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LA DIMENSION LATINO-AMERICAINE DE L'UNION EUROPEENNE

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Academic year: 2022

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Abel Matutes Juan

LA DIMENSION

LATINO-AMERICAINE DE L'UNION EUROPEENNE

L

1 * I Union européenne est constituée par un ensemble de ' pays ayant en commun un passé fécond. Au cours de , » 1 son histoire, chacun d'entre eux a tissé des liens particuliers avec d'autres régions du monde, développant ainsi des relations spécifiques et une sensibilité spéciale envers d'autres cultures.

Dans le cas de l'Espagne, de par son histoire, ces liens spé- ciaux sont multiples. D'un côté, la Méditerranée et l'Afrique du Nord nous sont particulièrement proches, et ce non seulement du point de vue géographique. Une multitude de facteurs, parfaite- ment décrits par Braudel, nous unissent. Etant originaire d'Ibiza, ouverte à toutes les cultures et à tous les ports de Mare Nostrum, cette facette de notre passé m'est particulièrement chère.

De l'autre côté, une autre région possède une importance spéciale pour l'Espagne : l'Amérique latine. En effet, au cours des siècles, nous avons établi des rapports uniques avec elle, une sorte

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de symbiose, à tel point qu'il est impossible de concevoir l'Amérique latine en faisant abstraction de l'Espagne et vice versa.

Il me semble que la majorité des Européens ne sont pas conscients de la particularité de ces relations. D'une part, trop de clichés empêchent d'avoir une vision nette et, d'autre part, il s'agit d'un phénomène complexe et profond, difficile à saisir vu de l'extérieur.

Pour ne citer que l'un des stéréotypes les plus communs, cha- cun connaît l'importance que les métaux précieux d'Amérique ont eu pour l'Espagne. Beaucoup de lecteurs seront sans doute surpris d'apprendre que, pendant la première moitié du XVIIe siècle, l'argent en provenance d'Amérique représentait 2 millions de ducats de recette annuelle pour la Couronne, alors que la Castille à elle seule apportait trois fois plus, à savoir 6 millions de ducats, par le biais d'impôts, ou encore que la majeure partie des possessions d'Amérique n'était pas autosuffisante, de sorte qu'il fut nécessaire de créer un mécanisme d'ajustements pour équilibrer leurs budgets.

Cela est la preuve que, dès le début, nos relations ont inté- gré des composantes beaucoup plus complexes que celles décou- lant d'une exploitation économique pure et simple ou d'une conquête agitée. En fait, un vaste réseau social, culturel, commer- cial et religieux fut créé, résultat d'un processus de mélange de sang, d'échange d'idées et de valeurs dont l'interprétation dépasse les analyses simplistes et sommaires. C'est pour cela que la tentative de Samuel Huntington de créer une prétendue « civilisation latino- américaine » dans son catalogue de civilisations n'est pas fondée, étant donné qu'aucune allusion n'est faite à une « civilisation aus- tralienne » ou même « canadienne », pour ne citer que deux exemples. Dans cet ordre d'idées, il serait plus judicieux, comme le signale le président du Brésil, Enrique Cardoso, de parler, tout au plus, d'un « Extrême-Occident » tout comme nous parlons d'un Extrême-Orient.

Tous ces éléments sont à l'origine de la symbiose à laquelle je me référais, ce contact particulier, cette identité dans une large mesure partagée, qui ne cadre pas avec les clichés faciles de la relation conquis-conquérant ou colonisateur-colonisé. Il s'agit de quelque chose d'infiniment plus subtil, plus difficile à saisir et à transmettre.

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Comment comprendre, par exemple, la réaction populaire extraordinairement généreuse du peuple espagnol quand l'ouragan Mitch a dévasté l'Amérique centrale ? La réponse nous est fournie par ce lien spécial qui, pour citer d'autres exemples, a permis à l'Espagne de jouer un rôle d'interlocuteur naturel dans les proces- sus de paix en Amérique latine, ce qui a été accepté tant par les groupes de l'opposition que par ceux au pouvoir ; ou encore le fait qu'elle ait été présente lors des accords de paix au Nicaragua, au Salvador, au Guatemala et en Colombie ; ou enfin que les Nations unies aient désigné un militaire espagnol pour diriger la mission pour le rétablissement de la paix en Amérique centrale.

L'Espagne, premier investisseur européen en Amérique latine

En raison de ces liens étroits, l'Espagne est actuellement le premier investisseur européen en Amérique latine et le deuxième au niveau mondial. Nos investissements dans cette région repré- sentent 51 % de l'ensemble de nos investissements à l'étranger. En 1996, plus de 25 % des investissements étrangers réalisés en Argentine, au Venezuela ou au Chili, entre autres pays, provenaient de l'Espagne. Il s'agit, en tout état de cause, d'investissements stra- tégiques, à long terme, non spéculatifs, qui prouvent que nos chefs d'entreprise misent sur l'avenir d'une région qui leur est particuliè- rement proche.

De leur côté, les différents gouvernements espagnols, parta- geant ce sentiment de solidarité, ont œuvré pour renforcer nos relations avec ces pays. La plus grande partie de la coopération au développement espagnole, dans tous les domaines, est consacrée à des projets en Amérique latine. En même temps, les sommets latino- américains qui garantissent le dialogue et la concertation perma- nente entre tous les pays membres se sont progressivement consolidés.

Cela dit, il n'est nullement surprenant que l'Espagne ait manifesté, lors de son adhésion à la Communauté économique européenne, sa détermination d'élargir et de renforcer les relations

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économiques, commerciales et de coopération avec les pays d'Amérique latine.

Rendre l'Union européenne

plus sensible aux problèmes latino-américains

Cet engagement pris voici plus de treize ans est devenu un élé- ment essentiel de notre politique au sein de l'Union. Il est resté inva- riable au fil des changements de gouvernement survenus dans mon pays. Il s'agit donc d'une véritable politique d'Etat reposant non seu- lement sur le consensus entre les différents partis mais aussi, ce qui est peut-être plus important, sur le consensus de tous les Espagnols.

Sur la base de ce consensus, un travail persévérant a été mené pour rendre l'Union européenne plus sensible aux pro- blèmes latino-américains, ce qui a déjà donné des fruits tangibles mais pas encore tout à fait satisfaisants. Il faut admettre que nous n'avons pas été les seuls à accomplir cette tâche. Des pays tels que le Portugal, la France et l'Italie ont aussi participé au rapproche- ment entre l'Union et l'Amérique latine.

Les résultats sont évidents et l'on peut en donner un aperçu avec quelques données significatives.

Jusqu'au moment de notre adhésion, les pays latino-améri- cains étaient simplement des « pays non associés » pour la Communauté, contrairement aux pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique). Dans un certain sens, cela impliquait qu'ils étaient prati- quement inexistants. En 1986, les aides financières à la région n'étaient que de 37 millions d'écus par an, un montant prati- quement symbolique. D'autre part, l'Amérique latine était exclue du champ d'action de la Banque européenne d'investissement (BEI).

Fort heureusement, tout cela a bien évolué. Bien entendu, différents facteurs sont intervenus. D'une part, les pays d'Amérique latine ont accordé une importance croissante à leurs relations avec l'Union et semblent vouloir les développer davantage. D'autre part, tant la Commission que nos partenaires sont de plus en plus sen- sibles aux questions latino-américaines, de sorte que, pour l'Union

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européenne, ce nouveau domaine est devenu partie intégrante de l'acquis commun.

En fait, actuellement le paquet financier de la coopération est approximativement de 500 millions d'écus ; la BEI opère régu- lièrement dans toute la région ; les délégations de la Commission sont passées de deux, en 1986, à onze actuellement ; des accords de deuxième et troisième générations ont déjà été conclus alors que, il y a treize ans, il n'y avait que des accords de première génération ayant une portée limitée ; le système des préférences généralisées a été établi et amélioré. Finalement, c'est mon senti- ment, l'approbation de mandats pour négocier des accords de libre-échange avec le Mexique, Mercosur et le Chili est d'une importance absolument fondamentale.

Rôle de la société civile

Il y a quelques semaines, ce processus de rapprochement a permis la tenue du 26 au 29 juin 1999, à Rio de Janeiro, d'un som- met Union européenne-Amérique latine et Caraïbe. Il s'agit d'un véritable point d'inflexion qui mérite, me semble-t-il, qu'on lui consacre quelques lignes.

Le sommet est le résultat d'une initiative présentée en 1996, à Vina del Mar (Chili), par le Premier ministre, M. Aznar, lors du VIe Sommet latino-américain. Ensuite, le président Jacques Chirac a accueilli le projet avec enthousiasme, et celui-ci est finalement deve- nu une proposition conjointe hispano-française. Depuis lors et jusqu'au mois de juin dernier, le gouvernement espagnol a continué à œuvrer de façon à préciser le modèle de participation, à élargir la composante américaine pour y inclure tout le sous-continent et pas seulement l'Amérique latine, à compléter l'ordre du jour, intégrant les aspects politiques, économiques et sociaux, et à définir le modèle, en adoptant une déclaration politique et un plan d'action.

Le sommet ainsi conçu a été à la hauteur des expectatives.

Dans le domaine politique, une association stratégique entre les deux régions a été établie, ce qui représente le couronnement d'un dialogue politique fructueux.

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On a également renforcé le soutien à la démocratie, au plu- ralisme, à l'Etat de droit et aux populations indigènes, tout en sou- lignant l'importance du rôle de la société civile. Il s'agit d'éléments essentiels pour permettre la consolidation des régimes démocra- tiques dans une région qui, ne l'oublions pas, est, après l'Europe et l'Amérique du Nord, le plus grand ensemble de pays partageant les valeurs qui sont à la base de la civilisation occidentale.

Dans le domaine économique, il a été convenu de soutenir les systèmes financiers nationaux, les petites et moyennes entre- prises et les sociétés mixtes, de façon à renforcer la structure indus- trielle et commerciale de ces pays. Afin de contribuer à leur stabilité économique, il a été décidé de créer des mécanismes de prévention et de règlement des crises financières et, en même temps, d'inten- sifier les relations avec l'Union à partir des accords déjà existants, tout en encourageant la signature d'autres accords. En outre, les activités de la BEI dans la région seront élargies. Finalement, le paragraphe 39 de la déclaration fait référence aux négociations actuelles et futures avec le Mexique, Mercosur et le Chili.

Dans le domaine social, il a été décidé de lutter contre l'exclusion et la pauvreté, de promouvoir les identités culturelles et linguistiques, d'intensifier la coopération en matière d'éducation et de récupérer et de préserver le patrimoine historique.

Des engagements ont également été pris en matière d'antiter- rorisme, de lutte contre la drogue, de reconstruction de l'Amérique centrale après l'ouragan Mitch et de coopération en recherche et développement, entre autres.

Un autre aspect, tout aussi important que les précédents, est le fait que le sommet ait approuvé, à la suite d'une proposition de l'Espagne, un mécanisme de suivi des résultats. Ce suivi se fera par le biais des dialogues ministériels déjà existants et d'un groupe birégional de hauts fonctionnaires dont les réunions se tiendront périodiquement. Cette idée de continuité est reprise dans la décla- ration, où il est précisé que ce premier sommet sera suivi d'un autre pendant le premier semestre de 2002. Je dois ajouter que je suis heureux qu'il ait été décidé, à l'unanimité, de tenir ce prochain sommet en Espagne.

En conclusion, après le sommet de Rio, l'Amérique latine et la Caraïbe sont devenues des partenaires de première importance

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pour l'Union par le biais d'une association stratégique. L'accord visant à engager des négociations entre l'Union et une série de pays clés a été ratifié, en vue d'une libéralisation bilatérale, pro- gressive et réciproque des échanges commerciaux. Finalement, on a assuré l'institutionnalisation du dialogue entre l'Union et ses interlocuteurs latino-américains et caraïbes.

Je considère que le bilan ne saurait être plus positif. Après le sommet, un changement significatif est intervenu dans les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine, un ensemble de pays appelés à jouer un rôle crucial sur la scène économique mon- diale au XXIe siècle, qui partagent nos valeurs politiques, culturelles et économiques, et qui sont aujourd'hui plus proches que jamais de l'Europe. J'estime que nous devons nous en féliciter. L'avenir justifiera certainement notre optimisme.

L'Espagne partage cette satisfaction en raison de sa double facette européenne et latino-américaine. Elle se réjouit du rôle très actif qu'elle a eu dans ce rapprochement, qui a facilité l'ouverture de l'Europe sur un monde considéré, jusque très récemment, loin- tain, différent et d'une importance presque secondaire. Je suis inti- mement persuadé que le gouvernement actuel et ceux qui lui succéderont maintiendront cette attitude au sein de l'Union et aussi dans les relations bilatérales.

Comme l'écrivait le philosophe espagnol Julian Marias, « l'his- toire se fait par incorporations successives ». J'ajouterai que l'Espagne a effectivement fait l'histoire par le biais de l'incorporation de l'Amérique latine aux grands courants, politiques, économiques et culturels, qui marqueront la naissance du XXIe siècle.

Abel Matutes Juan

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