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Autour d’Alzen à l’époque féodale : rivalités et enjeux territoriaux entre Foix et Comminges (1150-1272)

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Autour d’Alzen à l’époque féodale : rivalités et enjeux

territoriaux entre Foix et Comminges (1150-1272)

Denis Mirouse

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Autour d’Alzen à l'époque féodale : rivalités et enjeux territoriaux

entre Foix et Comminges (1150-1272)

Denis Mirouse

Alzen est un plateau auquel on accède assez facilement par l’Est, la vallée de l’Arget et le bassin de l’Ariège. Au Sud, il donne sur des hauteurs, forêts et pacages constituant une première marche vers la montagne et ses estives. A l’Ouest, il est bordé par une vallée étroite et encaissée. Au Nord, un ressaut abrupt dénivelle vers un synclinal d’axe Est-Ouest qu’emprunte l’Arize.

Mais en réalité, bien que tourné vers Foix, ses eaux versent dans l’Arize, notamment par des voies souterraines qui alimentent une cascade. C’est sans doute pour cette raison, qu’il fut intégré avec la haute Arize (appelé Sérou ou Séronais en amont de Durban), au Couserans ecclésiastique (tel que nous le connaissons au XIVe s1). Le Séronais fut assez tôt en contact avec le monde romain pour l’exploitation minière du massif de l’Arize2, économie tournée vers Toulouse et la Méditerranée. Il fut sans doute pour cette raison d’abord sous domination toulousaine aux IIe et Ier siècles av. JC3, puis intégré à la cité du Couserans quand elle fut créée4. Et l’organisation ecclésiastique qui a pris pour cadre le territoire antique, s’est étendue sans difficulté jusqu’à Alzen, extrémité orientale du bassin versant de l’Arize.

Les eaux abondent à Alzen en surface comme sous le sol. Deux sources à proximité immédiate de l’église alimentaient une zone humide attestée dans la charte de coutume de 1309, un stagnum5. La dédicace à Saint-Martin pourrait hériter d’un ancien culte des eaux, très tôt christianisé. La dédicace à ce saint est souvent proposée comme liée à la christianisation d’un culte paien et remontant au VIes ou VIIes. Cette christianisation supposée alto-médiévale cadre bien chronologiquement avec ce que l’on sait de l’occupation du sol en haute vallée de l’Ariège : une densification de l’habitat dans le très haut Moyen Age6, qui correspondrait à une diffusion importante des toponymes formés sur le suffixe de propriété –ac7. A Alzen le hameau de Vidalac, aux abords de l’église, nous apparaît donc comme une manifestation de cette pression démographique montagnarde passée par la vallée de l’Arget au Haut Moyen Age.

La situation particulière d’Alzen, à cheval entre pays de Foix et Couserans, trouve aujourd’hui une expression originale dans sa carte communale : une section de la

1 Ch.-Éd. Perrin, J. de Font Réaulx, Pouillés des provinces d'Auch, de Narbonne et de Toulouse, Paris, 1972.

2 C. Dubois, J.E. Guilbaut, « Antiques mines de cuivre du Séronais (Pyrénées ariégeoises) », Mines et fonderies

antiques de la Gaule, comte rendu de table ronde à l’université Toulouse-Le Mirail, Toulouse, novembre 1980,

C.R.P. de Toulouse, hors-série, 1982, p.95-123.

3 Toulouse est alors la capitale politique des Volsques Tectosages, peuple gaulois connu dans l’antiquité pour sa son culte de l’or et de l’argent, métaux extraits pour beaucoup des rivières et mines pyrénéennes. Voir J.-M. Pailler (sous la dir.) Tolosa, Ecole française de Rome, 2002, p. 90.

4 En 79, Pline l’ancien situait toujours une partie des Consorani (l’orientale, donc probablement ceux de l’Arize) en Narbonnaise, alors que l’autre (ceux du Salat) était intégrée à l’Aquitaine.

5 R. Rumeau, « Charte de coutumes communales d’Alzen, canton de La Bastide de Sérou , 1309 », Bulletin de la

Société Arts et Lettres de l’Ariège (BSA), 1913.

6 D. Galop, La forêt, l’Homme et le troupeau dans les Pyrénées. 6000 ans d’histoire de l’environnement entre

Garonne et Méditerranée, Toulouse, GEODE, Laboratoire d’écologie terrestre, 1998.

7 Voir Florence Guillot, Fortifications, pouvoirs, peuplement en Sabartès (Haute-Ariège) du XIe siècle au XIVe

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commune est rattachée à l’aire linguistique languedocienne, tandis que l’autre, dite « de Languedoc » est de parler gascon. Ceci est la conséquence d’une histoire féodale compliquée, au cœur d’enjeux territoriaux, d’alliances et de conflits dont il est question ici de détailler la chronologie.

Les seigneurs d’Alzen aux XI

e

et XII

e

siècles

Alzen n’est connu dans l’histoire qu’à la fin du XIe siècle8. Une charte mentionne alors un Raymond Guillaume d’Alzen et son frère Perone. Ils y témoignaient et approuvaient la donation de l’église Saint-Michel de Sabarat par Raymond, Bernard et Roger Amiel à l’abbaye du Mas-d’Azil9. En 1130, un homonyme, Raymond Guillaume d’Alzen (peut-être le même), donna son fils Raymond à la même abbaye. Il rajouta aussi l’église et la moitié de la villa d’Aron (commune La Bastide-de-Sérou, à mi-chemin entre Alzen et Sabarat), avec l’accord de ses seigneurs, Pierre Raymond et Raymond Sans de Rabat10. En 1151 un dénommé Bernard d’Alzen donna aux mêmes bénédictins ses parts de l’église de Larbont. En témoignaient deux prêtres, celui d’Aron et celui des Bordes, limitrophe de Sabarat11.

Il ressort de cette série d’acte que la famille d’Alzen gravitait dans l’espace géographique et relationnel de la famille Amiel, descendants d’un certain Amelius Simplicius mentionné au Xe

siècle, proche des comtes de Toulouse12. De cette famille étaient issues au XIIe siècle au moins deux branches qui nous intéressent : celle de Rabat, qui s’est individualisée dans la haute vallée de l’Ariège, et celle de Pailhès, basée en Piémont, qui est restée plus toulousaine. Ainsi, au milieu du XIIe siècle, la frange sur laquelle une famille d’Alzen possède des droits qui va d’Aron au lieu éponyme, semble être sous la suzeraineté conjointe de ces deux rameaux de la famille Amiel.

Les puissants autour d’Alzen (vers 1150)

Mais si les représentants de la famille Amiel exerçaient originellement un pouvoir important, de niveau vicomtal, leurs descendants, en partie par le jeu des divisions, subirent au cours des XIe et XIIe siècles l’émergence de nouveaux comtés. Ces derniers (comtés de Foix, et de Comminges) visèrent à s’affirmer par rapport aux pouvoirs déjà établis, d’origine carolingienne (comté de Toulouse, abbaye du Mas-d’Azil) et mirent Alzen au centre de tensions territoriales.

8 Le cartulaire de Lézat (édité dans P. Ourliac, A.-M. Magnou, Cartulaire de l'abbaye de Lézat, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 1983-1987, abrégé Lézat) conserve une série d’actes qui ont été attribuées à Alzen. Je crois qu’il faut écarter définitivement cette série de mentions de notre dossier, car ces actes concernent une villa d’Ulsen qui n’est pas en Couserans puisque situé en Dalmazanès ou autre circonscription ancienne au nom proche. Un Ulsen apparait dans le cartulaire de Montsaunès au patrimoine de Dodo, comte de Comminges en 1176. Par ailleurs, au XIIIe s., des personnages originaires d’Olsen sont mentionnés dans d’autres dossiers de Lézat concernant Saint-Christaud ou Saint-Michel en Volvestre.

9 Edité dans D. Cau-Durban, Abbaye du Mas-d’Azil, Foix, Pomies, 1896 (Azil), charte n°13 et 31. Cartulaire de la fin du XIIe siècle ou début du XIIIe siècle, conservé aux Archives départementales (abrégé AD) des Pyrénées-Atlantiques (AD 64), E 475 et E 476.

10 Azil n°38. 11 Azil n°19.

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Le comte de Toulouse

Le seigneur éminent d’Alzen est donc originellement le comte de Toulouse auquel la famille Amiel est historiquement attachée. Et en 1167, en effet, est mentionné un castrum à Alzen, dont la suzeraineté revient toujours au comte Raymond V13

. Il se situe sur la bordure nord du plateau surplombant immédiatement le déversoir naturel de la cascade. Et il domine tout le Plantaurel sur un promontoire qui se détache nettement de la ligne des sommets. Avec Alzen, le comte de Toulouse mentionne aussi sa suzeraineté sur le castrum de Péreille et le pays d’Olmes. Ces secteurs venaient border au nord le Fuxéen et le Sabarthès, territoires où la domination du comte de Foix était alors en grande partie établie.

Figure 1 : Le château d'Alzen tel qu'il est figuré sur une carte de 1698 (AD09 36J).

Le comte de Foix

Le comté de Foix s’est construit progressivement à partir du XIe siècle, autour du patrimoine d’une branche de la famille de Carcassonne qui s’était basée à Foix. Cette création se fit au détriment du comté de Toulouse originel qui incluait toute la vallée de l’Ariège. Au milieu du XIIe siècle, la territorialisation de ces droits comtaux était déjà bien entamée au moyen de la construction de châteaux forts : d’abord les castra comtaux, permis par la puissance financière et les droits publics hérités, puis ceux

13 1167, « Item sit manifestum, quod ego Raimundus comes Tholose dono tibi Rogerio Bernardo Fuxensi comiti (...)

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construits par les seigneurs locaux. Ces derniers servaient en quelque sorte de monnaie d’échange dans un rapport nouveau à établir, que l’on devine d’abord possiblement conflictuel (on se fortifie) puis contractuel (on donne et on reprend en fief le castrum). Le cas des seigneurs de Rabat, branche fuxéenne de la famille toulousaine Amiel, est exemplaire de ce processus14.

L’abbaye du Mas-d’Azil

L’abbaye du Mas-d’Azil apparaît dans les textes sous Charlemagne, la 39e année de son règne, soit en 80715. Le contexte spécifique du début du IXe siècle éclaire les conditions de sa fondation. La vraisemblance voudrait que son prieuré Isil (en Pallars, Espagne, au débouché du port de Salau) ait été fondé à la suite de la reconquête du Pallars et de la Ribagorza par le comte de Toulouse peu avant 805. Ainsi donc, les deux monastères qui étaient nommés pareillement Asil dans les textes avaient historiquement le même abbé et se situaient tous deux aux portes nord et sud du Couserans. Ils constituaient donc des relais dans des zones toulousaines marginales et sur une ancienne route qu’il fallait contrôler pour administrer les deux composantes du comté toulousain, séparées par le Couserans16.

Le cartulaire d’Azil n’a pas conservé de diplômes d’immunité qui lui aurait été accordé, mais il est un fait que la fondation de l’abbaye contribua à repousser un peu le diocèse de Couserans du Plantaurel jusqu’à Peyrefitte (commune de Lescure)17. Et elle bénéficia, c’est certain, de l’antique forteresse publique de Durban ainsi que de la seigneurie justicière sur la haute vallée de l’Arize (entre Sabarat et Nescus), à cheval sur les deux pagi de Toulouse et du Couserans. Alors qu’émergeaient les comtés de Foix et de Comminges, les droits publics du territoire d’Azil étaient détenus par des chevaliers du Toulousain, nommés Guillaume Aton, époux de comtesse, et Arnaud Tardivus (le tardif ?), son frère cadet18. Les descendants de ces chevaliers prirent ensuite comme nom lignager Durban, et contraints par la réforme grégorienne, durent rendre hommage à l’abbé du château qu’ils y avaient construit.

14 Voir F. Guillot, « Seigneurs et castra en Sabartès (haute vallée de l'Ariège) aux XIe-XIIe siècles », Châteaux

Pyrénéens au Moyen-Âge, Cahors, La Louve éditions, 2009 p. 81-108.

15 Azil n°22. L’acte n’est édité que très partiellement dans l’édition de David Cau-Durban et ne rend pas compte de son importance. Une transcription et une analyse plus détaillée (mais toutefois incomplète par défaut de lisibilité de l’original) sont conservées aux Archives départementales de l’Ariège (abrégé AD 09), H 42 « Acte de donation en faveur de Calaste, abbé et du monastère St-Etienne d’Azil par Segobrand de tout ce qu’il avait acquis infra Pago Tolosano, à l’exception de ce qu’il avait acquis de Arremond, ou de (nom illisible) A l’égard de tout ce qu’il avoit acquis, tant, in termine Roddriaris, quam Merunaco et in Cassiaco avec les maisons, mesum et édifices, terres cultes et incultes, champs, vignes, bois, vergers, prés, pâturages, rivières cum decursibus, cum caricibus avec toute sortes de droits et terres adjacentes, il en fait don en faveur dudit abbé et monastère sous la réserve de cinq juments, quatre bœufs, cinq vaches et trente cochons ou brebis ».

16 Voir D. Mirouse, étude à paraître sur l’histoire et l’archéologie des voies et frontières autour du Mas-d’Azil. 17 Ainsi l’église Saint-Lizier de Stilleto, fondée peu en amont de la grotte du Mas-d’Azil, et dédiée au saint confesseur du Couserans, se trouva-t-elle au XIIIe siècle en diocèse toulousain. Et de manière symétrique au Sud, Saint-Lizier d’Alos d’Isil fut rattaché au diocèse d’Urgel.

18 « Ego Bernardus de Durban… Recognosco etiam hominium… de Castro quod vocatur Durban… quod in onore et

alodio sancti Stephani pater meus Guillelmus Ato et frater eius Arnaldus Tardiu fecerunt et Construxerunt », Azil

n°25. « Ego Bernardus de Durbanno et fratribus meis, Ato scilicet et Petro, et mater mea, comitissa… », Lézat n°12. Voir D. Mirouse, « Le site castral de Durban-sur-Arize, première approche architecturale » dans Châteaux Pyrénéens

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Bien que citée au XIe siècle dans le patrimoine de la famille de Carcassonne, l’abbaye et son territoire (limitrophe d’Alzen), semblent avoir ainsi dans les faits échappé à la domination des comtes de Foix et de Comminges.

Le comte de Comminges

La lignée comtale de Comminges semble aussi issue pour partie de la famille de Carcassonne19 ; elle s’est affirmée territorialement en parallèle de celle de Foix au sein de l’ancien pagus de Comminges. Concernant le pagus de Couserans, les droits publics pourraient être restés longtemps partagés entre Foix, Carcassonne et Comminges, au moins jusqu’en 112520. Aussi ce n’est que vers 1130 que le comte Bernard I de Comminges s’appuya sur des châteaux pour y exercer une domination exclusive.

Le premier et le plus ancien de ces châteaux était le rempart antique de Saint-Lizier, où se situait le palais épiscopal. Le comte, pour en bénéficier, en délogea l’évêque et ses habitants pendant sept ans pour les déporter autour du prieuré de Saint-Girons21. Pour le reste, il mit en place au cours du XIIe siècle, comme le comte de Foix, une organisation féodale de castra et de vassaux, qui occupa presque tout le Couserans et la basse vallée de l’Arize. Échappèrent cependant à cette domination commingeoise en Couserans les deux seigneuries de l’évêché et du Mas-d’Azil, car ces deux seigneurs évêque et abbé étaient de rang égal aux comtes, préservés par la réforme grégorienne, et peut-être avaient su trouver des chevaliers protecteurs pour tenir leurs châteaux : les Durban pour les bénédictins, et, plus tardivement, les Tersac pour l’évêque22.

L’Avantès qui s’intercale entre les deux enclaves ecclésiastiques du nord de Saint-Lizier et du Séronais, porte bien son nom. Situé au levant ou à l’avant du Comminges, il fut divisé en trois23 : sur l’axe principal qui permet de relier la basse Arize et le Volvestre, le comte construisit les castra de Montesquieu-Avantès et Contrazy ; sur le diverticule vers le Séronais, le castrum de Lescure revint à son vassal seigneur de Montégut-en-Couserans, comparable en taille et en forme ; et aux confins il établit, avant 115524, la seigneurie ecclésiastique de Combelongue, aujourd’hui Rimont, confiée à l’ordre des prémontrés pour y construire une abbaye.

Rivalités territoriales entre Comminges et Foix (Vers 1150-1167)

En 1150, Bernard I comte de Comminges, qui avait épousé l’héritière unique des seigneuries de Muret et Samatan, pu faire entrer ces territoires dans le domaine comtal25, alors même que son fils Dodon épousait une fille d’Alphonse Jourdain comte de

19 C. Higounet, Le comté de Comminges de ses origines à son annexion à la Couronne. Toulouse-Paris, Privat-Didier, 1949.

20 Année où le comte de Foix dispose encore de droits en Couserans, HGL vol.V, col.928.

21 Voir F. J. Samiac, « Rapports féodaux des évêques du Couserans et des comtes de Comminges », BSA, 1909. 22 « Notice de l’évêque Laurent », Gallia Christiana : in provincias ecclesiaticas distributa, vol. .I, col. 1129-1130. 23 La carte communale actuelle, dans ses formes comme dans la micro toponymie (Las Termas, Termery…), conserve la mémoire de cette division.

24 Date de la première charte conservée et datée de l’abbaye de Combelongue AD 09, 36 J 3/1. Ce fonds d’archive conserve aussi la copie d’une charte de fondation datée de 1120 manifestement fausse, AD 09, 36 J.

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Toulouse. Cette dernière alliance ne pouvait que l’aider à administrer ses deux domaines disjoints, des Pyrénées et du Toulousain.

Ainsi, il est probable que cela soit l’époque où le Dalmazanès (la basse Arize, entre Montesquieu-Volvestre et Sabarat) fut investi par les hommes du comte. Les premières mentions des places fortes de Camarade, Mérigon, Montbrun, et Villeneuve nous les montrent toutes tenues par des chevaliers couseranais ou commingeois, avant la fin du XIIe siècle. Et Bernard d’Eycheil qui, en 1176, apparaît comme le principal dominant sur l’actuel territoire de Campagne, est déjà (lui ou son parent homonyme), dès 1158, le garant des premières donations connues à l’abbaye de Combelongue sur ce secteur. La présence commingeoise s’étendait encore plus au nord, tendant semble-t-il à établir une continuité géographique vers Muret, ou du moins à en sécuriser la route. Ainsi Raymond At d’Aspet, proche du comte, en 115626, puis son fils Arnaud Raymond en 115727, donnèrent Canens à la commanderie templière et commingeoise de Montsaunès. Il est probable qu’alors un litige se fit jour entre Foix et Comminges-Toulouse sur ces territoires du pagus toulousain, qui pour partie (le Dalmazanès, la moitié du Volvestre) apparaissaient en 1002 dévolu à Bernard fils de Roger le vieux, avec le castrum de Foix. Et les prétentions fuxéennes contrariées par l’alliance garonnaise ont pu jouer dans le positionnement de Roger Bernard de Foix, lors des nombreux épisodes guerriers entre Toulouse et Barcelone. Notamment, le comte de Foix fut de cette vaste coalition anti-toulousaine qui finit par assiéger la ville rose en 1159, alors que celui de Comminges, sans doute resté neutre28, n’y apparaît pas.

26 1156 : Entrée de Raimond At d'Aspet au Temple de Montsaunès. Don par le même aux Templiers de divers fiefs situés à Canens et à la Pujole et de l'albergue de l'église de la Pujole, AD 31, Malte, Montsaunès, n°41, liasse 1,2. 27 1157 : Arnaud Raymond I d’Aspet donne les territoires, villes, château et église de Canens, à la commanderie templière de Montsaunès, AD 31 H Malte, Montsaunès n°41 liasse 1,2.

28 Comme le suppose C. Higounet, « Comté et Maison de Comminges entre France et Aragon au Moyen Age »,

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Figure 2 : Le monde vu d’Alzen vers 1150

Unité derrière Toulouse devant Barcelone (1167-1191)

Après le siège de Toulouse, sauvé par l’intervention du roi de France, suivit une période d’apaisement où le comte de Foix ne pouvait que se rapprocher de Toulouse. Aussi, quand les hostilités reprirent et que Roger Trencavel, en 1167, nouveau vicomte de Carcassonne se rangea au côté du roi d’Aragon, comte de Barcelone, Raymond V reprit les biens dont Trencavel était théoriquement redevable à Toulouse. Et il les confia à Roger Bernard de Foix qui venait de lui prêter serment pour Saverdun et qu’il considérait alors comme seul héritier de Carcassonne, car marié à la sœur de Trencavel. Pour sceller la fidélité nouvelle de Foix à Toulouse, il lui confia aussi cette frange du Plantaurel au nord du Pas de la Barre (commune de Foix), fortifiée par les châteaux de Péreille et d’Alzen, à charge d’hommages à renouveler.

Dès lors, pour donner corps à ces territoires du Nord, entre Saverdun et le Plantaurel, tenus en fief de Toulouse mais que le testament de Roger le vieux lui permettait de revendiquer, il restait à Roger Bernard à en fidéliser lui-même tous les seigneurs. En 1170, Bernard et Bertrand de Durban, par un processus classique de donation suivie d’une reprise en fief, durent faire hommage de leur castellum de Montégut-Plantaurel29 à Foix. Mais ceux-ci ne rendirent le château qu’à Sicard de Laurac, seigneur d’Hauterive, qui en fit simultanément de même vis-à-vis du comte de Foix. Ce montage diplomatique à deux étages conclu dans l’abbaye commingeoise de Combelongue, laisse imaginer une pression comtale importante. En 1180, Roger de Tersac était sous la

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suzeraineté de Roger Bernard quand il rendit ses églises du Volvestre à l’abbé de Lézat30.

En Dalmazanès, c’est Arnaud Raymond d’Aspet qui apparaît alors comme un proche du comte de Foix. En 1174, il obtint en fief de Roger Bernard, sans doute par un mécanisme similaire de reprise, la moitié de la villa de Daumazan, et du castellum de Villeneuve, le moulin de Labanteis, une domus à Saint-Maxens (commune du Carla-Bayle)31 ainsi que la seigneurie de Montbrun. En Couserans, Arnaud Raymond était seigneur du casal de Castanès à Montagagne, touchant à Alzen devenu fuxéen depuis 116732. On sait aussi qu’il accompagna Raymond Roger, nouveau comte de Foix, en croisade en 1189. Sans descendance mâle, il avait alors promis de donner au comte ce qu’il avait en comté de Foix s’il n’en revenait pas. Mais le reste de son patrimoine devait rester dans des mains commingeoises : à Fortanier de Comminges, fils du comte Dodon, qui épousa sa fille vers 1190 et hérita de la seigneurie d’Aspet33

; à Pons de Francasal (peut-être un autre gendre ?), à qui il transmit le casal de Castanès en Couserans34.

Ce territoire constituait de fait une zone des plus sensibles car mettant en contact en un point précis deux puissances féodales aux grandes ambitions territoriales, dont l’entente ne tenait plus à leur fidélité à Toulouse, depuis qu’en 1185, elles avaient rejoint une vaste coalition contre Raymond VI.

A nouveau divisés (1191-1209)

Le retour prématuré de Raymond Roger35, sans son compagnon de croisade Arnaud Raymond d’Aspet, correspond aussi à un nouveau rapprochement de Bernard II de Comminges avec Raymond VI. Cette période vit par conséquent un renouveau des tensions entre Foix et Comminges.

Il faut constater que les fiefs d’Arnaud Raymond en Dalmazanès, devant théoriquement revenir au patrimoine fuxéen, restèrent dans la famille de Francasal, qui ne semble pas en avoir rendu hommage avant 1229. Autre indice, dès 1191, Pons de Francasal, avec l’accord des principaux seigneurs couseranais et commingeois (Cerebrunus et Surdus de Taurignan, Bernard d’Escorneboeuf, et surtout Vital de Montégut, coseigneur de Montagagne36), préféra soustraire le casal de Castanès aux ambitions fuxéennes, en le donnant à l’hôpital de Gabre.

30 Lézat n°216, relevé par G. Pradalié, « Les Tersac, seigneurs du Volvestre », Châteaux pyrénéens au Moyen Âge, Cahors, La Louve éditions, 2009, p. 141-150.

31 Doat vol. 168 fol. 21.

32 AD 31 Malte Gabre-Capoulet n°1. 33 C. Higounet, 1947, art. cité, p 250. 34 AD 31 Malte Gabre Capoulet n°1.

35 La défense de Jérusalem qui venait d’être prise par Saladin était devenue une cause perdue.

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Gabre

La commanderie hospitalière de Gabre, dont il s’agit du premier acte connu, avait été fondée sur les terres de Bernard Amiel de Pailhès37. Située comme beaucoup d’établissements hospitaliers sur une voie importante, ses possessions occupaient aussi une bande frontalière entre les vastes seigneuries des Amiel et de l’abbaye du Mas-d’Azil (Gabre, la moitié de la villa d’Aron, qui n’avait pas été donnée au Mas-Mas-d’Azil et Suzan). Confier une zone disputée à cette commanderie avait de multiples avantages : elle passait sous la protection de Dieu, mais aussi sous la garde de moines soldats, bien souvent proches des donateurs : Bernard de Durban fut commandeur de Tor-Boulbonne en 1211 et 1212, un Bernard Amiel le fut aussi à Tor-Boulbonne et Capoulet en 1230 auquel succéda un autre Bernard de Durban38.

Volvestre

Aussi, le transfert de Castanès du Comminges aux hospitaliers apparaît bien comme les prémices d’une guerre à venir entre Foix et Comminges et dont l’enjeu était, notamment, la possession du Volvestre.

Ainsi, en 1195, le seigneur de Tersac, dont on connaissait la fidélité à Foix depuis au moins 1180, devint l’adversaire de Bernard IV de Comminges39, en tenant le château de Tourtouse pour l’évêque du Couserans Laurent. En 1198, Roger, Sancius, Gaston et Serebrunus de Ganac (sans doute un terroir vers Cazères, et non pas celui proche de Foix), autres chevaliers du Volvestre, se firent les alliés du comte de Foix dans sa guerre avec le comte de Comminges40, à l’issue de laquelle Bernard reconnut la suzeraineté de

Raymond-Roger41, et les dits de Ganac tinrent Cazères pour ce dernier42.

On ne peut donc que rapprocher cette donation du casal de Castanès en 1191 de celle de Canens au Temple en 1157, survenue dans un contexte similaire de tension territoriale avec Foix. Cependant, alors que le temple de Montsaunès était une fondation commingeoise, la commanderie de Gabre semble être restée jusqu’à la fin du XIIIe siècle liée aux Bernard Amiel43, nous amenant à nous interroger sur la fidélité du seigneur de Pailhès à Foix.

37 A qui d’autres auraient elles pu appartenir ?

38 Voir M. A. Du Bourg, Histoire du Grand-Prieuré de Toulouse, Toulouse, Louis Sistac et Joseph Boubée, 1883. 39 « Notice de l’évêque Laurent », Gallia Christiana : in provincias ecclesiaticas distributa, vol.I, col. 1129-1130. 40 1198 : promesse de protection mutuelle entre Raymond Roger et les seigneurs de Ganac (en Volvestre, entre Saint-Julien, Cazères, Saint-Christaud et Saint-Michel) durant la guerre avec le comte de Comminges (Doat, vol. 169, fol. 73r - 74r).

41 1199 : « Et en l’an mil CXCIX Mossen Bernard, comte de Comenges, reconeguec a Mossen Ramond Roger que

tout so que tenia en Volvestre, homes et fennas, tot ac tenia del comte de Foix et de sa ma et lyn fec homatge et reconeguec que, qui que sia comte de Comenges, deu esse home del comte de Foix per ladita terra de Volvestre, recebuda en lo mes de jul lodit an », extrait de la chronique d’Arnaud Esquerrier éditée dans F Pasquier; H.

Courteault, Chroniques romanes des comtes de Foix, Foix, Gadrat ainé, 1895, p.22.

42 Cazères semble être resté sous la domination du comte de Foix et de la famille de Ganac, jusqu’à ce qu’Alphonse de Poitiers la lui reprenne vers 1257, comme le souligne Roger Bernard II en 1263, « et villam de Caselis quas DD.

de Ganato tenent ab eo rege; de qua villa de Caselis spoliatus hostiliter et per vim per Seneschallum Tolosae, a VI annis citrà, » HGL vol. VIII col. 1512.

43 Il disposait à Castanès d’une fortification, la forcia de Montagagne. Tout au long du XIIIe siècle le patrimoine de la

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Pailhès

Au contraire des Durban qui devinrent vassaux du comte en 1170, Bernard Amiel ne semble jamais avoir cédé son castellum de Pailhès. Les inventaires des archives de Foix témoignent plutôt du contraire. Aucune charte n’y fut conservée attestant de sa fidélité à Foix. Et quelques analyses de chartes disparues traduisent plutôt leur distance. Ainsi, en 1194, c’est à l’issue d’un échange44 où Bernard Amiel donnait ce qu’il avait à Labarre, qu’il reçut le castrum de Baulou et prêta serment pour ce bien uniquement au comte de Foix45. En 1200, le comte put acquérir une part de la seigneurie de Pailhès, mais c’était celle dévolue à Raymond et Jourdain de Péreille (dont on peut penser qu’ils étaient aussi issus de la famille Amiel). En 1202, alors que la guerre avait repris entre Toulouse et Foix rallié à Trencavel, les inventaires mentionnent un différend survenu entre Bernard Amiel de Pailhès et Raymond Roger, lors duquel Bernard de Durban est expressément cité comme l’homme du comte46. Le différend portait probablement sur la jouissance du château de Pailhès, au regard de la séparation qui suivit du reste de la seigneurie de Montnesple devenue fuxéenne (coincée entre Pailhès et Montégut-Plantaurel, château des Durban)47.

Ainsi, les Durban, protecteurs du Mas-d’Azil, s’étaient autant éloignés du seigneur de Pailhès que Foix l’avait fait de Toulouse. Et il est possible que cet éloignement entamé dès 1170 soit à l’origine vingt ans plus tard de la fondation de la commanderie de Gabre sur la frontière entre les deux seigneuries de Pailhès et du Mas d’ Azil. Ce qui apparaît certain, c’est que la fidélité de Bernard Amiel à Toulouse contre Foix en faisait un ami du comte de Comminges quand ce dernier voulut se rapprocher de Raymond VI en 1191. Et elle suffit à expliquer la donation, cette même année, du casal de Castanès à Gabre.

Combelongue

Le comte de Comminges conserva un lien avec l’abbaye de Combelongue, semblable à celui qui unissait Gabre à Pailhès. Ses droits sur l’abbaye ont retardé jusqu’en 1272 la signature du paréage de Rimont avec le roi de France48. Et le site de Castillon (commune de Rimont), surplombant le monastère et mentionné en 126749, nous apparaît comme la manifestation physique de la présence militaire commingeoise.

Par ailleurs, l’essentiel du patrimoine acquis par l’abbaye de Combelongue dans le premier siècle de son existence se concentrait en Dalmazanès, autour de Portecluse

44 « Accord entre Raymond Roger comte de Foix et Bernard Amiel de Palers, par lequel le comte lui donne le château, justices et lieu de Baulou et Cadarcet avec ses appartenances, censives, questes, leudes et généralement tout ce qu'il peut avoir audit lieu et ledit Amiel lui donne tout ce qu'il a depuis le château de Labarre jusqu'al casse d'Amelii,... », AD 09, E 6 css19 n° 33, p. 266.

45 Doat vol.168 fol. 53.

46 « ...am Bertrand de Durban se fet home de mossen Ramon Rogier comte de Foix et sos homes et li feran ad iutory

de Bernat Amielh de Palhes et de tots homes del mon. En marge : am Bertrand de Durban se fec home de Mossen Ramon Rogier contra lo senhor de Palhes » AD 64, E 392, fol. XXXV.

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(commune de Campagne-sur-Arize), où elle fonda un petit prieuré et d’où elle exerçait un droit de justice sur un territoire qui constitue aujourd’hui la commune de Campagne-sur-Arize (incluant les villae de Ram, Curtolas, Campagne et Bonenx) à la suite de Bernard d’Eycheil50. Portecluse donnait accès à la villa d’Azil51. Au XIIe siècle, une croix marquait non loin l’entrée de la sauveté bénédictine52. Ainsi, le ressort des prémontrés en vallée de l’Arize séparait les châteaux commingeois du territoire bénédictin. Combelongue et son annexe de Portecluse, apparaissent donc comme des fondations monastiques au service des intérêts commingeois.

Montesquieu et Castillon

Le regard se porte alors sur la villa de Nant (commune de La Bastide-de-Sérou) qui touche à la seigneurie d’Alzen, parce que ce territoire, avant que La Bastide-de-Sérou y soit fondée, fut inféodé pour moitié par l’abbaye du Mas-d’Azil à celle de Combelongue53. Nant s’intercale géographiquement entre les possessions hospitalières de Gabre (Aron, Suzan et le casal de Castanès à Montagagne) et assurait manifestement une continuité à cet espace frontalier sous domination monastique. Ici aussi, le nom de Montesquieu, « mont farouche », encore attaché en 1252 à la colline qui surplombe l’église Saint-Eusèbe de Nant, signe selon nous une fortification, qui pouvait être le fait du patron de l’abbaye de Combelongue, le comte de Comminges. Montesquieu comme Castillon rappellent les deux plus proches forteresses comtales commingeoises, Montesquieu-Avantès et Castillon-en-Couserans. Et l’absence de Nant dans le contrat de paréage de 1246 entre Mas-d’Azil et Foix, traduit sûrement le respect des droits de Combelongue en ce lieu, autant que l’intérêt qu’y portait le comte de Comminges. Un tel usage des noms de fortifications transparait aussi en basse vallée de l’Arize. Plusieurs toponymes Castillon y sont mentionnés, notamment deux sur les limites nord du Dalmazanès, Sainte-Marie-de-Castillon (commune de Latrape)54 ; et un autre site sur la commune de Sieuras55. Plus au sud, le lieu de Castillon-la-Grangette (commune de Montesquieu-Volvestre) 56 fut d’ailleurs aussi une dépendance de Combelongue. Mais

50 Le chartrier de Combelongue conservé aux Archives départementales de l’Ariège sous la cote 36 J 3 en rendent compte, notamment les chartes n°9 (1158) et n°20 (1176) qui montrent l’étendue des droits de Bernard d’Eycheil « a

Martinag usque ad Curtolas, a Bordis usque ad villam novam », c’est-à-dire de Martignac (commune du

Carla-Bayle) à Curtolas (commune de Campagne-sur-Arize, limitrophe de Montfa), et des Bordes-sur-Arize à Villeneuve (commune de Daumazan).

51 En 1183, la villa de Ram confronte à « l’entrée » du Mas-d’Azil : « a villa de Curtolas usque ad introitum villa

masi asiliensis et a Romengos usque ad Eiz ». Portecluse se trouve entre Ram, Curtolas et Romengos (AD 09,

36 J 3/14).

52 En 1254, l’ introitum villa mansi asiliensi, faisant limite de la seigneurie de Campagne est nommé « cruce

mansi ». L’emplacement de cette croix disparue pourrait correspondre au microtoponyme « oratoire » que conserve la

carte IGN sur l’ancien chemin à l’aplomb de la ferme de Lafage. Doat vol.97, fol. 148-154.

53 1254, Inféodation de la moitié des revenus du comte de Foix en la bastide de Montesquieu qui est en Sérou, à l’abbaye de Combelongue, sur la base des droits que le dit monastère tenait auparavant en fief de l’abbé du Mas-d’Azil « … innitentes antiquo iuri quod habebatis ibi et tenebatis feualiter a monasterio Mansi Azilis…», Azil n°41. 54 1124 : L’église Sainte-Marie de Castillon, dépendance de Saint-Victor de Canens (Lézat n°829) est située avec vraisemblance par Henri Ménard au sommet d’un promontoire, lieu-dit Noste-Donne (commune de Latrape), H. Ménard, Églises perdues de l'ancien diocèse de Rieux, Saint-Girons, 1983, p.182-183.

55 Lézat n° 302.

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ces toponymes sont attestés dès le Xe siècle, et ne peuvent être reliés à l’occupation militaire commingeoise du XIIe siècle.

Toutefois, Castillon-la-Grangette se situait sur la serre d’Argain, frontière entre le Dalmazanès et le Volvestre ainsi que route naturelle qui amène vers l’Arize au pied du castrum de Montesquieu-Volvestre. De ce franchissement, une autre serre permettait de progresser vers le nord et de passer au pied de Sainte-Marie-de-Castillon, dépendance de Canens, et espace où, rappelons-le, la présence militaire commingeoise est avérée depuis le milieu du XIIe siècle57. Aussi ce Montesquieu du Volvestre bien que construit en Toulousain58, se révèle être aussi une fortification au service des intérêts commingeois59.

Figure 3 : Seigneuries ecclésiastiques vers 1200

Unité de circonstance devant les croisés du Nord (1209-1242)

La croisade albigeoise semble avoir considérablement atténué les relations conflictuelles. Elle a fini par fédérer, à la fin de l’année 1209, tous ces chevaliers

57 Depuis que la famille d’Aspet en céda une partie au temple de Montsaunès en 1156 (AD HG, cart. Montsaunès n°41 liasse 1, 2) et jusqu’en 1243, alors que deux chevaliers couserannais, Stéphane de Noguès, et son père Guillaume de Lescure, possédaient à Canens des casals en fief de Lézat (Lézat n°849).

58 En 1238, Raymond , comte de Toulouse récupère les parts de Gentille de Gensac, petite-fille de Roger I de Tersac, à Montesquieu, Rieux, Bezenac, Bartaldis et Gonac. Arch. nat. J 326, n°28-29, édité dans A. Teulet, Layettes du

Trésor des Chartes, Paris, 1863-1902 (abrégé Teulet), tome II p. 376 ; HGL vol. VI p.706.

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belliqueux au sein d’une résistance unifiée derrière les comtes contre les envahisseurs du Nord et l’église catholique. Dès 1211, Vital de Montégut, du premier cercle commingeois, qualifié d’hérétique par l’évêque du Couserans, dut sans doute donner des gages de catholicité. Alors, il confia le stratégique château de Camarade60 à la commanderie hospitalière de Tor-Boulbonne… mais celle-ci était dirigée par Bernard de Durban61 et patronnée par le comte de Foix62. En 1229, Roger de Francasal, héritier de Pons et donc successeur d’Arnaud Raymond d’Aspet, prêta hommage à Roger Bernard de Foix, pour ce qu’il tenait au château de Villeneuve (commune de Daumazan), dans la seigneurie de Montbrun, et à Saint-Maxens (commune du Carla-Bayle)63. Dès 1226, Raymond VII avait renouvelé à Roger Bernard de Foix, ses châteaux confiés en 116764. Puis en 1230, il y rajouta explicitement les terres de Bernard Amiel, devenu avec son beau-frère Pierre de Durban parmi les plus proches du comte de Foix65.

Nouvelles divisions devant le roi de France (1242-1249)

En 1242, alors que Raymond VII tentait depuis quelques années de se sortir des engagements pris avec la royauté au traité de Meaux, la solidarité méridionale pris fin. Roger IV, nouveau comte de Foix, pris le parti du roi de France, et de fait se retrouva en conflit violent avec Toulouse. Aussitôt Raymond appela ses vassaux à ne plus faire hommage au comte de Foix pour tout ce qui lui avait été confié en fief en échange de sa fidélité.

Bernard Amiel de Pailhès, suivant la tradition familiale, fut parmi les premiers rebelles à Foix. En 1242, il remit ses châteaux dans la mouvance directe de Toulouse, dont celui d’Alzen avec les fortifications de Montels, Cadarcet et Montagagne, exceptée bien sûr la villa de Montnesple restée fuxéenne, mais aussi le castrum de Pailhès, resté sans doute possession alleutière66. La forcia de Montagagne, construite dans le casal de Castanès, ainsi que le territoire des Garils (commune de Gabre)67

, était alors tenus par un certain Raymond de Montmaur, chevalier audois. Il apparaît donc qu’à l’occasion de cet hommage Bernard Amiel s’est peut-être retrouvé en charge de Saint-Félix-Lauragais, seigneurie reprise à Roger Bernard68 dans laquelle était inclus le castrum de Montmaur. Le comte de Comminges et ses vassaux restèrent aussi fidèles à Toulouse, ainsi que Centulle, comte d’Astarac, en présence de son cousin Bernard de Montaigut69. On ne

60 AD 31, H Malte, arch. Camarade disparue mais vue et analysée par M.A. Du Bourg, ouvr. cité, p.130. 61 AD 31, H Malte, H 47 n°2.

62 Ainsi que le revendiquait Roger Bernard II en 1263 « super dominationem hospitalis Sancti Jobannis del Tor », sans doute parce que l’établissement primitif du Tor avait été fondé sur ses terres de Boulbonne, HGL vol. VIII col. 1512.

63 Doat vol. 169, fol. 312. 64 Doat vol. 169 fol. 261. 65 HGL vol. VIII, col. 925-926. 66 Arch. nat. J 314 n°78, Teulet n°3028.

67 En 1259, Bertrand, Bernard et Arnaud frères, fils de Raymond de Montmaur, donnent le terroir des Algarils à la commanderie hospitalière de Gabre (AD 31, H Malte, Gabre Capoulet n°2).

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peut douter que les exactions rapportées en 1245 par l’abbé de Lézat autour de Montesquieu-Volvestre, et mises sur le compte de Bernard de Montaigut, tiennent à cette nouvelle guerre avec Foix70. Le comte de Foix était en paréage avec Lézat depuis 124171, et on doit sûrement à son intervention musclée la nécessité de reconstruire le castrum de Montesquieu-Volvestre en 124672

.

Entre Toulouse et Foix, le sujet le plus délicat était sans doute le château de Saverdun, en limite nord du comté, quelquefois repris par le suzerain toulousain à l’occasion des précédentes brouilles73. Ce castrum était tenu par de nombreux coseigneurs, qui, à partir de 1242, prirent, pour certains le parti de Toulouse et pour d’autres celui de Foix. Or, parmi ceux-ci, certains avaient des droits dans le château de Durban.

En effet, alors que depuis l’origine et jusqu’à Bernard et Bertrand de Durban la seigneurie en fief du Mas-d’Azil était restée indivise entre frères74, elle fut ensuite partagée entre cousins. Ainsi Marquesie, fille de Bernard de Durban, avait emporté avec elle une partie de ses droits en épousant Guillaume Bernard de Marquefave75 et en ayant un fils de lui, Arnaud76. Guillaume Bernard d’Arnave, neveu de Bernard de Durban77, disposait aussi de parts qu’il confia à Loup de Foix en 123378. Or Loup de Foix venait d’épouser Honors de Belmont, seconde épouse de Guillaume Bernard de Marquefave et donc belle-mère d’Arnaud79. Cette double alliance permit à Loup de Foix, parlant au nom d’Arnaud de Marquefave et de Guillaume Bernard d’Arnave, de supplanter Pierre de Durban (fils de Bernard ou de Bertrand) comme avoué de l’abbaye dès 123780. L’affaire de Saverdun en 1242 acheva de séparer les coseigneurs de Durban, mettant Loup de Foix et Guillaume Bernard d’Arnave dans le camp fuxéen, alors qu’Arnaud de Marquefave81 et Pierre de Durban82 restaient fidèles à Toulouse.

70 Lézat n°182. 71 Lézat n°920.

72 Lézat n°187 « quod castrum de novo rehedificatur ».

73 Notamment vers 1201 quand Raymond-Roger refusa d’en faire l’hommage, et qu’il fut alors donné un temps à Arnaud de Villemur, HGL vol. VIII col.1945.

74 Elle se transmettait jusqu’au dernier vivant de la fratrie, avant de passer aux enfants mâles de l’aîné (ou de son cadet s’ils en avaient pas).

75 1208, « Ego dominus Bernardus de Durban cum consilio at voluntate fratris mei Bertrandi de Durban et assensu

filia mea Marquesie et nepotis mei Guillelmi Bernardi Dasnava » AD 09, 36 J 3.

76 1238, « matris meo Marchesio » Doat vol.84 fol.132-134; 1272 HGL vol.IX p.4. 77 1208, AD 09, 36 J 3.

78 Doat vol.169 fol.43. 79 Doat vol.169 fol.49. 80 Azil n°40.

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Figure 4 : La division de la seigneurie de Durban

Cette division eut une réalité matérielle autour d’Alzen, où tous les belligérants étaient présents : Bernard Amiel de Pailhès déclarait y disposer, en plus du castrum d’Alzen, des forciae de Montels, de Cadarcet et de Montagagne ; et le comte de Comminges y bénéficiait des promontoires de Castillon (de Combelongue) et de Montesquieu (de Nant). Négligeant l’autorité théorique de l’abbé du Mas-d’Azil, une forcia avait aussi été construite par Loup de Foix à Antusan, limitrophe de Nant, quand Roger IV en 1243, lui demanda d’en faire un castrum et de lui en rendre hommage83.Par ailleurs, en vis-à-vis, et toujours sur le domaine bénédictin, Pierre de Durban avait aussi construit un castrum à Larbont dont il rendit hommage à Toulouse plutôt qu’à l’abbé (avec celui de Château-Verdun et le quart de Montégut-Plantaurel).

Ensuite, quand Arnaud de Marquefave, fils de Marquesie, fut fait prisonnier à Saverdun par le comte de Foix, il dut pour retrouver sa liberté, lui faire promesse de fidélité, en lui remettant sa part du château de Durban84. Cet évènement constitua un seuil important qui fit définitivement basculer la seigneurie du Mas-d’Azil dans le camp fuxéen. Larbont resta toulousain, et Nant commingeois, mais pour le reste de son territoire, l’abbé du Mas-d’Azil, dont les droits suzerains n’étaient plus vraiment considérés, n’avait plus qu’à composer avec Roger IV de Foix et son oncle Loup.

En 1246, deux autres castra, Castelnau (autre appellation spécifiquement gasconne ou création fuxéenne ?) et Roquebrune, sont mentionnés dans l’accord de paréage signé

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entre le comte et l’abbé, dans lequel ce dernier se plaignait des violences et injustices que faisaient subir les laïcs au monastère85.

Devenu coseigneur de la haute Arize, le comte investit de suite la roche d’Azil qui surplombait la croix du Mas et surveillait Portecluse (commune de Campagne-sur-Arize)86, en même temps que l’abbé de Lézat, son allié, récupérait la bastide de Fauro (Fauroux, commune des Bordes-sur-Arize) à l’autre extrémité de la seigneurie de Campagne87. Puis il prit le château de Camarade aux hospitaliers, en prétextant de sa supériorité sur la commanderie de Tor-Boulbonne88.

La même année, un paréage avec les seigneurs des castra de Thouars et Fornex le rendait coseigneur de la bastide du Pech de Malesherbes (commune de La Bastide-de-Besplas)89, faisant face à la bastide de Montesquieu-Volvestre, nouvellement créée par Raymond VII au pied du castrum.

85 AD 09, H 14.

86 Il en avait négocié avec l’abbé, l’usage en temps de guerre, bien que le lieu proche d’un dolmen ait été déjà christianisé et ne pouvait donc être partagé avec un laïc… En 1247, un petit castrum dit « de la Roche d’Azil » y était construit, occupé pour moitié par une église Saint-Martin.

87 Cette bastide avait été créée dans le casal de Fauro, par Aton de Bénaugis, époux de Ricsende de Sabarat, tous deux originaires de la vaste seigneurie des Bernard Amiel. Mais ce casal, pris sur la villa de Bonenx, avait été donné au début du XIe siècle à l’abbaye de Lézat (Lézat n°205). Aussi Aton de Bénaugis dut en rendre hommage à l’abbé en 1246 (Lézat n°624). En 1263, le comte de Foix comptait cette bastide, dépeuplée car concurrencée par celle de Campagne en contrebas, au nombre de ses fortifications sous le nom de forcia de Fauros (HGL vol. VIII col. 1512). 88 AD 31, H 317/2 (1247) et H 319/6 (1271).

89 1247, «Convention faite entre Roger comte de Foix et les seigneurs de Thouars et de Fournex de jouir conjointement de la bastide du Pech de Malesherbes près de Méras, le dit comte la moitié et les autres le reste dont ils lui feront hommage » (AD 09, E 6, Inventaire de la tour ronde caisse XX n°46). Cette bastide qui, selon sa description, occupe un promontoire entre Thouars et Méras, ne peut que se confondre avec le castrum de Belpech, dénombré par le comte de Foix en 1263 (« … et forciam et castrum de Meras, et de Lupo-alto, et de Siuranis, et de

Bello-podio, de Furnellis, de Toarcio et de Albiacho », HGL vol.VIII col. 1512). Ce site (ferme Saint-Jammes,

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Figure 5 : La densité castrale en Séronais vers 1250

Épilogue (1249-1272)

Après la mort de Raymond VII en 1249, Alphonse de Poitiers, son gendre et frère du roi, devint comte de Toulouse et suzerain des seigneurs commingeois. Alors toute la vallée de l’Arize finit par se soumettre à l’autorité de Foix, allié du roi de France.

Peu avant 1250, Pierre et Bernard de Durban se rebellèrent contre Loup de Foix, à la suite de leur père défunt Pierre, (qui aurait apparemment causé quelques destructions à Roquebrune). Alors, dans un dernier sursaut, ils prirent d’assaut la bastide d’Antusan, où ils capturèrent Roger Isarn et Bertrand, fils de Loup. Roger IV vint arbitrer le conflit et, à l’issue de plusieurs tours de table, ramener la paix en confirmant à chacune des lignées leurs droits respectifs, c’est-à-dire, largement favorable à la famille de Foix90.

Le comte de Comminges étant rentré dans le rang, on vit ensuite Roger IV récupérer Montesquieu-de-Nant et y fonder une bastide à ses pieds en 1252, en concédant à ses futurs habitants franchises et parcelles de terres91. Puis, en 1254, il finit de régler les

problèmes de droit avec Combelongue par d’autres paréages (à Nant92, dans l’ouest du

Séronais93, à Campagne94). En 1257, il pouvait, avec Loup de Foix, proposer de

90 Doat vol.171 fol. 205.

91 1252, Charte de coutumes accordée aux habitants de la ville Montis esquivi de Serone, Doat vol.95, fol. 2. 92 1254, Inféodation du quart de Montesquieu de Nant à l’abbaye de Combelongue, Azil n°41.

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semblables libéralités à Castelnau, pour créer une autre ville allotie, au pied du castrum95.

En 1272, à la mort d’Alphonse de Poitiers, le comté de Toulouse passa à la couronne de France. Alors les terres de Gabre et de Pailhès, qui étaient toulousaines, passèrent sous administration royale, intégrées aux « états de Languedoc ». Ainsi Montagagna del Rey, ancien casal de Castanès et petite portion de Gascogne, conserva cette appellation au sein de la commune d’Alzen sous le nom de « section de Languedoc ».

Conclusion

Le cas particulier d’Alzen nous a entraînés dans une histoire féodale complexe qu’il a fallu reconstituer sur plus d’un siècle et sur toute la vallée de l’Arize. En multipliant les approches, nous avons pu rendre compte bien souvent non pas de la réalité des conflits eux-mêmes mais des enjeux, des tensions inhérentes, et de leur apaisement. Nous avons bien quelques mentions de conflits comme à Cazères, à Antusan (commune de La Bastide-de-Sérou), de châteaux détruits comme ceux de Roquebrune (commune du Mas-d’Azil) ou de Montesquieu-Volvestre. Par ailleurs, les archives des comtés de Foix et de Toulouse, rendent en partie compte de la dynamique des alliances et des serments de fidélité. En complément, la lecture des cartulaires ecclésiastiques révèle bien souvent la mise sous la protection de Dieu de territoires frontaliers, apportant autant d’indicateurs sur les points d’affrontement, comme sur les intérêts laïcs qui s’y expriment.

Les épisodes qui s’en dégagent, nous apparaissent alors assez synchrones avec l’histoire régionale impliquant les comtes de Toulouse, de Barcelone, les rois d’Aragon, de France, et d’Angleterre. Les conflits dans la vallée de l’Arize sont souvent territoriaux et locaux, mais sont soumis aux arbitrages des suzerains et à leur entente. Ainsi, la chronologie de la guerre Toulouse-Barcelone au XIIe siècle, ainsi que celle de la croisade albigeoise au XIIIe siècle ont été déterminantes dans la géographie politique autour d’Alzen.

Bien entendu, l’histoire des relations conflictuelles entre Foix et Comminges ne s’arrête pas en 1272. Notamment, la guerre de succession du Béarn, à la fin du XIIIe siècle, vit le comte de Comminges prendre le parti des Armagnac contre Foix. Mais alors que la ville du Mas-d’Azil, restée frontalière, dut à cette occasion se fortifier96, l’expansion territoriale fuxéenne en Séronais avait éloigné Alzen du théâtre des opérations.

95 1257, chartes de coutumes de Castelnau-Durban, AD 09, 36 J.

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