• Aucun résultat trouvé

Instituteur torturé par la police en République tchétchène

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Instituteur torturé par la police en République tchétchène"

Copied!
5
0
0

Texte intégral

(1)

du Greffier de la Cour

n° 733 07.10.2010

Instituteur torturé par la police en République tchétchène

Par un arrêt de chambre rendu aujourd’hui dans l’affaire Sadykov c. Russie (requête no 41840/02), qui n’est pas définitif1, la Cour européenne des droits de l’homme conclut, à l’unanimité, à la :

Violation de l’article 3 (interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Violation de l’article 3 (absence d’enquête effective) ;

Violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (protection de la propriété) ;

Violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 et l’article 1 du Protocole no 1 ;

Violation de l’article 38 § 1 a) de la Convention (obligation de fournir toutes facilités nécessaires pour examiner l’affaire).

Principaux faits

Le requérant, Alaudin Sadykov, est un ressortissant russe né en 1950. Instituteur, il a été torturé par des fonctionnaires de police pendant sa détention. A l’époque des faits, il vivait seul dans sa maison de Grozny (République tchétchène, Russie), aidant les habitants de la ville à se procurer de la nourriture et de l’eau.

Selon lui, le 5 mars 2000, vers 10 heures, alors qu’il remettait de l’eau potable à des habitants du district Oktyabrskiy de Grozny, plusieurs militaires fédéraux se trouvant à bord de deux véhicules UAZ s’arrêtèrent à sa hauteur pour demander leur route. Il partit avec eux pour leur montrer le chemin. Toutefois, à l’arrivée, sans contrôler ses papiers d’identité, ils lui mirent un sac sur la tête, le frappèrent et l’emmenèrent au poste local du ministère de l’Intérieur du district Oktyabrskiy de Grozny (« le VOVD »).

Il dit qu’à son arrivée on l’a frappé, contraint à avaler de ses propres cheveux, qu’on lui a enfoncé un clou rougi à blanc dans les mains, dans le front, les narines et la langue et qu’on lui a gravé un mot insultant – « Chichik » – sur le front. On l’aurait interrogé sur ses activités présumées de combattant rebelle et par la suite les policiers auraient « joué au football » avec lui pendant deux heures, lui assénant des coups de pied et le projetant sur le sol en béton. Il aurait perdu connaissance à plusieurs reprises.

1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.

Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

(2)

Les policiers déclarèrent ultérieurement avoir trouvé un bloc de TNT dans la maison de M. Sadykov.

Le requérant affirme que le 11 mars un fonctionnaire de police lui a coupé l’oreille gauche.

Le requérant fut détenu du 5 mars au 24 mai 2000 (date à laquelle il fut élargi sans inculpation). Il ne put voir un médecin et recevoir les soins que nécessitait son oreille. Il dit avoir été détenu dans une cellule à proximité d’une salle de torture, d’où il entendait les cris de ses compagnons de détention, dont deux revinrent avec deux doigts en moins et l’un sans connaissance. On le força par la suite à signer de faux aveux selon lesquels le bloc de TNT lui appartenait.

Les pièces médicales produites au cours de l’instruction indiquent que M. Sadykov a perdu l’oreille gauche, ce qui nécessite une chirurgie plastique et le laisse sourd de cette oreille, et que les séquelles physiques et psychologiques sont durables. Il a perdu au moins 11 (et plutôt 19) dents, a eu au moins quatre côtes fracturées, des cicatrices du côté gauche de la mâchoire, probablement l’arête du nez ainsi que la jambe droite fracturées, et une cicatrice sur la paume de la main droite.

Selon le gouvernement russe, le requérant a été appréhendé après qu’un explosif eut été découvert dans sa maison. Le 20 février 2006, il aurait été mis fin aux poursuites dirigées contre lui.

Une fois libéré, M. Sadykov se plaignit auprès de divers procureurs des mauvais traitements qu’il avait subis. Il allégua aussi que son chien avait été abattu et sa maison incendiée et que ses biens avaient été pillés. L’une de ses deux Subaru et son Oldsmobile auraient elles aussi disparu. Il évaluait le dommage subi par lui à quelque 158 120 dollars des Etats-Unis au total.

D’après le gouvernement russe, le 13 juillet 2000, le parquet de Grozny engagea une action pénale à propos des plaintes du requérant, en application de l’article 286 § 3 (abus aggravé de pouvoir) du code pénal russe. D’après une décision du 9 janvier 2007, des agents de l’Etat occupant des postes d’autorité au VOVD étaient responsables des faits suivants : le 5 mars 2000, ils avaient donné des coups de pied et de poing au requérant, lui avaient brûlé la main avec une tige de métal, lui avaient coupé les cheveux et l’avaient forcé à les manger ; le 11 mars 2000, ils l’avaient projeté à terre, lui avaient donné des coups de pied et avaient laissé le chef adjoint de la brigade spéciale incendie, qui était ivre et était en possession d’un couteau, lui couper l’oreille ; et ils avaient volé et vendu l’Oldsmobile de l’intéressé. L’enquête sur les mauvais traitements allégués fut toutefois finalement suspendue le 21 février 2009, au motif que l’on ne pouvait retrouver les différents suspects. Les plaintes pour vol et destruction de biens furent disjointes et l’ouverture d’une nouvelle procédure pénale fut ordonnée. Les tribunaux refusèrent d’examiner les actions civiles du requérant et déboutèrent celui-ci de ses demandes de réparation.

M. Sadykov obtint par contre 300 000 roubles (RUB) (soit environ 7 700 euros (EUR)) pour sa maison et 50 000 RUB (environ 1 300 EUR) pour les autres biens (montants maximum possibles) en vertu d’un décret gouvernemental prévoyant l’indemnisation des personnes ayant perdu des biens dans le cadre du conflit en République tchétchène.

Griefs, procédure et composition de la Cour

(3)

effective. Il invoquait les articles 3 et 13 de la Convention, ainsi que l’article 1 du Protocole no 1. Enfin, il dénonçait une violation de l’article 38 § 1 a), l’Etat n’ayant pas communiqué à la Cour européenne des droits de l’homme les dossiers d’instruction concernant sa cause.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 15 février 2001 et déclarée en partie recevable le 22 janvier 2009.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Christos Rozakis (Grèce), président, Nina Vajić (Croatie),

Anatoly Kovler (Russie), Elisabeth Steiner (Autriche), Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan), Giorgio Malinverni (Suisse), George Nicolaou (Chypre), juges,

ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.

Décision de la Cour

Article 3 (torture)

La Cour ne juge pas plausible l’explication du gouvernement russe, qui dit que ce sont des combattants rebelles inconnus qui ont coupé l’oreille de M. Sadykov avant son arrestation. Le Gouvernement n’a pas démontré de manière satisfaisante que les blessures de M. Sadykov aient été causées autrement que – totalement, principalement ou en partie – par les mauvais traitements que l’intéressé eut à subir pendant sa détention. La Cour souscrit donc au récit que le requérant a fait des événements.

La Cour ne doute pas que le requérant ait connu de graves souffrances physiques et que les mauvais traitements en question lui aient été infligés intentionnellement, afin de le contraindre à avouer ou à fournir des informations. Les pièces médicales attestent de l’intensité de ces mauvais traitements.

Le fait qu’un fonctionnaire de police ait coupé l’oreille de M. Sadykov représente une forme particulièrement grave et atroce de mauvais traitement, qui non seulement a causé à l’intéressé de vives souffrances physiques mais l’a laissé mutilé et sourd de l’oreille gauche, ce qui s’accompagne de séquelles psychologiques durables. Ce traitement était indubitablement intentionnel, visait à intimider, humilier et abaisser le requérant, et éventuellement à briser sa résistance physique et morale. La Cour trouve choquant qu’un acte de violence aussi horrible ait été commis par un fonctionnaire de police représentant l’Etat et détaché en République tchétchène pour maintenir l’ordre constitutionnel dans la région, où il était censé protéger les intérêts des civils.

La Cour conclut que le requérant s’est trouvé dans un état permanent de souffrance physique et d’angoisse compte tenu de son incertitude quant au sort qui allait lui être réservé et du degré de violence auquel des agents de l’Etat russe l’ont intentionnellement soumis durant toute sa détention. L’accumulation des actes de violence qu’il a eu à subir et l’amputation exceptionnellement cruelle d’une oreille sont constitutifs de torture ; il y a donc eu violation de l’article 3.

(4)

Article 3 (enquête)

La Cour relève que l’enquête a été prolongée et a été émaillée de lacunes et de retards inexplicables dans la prise des mesures les plus élémentaires. Cette enquête a manifestement, sinon intentionnellement, été conduite avec incompétence lorsqu’il s’est agi d’établir où se trouvaient les fonctionnaires de police que le requérant et son compagnon de cellule avaient désignés comme étant les auteurs des faits. Elle s’est déroulée sur presque huit ans et sept mois ; durant ce laps de temps, elle a été interrompue et rouverte 37 fois, et a comporté de longues périodes d’inactivité inexplicables. Il semble que le requérant n’ait été informé du déroulement de l’enquête qu’occasionnellement et de manière fragmentaire, et qu’il n’ait pas eu pleinement accès au dossier. On peut se demander si l’enquête pouvait vraiment aboutir à l’identification et à la sanction des responsables. La Cour conclut que les autorités ont failli à leur obligation de mener une enquête approfondie et effective sur les mauvais traitements allégués et qu’il y a eu violation de l’article 3.

Article 1 du Protocole no 1

La Cour estime que, compte tenu des fréquents heurts violents qui se produisaient entre les forces armées et les rebelles dans la région à l’époque des faits, l’Etat russe ne peut être présumé responsable de la destruction des biens de M. Sadykov. La destruction et le pillage allégués de la maison et des biens de l’intéressé n’emportent donc pas violation de l’article 1 du Protocole no 1.

En ce qui concerne le vol allégué de l’Oldsmobile et de la Subaru du requérant, la Cour estime établi que ces véhicules ont été dérobés à celui-ci sans justification par des agents de l’Etat, et qu’il y a donc eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Article 13

La Cour réaffirme que l’enquête interne sur les mauvais traitements subis par M. Sadykov n’a pas été suffisante. En conséquence, toute autre voie de recours éventuelle – une action en indemnisation, par exemple –, avait des chances limitées d’aboutir. La Cour estime dès lors que le requérant n’a pas disposé d’une voie de recours interne effective en ce qui concerne les mauvais traitements qui lui avaient été infligés et qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.

En ce qui concerne le vol des véhicules de M. Sadykov, la seule voie de recours interne qui eût pu être effective aurait consisté en une enquête pénale adéquate. L’enquête sur le vol n’ayant pas abouti à des résultats tangibles, l’action civile en réparation engagée par le requérant au sujet des véhicules qui lui avaient été volés n’aurait guère eu de chances de succès du fait en particulier que les agents de l’Etat démentaient être impliqués dans l’infraction. La réparation perçue par M. Sadykov a été octroyée indépendamment des circonstances particulières dans lesquelles il avait perdu ses biens ou de la valeur de ceux-ci. Il y a donc eu une violation supplémentaire de l’article 13 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 concernant le vol des véhicules.

Article 38 § 1 a)

La Cour estime que, faute de lui avoir communiqué des copies des documents demandés se rapportant aux mauvais traitements subis par le requérant et au vol des deux véhicules de celui-ci, le gouvernement russe a manqué à ses obligations au titre de l’article 38.

(5)

En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour dit que la Russie doit verser au requérant 9 000 EUR pour dommage matériel, 70 000 EUR pour dommage moral et 8 375,54 EUR pour frais et dépens.

L’arrêt n’existe qu’en anglais.

Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur son site Internet. Pour s’abonner aux communiqués de presse de la Cour, merci de s’inscrire aux fils RSS de la Cour.

Contacts pour la presse

echrpress@echr.coe.int | tel: +33 3 90 21 42 08 Emma Hellyer (tel: + 33 3 90 21 42 15)

Tracey Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30)

Kristina Pencheva-Malinowski (tel: + 33 3 88 41 35 70) Céline Menu-Lange (tel: + 33 3 90 21 58 77)

Frédéric Dolt (tel: + 33 3 90 21 53 39) Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

Références

Documents relatifs

–, c’est que la cause d’une manifestation de voie publique peut être explicitée et faire l’objet d’une discussion, selon un rituel que chaque partie maîtrise :

 Vous ne devez faire apparaître aucun signe distinctif dans votre copie, ni votre nom ou un nom fictif, ni initiales, ni votre numéro de convocation, ni le nom de votre

Toutes les entreprises de transport routier public de voyageurs desservant ou partant de Nevers peuvent utiliser les installations et services de la gare routière que l’exploitant

Selon les principes de l'égalité d'imposition et de l'imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique

1° Par la voie d’un examen professionnel, les fonctionnaires justifiant d’au moins un an dans le 5 e échelon du grade de chef de service de police municipale

Ce sont les OPJ (officiers de Police judiciaire) ou les ingénieurs et les techniciens du laboratoire, mais nous ne sommes pas habilités à faire des scellés. Nous avons juste le droit

Il peut parfois paraître surprenant, pour certaines personnes, de constater que l’exposition à la violence conjugale ou aux conflits sévères de séparation puisse

On retrouve, chez Renoir, ce qui nous avait tant impressionné chez Dufy, la même force pour vaincre les contraintes de la maladie, le même appétit de vivre pour l’Art,