus difficile à qualifier. Cette composante implique " les comportements et activités qui ne sont pas inscrits dans des lois mais qui ont un impact sur la performance que les membres de la société attendent de l'entreprise. La responsabilité discrétionnaire ou volontaire (philanthropique) est totalement dictée par la discrétion de l'organisation, dans la mesure où les activités ne sont

(5)

guidées ni par les lois ni par les attentes codifiées des membres de la société " (traduit). Les responsabilités qualifiées d'éthiques par Carroll rejoignent aussi une conception de la RSE qui met l'accent sur les attentes de parties prenantes de la société et s'inscrivent dans une perspective de contrat (normes) social et moral. Cette articulation des concepts de RSE et de changement du contrat social constitue une "voie étroite et féconde", vers la construction d'un nouveau paradigme, comme cela a été souligné notamment dans l'ouvrage coordonné par Jean-Jacques Rosé (2006).

Ceci conduit aussi à s'intéresser aux "frontières" qui peuvent exister entre RSE et l'IrSE en analysant plus en détail la prise en compte des parties prenantes et de leurs attentes qui peuvent parfois être " contradictoires" ou à tout le moins entrer en conflit. Quelles parties prenantes, quelles attentes devraient–elles être privilégiées ? Celles qui ont le plus de pouvoir, le plus d'intérêts ? Les parties prenantes internes ou externes (directes ou indirectes) ? Comment juger de leur légitimité ? À qui appartient-il de les sélectionner: aux actionnaires, aux directions générales,…? Barnejee (2007) argumente que, bien qu'elle fournisse une théorie alternative au modèle de l'actionnaire, les aspects descriptifs de la théorie des parties prenantes comportent des failles. Elle ne tient pas compte de toutes les parties prenantes et suggère que les entreprises répondent à celles qui ont le plus de pouvoir, et/ou formulent des demandes jugées légitimes et urgentes à l'égard de l'entreprise.

Une difficulté supplémentaire surgit quand il s'agit de prendre en compte les intérêts des parties prenantes, non seulement actuelles, mais aussi ceux des générations futures, en suivant les préceptes du développement durable, tels qu'ils ont été définis, par exemple, dans le rapport de l'ONU , "Notre futur commun" rédigé sous la direction de Jo Brundlandt (1987). Sans entrer, ici, dans les nombreux débats sur le développement durable et sur les hypothèses de durabilité qui agitent notamment les économistes (voir, par exemple, Vivien, 2008), cela pose des questions d'ordre moral et éthique et de justice intergénérationnelle. (Gosseries, 2004, 2008). Comment concilier les préoccupations et intérêts des générations actuelles et futures ? Comment et sur quelles bases établir des priorités ?

Un exemple qui a été souvent étudié est celui des désinvestissements, de la part de firmes multinationales, d'activités en Afrique du Sud durant l'Apartheid, en particulier en raison de la violation des droits de l'homme.

Comme le soulignent Rodriguez, Siegel, Hillman, et Eden, (2006) "aux yeux de bon nombre d'observateurs, ces désinvestissements constituaient des actions socialement responsables. Toutefois, Wright et Ferris (1997) (cités par Rodriguez et al.) ont nuancé voire challengé ce point de vue en soulignant que les travailleurs noirs et d'autres parties prenantes pourraient avoir souffert de ces désinvestissements, car ces entreprises avaient particulièrement soutenu leurs employés (surtout en comparaison aux autres entreprises domestiques)" (traduit).

Il a aussi été rapporté que certaines entreprises multinationales auraient enfreint les lois en matière d'apartheid, notamment en procurant à l'ensemble de leurs employés des conditions de travail semblables.

Les questions relatives à la RSE et l'IrSE peuvent aussi être étendues au-delà des "frontières" de l'organisation.

Quid de la responsabilité ou de l'IrSE (partagée) d'un donneur d'ordre vis-à-vis d'un sous-traitant dont les pratiques, connues du donneur d'ordre, relèveraient de l'IrSE ? Bon nombre de travaux sur la RSE, consacrés à la supply chain prônent une approche qui s'étend aux fournisseurs et sous-traitants et aux distributeurs en particulier quand il s'agit de préoccupations qui s'inscrivent dans la perspective du développement durable et de ses dimensions environnementales mais aussi sociales, voire sociétales. Des exemples de RSE peuvent être trouvés dans le domaine d'un "véritable" commerce équitable, ou de l'intégration des préoccupations sociales et environnementales aux différentes étapes de la "supply chain". Parmi les exemples d'IrSE, citons les terribles accidents et conditions de travail dans des usines de fournisseurs ou sous-traitants de firmes internationales ou de la distribution dans des pays comme le Pakistan ou le Bengladesh dans le secteur textile, en Inde dans celui du cuir et de la fabrication de chaussures ou encore au Qatar (notamment dans le cadre des travaux d'infrastructure réalisés en vue de la coupe du monde de football 2022).

Cette complexité et ces difficultés se retrouvent aussi dans une autre question qui est souvent débattue dans la littérature; celle du "relativisme" eu égard au concept et à l'exercice de la RSE et de l'IrSE, notamment en ce qui concerne les différences qui peuvent exister entre les systèmes sociaux, culturels, économiques, politiques qui contribuent à former les contextes dans lesquels les entreprises exercent leurs activités. Diversité culturelle et pluralisme normatif s'invitent donc au cœur du débat sur la RSE et l'IrSE, notamment quand il s'agit d'entreprises transnationales.

La RSE a ainsi été vue, comme cela a été souligné, dans une perspective de "contrat social et moral", et son exercice apprécié au travers de la conformité des comportements adoptés au vu des " normes" sociales et morales en vigueur, des valeurs qui les caractérisent et qu'elles véhiculent. Plusieurs conceptions peuvent être identifiées dans la littérature. En simplifiant, elles se situeraient entre les deux positions suivantes, mais aussi en adoptant l'une ou l'autre d'entre elles.

La première consiste(rait) à considérer l "universalité des valeurs" et des pratiques responsables, à situer par exemple celles-ci dans la perspective de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme des Nations Unies

(6)

(1948) et de ses prolongements, à s'inscrire dans le cadre des déclarations qui se sont succédées, notamment au sujet du développement durable et plus récemment des principes du Global Compact des Nations Unies qui, depuis 2005 incluent les aspects sociaux, environnementaux, de gouvernance et d'intégrité.

Selon le Global compact, "la responsabilité de l'entreprise comprend des commandements essentiels tels que le respect des droits humains, des conditions de travail décentes, la protection de l'environnement et des mesures contre la corruption (ONU Global compact, disponible sur internet).

Toutefois, comme l'indique Leisinger (2015, p.10), "la compréhension de ces responsabilités essentielles est différente, selon les contextes économiques, sociaux et culturels". Cela est à nouveau susceptible de poser la question des "frontières" entre RSE et IrSE. Cette perspective met donc l'accent sur le relativisme et la pluralité des valeurs et normes sociales en situant la réflexion dans le cadre d'une approche institutionnelle de la RSE.

Par exemple, Jones (1999) a souligné l'importance des environnements socio-culturels nationaux et du niveau de développement économique en tant que variables qui influencent la compréhension du concept de RSE et de sa pratique.

Des pratiques, jugées irresponsables dans un contexte le sont-elles dans un autre ? S'intéressant au cas des firmes multinationales, Leisinger (2015) illustre ses propos en mentionnant des exemples d'interprétations différentes de pratiques selon les contextes. Une question souvent traitée dans la littérature concerne la distinction entre le

"cadeau" qui peut être culturellement attendu et la corruption qui est condamnable. S'agissant du "cadeau", considéré, par exemple, en Chine comme une marque de respect et qui s'inscrit dans une perspective d'établissement de bonnes relations au sein d'un réseau. Celui-ci n'est pas considéré dans ce pays comme un "pot -de -vin" ou comme une forme de corruption. Tel est aussi le cas dans bon nombre de pays d'Afrique. Des exemples peuvent aussi être trouvés pour ce qui concerne les discriminations (genre, ethniques, classes sociales,…); les relations établies avec les parties prenantes et les Etats,…

Cependant, comme le soulignent Hibbert et Cunlife (2015, p.178), s'appuyant sur Gunia et al. (2012), " Ce qui est culturellement acceptable n'est pas nécessairement moralement acceptable : la culture peut renforcer des comportements éthiques ou non éthiques".

Les aspects philosophiques, moraux, religieux et éthiques s'invitent donc au débat sur la RSE et l'IrSe. Acquier et Gond (2007), rappellent que Bowen, un des auteurs fondateurs du courant de la RSE, (qualifié de Business and Society), a rédigé son ouvrage " Social responsibilities of the business man" (1953) suite à une commande d'institutions religieuses2. Les fondements philosophiques mais aussi religieux de la RSE ont été mis en lumière et discutés dans la littérature. (ex: Acquier, Gond, Igalens ,2005, Brammer et al. 2007, Persais (2006)3.). Les liens entre RSE et Éthique en entreprise ont été particulièrement soulignés. D'autre part, bon nombre de travaux sur la RSE, ont situé davantage la réflexion dans une perspective philosophique et morale; et/ou comme cela a été souligné plus haut, de développement durable.

RSE, IrSE et Éthique (en entreprise)4.

Les écrits consacrés à l'éthique en entreprise sont nombreux et se développent rapidement depuis une trentaine d'années.

Comme le soulignent Pariente, Pesqueux et Simon (2010), les définitions de l'éthique suggérées par la littérature recouvrent différents champs disciplinaires et souvent différentes réalités. Bon nombre d'auteurs ont souligné les complémentarités et liens entre éthique de conviction et de responsabilité en s'appuyant notamment sur les travaux de Weber5 et/ou mettent l'accent sur une éthique de la discussion (Habermas 1978, 1987), de délibération voire de "finitude". (Enriquez, 1993).

2 Les aspects éthiques sont évoqués ici trop brièvement.

3 Les aspects religieux, philosophiques moraux, apparaissent tantôt implicitement, tantôt explicitement dans bon nombre de travaux sur la RSE Acquier, Gond et Igalens (2005) ont par exemple mis en lumière les contributions des religions chrétiennes, (catholique et protestante) aux construits théoriques et conceptuels sur la RSE. Persais (2006) indique à ce propos que "Les grandes religions monothéistes apportent, chacune à leur manière, un message centré sur l'autre et sur le bien", en particulier ceux qui traitent de l'Éthique en entreprise, qui se sont multipliés depuis une trentaine d'années.

4 De Woot, P. " L'entreprise européenne responsable face à la globalisation" Académie des sciences morales et politiques, séance du lundi 14 juin 2004

5 De Nanteuil (2010 p.74) souligne " De manière générale, l’éthique de responsabilité est mise en rapport, chez Weber, avec les questions du sens subjectif de l’action. L’éthique de responsabilité ne peut se réduire à un simple calcul pondéré des avantages et des inconvénients d’une action. Elle soumet l’énigme de la relation à autrui à une visée de sens.

(7)

Plusieurs auteurs font référence à la notion d'Éthique de valeurs de vertu (Ketola, 2005). Cette conception de l'Éthique qui s'appuie sur les philosophes grecs met en évidence les valeurs "partagées par tous les êtres humains", rejoignant une conception d'universalité. Pour Aristote, la vertu est une voie qui se situe entre deux situations extrêmes (evils) qui traduiraient des attitudes et comportements irresponsables. La voie intermédiaire de la vertu inclut la justice, la générosité, le caractère amical, la modération, la fidélité, la flexibilité, et la fiabilité. Ces valeurs de vertu ont été appliquées aux différentes dimensions de la RSE (économique, sociale et environnementale) (Ketola,2005).

Certains ont insisté sur le fait que les courants de pensée sur l'éthique en entreprise offrent des perspectives pour éclairer les concepts et pratiques en lien à la RSE et l'IrSE. S'appuyant sur une lecture "civiliste" de l'organisation, de Nanteuil (2010) argumente que l'éthique de responsabilité est un concept qui recouvre des dimensions et comportements qui, moyennant le respect de certaines conditions, peuvent être mieux adaptés aux défis écologiques et sociaux contemporains. L'auteur souligne en conclusion de sa réflexion (p.75) que "plus que vers une responsabilité "de l'entreprise" …. Cette orientation plaide pour une extension de la charge de la responsabilité sur ceux qui la composent en particulier face à une déconnexion radicale de l'entreprise vis-à-vis de son environnement, social ou écologique".

Selon Pariente, Pesqueux et Simon (2010), la notion et les questions d'éthique en entreprise connaissent certaines dérives. S'agissant de l'éthique appliquée, ils notent "Une éthique appliquée propose les contours normatifs d’un comportement acceptable en construisant une instance de jugement, positive à l’égard de certains comportements et négative pour d’autres. Elle contribue ainsi à fonder une sorte d’idéologie des mécanismes de création de valeurs" (p.318).

Plus récemment, de Woot (2005), partant du constat selon lequel l'accélération scientifique et technique et la globalisation économique créent des problèmes que l’éthique traditionnelle n’est plus capable de traiter, et se situant dans une perspective de développement durable, plaide en faveur d'une "éthique de l'avenir". S'appuyant notamment sur Jonas (2000) il prône pour une éthique de l'avenir, qui inclue l'éthique de conviction et de responsabilité et se situe davantage dans une perspective de développement soutenable et durable. Cette éthique d'avenir, permet de dépasser les exigences de court terme. Il s'agit pour de Woot (2004) de dépasser le simple niveau de l’intégrité et de poser la vraie question éthique de notre temps : quel monde voulons-nous construire ensemble avec les immenses ressources économiques et techniques dont nous disposons ? Cela conduira l'entreprise à mettre au cœur de ses principes d'action des valeurs susceptibles d'apporter un éclairage moral à ses choix stratégiques et à ses comportements sociétaux. Comme les entreprises sont les acteurs majeurs d'un système qui ne cesse de s'accélérer et d'accroître sa complexité, ne sont-elles pas responsables aussi de participer activement à une réflexion sur les nouveaux enjeux éthiques qu'elles contribuent à créer et sur les orientations nouvelles que devrait prendre notre modèle de développement ?6"

Une RSE porteuse de sens.

Les débats et perspectives présentées ci-dessus ouvrent la réflexion sur le "sens" donné à l'engagement des entreprises en matière de RSE, par et pour ses parties prenantes "internes" mais aussi "externes" pour ce qui concerne les motifs qui les guident, les contenus des politiques qu'elles développent, les décisions qui sont prises, les actions entreprises en lien à la RSE et leurs résultats.

En se gardant d'établir une" hiérarchie" entre les valeurs et les courants de pensée qui placeraient "au-dessus des autres" par exemple celles qui ont été traditionnellement présentées comme étant "occidentales", il convient sans doute de rechercher celles qui sont communes, dans un esprit d'ouverture7 et comme cela a été mentionné, inscrites dans les différentes conventions, principes et déclarations formulées dans le cadre des Nations Unies, telle la déclaration universelle des droits humains. Il convient aussi d'élargir la perspective et de l'ouvrir davantage sur l'avenir, comme cela a été souligné à nouveau dans la "déclaration du millénaire " et/ou les principes du "Global compact" qui intègrent dimensions sociales, environnementales et éthiques du développement durable. Ceci est susceptible de donner davantage d'orientation aux initiatives d'entreprise et aux actions managériales en lien à l'exercice de la RSE. Mais une adhésion à ces principes ou autres codes de conduite, est-elle un gage de l'exercice de la responsabilité ? La réponse à cette question demeure ouverte, notamment en raison du fait que cette adhésion ne s'accompagne pas d'une évaluation précise des engagements et actions des entreprises et de leurs résultats. Tel est aussi le cas de normes et standards tels que l'ISO 26000 qui contient des lignes directrices et non des exigences et ne font pas l'objet d'une certification. Tel peut aussi être le cas des valeurs déclarées et des codes de conduite (codes éthiques,…) que les entreprises définissent et

6 De Woot, op Cit.

7 Une telle démarche est entreprise, par exemple, par la "Global Ethic Foundation" (Berkeley), et se retrouve dans les principes énoncés dans le "Global Economic Manifesto",

(8)

établissent pour guider les actions et comportements de leurs membres et qui peuvent être élargies aux relations avec leurs parties prenantes.

La RSE un mythe?

Barnejee (2007) figure parmi les auteurs, souvent cités, qui ont développé des critiques de la RSE, parfois virulentes et formulé des idées provocantes à son sujet. Comme le souligne Bansal (2009), pour cet auteur, la RSE est un discours qui peut viser à masquer des activités plus insidieuses". Malgré leur rhétorique émancipatrice, les discours des entreprises sur la citoyenneté, la responsabilité sociale et la durabilité sont définis essentiellement par les intérêts de profitabilité plutôt que par ceux de leurs parties prenantes externes qu'ils tentent de limiter. Ils visent essentiellement à légitimer et consolider le pouvoir des grandes entreprises. Ces discours peuvent aussi viser à masquer des activités plus insidieuses ou encore irresponsables. Le "bon" est que ce discours sur la RSE soit présent dans les entreprises, le " mauvais" est que, malgré leurs déclarations ou efforts, les entreprises ne sont pas capables de créer cette situation "gagnant-gagnant" avec leurs parties prenantes (pour les profits et pour les personnes) et que la recherche du profit dicte, et va continuer à dicter, leurs comportements. L' "affreux" est que les entreprises utilisent le discours de la RSE non seulement pour accroître leurs profits, mais aussi pour renforcer leur pouvoir sur la société. Par leurs discours, les entreprises nous ont convaincus que le profit est bon."

Comme le souligne Devinney (2009, p.44) "le saint graal de la RSE – (doing well by doing good) est un but illusoire qui est noble dans l'esprit mais inatteignable en pratique". Devinney prétend que la notion d'entreprise socialement responsable est potentiellement un oxymore. L'auteur développe le point de vue selon lequel, les entreprises, par leur nature même, ont des vertus et des vices qui entrent en conflit, ce qui a pour effet qu'elles ne peuvent jamais véritablement être socialement responsables, même en considérant les définitions les plus étroites de la RSE.(pp 45-46). La RSE serait de ce fait un "mythe", comme le suggère le titre de cet article. Selon Devinney, la RSE est bonne (the good), car elle libère l'intérêt entrepreneurial propre (self interest) des inventeurs, firmes, managers et investisseurs afin de résoudre les problèmes sociaux. (p.49). Le "mauvais "(the bad) côté de la RSE tient dans la supposition naïve que les entreprises sont guidées par la société et ne manipulent pas délibérément la société pour leur propre bénéfice. Le "vice" naturel des entreprises est qu'elles s'orientent vers des actions qui contribuent à résoudre des problèmes sociaux dont elles peuvent retirer des bénéfices. Enfin, l' "affreux" (the ugly) de la RSE tient au fait qu'il n'est pas évident qu'elle conduise à la performance.

Devinney (2009, p.46) se fait l'écho de la critique de la RSE formulée par Barnejee (2007) et rejoint en quelque sorte le point de vue de Greenwood (2007) sur l'engagement des parties prenantes, présenté ci-dessus. L'auteur épouse la position selon laquelle "la RSE ne peut pas être, de facto, bonne ou mauvaise et, comme tout instrument organisationnel, elle est neutre jusqu'au moment où elle est utilisée dans un contexte spécifique par des acteurs intéressés." (traduit).

Mintzberg (1983) avait déjà souligné les contributions positives de la RSE à la résolution de questions environnementales et sociales. Toutefois, l'auteur notait que dans un monde d'entreprises géantes et diversifiées, il est presque impossible d'atteindre et exercer pleinement la RSE. Plus récemment, Mintzberg (2014) indiquait qu'il ne fallait pas attendre de miracles de la RSE.. Tout en applaudissant les formes honnêtes de RSE, l'auteur note " Mais, je trouve fantaisiste de croire que les problèmes sociaux étant créés par certaines entreprises seront résolus par d'autres entreprises. Croyez-moi le commerce de détail vert ne compensera pas la pollution massive, pas plus que la responsabilité sociale des entreprises compensera l'irresponsabilité sociale des entreprises qui est devenue si répandue." (Mintzberg, 2014, p.56, Traduit)

Enfin, RSE et IrSE peuvent coexister au sein d'une organisation (Strike, Gao, Bansal, 2006). Des entreprises peuvent adopter des comportements (perçus comme étant) responsables dans certaines activités et des comportements (qui peuvent être perçus comme étant) irresponsables dans d'autres.

Les effets de l'adoption de comportements irresponsables.

La littérature consacrée aux effets de la RSE sur les performances financières est abondante. Tel n'est pas le cas pour ce qui concerne l'IrSE.

De tels comportements irresponsables peuvent affecter le succès, voire la survie de l'entreprise. Ces comportements peuvent isoler l'entreprise de la société, entraîner des effets de réputation négatifs, une baisse de la performance économique et financière, (une baisse du chiffre d'affaires, un accès plus difficile ou onéreux aux capitaux, une baisse de la valeur pour les actionnaires), voire menacer la survie de l'entreprise. (Hill, 2001).

Toutefois, comme le note Mintzberg (2014, p.57), applaudissons les entreprises qui réussissent en faisant le bien,

(9)

…mais ne prétendons pas que cela va se répandre dans le paysage des entreprises comme une sorte de "pays des merveilles" fait de gagnant-gagnant. … Bon nombre d'entreprises réussissent en faisant du mal, pendant que d'autres font le bien en se conformant à la lettre de la loi." (Traduit)

Kotchen et Moon (2012) ont indiqué que quand les entreprises font "plus de tort", elles font aussi "plus de bien", en d'autres termes, plus les entreprises font du mal plus elles auront tendances à faire du bien par la suite, et cet effet sera d'autant plus marqué que les entreprises sont actives dans des industries qui ont tendances à faire l'objet d'une plus grande attention de la part du public. Ces auteurs ont aussi analysé la mesure dans laquelle différentes dimensions/catégories sur lesquelles portent la RSE et l'IrSE, se substituent les unes aux autres (les relations avec la communauté, l'environnement, les droits humains, la gouvernance d'entreprise). Ils notent que parmi ces catégories, il existe une forte relation intra-catégorie pour ce qui concerne les relations avec la communauté, l'environnement et les droits humains. En revanche, la relation intra catégorie est faible pour ce qui concerne la gouvernance. Mais l'IrSE en matière de gouvernance accroit la RSE dans la plupart des autres catégories. Ceci signifie que quand des questions relevant de l'IrSE surgissent dans la sphère de la gouvernance, les entreprises semblent choisir d'augmenter la RSE dans les autres domaines plutôt que de réformer leur gouvernance.

Kang, Germann et Grewal (2016) identifient, quant à eux, trois mécanismes par lesquels la RSE et l'Irse peuvent être reliés à la performance: la RSE améliore la performance (good management mechanism), la RSE amende l'IrSe passée (penance mechanism), la RSE prévient l'IrSe (insurance mechanism). La recherche empirique menée par ces auteurs suggère que les entreprises qui s'engagent dans la RSE sont plus susceptibles de bénéficier financièrement de leurs investissements en RSE et que celle-ci semble souvent amender l'IrSE passée. Toutefois, ce mécanisme n'est pas efficace pour compenser les effets négatifs de l'IrSE sur la performance. Enfin, les résultats ne supportent pas l'idée que la RSE prévient l'IrSE.

Notons que l'adoption de comportements responsables étant de plus en plus considérée comme une norme, les perceptions qu'ont les observateurs de l'IrSE sont susceptibles d'entraîner des réactions plus vigoureuses de leur part et avoir des effets négatifs plus forts sur l'entreprise et les relations qu'elle entretient avec son environnement, que les réactions et effets positifs associés à la RSE (Lange, Washburn, 2012).

Armstrong et Green (2013) ont montré que les marchés dans lesquels les parties prenantes sont libres de prendre des décisions dans leur propre intérêt, sont mieux protégés contre l'IrSE. Il en va de même des activités mieux encadrées par des contrats et lois. Ceci n'empêche pas que les managers agissent parfois de façon irresponsable.

Les codes éthiques et procédures mis en place par les entreprises permettent toutefois de limiter ces risques.

L'attribution de l'IrSE:

Une question supplémentaire qui se pose est de savoir quels sont les acteurs (les parties prenantes) qui attribuent les comportements irresponsables aux organisations. Outre les cas dans lesquels de tels comportements font l'objet de condamnations par les tribunaux, plusieurs catégories d'acteurs peuvent attribuer l'IrSE aux comportements adoptés. La littérature consultée indique que trois catégories d'acteurs sont souvent citées. Les organisations non-gouvernementales (ONG), les associations de consommateurs et les consommateurs.

Lange et Washburn (2012) notent qu'en dépit de l'importance, pour l'organisation, des réactions externes aux mauvais comportements, la littérature tend à se focaliser sur les significations et les attentes eu égard aux comportements responsables, plutôt que sur celles qui ont trait aux comportements irresponsables. Partant du constat que, contrairement à la littérature consacrée à la RSE qui met l'accent sur les systèmes de valeur, les institutions et les relations avec les parties prenantes en les considérant à un niveau agrégé, les auteurs focalisent leur attention sur la façon à laquelle les attentes en matière de RSE sont des réalités sociales enracinées dans les perceptions des acteurs. Leur recherche, qui s'appuie sur la théorie de l'attribution, décrit comment l'attribution de l'irresponsabilité d'une entreprise tient dans l'évaluation subjective du caractère indésirable du comportement, de la culpabilité de l'entreprise, et de la non-complicité des parties prenantes qui sont affectées par les comportements irresponsables. Ils décrivent comment ces évaluations ont un impact sur les autres et comment elles sont influencées d'une part par les perceptions des observateurs eu égard aux effets et caractéristiques de l'entreprise considérée et d'autre part par l'identification sociale de l'observateur à la partie prenante qui est affectée par le comportement irresponsable.

Plusieurs auteurs ont analysé les effets de la communication sur l'attribution de comportements irresponsables.

Partant du constat que les rapports sur le comportement des firmes en matière de RSE sont souvent contraires à leurs standards établis de responsabilité sociale, Wagner, Lutz et Weitz (2009) ont analysé les effets des stratégies de communication que les entreprises mettent en œuvre pour réduire l'impact de ces inconsistances sur les perceptions qu'ont les consommateurs de l'hypocrisie des entreprises, sur leurs croyances eu égard à la

(10)

responsabilité sociale de l'entreprise et leur attitude envers l'entreprise. Leur étude indique qu'une stratégie de communication proactive (quand la communication de l'entreprise sur son engagement en RSE précède le comportement conflictuel) conduit à de plus hauts niveaux d'hypocrisie perçue qu'une stratégie réactive (quand les déclarations font suite au comportement observé). Dans les deux cas, une information inconsistante augmente la perception d'hypocrisie. Cette hypocrisie perçue a un effet négatif sur l'attitude envers l'entreprise, car elle a un impact négatif sur les croyances eu égard à la RSE.

Dans un même ordre d'idées, Van Hamme, Swaen, Berens et Janssen, (2015) se sont intéressé à déterminer quand la communication au sujet de la RSE a pour effet de prévenir et d'amoindrir par la suite les allégations de comportement irresponsable (dans un domaine différent) ou au contraire, d'aggraver les effets de telles allégations. La recherche met en lumière un facteur contingent important : l'indépendance de la source dans laquelle la communication sur la RSE apparait. Les effets aggravants tendent à émerger quand la communication paraît dans une source tierce alors qu'un effet tampon apparaît quand la source est contrôlée par l'organisation.

Plusieurs questions se posent quand il s'agit d'apprécier l'attribution de l'IrSE par les parties prenantes. Sur quels critères ces acteurs attribuent-ils l'IrSE ? Y a-t-il des critères objectifs et/ou objectivables ? Est-ce que la simple critique/jugement par le consommateur suffit à attribuer une irresponsabilité ? Est-ce légitime ? Quel est l'impact différencié si le comportement est attribué par des instances juridiques ou par des consommateurs par exemple?

Quel est le rôle des perceptions et attributions de l'IrSE de la part des parties prenantes internes à l'organisation;

les employés et leurs représentants?

RSE et IrSE: effets d'entraînement.

Un nombre croissant d'entreprises s'engagent de façon proactive dans des programmes et politiques de RSE, jouant de ce fait un rôle moteur et d'entrainement pour d'autres. Ceci conduit à créer des "normes" en matière de RSE et à généraliser les pratiques responsables.

D'autre part, et cela nous semble avoir été moins souvent souligné, les pratiques irresponsables de certaines entreprises peuvent entraîner des formes d' "externalités négatives" non seulement directes, comme cela est souvent souligné dans la littérature, mais aussi indirectes pour d'autres entreprises avec lesquelles les premières n'entretiennent pas de relations. Ces comportements irresponsables sont en effet, susceptibles de contribuer à véhiculer une image " négative" des entreprises auprès des publics (ou de certains d'entre eux) ayant pour effet d'établir un climat de défiance ou de méfiance, voire de discréditer les entreprises dans leur ensemble, en ce compris celles qui adoptent des comportements guidés par la RSE.

Quelques comportements "types"

Plusieurs situations et comportements en matière de RSE et/ou d'IR-SE peuvent être identifiés en s'appuyant sur ce qui précède. Nous en épinglons ici quelques-uns.

"Intégration implicite et naturelle de la RSE"

Un premier comportement consiste à intégrer "naturellement" la RSE au cœur des activités et pratiques de l'entreprise sans toutefois le déclarer explicitement ou développer de programmes de RSE spécifiques. Les actions de RSE (dans les domaines sociaux, environnementaux et sociétaux) sont alors intimement et profondément ancrées dans ses valeurs. Celles-ci étant partagées au sein de l'organisation, voire par ses parties prenantes externes directes. La RSE est, de ce fait, exercée spontanément, individuellement et collectivement par les membres de l'organisation. L'exercice de la RSE est inscrit "historiquement" dans les routines organisationnelles.

"Intégration explicite de la RSE".

Un second comportement consiste à nouveau à situer les actions de RSE au cœur des activités de l'entreprise en les situant dans le cadre de programmes de RSE explicités. Il s'agira, par exemple, dans un premier temps, d'expliciter les dimensions de la RSE dans la définition de sa vision, sa mission, ses stratégies, à les communiquer et les professer auprès des parties prenantes internes et externes, de définir des politiques et principes d'action en lien à la RSE et de mettre en œuvre des structures et processus organisationnels pour assurer l'intégration des pratiques liées à l'exercice de la RSE. Ceci conduit à interroger les routines existantes, et à promouvoir l'adoption de nouvelles routines organisationnelles. Il s'agit d'une approche qui s'inscrit souvent dans une démarche de type "top down", qui fixe un cadre général afin de guider les actions et de diffuser les pratiques au sein de l'organisation. La diffusion des pratiques et l'exercice de la RSE donnent lieu à une modification des routines, leur remplacement ou la création de nouvelles routines organisationnelles

"Intégration progressive de la RSE"

(11)

Une situation, qui emprunte aux précédentes, consiste à intégrer progressivement les dimensions de la RSE au cœur des activités de l'organisation en s'appuyant sur les réalisations et pratiques existantes en matière de RSE dans des activités périphériques, non centrales ou dans des composantes des activités centrales . Il pourra s'agir de transférer progressivement ces pratiques existantes dans l'organisation, de les partager et ensuite de les généraliser grâce au développement de programmes de RSE explicites. La démarche est davantage "bottom-up "

ou transversale dans un premier temps. Elle s'appuie sur des routines organisationnelles existantes relatives à des dimensions spécifiques de la RSE et/ ou propres aux (sous) unités de l'organisation. Le transfert et le partage des

"meilleures pratiques" de RSE ont pour effet de créer de nouvelles routines dans les unités "réceptrices". Dans un second temps, ces pratiques pourront être intégrées dans le cadre de programmes de RSE explicites afin de soutenir leur diffusion et leur généralisation dans l'ensemble des activités de l'organisation et donner lieu à des routines communes et partagées.

Les comportements présentés, ci-dessus, sont guidés par la préoccupation de "faire le bien" et de se garder de

"faire du mal" ou d'adopter des comportements irresponsables. Paradoxalement, un écart de comportement, fut-il accidentel, pourra avoir un effet plus médiatisé et davantage perçu comme irresponsable par les parties prenantes.

"Neutralité bienveillante".

Il s'agit ici de se conformer "a minima" aux normes et comportements attendus (respecter les lois, se garder de faire du mal, répondre aux "normes" sociales, aux attentes minimales des parties prenantes…) dans les activités centrales de l'organisation et à situer les actions spécifiques de RSE proactive dans des activités périphériques. Il pourra s'agir par exemple d'actions philanthropiques liées ou non aux activités centrales de l'organisation.

"Repentance" et actions correctrices

L'accent peut être mis sur les mécanismes de repentance mis en lumière par Kotchen et Moon et Kang et al.(2016). L'idée qui prévaut est que l'entreprise pourra s'engager dans des actions de RSE pour corriger des comportements irresponsables adoptés par le passé et en prévenir la reproduction. Ceci peut conduire à expliciter des principes et codes de conduite (codes éthiques) afin de promouvoir et valoriser les comportements responsables notamment dans les activités ou domaines dans lesquels les comportements irresponsables antérieurs se sont manifestés.

"Médiatisation exagérée" de la RSE"

Un autre type de comportement, consiste à ne "presque rien faire" en matière de RSE, si ce n'est de déclarer de façon explicite ses engagements et/ou de communiquer massivement sur le peu que l'on fait. Il s'agira, par exemple, de pratiquer le "green washing" ou le "social washing" dans le but essentiel de bâtir une "image de responsabilité" auprès des publics externes ou de tenter de légitimer l'entreprise et ses actions.

D'autres situations consistent à combiner actions et comportements de RSE et IrSE, soit concomitamment, soit de les substituer dans le temps.

Comme cela a été souligné plus haut, (Kotchen et Moon , 2012, Kang et al. 2016)) ont montré que les entreprises peuvent s'engager dans des actions de RSE dans certains domaines pour corriger, contrebalancer, voire masquer des pratiques irresponsables dans ces domaines ou dans d'autres.

"Écartèlement"

Une autre catégorie caractériserait les entreprises qui se trouveraient" écartelées" entre RSE et IrSE. Cet écartèlement peut prendre différentes formes. Il pourra s'agir de mener des actions et d'adopter des comportements responsables et des comportements irresponsables dans une activité ou dans des activités différentes. Une entreprise peut être responsable en matière de diversité, de respect des droits humains, de recherche du bien-être de ses employés, mais peu engagée dans le respect de l'environnement.

Il pourra, aussi, s'agir de se trouver dans des situations dans lesquelles les choix alternatifs entre comportements responsables et ceux qui ne le seraient pas seraient guidés par le souci de répondre aux attentes contradictoires des parties prenantes, privilégiant les uns tout en affectant négativement les autres. Enfin, des écarts peuvent se manifester et se creuser entre les dimensions qui sous-tendent l'intégration des pratiques responsables, entre ce qui est professé en matière de RSE et ce qui est réalisé "sur le terrain". Comme le suggèrent Kotchen et Moon

Références

Documents relatifs

Deux stratégies d ’analyse Doppler de la perfusion rénale sont cependant en cours d ’évaluation afin d’évaluer plus précisément le pro- nostic ou la perfusion rénale :

Using a rupture catalog containing thou- sands of dynamic rupture simulations on band-limited self-similar fractal fault profiles with varying roughness and background shear

and subharmonics of the 27-day solar rotation period (e.g.. Austin et al. Title Page Abstract Introduction Conclusions References Tables Figures ◭ ◮ ◭ ◮ Back Close Full Screen /

6 C’est cette présentation qui apparaît habituellement dans un manuel scolaire : Le Yaouancq (dir.) (2012).. sont premiers deux à deux. Cette visualisation a également l’intérêt

Our main purpose was to compare the re- sponses of our model’s variables in the aftermath of a positive oil price shock under three monetary rules (In‡ation targeting rule,

courantes Actif circulant hors trésorerie Passif circulant hors trésorerie Cycle de trésorerie Trésorerie – Actif Trésorerie - Passif Ce découpage permet de calculer

Comparison of solvers performance when solving the 3D Helmholtz elastic wave equations using the Hybridizable Discontinuous Galerkin method

Benefit of switching dual anti- platelet therapy after acute coronary syndrome according to on-treatment platelet reactivity: the TOPIC-VASP pre-specified analysis of the TOPIC