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Permanences bilatérales dans l aide au développement en Afrique subsaharienne

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14 | 2010

Afrique, 50 ans d'indépendance : Dynamiques spatiales, identités, circulations

Permanences bilatérales dans l’aide au développement en Afrique subsaharienne

Thierry Simon

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/echogeo/11967 DOI : 10.4000/echogeo.11967

ISSN : 1963-1197 Éditeur

Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586) Référence électronique

Thierry Simon, « Permanences bilatérales dans l’aide au développement en Afrique subsaharienne », EchoGéo [En ligne], 14 | 2010, mis en ligne le 16 décembre 2010, consulté le 31 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/echogeo/11967 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.11967

Ce document a été généré automatiquement le 31 juillet 2021.

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Permanences bilatérales dans l’aide au développement en Afrique

subsaharienne

Thierry Simon

Introduction

1 La question de l’aide au développement à l’Afrique subsaharienne offre, depuis un demi-siècle, un champ de réflexion très ouvert, donnant lieu à une multiplicité de points de vue souvent divergents, parfois franchement opposés. Ayant fait naître autant d’espoirs qu’elle n’a engendré de difficultés, de déceptions et de rancœurs, la question de l’aide bilatérale (constituée de financements pour le développement,

« négociée » entre deux Etats) demeure encore largement ouverte. Elle autorise toujours des approches variées et des analyses diverses, générant aussi des débats productifs (Severino & Charnoz, 2007 ; Moyo, 2009 ; Severino & Debrat, 2009).

2 En Afrique subsaharienne, les aides bilatérales au développement ont été principalement concédées par les deux puissances européennes colonisatrices : France et Grande-Bretagne, qui furent par ailleurs rivales lors de la conquête de ces territoires.

Par le biais du bilatéralisme, dont le fondement repose sur des accords de coopération, les deux ex puissances tutélaires se réapproprient, sans solution de continuité, un espace géopolitique majeur au sud du Sahara. Ce demi-siècle d’actions de coopération mérite un double examen diachronique : celui des espaces de coopération, évolutifs, et celui d’une partie des flux financiers qui y furent mobilisés1. Cet examen peut certainement permettre de révéler des invariants significatifs sur le plan géopolitique.

On pressent qu’ils existent, sans qu’il ait été possible de franchement les matérialiser autrement que par des analyses générales, parfois militantes, et qui semblent parfois tourner en boucle. Un fait de départ essentiel paraît faire consensus : les nouveaux Etats africains ont semblé demeurer soumis au jeu, souvent rigide et peu transparent, des réseaux multiples et intrusifs de l’aide bilatérale au développement conçus par les

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anciennes tutelles. Il semble bien qu’à travers une part de l’aide au développement, même parcimonieusement concédée, l’Afrique demeure toujours au cœur de stratégies géopolitiques bilatérales anciennes et largement rémanentes. Cette question mérite certainement un éclairage par une approche spatialisée

Bilatéralisme, indépassable face-à-face ?

3 Au tournant des années soixante, c’est dans le théâtre conjoint de la bipolarisation issue de la guerre froide et des indépendances que se forment les réseaux de l’aide au développement, sur une base bilatérale : un face-à-face qui entretient la relation de tutelle, par d’autres moyens. Les nouveaux Etats vont se trouver inscrits, de fait, dans une forme de continuité décidée par les maîtres de ce théâtre géopolitique rapidement rénové : les acteurs en sont les départements ministériels des anciennes puissances coloniales, qui assurent le pilotage des accords de coopération, et graduellement aussi les boards des institutions internationales émergentes qui infléchissent alors leurs actions vers les Suds, notamment vers l’Afrique.

4 Dans ce contexte, le regard actuellement porté sur l’aide mérite certainement d’être examiné avec un certain recul car, plus que tout autre sujet, « L’aide au développement est un sujet propice aux idées reçues » (Severino & Debrat, 2009). Ce regard, dans la vulgate du développement, semble privilégier les grands dispositifs multilatéraux. Ils paraissent occuper une place déterminante et croissante à tous égards. Ils se sont en effet ouvertement construits comme de véritables systèmes, à dimension planétaire, cohérents et souples à la fois, et, surtout, paraissent par essence déconnectés des enjeux liés à des héritages historiques, souvent inscrits dans la longue durée. Ils paraissent ainsi pouvoir enfin associer, coordonner et mieux cristalliser les efforts des Etats contributeurs, dans une relation a priori exempte de tout clientélisme géopolitique (Faure, 2003), mais aussi ceux des multiples acteurs non gouvernementaux, dont le rôle semble bien croissant, mais certainement survalorisé.

En outre, certains de ces dispositifs semblent seuls capables de jouer un rôle important dans la construction et le renforcement d’outils communs d’intervention d’échelle transnationale et seuls capables de produire un cadre de réflexion stratégique élargi, donc riche et cohérent, même s’il est critiquable sur bien des aspects. Le groupe de la Banque mondiale a ainsi graduellement acquis une forme de suprématie sur l’ensemble de la communauté des bailleurs de fonds, une manière de « conductorat » (Simon, 2004) lui permettant désormais de largement modeler l’ensemble des politiques d’aide, notamment celles inscrites dans les cadres nationaux (par le biais de la mise en place systématique de « cadres stratégiques » au sein desquels chaque partenaire doit trouver sa place et jouer son rôle efficacement2) : cette position est due, en grande partie, au fait que la Banque mondiale est, dans le cadre de programmes nationaux d’appuis à des politiques sectorielles, le bailleur de dernier ressort. Cette position, ainsi que le volant financier souvent considérable 3 qui est potentiellement mobilisable, permet surtout à la Banque mondiale de peser très fortement sur les politiques nationales des pays qui sollicitent ses interventions et d’entraîner les autres partenaires, bilatéraux notamment, dans son sillage. Le système des Nations unies, auquel le groupe de la Banque mondiale appartient structurellement, est en partie vidé de ses prérogatives, notamment celles qui relèvent de la coordination des aides,

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normalement dévolues au PNUD… Ce sont, dans la plupart des pays, les missions d’experts venues de Washington, qui battent régulièrement la mesure.

5 Donc, si le multilatéral, grâce à ces multiples vertus, semble désormais placé au cœur de toutes les problématiques de l’aide, quelle est donc la place encore réellement dévolue aux dispositifs bilatéraux ? Cette forme de l’aide, parfois durement stigmatisée jusqu’à être réduite à des « calculs de boutiquiers » (Fabre, 2003), est-elle finalement résiduelle et inéluctablement vouée à disparaître ?

6 Il apparaît, en fait, que sur le terrain même du développement, il n’existe pas de véritable opposition entre ces deux formes de l’aide : elles marchent véritablement, et depuis longtemps déjà, de concert. Il ne convient certainement pas de les opposer dans une relation qui verrait inéluctablement les Etats transférer leurs efforts financiers du bilatéral au multilatéral. Pour un Etat donateur, il ne suffit jamais de mobiliser des financements conséquents en faveur des programmes multilatéraux : encore faut-il aussi pouvoir influencer la manière dont ces programmes vont être instruits, conçus et surtout mis en œuvre.

7 Or, l’une des meilleures manières pour ce faire consiste à exister d’abord sur la scène bilatérale, c’est-à-dire à être présent matériellement sur le terrain même de la mise en œuvre des actions de développement, dans les pays bénéficiaires, par le biais d’accord de coopération et de partenariat d’Etat à Etat. Il est stratégique d’avoir une expérience, si possible capitalisée et transmise, de disposer d’une expertise locale, ancrée de longue date dans la réalité de ces Etats. Or, c’est précisément le propre des coopérations bilatérales. Il s’agit là d’un fait stratégique, trop souvent occulté. Si un Etat donateur se contente d’abonder des fonds multilatéraux et de déléguer ou de suivre, à longue distance, leur mobilisation indifférenciée dans les pays bénéficiaires, il restreint très fortement sa marge de manœuvre géopolitique, son influence, voire son existence même dans ce système.

8 Les réalités géopolitiques sont évidemment têtues et s’inscrivent dans la longue durée.

Elles passent par des rapports de force et des réseaux d’implantation in situ, là où se fait l’action de développement. Quelques représentants actifs aux comités directeurs ou aux boards des institutions qui comptent à Washington, New York ou Bruxelles ne sont évidemment jamais suffisants. « Investir, être fort dans le multilatéral suppose de déployer beaucoup d’énergie dans le cadre de la préparation de nos positions au sein des organisations internationales et dans leur pénétration. Le meilleur de notre énergie devrait être orienté vers cet objectif, mais l’atteindre supposerait de disposer d’un bras bilatéral très fort, très structuré et, surtout, articulé avec les objectifs du multilatéral » (Severino, 2003). On ne peut être plus explicite sur le rôle stratégique et central qu’il conviendrait d’accorder, en France notamment, à une action bilatérale plus importante et plus efficace, conçue comme devant dynamiser l'influence multilatérale du pays.

9 Par ailleurs, la question de l’efficacité de l’aide, thématique qui mobilise toujours de nombreuses équipes d’économistes, dont les conclusions opérationnelles sont encore peu cohérentes, mérite aussi d’être posée sous l’angle du multilatéralisme et du bilatéralisme. On convient généralement que les multiples procédures et modalités d’intervention des bailleurs de fonds ont créé des structures parallèles et affaibli les capacités des États des pays en développement, celles de leurs encadrements stratégiques particulièrement (services financiers et budgétaires). Pendant de très longues années, les très lourds programmes pluriannuels des bailleurs de fonds multilatéraux ont ainsi été mobilisés par des « structures parallèles », créées ex nihilo et

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fonctionnant en marge des appareils d’Etat, alors que les coopérations bilatérales - ce fut le cas de celle de la France notamment -, plus souples et plus « légères » dans leurs interventions, se sont souvent attachées au renforcement des capacités institutionnelles de ces mêmes appareils d’Etat, parfois par le biais de projets spécifiques ou en incluant des volets de renforcement des encadrements dans leurs projets sectoriels 4. Ces projets ont souvent été assez innovateurs et ont, pour partie, influencé les stratégies nouvelles, celles issues notamment de la Déclaration de Paris (2005) sur l’efficacité de l’aide.

Bilatéralisme à géométrie variable

10 Il existe donc une réalité géopolitique profonde et persistante, à prendre fortement en compte en Afrique, et que l’aide bilatérale au développement est probablement à même de traiter efficacement. Dans des relations internationales tissées sur la longue durée, les Etats n’ont jamais tous des préoccupations identiques et les mêmes intérêts. En d’autres termes, les peuples n’ont jamais tous en partage les mêmes liens historiques, les mêmes solidarités culturelles et sociales, ne s’accordent pas tous sur les mêmes valeurs. Et, dans ce contexte très fortement hétérogène, l’aide bilatérale au développement ne peut en aucun cas être, en tous rapports, homologue et indifférenciée comme peut l’être - c’est d’ailleurs aussi, paradoxalement, l’un de ses avantages - l’aide multilatérale.

11 Dans le cas de la France par exemple, les liens étroits qui existent avec l’Afrique, du Maghreb aux espaces subsahariens, qu’on le veuille ou non et qu’on le déplore ou pas, sont une réalité géopolitique qui demeure centrale et très vivante. Dans le cas de la Grande-Bretagne, le schéma est fort peu différent. Le Commonwealth est lui aussi toujours vivant et les « perles » de l’Empire, devenues indépendantes, jouent encore un rôle de premier plan dans les relations que les Britanniques maintiennent avec l’Afrique. Ces véritables rémanences géopolitiques demeurent d’abord vivantes à travers les seuls dispositifs bilatéraux. France et Grande-Bretagne ont significativement pris soin de régulièrement matérialiser leur champs d’intervention en Afrique, par le biais d’une série de découpages de l’espace continental, très révélateurs.

12 La France s’est ainsi évertuée à inscrire prioritairement, d’une manière qui préserve des liens souvent séculaires, son action d’aide au développement dans un champ africain : il existe, de longue date, une continuité des appuis financiers (Cumming, 2001 ; Hugon, 2005 ; Simon, 2008). L’Afrique subsaharienne demeure toujours la destination majoritaire de ces appuis : plus de 90 % dans les années soixante, 80 % dans les années soixante dix, 63 % en 1995, 58 % en 2005, 57 % en 2009 (CAD/OCDE). La France peut ainsi affirmer, en 2007, qu’elle est en mesure de « confirmer l’Afrique comme zone d’intervention prioritaire. L’Afrique est la priorité géographique de la coopération française, avec environ 2/3 de l’aide bilatérale » (DGCID, 2007). Mais au- delà des données statistiques générales et globalisantes, n’existe-t-il pas des éléments de réflexion plus précis sur les dynamiques de l’aide bilatérale française, permettant d’entrevoir des zones de faiblesse ou de percevoir des inquiétudes quant à sa pérennité ?

13 Cette aide bilatérale française s’inscrit en effet dans des enveloppes territoriales évolutives. Ce « champ » de la coopération possède une souplesse certaine, lui permettant de se recomposer au fil des ans. Il est ajustable à tout moment, adaptable au

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gré des variations d’alliances bilatérales, des intérêts mutuels ou réciproques, ou de l’influence » internationale dont la France entend disposer, en tant que puissance européenne moyenne. Comme souvent, avec l’intention sous-jacente de s’inscrire dans une perspective qu’il espère pouvoir être perçue comme visionnaire, sinon prophétique, François Mitterrand n’hésite pas, en 1957 (donc au seuil des indépendances), à proclamer : « Sans l’Afrique, il n’y a pas d’histoire de France au XXIe siècle… » (Chafer, 2002). Toute la logique de l’aide bilatérale française semble finalement s’organiser autour de cette idée, largement partagée ensuite par les décideurs politiques successifs.

14 En 1960, cet espace d’influence est strictement conforme à la fusion des deux ensembles territoriaux issus de la colonisation : Etats, nouvellement indépendants, de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), plus Madagascar (illustration 1, étape 1). Il n’y a rien là de surprenant. Il s’agit du « pré carré » de la présence française presque séculaire dans cette partie du monde. En 1963, un premier ajustement spatial significatif a lieu. Le « champ » s’élargit considérablement, d’un coup, avec l’entrée de trois pays, anciennes colonies belges (illustration 1, étape 2) : Burundi, Rwanda et surtout l’immense Congo Léopoldville, qui deviendra Zaïre en 1971. Cet élargissement est révélateur. La France continue à inscrire son aide bilatérale dans l’espace francophone, mais elle a désormais dépassé les simples limites des territoires qui furent sous sa tutelle.

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16 En 1972 et 1973, ponctuellement et successivement, deux îles sont intégrées au champ : d’abord Maurice, puis Haïti. La continentalité africaine initiale du champ (Madagascar exclu) est cette fois révisée. Elle est d’ailleurs critiquée par les tenants d’un champ de coopération strictement africain et malgache, au prétexte qu’il ne faudrait pas affaiblir notre coopération naissante, fragile et déjà critiquée, en dispersant les moyens dans une politique qui se résumerait à : « Je sème à tous vents ! »…

17 En 1976, un nouveau tournant est pris, lorsque trois Etats lusophones, anciennes colonies portugaises, sontintégrés au « pré carré » de la coopération française : l’archipel du Cap Vert, la Guinée-Bissau et Sao Tome et Principe. Cet élargissement vient, pour la première fois, battre en brèche une règle implicite jusqu’alors adoptée, celle qui consistait à cantonner l’aide bilatérale à des territoires francophones. Il semble bien que, dès lors, l’ajustement du « champ » se fasse au coup par coup et selon des logiques d’intégration qui n’apparaissent pas toujours très clairement. Djibouti intègre le champ dès son indépendance acquise tardivement en 1977. Puis c’est le cas des Comores en 1978, de la Guinée Equatoriale (ex-colonie espagnole) et, en 1984, d’une autre Guinée, bien plus importante alors sur le plan économique comme sur le plan symbolique : la Guinée Conakry, longtemps restée à l’écart …(illustration 1, étape 3).

18 D’autres étapes de cet élargissement sont alors successivement franchies. On perçoit donc, à travers ces évolutions détaillées de l’enveloppe spatiale du « champ » que la spécificité francophone et africaine des dispositifs bilatéraux de coopération français a été régulièrement entamée. Un élargissement graduel et souvent ponctuel, sans logique apparente autre que la formation d’ensemble spatiaux régionalement plus homogènes.

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19 En 1995, l’élargissement prend une autre dimension dans la mesure même où la notion de « champ » va disparaître de manière explicite. Pas moins de 18 nouveaux pays africains sont alors intégrés dans un nouvel espace de coopération entièrement redessiné et qui change alors de nature (illustration 1, étape 4). Ces pays africains sont tous anglophones et, pour la plupart, sont d’anciennes colonies britanniques. Un pas décisif a bien été franchi, car il n’existe plus de « pré carré », cette notion étant applicable, cette fois, à une autre puissance bilatérale européenne de coopération, la Grande-Bretagne (infra) 5.

20 L’espace de la coopération bilatérale française se banaliserait-il en s’affranchissant en quelque sorte définitivement et symboliquement de « l’enfermement », et du théâtre éternel de la confrontation néocoloniale, desquels on essayait de sortir graduellement en intégrant pays lusophones ici, hispanophones et anglophones là… Cet élargissement est surtout considérable au regard des Etats concernés. En effet, des pays au très grand poids démographique, comme économique, sont concernés : l’Afrique du Sud, véritable puissance régionale et continentale, le Nigéria, « géant » à l’angle du Golfe de Guinée, à la croisée de frontières culturelles capitales pour le continent, le Soudan, vaste Etat en grande instabilité récurrente (Darfour), mais puissance pétrolière majeure et clef géopolitique à l'Est du Sahel… En réalité, la France, par cette évolution majeure, aligne son espace de coopération bilatérale avec l’enveloppe de la coopération multilatérale européenne : les pays Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP). Toutes les évolutions de détail antérieures (ouvertures vers les Caraïbes, le Pacifique, l’Asie,) allaient d’ailleurs, on le perçoit clairement a posteriori, en ce sens.

21 En 1998, une ultime évolution spatiale est entérinée, à l’occasion de la dernière réforme du dispositif de coopération (illustration 1, étape 5). La notion de « champ », évidemment très connotée négativement et faisant bien trop implicitement référence à ces complicités douteuses desquelles on cherche à définitivement s’éloigner, est transformée en Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP). Cette ZSP est présentée comme un espace dans lequel l’aide bilatérale va pouvoir être engagée de manière sélective et concentrée, alors même que le nombre de pays concernés, le nombre de régions du monde impliquées n’ont jamais été aussi grands. Une certitude définitive : le temps des espaces africains exclusifs semble bien révolu.

22 La Grande-Bretagne, concurrente historique de la France sur ces espaces africains, semble agir très habilement à « fronts renversés ». Alors que la France paraît se disperser dans un champ toujours plus vaste, la forte concentration géographique de l’aide bilatérale britannique parvient à surprendre. Cette concentration est simplement justifiée par la volonté de cibler les appuis en faveur des pays en développement les plus pauvres : ils sont majoritairement africains et, pour nombre d’entre eux, figurent aussi dans le Commonwealth. Il existe donc une véritable cohérence, sur la moyenne durée, dans le pilotage géographique de cette aide bilatérale. En 1990, pratiquement 60 % des apports bilatéraux britanniques d’aide publique au développement ont été répartis entre l’ensemble des pays à faible revenu (PMA). Mais en fait, la répartition de l’aide britannique épouse très fidèlement le contour géographique de l’ancien empire colonial : 70 % des ressources allant, par exemple, dans les années 1990, aux Etats membres du Commonwealth.

23 La stratégie de concentration, accompagnée d’une volonté de renforcer le pilotage de ces aides, conduit la Grande-Bretagne à concéder un rôle central à un organisme : le Department for International Development (DfID), structuré en 1997 (Gaulme, 2003).

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Jusqu’alors, la mise en œuvre de l’aide était éclatée institutionnellement, comme en France. Le DfiD va devenir une agence, présente et visible sur le terrain du développement, une véritable interlocutrice locale à travers ses 36 délégations, essentiellement africaines. Ces structures représentent le réseau de terrain britannique et constituent, en quelque sorte, ce que furent les Missions de coopération pour l’aide française : quand la France affaiblit son dispositif de terrain, la Grande-Bretagne structure le sien. Le représentant du DfID, dans chaque délégation, a le monopole de l’initiative concernant l’identification des secteurs, des instruments et des projets qui vont bénéficier de l’aide britannique, tout comme le chef de mission pour la France, en des temps révolus.

24 Les espaces du développement britanniques, tels qu’ils sont établis par le DfID, sont définis de la manière suivante : deux ensembles traditionnels, l’Afrique et l’Asie, et un ensemble hétérogène Europe, Moyen-Orient, Amériques. Ces trois divisions géographiques majeures sont elles-mêmes organisées en départements régionaux.

Ceux-ci sont enfin subdivisés en délégations nationales. Les départements régionaux peuvent être renforcés ou complétés de missions thématiques particulières et conjoncturelles. Ainsi, par exemple, au département « West Africa, Sudan » est actuellement insérée une équipe spécialiste des pays fragiles (Sierra Leone, Liberia) ou en conflit (Soudan) et de l’aide humanitaire. On remarquera aussi la mention explicite qui est faite, dans la stratégie du DfID, à des « pays-clefs ». Ce sont des Etats identifiés sur une base « régionale » pour constituer un pivot vers lequel les efforts sont spécifiquement orientés. Ils constituent, de fait, une zone de concentration ou d’attention particulière pour l’aide bilatérale britannique. Il existe donc une réelle réflexion sur le ciblage géographique de l’aide bilatérale.

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Illustration 2 - Les enveloppes spatiales de l’aide bilatérale britannique en Afrique subsaharienne.

Encart : les pays africains du Commonwealth

Réalisation : Thierry Simon, Bernard Rémy, Emmanuel Marcadé.

25 Il n’est pas exagéré d’avancer que la Grande-Bretagne semble procéder à l’inverse de la France. Elle concentre, de facto, le pilotage et la mise en œuvre de son aide bilatérale à travers un opérateur unique et hégémonique (DfID), une mutation qui semble réussie et que la France tente, dans la douleur, d’opérer depuis presque une décennie déjà, en faisant de l’AFD le pivot, mais non l’opérateur unique de l’aide, encore à ce jour. La Grande-Bretagne organise et hiérarchise spatialement son dispositif, en donnant aux délégations nationales un rôle essentiel, tout en maintenant des marges d’expertise à plus grande échelle et des possibilités d’action sur des thématiques transnationales (urgence, humanitaire, conflits,…) . La France a, dans le même temps, laissé péricliter des dispositifs de coopération (les MCAC, SCAC et, surtout, son dispositif d’assistance technique) ayant pourtant accumulé de l’expérience et de l’expertise. La Grande- Bretagne concentre ses aires d’interventions (organisées autour de « pays-clefs »), tandis que la France n’a eu de cesse, en 40 années, d’élargir par étapes successives, ou au coup par coup, son espace d’intervention.

Permanence des anciens schémas bilatéraux

26 La matérialisation des flux d’aide, rendant compte de la réalités des schémas du bilatéralisme, est délicate car il faut (re)construire, en déconstruisant souvent, le corpus statistique de ces aides : les données sont souvent opaques, assez souvent contradictoires et d’une fiabilité douteuse. Il faut donc tenter de centrer l’analyse sur des données consolidées. L’un des outils essentiel de l’aide bilatérale française a longtemps été le Fonds d’Aide et de Coopération (FAC). Il prit, en 1959, la relève du

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Fonds d’investissement économique et social (FIDES), lui-même créé en 1946. Pour mieux comprendre les éventuels invariants de l’aide bilatérale française sur la moyenne durée, une séquence de cinq cartes, représentant les engagements du FAC, sur une base décennale, a été construite. Elle permet de voir se dessiner un schéma général d’intervention financière de la France en Afrique, sur une durée de plus de 40 années.

Ce schéma quadri-décennal a l’avantage de lisser les éventuelles variations conjoncturelles annuelles et restitue la dynamique générale de l’aide projets de la France à l’Afrique. D’autres formes de l’aide (budgétaire notamment) ne sont pas prises en compte par ce schéma.

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28 Ce schéma dément une première idée reçue, régulièrement avancée et souvent reprise à des fins essentiellement polémiques, à tel point qu’elle est devenue une quasi évidence : l’aide préférentielle à certains Etats. Il n’apparaît pas clairement, dans cette diachronie, qu’il y ait eu une volonté délibérée de concentration excessive de l’aide apportée, au travers du FAC, à certains pays, faisant de ce FAC un outil strictement piloté à des fins politiques ou clientélistes (Bayart, 1995 ; Gourevitch, 2008). Certes, les cartes montrent que des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon ou Djibouti ont bénéficié d’une aide soutenue et récurrente. Cette aide régulière, tant dans la durée que dans l’importance des flux financiers mobilisés, contribue à faire de ces quatre pays des pôles du champ. Mais cette série diachronique permet aussi de remarquer que cette polarisation relative se réalise sans que des écarts réellement significatifs puissent être franchement observés avec les autres pays bénéficiaires du FAC.

29 On note également que cet outil bilatéral de financement du développement a été mis en œuvre de manière relativement continue. On lui a d’ailleurs régulièrement, et parfois violemment, reproché de constituer, pour ces pays du « champ », une sorte d’abonnement annuel. Les projets FAC auraient ainsi constitué en quelque sorte une ventilation sectorielle de financements dispensés par l’ancienne tutelle coloniale. Ces financements semblent avoir, de fait, été systématiquement reconduits à l’épuisement des enveloppes, dans une logique de substitution de nature néocoloniale, au moins jusqu’au début des années 1980. Il s’agissait aussi de continuer stratégiquement, pour la France, à demeurer très présente et influente dans certains pays, en s’insérant indirectement dans la mise en oeuvre des budgets nationaux. On peut interpréter cette manière de procéder comme étant révélatrice, en fait, d’une parfaite logique d’entrisme, permettant de facto de noyauter, par une assistance technique ad hoc associée au FAC, les administrations nationales (au premier rang desquelles se trouvent évidemment celles des finances et du budget), avec des experts coopérants, contrôlant l’exécution budgétaire.

30 La logique du FAC a été progressivement infléchie à la fin des années 1980. Bien que cet infléchissement soit important, voire décisif, il n’apparaît pas de manière sensible sur cette séquence de cartes. Il existe en effet, en matière d’aide bilatérale comme dans d’autres domaines géopolitiques, des effets d’inertie importants. C’est aussi la nature même des financements, plutôt que leur affectation géographique ou leur volume, qui se modifie. Ce changement n’est pas entièrement restituable par les cartes. Le FAC opère, à ce moment, une mutation fondamentale de l’abonnement budgétaire sectoriel vers une réelle logique de projets, a priori plus ouverte géographiquement. La fin des

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abonnements au FAC est de nature à introduire une certaine logique concurrentielle entre les services de coopération des différents pays aidés. L’enveloppe globale du FAC devient un véritable enjeu pour chacune des équipes en place et une certaine émulation s’instaure entre elles. C’est à qui saura le mieux justifier, instruire les meilleurs projets et convaincre le comité directeur du FAC. Cette stratégie concurrentielle n’est toutefois pas exempte non plus d’interférences diverses, d’ordre politique évidemment. Les poids lourds du « champ » vont indirectement continuer à faire l’objet d’une attention spéciale. En effet, dans la mesure où ils disposent d’emblée des équipes (conseillers des MCAC et coopérants) les plus importantes, ils sont souvent les plus à même de produire une expertise de projet de qualité et abondante. Ceci participe certainement à cet effet d’inertie, mentionné ci-dessus. Mais il semble désormais acquis que la logique d’abonnement, privilégiant indûment certains pays, doive malgré tout s’estomper ainsi graduellement.

31 Cet infléchissement se fait aussi dans un contexte renouvelé sur le plan institutionnel et politique. Une approche nouvelle apparaît en effet avec la mise en place de dispositifs d’analyse et d’évaluation de l’aide. Ceux-ci contribuent à transformer la logique de l’aide bilatérale française et préparent aussi les mutations structurelles qu’elle va connaître. De nombreux travaux pluridisciplinaires ont traité de ces approches évaluatives (Baré, 2001). Ce regard évaluatif se structure progressivement au ministère de la coopération et prend forme en 1988, tandis qu’en 1990 cette « culture » de l’évaluation s’installe, plus généralement, au plan interministériel. Des évaluations sectorielles (politiques de coopération éducative, culturelle,), à large spectre et conduite sur une longue période vont se multiplier à côté d’évaluation par pays, faisant un point de situation sur l’état des réalisations de la coopération bilatérale. Cet effort d’analyse critique est important et il mérite évidemment d’être relevé. La démarche est évidemment délicate. Conduite avec du recul, objectivement et sincèrement, elle peut aboutir à des remises en cause déstabilisantes à tous niveaux, surtout dans un secteur délicat régulièrement accusé de turpitudes et d’ignominies diverses. Ces risques sont assumés et l’on peut effectivement dire qu’une véritable ingénierie de l’évaluation au développement s’est mise en place en France, essentiellement dans les années 1989-1997, au Ministère de la Coopération. Cette accumulation graduelle d’analyses va constituer un matériau de réflexion essentiel, notamment pour les équipes chargées de la mise en place des projets FAC sur le terrain. Le corpus des évaluations a certainement contribué à remodeler très concrètement et de manière décisive l’aide bilatérale française.

32 Au tournant des années 1990, la cartographie diachronique exprime, indirectement mais nettement, le fléchissement des flux financiers de l’aide bilatérale française à l’échelle continentale, tous instruments de l’aide confondus. Les projets FAC mobilisés en faveur des pays d’Afrique subsaharienne se raréfient. Ils voient également leur volume financier moyen fléchir. Une véritable rétraction de l’enveloppe du FAC est visible sur cette séquence cartographique. Aucun nouveau pays bénéficiaire n’émerge vraiment, aucune zone nouvelle de concentration de l’aide projet n’apparaît. Le schéma général de répartition des financements demeure identique sur trois décennies. On semble assister à une véritable anémie progressive de l’aide bilatérale, visualisée à travers cet outil essentiel qu’est le FAC. Évidemment, durant la même période, d’autres types d’aides financières sont également mobilisées : des aides budgétaires, affectées ou

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non, et des prêts du « premier guichet »6. Ces financements ne compensent que très partiellement cette rétraction incontestable de l’aide projet du FAC.

33 Le « Fonds de Solidarité Prioritaire » (FSP), instrument actuel de l’aide-projet du ministère des Affaires étrangères, prend le relais du FAC en 1998. Le changement de dénomination n’est pas neutre : à l’aide se substitue désormais la solidarité. Il remplace donc le FAC, et il en conserve certains traits essentiels. Il permet notamment de maintenir un dispositif de financement non soumis à l’annuité budgétaire. Le FSP a pour vocation de financer, par dons uniquement, l’appui apporté par le ministère des Affaires étrangères aux pays de la « zone de solidarité prioritaire » en matière de développement institutionnel, social, culturel et de recherche. Il semble que l’on commence enfin à observer une réelle cohérence dans la mise en pratique de l’élargissement du champ d’intervention de l’aide bilatérale française. Cet élargissement se traduit par la mise en place de partenariats réels, dans des secteurs clefs pour l'influence française, l’éducation ou la coopération institutionnelle notamment. Cette remarque est à compléter par une autre observation : les pays d’Afrique non francophones font désormais également l’objet de partenariats dans le secteur éducatif. Il existe donc un réel élargissement de l’expertise française grâce à cet outil renouvelé de l’aide bilatérale qu’est le FSP.

34 Concernant le Grande-Bretagne, si l’on porte un regard rétrospectif sur la cadrage géographique de l’aide bilatérale, on voit très nettement émerger quelques Etats où l’aide s’est ancrée dans la durée à des niveaux élevés : Nigeria et Ghana, Soudan, Ouganda et Kenya. Au-delà de l’évolution politique de ces pays, parfois singulièrement tragique (Ouganda) ou peu conforme avec les règles de la bonne gouvernance, la Grande-Bretagne a imperturbablement continué à assurer le financement de programmes bilatéraux variés. Ces appuis se sont souvent déroulés sans suspension ou interruption passagère des décaissements (comme cela fut parfois pratiqué avec le FAC concernant l’aide française), avec régularité, dans des secteurs jugés stratégiques : développement rural, infrastructures de transport et de santé notamment. La fameuse logique d’abonnement, à connotation néocoloniale, qui fut accolée au FAC, a semble-t-il assez largement prévalu dans l’aide bilatérale britannique. Il faut noter par ailleurs que cette continuité de l’aide britannique s’est faite tout en douceur, sans que des polémiques de grande ampleur se fassent jour sur la mise en place de compromissions douteuses ou de réseaux pervertissant l’usage des aides.

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36 Il paraît aussi intéressant d’examiner la cohérence des engagements pris en faveur des pays dont la situation économique et sociale semble la plus dégradée et la réalité des flux d’aide bilatérale gérés, ces dernières années, par le DfID. Avec 50 % de la dotation bilatérale globale, l'Afrique subsaharienne en est désormais la première bénéficiaire.

Elle est suivie par l'Asie du Sud. Ces dix dernières années, les principaux destinataires de l'aide bilatérale britannique sont encore l'Inde et le Bangladesh, mais aussi l’Ouganda, le Mozambique, la Tanzanie et la Zambie. Malgré la multiplicité des bénéficiaires, l’aide britannique semble bien commencer à connaître désormais un timide mouvement de concentration en faveur d’un nombre relativement limité de pays qui ne sont pas forcément ceux avec lesquels les liens historiques sont les plus forts, ni ceux qui disposent d’un poids économique substantiel. Cette concentration

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voulue et annoncée n’apparaît pas toutefois très évidente encore : il ne s’agit que d’une amorce, car des variabilités interannuelles dans les financements montrent que le dispositif n’est pas totalement stabilisé. Les contributions britanniques envers les pays à revenus intermédiaires se concentrent bilatéralement sur un nombre de plus en plus limité de pays. En 2005 et en 2006, puis en 2007 et 2009, le DfID a concédé ses plus importants décaissements d’aide bilatérale à un quatuor de grands Etats : l’Inde et le Bangladesh (un invariant asiatique de l’aide bilatérale britannique), mais aussi le Soudan et la Tanzanie. Ce schéma de base reconstitue en quelque sorte un double duopole, asiatique et africain, qui mobilise plus du quart de l’aide bilatérale britannique. Ce duopole est bien entendu le reflet des relations privilégiées et impériales que la Grande-Bretagne a pu entretenir avec ces régions, car ces pays constituent des ancrages symboliques avec ce passé qui pèse encore. Mais ces duopoles s’inscrivent aussi dans le réseau très contemporain des relations d’intérêts commerciaux.

37 La part de l’aide bilatérale britannique orientée vers l’Afrique a vu son importance augmenter fortement au cours de la dernière décennie, passant de 37 % en 1980 à 48,5 % en 1990. L’Asie du Sud voit en revanche sa part s’effondrer de 40 % à 26 %, entre 1980 et 1990. Ce constat va évidemment à l’encontre d’une idée reçue à propos de l’aide bilatérale britannique, selon laquelle les grands pays asiatiques (notamment l’Inde) seraient les principaux bénéficiaires de l’aide au développement, les miettes revenant aux pays africains, (Block, 2001). Il convient de fortement nuancer. La liste des principaux pays bénéficiaires de l’aide britannique est à cet égard des plus significatives. Ainsi, en 1990, l’Inde reste certes en tête avec 5 % du total de l’aide bilatérale, après avoir reçu en 1980 18 % du total (25 % dans les années soixante). Le Bangladesh arrive en deuxième position. Mais les onze des douze pays suivants sont des pays d’Afrique subsaharienne : le Kenya, troisième bénéficiaire, le Malawi, quatrième bénéficiaire, le Zambie, le Zimbabwe et la Tanzanie cumulant à eux seuls près de 10 % des versements bruts d‘aide publique effectués.

38 On constate aussi que l’aide bilatérale britannique est toujours partiellement contrainte, comme son homologue française et pour des causes identiques, par un système reconduit de relations qui génèrent géographiquement un schéma fortement influencé par l’héritage historique et colonial. Ce schéma, tel qu’il apparaît à travers la cartographie des flux d’aide, même si elle est incomplète, n’est évidemment pas perceptible dans les brèves analyses sur l’affectation géographique de l’aide qui sont conduites par les services du DfID, notamment dans les rapports annuels produits et diffusés par l’agence. Il n’y a évidemment pas une volonté délibérée de masquer cette réalité. Elle est en fait tellement intégrée aux consciences, comme un fait permanent et sous-jacent, qu’elle ne mérite probablement même pas d’être signalée.

39 Les inflexions, voire les ruptures qui ont pu être annoncées du fait de l’arrivée au pouvoir, ces toutes dernières années, d’équipes ayant affirmé une volonté et une vision nouvelle vis-à-vis de l’Afrique, en Grande-Bretagne avec le New labour (Gaulme, 2003) et plus récemment en France (Thiam, 2008), ne sont pas franchement perceptibles à travers la réalité des flux financiers de l’aide. Ceux-ci ne traduisent pas de réorientations majeures, ni de ruptures décisives. Ce terme symbolique de rupture continue pourtant à ponctuer le discours politique tenu par l’actuel exécutif français, alors que tous les faits montrent un certain caractère régressif de la politique africaine

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de la France, pilotée de manière opaque au plus haut niveau, sans que des inflexions géopolitiques réellement significatives soient intervenues.

Conclusion

40 La France entretient, la Grande-Bretagne aussi, avec un grand nombre d’Etats d’Afrique subsaharienne issus des indépendances, un réseau complexe de liens anciens et durables, au premier rang desquels l’aide bilatérale occupe une place essentielle. Celle- ci semble s’être inscrite dans la longue durée, malgré les controverses qu’elle suscite régulièrement et bien que des variations sensibles de flux financiers puissent se traduire par un affaiblissement, notamment dans un contexte global de crise financière et économique. Malgré tous les aléas, ces dispositifs bilatéraux se sont avérés robustes et adaptables, ayant su s’ajuster régulièrement durant un demi-siècle. Les grands systèmes multilatéraux montent certes en puissance, mais sans atteindre à l'hégémonie.

41 La France et le Grande-Bretagne n’ont jamais paru disposées à basculer, au plan opérationnel, l’essentiel de leurs ressources pour le développement vers ces systèmes auxquels elles sont pourtant parties prenantes depuis toujours. D’autant que la donne géopolitique en Afrique subsaharienne s’est compliquée ces dernières années avec l’émergence de nouveaux acteurs bilatéraux, comme la Chine (Guérin, 2008), le Brésil (Lafargue, 2008), ou l’Afrique du Sud (Onana, 2008). Un bilatéralisme nouveau se fait donc jour sur un modèle de base qui fut celui, longuement éprouvé, par les anciennes puissances coloniales. Ces nouvelles puissances multiplient les accords de coopération bilatéraux tous azimuts, bien souvent léonins et surtout fortement asymétriques.

42 Aussi, il n’est pas exagéré de penser que ces nouveaux schémas d’un bilatéralisme en construction accélérée génèrent très vite une nouvelle forme de tutelle qui peut évidemment contenir, à terme, une confrontation possible entre les deux systèmes.

Entre l’ancien et le nouveau, il n’est certainement pas inscrit que ce dernier puisse aussi aisément s’imposer qu’il y paraît. Nombre d’Etats africains peuvent être légitimement tentés, comme certains le firent avec habileté dans les années 1970 et 1980, de tirer parti de cette nouvelle forme de compétition en gestation, voire même de réactiver, à l’expérience déçue d’un bilatéralisme nouveau par trop déséquilibré, le bilatéralisme ancien moins exigeant économiquement et plus respectueux de proximités socioculturelles patiemment construites. Ce contexte nouveau est peut-être aussi l’occasion pour nombre d’Etats subsahariens d’éprouver leur solidité politique et d’affirmer la cohérence de leurs choix de développement. Dans cette concurrence des deux bilatéralismes, si ces Etats trouvent et suivent une trajectoire claire et cohérente, appuyée sur des partenariats éprouvés et consolidés, les anciennes puissances tutélaires pourraient retrouver de nouvelles marges d’intervention.

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NOTES

1. Une part de ces financements peut notamment être analysée d’après les bases de données statistiques compilées et produites à l’OCDE : http://puck.sourceoecd.org/vl=4206135/cl=16/

nw=1/rpsv/dotstat.htm

2. « La Stratégie d’aide-pays (CAS) (…) est élaborée par des membres de la Banque lors de réunions avec des responsables gouvernementaux, en consultation avec les autorités locales, les organisations de la société civile, les partenaires de l’aide au développement et autres acteurs.

(…) Cette stratégie vise à encourager la collaboration et la coordination entre les différents partenaires qui soutiennent un pays en développement. » http://web.worldbank.org/WBSITE/

EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PROJECTSFRE/0,,contentMDK:21961441~menuPK:5534773~pagePK:

41367~piPK:51533~theSitePK:2748750,00.html

3. Sans qu’il soit possible d’établir un rapport très précis (qui nécessiterait un travail comparatif exhaustif sur le moyen terme), il paraît établi que les montants (prêts concessionnels) affectés par la Banque mondiale à des appuis politiques sectoriels nationaux (éducation, santé, environnement,…) et ceux de la France mobilisés dans les mêmes domaines, dans un cadre bilatéral (dons), se situent dans un rapport qui n’est jamais inférieur de 1 à 10, en « faveur » de la Banque mondiale.

4. Par exemple, la kyrielle des projets FAC et FSP (infra) consacrés par le France à des appuis aux systèmes éducatifs des pays d’Afrique subsaharienne a très largement été orientée vers le renforcement institutionnel d’administrations souvent en totale déshérence.

5. Qui fut aussi une puissance rivale de la France, dans la phase cruciale de conquête coloniale et de partage des espaces africains. La coordination entre les deux bilatéralismes tente désormais d’exister.

6. Prêt « premier guichet » : crédit octroyé par l’AFD dans les DOM-TOM et dans certains pays étrangers à des conditions préférentielles par rapport à ceux du marché (prêt bonifié).

RÉSUMÉS

Le continent africain vient de connaître cinquante années d’aide au développement, entamées au lendemain des indépendances. Elles se sont traduites par un empilement d’aides budgétaires massives et de programmes sectoriels variés, d’une profusion de projets et « micro-projets ».

Dans cette véritable nébuleuse du développement, c’est la dynamique de l’aide bilatérale française et britannique que l’on tente de cerner ici, avec le recul de ce demi-siècle, en examinant notamment l’évolution des enveloppes spatiales dans lesquelles cette aide a été concédée et les

« projets », inscrits dans un cadre national, qui ont matérialisé une partie importante de cette aide. L’aide bilatérale est toujours fragile, souvent contestée, largement remise en cause, mais elle perdure en s’adaptant et pourrait même trouver une nouvelle dynamique dans un contexte marqué par l’émergence de nouveaux acteurs bilatéraux.

The African continent has just experienced fifty years of aid for development that began shortly after its different countries had obtained their own independence. This period witnessed the piling up of a formidable amount of budgetary help and various sectorial programmes, with a wealth of projects and micro-projects. Drawing on the hindsight of this last half-century, this paper attempts to focus on the process of French and British bilateral aid within the nebula of

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this expansion. Particular attention will be paid to the development of the territorial zones, where this financial assistance was granted and the projects that benefited from a large part of it in the context of nationwide frameworks. Bilateral aid is always vulnerable and the source of much controversy and debate. It continues to endure by adjusting to meet changing circumstances and may well find renewed vigour in the context of a background coloured by the rising of new bilateral players.

INDEX

Keywords : aid for development, bilateralism, Subsaharian Africa Mots-clés : Afrique subsaharienne, aide au développement, bilatéralisme

AUTEUR

THIERRY SIMON

Thierry Simon (thierry.simon@univ-reunion.fr) est maître de conférences HDR, directeur du département de géographie de l’Université de La Réunion. Il a récemment publié :

in Jean Michel Jauze (dir.). L'île Maurice face à ses nouveaux défis. Paris, L'Harmattan, 2008, p. 105-117 : Evolution des paysages, avec Karim Jaufeerally, p. 117-137 : Des littoraux sous contrainte, p. 205-217 : Les mutations agricoles.

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