4. Alg`ebres de Hopf et fonctions sym´etriques
4.1. Alg`ebres de Hopf associ´ees `a un groupe. Les fonctions d’un groupe G vers un corps K forment une alg`ebre F(G,K) associative et commutative pour la multiplication point par point : (f g)(x) =f(x)g(x). Elle forment aussi une cog`ebre pour le coproduit (∆f)(x, y) =f(xy) (on identifie un produit tensoriel f ⊗g avec la fonction de deux variables f(x)g(y)). Ce coproduit est coassociatif :
(139) (∆⊗I)(f)(x, y, z) =f(xyz) = (I⊗∆)(f)
puisque la multiplication du groupe est associative. Il n’est cocommutatif que si le groupe est commutatif.
Ces op´erations sont compatibles : ∆(f g) = ∆(f)∆(g). La convolution des endo- morphismes d’une big`ebre est d´efinie par
(140) F ⋆ G(h) =m◦(F ⊗G)◦∆(h)
o`u m est la multiplication. L’unit´e de l’alg`ebre est interpr´et´ee comme un homomor- phismeu: K→ Hqui envoie 1∈Ksur 1H. Si on traduit les propri´et´es de cette unit´e sous forme de diagramme commutatif, on obtient la notion deco¨unit´e. La transpos´ee de l’unit´e est donc ma co¨uniy´e du dual. Dans le cas des alg`ebres gradu´ees dont la composante homog`ene de degr´e 0 est de dimension 1, l’application ”terme constant”
est une co¨unit´e. Si ǫ est la co¨unit´e, la composition u◦ǫ est l’´el´ement neutre de la convolution. L’inverse de l’identit´e pour la convolution (lorsqu’il existe) est appel´e antipode.
F(G,K) est donc une big`ebre. Elle poss`ede de plus un antipode :S(f)(x) =f(x−1).
C’est donc une alg`ebre de Hopf.
Ces consid´erations sont valables pour les groupes finis, les groupes compacts, et les groupes de s´eries formelles que nous allons consid´erer (pour les groupes infinis en g´en´eral il peut y avoir des difficult´es techniques avec les produits tensoriels).
Lorsque cette notion a un sens, on peut se limiter aux fonctions polynomiales sur le groupe. Dans le cas des groupes de Lie, on obtient le dual de leurs alg`ebres enveloppantes.
Exercice - On prend comme groupe G le groupe additif (K,+), et on se limite aux fonctions polynomiales :H=Fpol(G,K) =K[x].
(i) Calculer le coproduit ∆(xn).
(ii) Notonshϕ, fi=φ(f) l’´evaluation d’une forme lin´eaireϕ∈ H∗sur une fonctionf. Le produit de convolution surH∗ est d´efini par
hϕ ⋆ ψ, fi=hϕ⊗ψ,∆fi.
Soitanla base duale dexn,i.e.,hap, xqi=δpq. Calculerap⋆ aq et en d´eduire que an= n!1a⋆n1 . (iii) Montrer quean 7→aˆn = tn!n est un isomorphisme d’alg`ebres H∗ →K[[t]], et qu’une forme lin´eaireϕest envoy´ee sur
ˆ ϕ=X
n≥0
ϕn
tn n!. En d´eduire que siϕ(0)6= 0,ϕest inversible pour la convolution.
(iv) Quel est l’antipode deH? (v) Le coproduit surH∗ est d´efini par
h∆ϕ, f⊗gi=hϕ, f gi.
Calculer ∆an. Montrer que si ϕest un caract`ere deH i.e., un homomorphisme d’alg`ebres, ∆ϕ= ϕ⊗ϕ, et et ˆϕ=eλt, o`uλ=ϕ(x). En d´eduire la structure du groupe des caract`eres deH.
(vi) G´en´eraliser ce qui pr´ec`ede au groupe additif deKd.
(vii) On prend maintenant pourGle groupe multiplicatifK×. Soitδ le coproduit correspondant.
Calculerδxn.
(vi) Calculer la convolutionϕ ⋆ ψde deux formes lin´eaires.
(viii) On pose ˜ϕ=P
n≥0ϕntn. Quelle est l’op´eration sur les s´eries formelles entqui correspond
`a la convolution ?
(ix) Le coproduitδa-t-il un antipode ?
4.2. Groupes de s´eries formelles. Consid´erons les deux groupes
(141) G0(K) ={a(x) =X
n≥0
anxn|a0 = 1, ai ∈K} muni du produit des s´eries et
(142) G1(K) ={A(x) =X
n≥0
anxn+1|a0= 1, ai ∈K} muni de la composition des s´eries.
D´efinissons les fonctions coordonn´ees pour les deux groupes
(143) hn(a) =hn(A) =an
Dans les deux cas, on consid`ere quehn est de poids n.
On se limitera aux fonctions polynomiales en les hn. Pour G0, le coproduit est donn´e par
(144) ∆0hn =
n
X
i=0
hi⊗hn−i
et pourG1
(145) ∆1hn =
n
X
i=0
hi⊗Hn−i(i+1) o`u Hn−i(i+1) est le terme de poids n−idans (P
khk)i+1.
Dans le cas de G0, la structure obtenue est isomorphe `a l’alg`ebre de Hopf des fonctions sym´etriques. Dans le cas de G1, elle est appel´ee alg`ebre de Fa`a di Bruno. Il est ´egalement utile de la voir comme une seconde structure de Hopf sur les fonctions sym´etriques.
4.3. L’alg`ebre de Hopf des fonctions sym´etriques. Les fonctions sym´etriques sont des ”polynˆomes” en une infinit´e de variables X = (xi)i≥1. Elles forment une alg`ebreSym(X) librement engendr´ee par les fonctions sym´etriques ´el´ementairesen = en(X), d´efinies par la s´erie g´en´eratrice
(146) E(t;X) =Y
i≥1
(1 +txi) =X
n≥0
entn
´egalement not´eeλt(X). Un autre syst`eme de g´en´erateurs est donn´e par les fonctions sym´etriques compl`etes hn (somme de tous le monˆomes de degr´en)
(147) H(t;X) =Y
i≥1
1 1−txi
=X
n≥0
hntn
´egalement not´ee σt(X). Ces deux familles engendrent SymZ(X) sur les entiers (ce qui est important en th´eorie des repr´esentations ou en topologie alg´ebrique). Si on s’autorise des coefficients rationnels, les sommes de puissances
(148) pn =X
i≥1
xni
forment ´egalement une famille de g´en´erateurs libres, ce qu’on peut voir grace aux formules de Newton
(149) H(t;X) = exp
( X
n≥1
pn(X)tn n
)
=E(−t;X)−1
´equivalentes `a la r´ecurrence
(150) nhn =hn−1p1+hn−2p2+· · ·+pn.
Exercice - D´emontrer ces identit´es.
Ainsi, les hλ = hλ1hλ2· · ·hλr, o`u λ parcourt les partitions de n, forment une base de la composante homog`enes Symn. Il en est de mˆeme pour eλ et pλ.
Une autre base naturelle est form´ee des fonctions sym´etrique monomiales (151) mλ = Σxλ (somme des permutations distinctes du monˆome xλ).
Exercice - Calculerhn, en, pn sur les basese, h, p, mpourn≤4. Montrer que le coefficient de mµ danshλ est ´egal au nombre de matrices d’entiers ≥ 0 dont les sommes par lignes forment la partitionλet les sommes par colonnes la partitionµ.
On montre facilement l’identit´e
(152) Y
i,j≥1
1
1−xiyj =X
λ
mλ(X)hλ(Y).
Exercice - Le faire.
Le membre gauche est appel´e noyau de Cauchy. Le produit scalaire de Hall est d´efini par
(153) hmλ, hµi=δλµ.
Les bases adjointes sont alors caract´eris´ees par la propri´et´e
(154) Y
i,j≥1
1 1−xiyj
=X
λ
uλ(X)vλ(Y)⇔ huλ, vµi=δλµ. Ceci montre en particulier que la base adjointe de pµ est
(155) p∗µ = pµ
zµ o`u zµ = 1m1m1!2m2m2!· · ·nmnmn! pour mu= 1m12m2· · ·nmn.
Exercice - D´emontrer ces affirmations.
Les fonctions de Schur, qu’on peut d´efinir par les d´eterminants de Jacobi-Trudi
(156) sλ = det (hλi+j−i)
forment une base orthonormale.
Exercice - Calculer les fonctions de Schur pourn≤4 et v´erifier quelques produits scalaires.
La caract´eristique chρ de Frobenius d’une repr´esentation ρ du groupe sym´etrique de caract`ere χest d´efinie par
(157) χ(σ) =hchρ, pµio`u µ est le type cyclique deσ.
Les fonctions de Schur sont les caract´eristiques de repr´esentations irr´eductibles. Les hλ sont celles des repr´esentations permutationnelles : le produit scalaire hhλ, pµi est
´egal au nombre de mots d’´evaluationλfix´es par une permutation de type µ(donc la trace de la permutation ici).
En effet, si σ est la permutation canonique de type cyclique µ = 1m12m2· · · (les points fixes sont 1,2, . . . m1, les 2-cycles sont (m1+ 1, m1+ 2), etc. la somme des mots w de longueurn tels que wσ=w est
(158) Aµ := (a1+a2+· · ·+an)m1(a21+· · ·+a2n)m2· · ·(an1 +· · ·+an)mn Le nombre de mots d’´evaluationλfix´es parσ est donc ´egal au coefficient demλ dans l’image commutative (ai 7→ xi) de Aµ, qui est ´egale `a pµ(X). Ce nombre est donc bien ´egal au produit scalaire hhλ, pµi.
Les repr´esentations permutationnelles nous fournissent donc un caract`ere (non irr´eductible) pour chaque partition de n, donc autant que de classes de conjugaison, et donc autant que de caract`eres irr´eductibles. Ils sont lin´eairement ind´ependants, les caract`eres irr´eductibles en sont donc des combinaisons lin´eaires.
La th´eorie g´en´erale montre que si une fonction centrale est de carr´e scalaire 1, c’est au signe pr`es un caract`ere irr´eductible. Les fonctions de Schur sont de carr´e scalaire 1, et leur valeur sur l’identit´e pn1 sont positives, ce sont donc les caract´eristiques des repr´esentations irr´eductibles.
Le coproduit de Sym est d´efini par
(159) ∆f =f(X+Y)
o`u X+Y d´enote la r´eunion disjointe de deux alphabets identiques. On a ainsi (160) σt(X+Y) =σt(X)σt(Y), c’est `a dire ∆hn =
n
X
i=0
hi⊗hn−i.
C’est donc bien le coproduit associ´e au groupe G0.
Exercice - Calculer les coproduits deen, pn, mµ.
On v´erifie facilement que
(161) hf g, hi=hf ⊗g,∆hi
c’est `a dire que Sym est autoduale.
Il est commode d’identifier un alphabet `a la somme formelle de ses ´el´ements. On peut ainsi d´efinir l’alphabet nX par
(162) σt(nX) =σt(X)n
o`u n n’a d’ailleurs pas besoin d’ˆetre un entier positif. On a, pour un scalaire α,
(163) pn(αX) =αpn(X)
Exercice - Calculerhk(nX) pourk≤k.
Montrer que le coproduit de l’alg`ebre de Fa`a di Bruno est donn´e par
∆1hn(X) =
n
X
k=0
hk(X)⊗hn−k((k+ 1)X).
4.4. La s´erie de Lagrange sym´etrique. Etant donn´ee une s´erie´
(164) ϕ(x) =X
n≥0
ϕnxn (ϕ06= 0) nous recherchons les coefficients gn de la s´erie
(165) u(t) =X
n≥0
gntn+1 =tg(t) qui v´erifie
(166) t= u
ϕ(u).
On peut supposer sans perte de g´en´eralit´e queϕ0= 1 et que
(167) ϕ(u) =X
n≥0
hn(X)un = Y
n≥1
(1−uxn)−1 =:σu(X)
est la s´erie g´en´eratrice des fonctions sym´etriques compl`etes d’un alphabet infiniX. En effet, les hn(X) sont alg´ebriquement ind´ependantes, et σu(X) est une s´erie formelle g´en´erique.
Avec les notations pr´ec´edentes,
(168) gn = 1
n+ 1hn((n+ 1)X)
Sur cette expression, il est ´evident que gn est positive sur les fonctions hµ, c’est donc la caract´eristique d’une repr´esentation permutationnelle du groupe sym´etrique Sn.
La preuve combinatoire vue pr´ec´edemment montre que le coefficient dehλ dansgn est ´egal au nombre de fonctions de parking croissantes dont l’´evaluation r´eordonn´ee forme la partitionλ. Ainsi,gn est la caract´eristique de Frobenius de la repr´esentation de Sn sur les fonctions de parking de longueur n.
Les premi`eres valeurs sont
g0= 1, g1 =h1, g2 =h2+h11, g3=h3+ 3h21+h111,
g4=h4+ 4h31+ 2h22+ 6h211+h1111. (169)
Les 3 fonctions de parking croissantes correspondant `a h21 sont 112,113,122. Plus g´en´eralement, si l’on pose
(170) gr=X
n≥0
gn(r), alors
(171) g(r)n = r
n+rhn((n+r)X).
De mˆeme,
(172) logg= X
n≥1
1
nhn(nX).
Soit µ= 1a12a2· · ·nan. Le coefficient de hµ(X) dansgx est
(173) Ga(x) := x
n+xmµ(n+x) =
n
Y
i=1
1
ai!·(x+n−1)ℓ(µ)−1 o`u xest un scalaire, et a= (a1, a2, . . .).
Exercice - V´erifier cette expression.
Commegx+y =gxgy, on al’identit´e de convolution raffin´ee
(174) Ga(x+y) = X
b+c=a
Gb(x)Gc(y).
qui g´en´eralise l’identit´e d’Abel.
4.5. R´esolution g´en´erale des ´equations alg´ebriques de tous les degr´es. Mel- lin a obtenu au moyen de r´esultats d’analyse avanc´es (sur les s´eries hyperg´eom´etriques multivari´ees) une s´erie enx1, . . . , xn pour lasolution principale (celle qui vaut 1 pour x1 =· · ·=xn = 0) de l’´equation
(175) yp+x1ym1 +· · ·+xnymn−1 = 0 (p > m1, . . . , mp).
Suite `a une question de Louck pr´esent´ee `a un s´eminaire de Combinatoire en 1988, plusieurs preuves combinatoires en ont ´et´e produites. Nous reparlerons plus loin de celle de Strehl, qui g´en´eralise en particulier le r´esultat de Kreweras et Moszkowski pr´ec´edemment mentionn´e. Paule en a donn´e une preuve n’utilisant que l’inversion de Lagrange ordinaire. Elle n’a pas ´et´e publi´ee, mais elle ressemble probablement `a ce qui suit.
On peut r´ecrire l’´equation sous la forme
(176) y= [1−(x1ym1 +· · ·+xpymn)]1p et en d´efinissant un alphabet virtuel Ξ par
(177) hmi(Ξ) =−xi, i= 1, . . . , n, hn(Ξ) = 0 autrement, on se ram`ene `a la s´erie de Lagrange sym´etrique usuelle
(178) y =X
n≥0
hn 1
pΞ
yn
pour l’alphabet 1pΞ, dont la solution v´erifie (179) yu = 1 +X
n≥1
u n+uhn
n+u p Ξ
= 1 +X
n≥1
X
α⊢n
u n+umα
n+u p
hα(Ξ).
Il suffit donc d’appliquer les d´eveloppement des fonctions monomiales d’un ´el´ement binomial
(180) Pour α= 1a12a2· · ·nan, mα(t) =
ℓ(α) a1, . . . , an
t ℓ(α)
ce qui donne pour le coefficient de hα(Ξ) dans (??), sir=ℓ(α) etn=|α|
(181) 1
pr
n
Y
i=1
1 ai!·u
r−1
Y
j=1
(u+n−jp)
et il ne reste plus qu’`a remplacer leshn par leur sp´ecialisation pour obtenir la formule de Mellin
(182)
yu = 1 +uX
r≥1
(−1)r pr
X
a1+a2+···+an=r
Qr−1
j=1(u+m1a1+· · ·+mnan−jp)
a1!a2!· · ·an! xa11· · ·xann On peut maintenant remplacer les entiers mi par des param`etres arbitraires.
On peut aussi arriver `a la solution en posant d(x) =y(−x)p et vi=mi/p. Chu [?]
donne une interpr´etation combinatoire int´eressante des coefficients. On peut dire que le coefficient de xa dans d compte les partitions non-crois´ees ayant ai blocs de taille vi. Il compte ´egalement les codes polonais ne contenant que les vi, donc des arbres n’ayant que des noeuds d’arit´esvi, et les puissances dedcompteront les forˆets de tels arbres.