Systèmes d e production et d e circulation
Évolution des échanges dans le Golfe persique
durant la protohistoire
e t diffusion des céramiques
Sophie Méry (UMR ArScAn - Proche- et Moyen-Orient)
Les céram iques sont d e bons indicateurs des é c h a n g e s à longue d istan ce dans la péninsule d'O m an protohistorique (les Émirats A rabes Unis et le Sultanat d'O m an actuels), région où les premières fabrications locales d e céram iques sont tardives, c o m p arées au reste du Moyen-Orient, puisqu'elles ne datent q u e d e la fin du IVe millénaire (dans l'é ta t actuel des données). Les plus anciennes poteries « importées » d é c o u v e rte s aux EAU datent du Ve millénaire e t sont m ésopotam iennes. B eaucoup d 'a u tre s suivront, notam m ent au llle millénaire : elles viennent d e la région qui couvre l'Iran du sud-est e t le Makran pakistanais, la vallée d e l'Indus (Pakistan), Ile d e Bahrein e t la province orientale d e l'Arabie Saoudite. Trois types d e récipients étaient é c h a n g é s : des jarres pour le transport d e denrées, d e la vaisselle liée à la préparation des aliments et d e s vases à usag e funéraire. C es types varient selon la région impliquée dans les é c h a n g e s e t certains vases se retrouvent uniquement d a n s les habitats, tandis q u e d'autres sont destinés en particulier, et parfois exclusivement, à des d é p ô ts funéraires.
L 'approche que j'ai d é v e lo p p é e depuis une quinzaine d 'a n n é e s pour mieux rendre com pte d e c e s é c h a n g e s consiste à croiser les données d e l'analyse formelle (chronologie d e s productions, répartition g éographique, é tu d e d e la variabilité des formes e t des décors) e t d e la caractérisation des matériaux (pétrographie en lam e m ince, analyse chimique p ar activation neutronique ou par fluorescence X). L'exemple qui suit c o n c e rn e les relations entre la M ésopotam ie e t la péninsule d 'O m an à deux é p o q u e s différentes : le « néolithique » e t l'â g e du bronze ancien.
Des récipients d e terre cuite m ésopotam iens parviennent en Om an dès le Ve millénaire. Ainsi des v ases o b e id sont associés aux sites côtiers du Golfe persique — cam pem ents d e p êch eu rs et sépulture collective p roche d e la côte. Ces populations côtières « néolithiques » sont c a ra c té risé e s par une culture matérielle spécifique, en particulier une industrie lithique très différente des a sse m b la g e s obeidiens du sud d e l'Irak. Plutôt q u 'ap p o rtés par d e s expéditions d e p ê c h e m ésopotam iennes, c e qui est tout à fait e n v isa g e a b le dans le nord du Golfe, mais b e a u c o u p moins vraisem blable à un millier d e kilomètres d e là, les arrivages d e céram iques ob eid , jusqu'au détroit d'Ormuz, résulteraient d 'é c h a n g e s successifs entre les com m unautés côtières locales.
Au Ve millénaire, on ne fab riq u e pas en c o re d e céram iq u e dans la péninsule Oman, e t il semble q u e les populations locales se soient limitées à la seule réutilisation d e vases m ésopotam iens. Cette céram ique n 'é ta it d'ailleurs pas diffusée partout. Ainsi, on ne retrouve pas d e tessons o b e id dans l'intérieur des terres. On n'en trouve pas non plus sur les c ô te s d e l'o c é a n indien (à une exception possible près, à Ra's al-Hadd, mais le tesson en question n 'a pas fait l'objet d'analyses en laboratoires qui seules perm ettraient d e vérifier c e tte hypothèse), alors que les sites d e la m êm e é p o q u e com portent d'autres ty pes d e contenants, en pierre ou en coquille.
L'arrivée des céram iques o b e id ne semble p a s avoir d'im pact majeur sur le système technique (et économ ique) omanais : il faut en effet attendre plus d'un millénaire pour qu'une fabrication céram ique locale soit reconnue dans la région, à la fin du IVe millénaire. C e tte d a te n'est pas fortuite, puisqu'elle correspond à la période d e formation d 'u n e économ ie d e production dans la région ( â g e du bronze ancien), é c o n o m ie d e production caractérisée p a r des oasis agricoles e t par un habitat perm anent, mais aussi par la métallurgie du cuivre e t par d'autres pyrotechnologies originaires d e l'aire Balouchistan-Makran.
À c e tte ép o que, des céram iq u es m ésopotam iennes sont à nouveau a tte sté e s d a n s les assem blages d e la péninsule d'Om an. C e sont d e petits pots d é c o ré s d e style Jem d et Nasr e t dynastique archaïque l-ll, qui sont
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associés aux tom bes mais aussi au seul habitat connu pour c e tte période (Hili 8>. C e matériel, dont la p ré se n c e en O m an e st liée a u com m erce du cuivre, est la seule catégorie céram ique associée aux d é p ô ts funéraires et n'a pas fait l'objet d'imitations sur place. Pourtant rien n'y faisait techniquem ent ob stacle. Le rapport entre nom bre d e vases et nom bre d'individus (un à deux vases pour quatre à cinq individus en général, au maximum trente individus) e t la localisation particulière d e ces vases dans les sites (ils flanquent d e p a rt e t d'autre l'entrée d e la tom be) m e conduisent à interpréter ces poteries c o m m e d e possibles offrandes collectives. C e d é p ô t aurait-il coïncidé a v e c la prem ière inhumation dans la to m b e ? La docum entation d e fouilles déjà anciennes n e perm et pas d e le démontrer, mais les découvertes faites dans un caim à Ra's al- Jinz pourraient bien l'indiquer.
Vers 2700 av. J.-C., c e ne sont plus d es petits vases d é c o ré s qui parviennent dan s la péninsule d 'O m a n mais pour l'essentiel d e s jarres destinées au transport d e denrées, qui sont associées aux habitats c o m m e aux tom bes. Hormis du bitume (dont l'analyse a déterm iné qu'il provenait d e la région d e Hit en Irak), rien n 'a subsisté du contenu d e c e s jarres, mais on sait par les textes m ésopotam iens d e la fin du llle millénaire q u e d e s céréales é ta ie n t ex p ortées vers l'Oman.
Après 2500 av. J.-C., les vases m ésopotam iens sont exceptionnels dans les contextes dom estiques e t funéraires d e l'intérieur d e la péninsule d'O m an. Ainsi, le rapport du nombre d e vases m ésopotam iens sur les autres vases est infime d a n s les sépultures d e la fin du llle millénaire alors q u e d'autres catégories d e v a ses étrangers, importés d'Iran ou d e la vallée d e l'Indus, sont bien mieux représentées dans les m ê m e s assem blages. C e tte p é rio d e voit une réorientation partielle des éch anges en direction d e l'autre g rand pôle urbain d e l'époque, la civilisation d e l'Indus, qui s'est d é v e lo p p é e entre 2500 e t 2000 au Pakistan e t au nord- ou est d e l'Inde, e t c e tte réorientation se m arque aussi d an s les assem blages céram iques.
Les analyses archéom étriques confirment la diffusion d e vases m ésopotam iens vers l'Oman d ès le Ve millénaire av. J.-C. e t indiquent une origine sud-m ésopotam ienne des échantillons analysés. On c o n sta te deux limites principales aux analyses qui ont é té effectuées. Première limite, la plupart des vases analysés ont la m êm e p â te : c 'e s t d o n c l'étude du contexte stratigraphique e t celle des form es et décors qui seule peut renseigner sur la d a te d e s é c h an g e s. On n'a d 'au tre part pas pu différencier le matériel des différents sites m ésopotam iens échantillonnés, hormis ceux d e la vallée d e la Dyiala au Nord d e Bagdad : la localisation précise des sites d e production n'est d o n c pas possible dans l'état actuel d e s recherches. C e tte limite est sans doute liée à la p e tite taille et la nature d e notre échantillonnage m ésopotam ien (aucune production d'atelier n 'a été ca ra c té risé e ), mais il est très pro b ab le aussi qu'elle est liée à la géologie régionale. En effet, les immenses plaines d 'é p a n d a g e alluviales e t deltaïques qui couvrent la M ésopotam ie form ent in environnem ent p étro g rap h iq u e à la fois peu différencié e t hétérogène, où les limons marneux e t les sa b le s quartzeux dominent. I fau t d'ailleurs s'attendre à c e q u e des céramiques d e composition identique à celles q u e nous avons é tu d ié es soient présentes sur d'autres sites m ésopotam iens.