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Bronzer est désormais un acte politique

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

6 juin 2012

Un facteur très regrettable, bien que compréhensible, est l’insouciance du vacancier

actualité, info

point de vue

C’est fini : le temps n’est plus où l’on pouvait disposer librement de son corps. On pourrait d’ailleurs voir là un bien joli paradoxe mo­

derne. Après s’être extasié devant les vertus libératrices qui suivirent la dissociation des fonctions sexuel­

les et reproductrices, après avoir dépénalisé l’interruption volon­

taire de grossesse sur fond de dé­

sacralisation collective, l’Occident réinvente de nouveaux interdits.

Le plus souvent au nom de cette santé publique que nous nous refu­

sons à dénommer hygiène collective.

On pourrait résumer la tendance actuelle en un slogan : votre santé vous dépasse. Un nouvel épisode de ce feuilleton à la fois moderne et sans fin s’écrit aujourd’hui en France. Il concerne les rapports que chacun choisit d’avoir avec le soleil. Soit, pour l’essentiel, la question du bronzage (volontaire).

Résumons au mieux l’affaire. Elle trouve son origine dans la livrai­

son, fin mai, d’un Bulletin épidémio­

logique hebdomadaire (BEH) ; fort précieuse publication de l’Institut français de veille sanitaire. Publi­

cation le plus souvent de nature épidémiologique mais qui, ainsi que cette discipline le veut et l’ob­

tient, rejoint parfois directement la politique ; et la philosophie, sa cousine par alliance.

Ce BEH nous apprend que si rien n’est fait, les cabines à bronzage causeront entre 500 et 2000 morts prématurées du fait de mélano mes

cutanés dont on connaît le mau­

vais pronostic. Il se trouve que ce bilan annoncé est très précisément celui estimé (et passé) du Médiator, trop célèbre anorexigène des Labo­

ratoires Servier. Le Médiator a déclenché, en France, une de ces affaires rapidement présentée comme un scandale majeur de santé publique. Pourrait­il en aller bientôt de même avec les cabines à bronzage artificiel (il en existe 18 000 dans le pays) ? La question est, pour Marisol Touraine (la nou­

velle ministre – socialiste – de la Santé), d’une importance nulle­

ment négligeable et ce au moins pour deux raisons : les chiffres de la mortalité à venir sont désormais bel et bien sur la table et les méde­

cins ne sont pas ici des intermé­

diaires indispensables à l’embel­

lissement des corps de ceux qui s’adressent à eux. De ce point de vue, l’équation vaut pour tous ceux qui, ailleurs qu’en France, ont les pouvoirs d’agir dans le champ politique de la santé publique.

L’impuissance médicale française face au bronzage est parfaitement résumée dans l’éditorial du BEH.

Il est signé des Drs Jean Civatte et Jacques Bazex. Tous deux sont membres de l’Académie nationale de médecine et tous deux luttent de longue date contre les graves méfaits et les solides abus du bron­

zage artificiel. Ils en connaissent les grands dangers, aimeraient faire partager leurs craintes, obte­

nir sa disparition.

«Toutes les campagnes d’infor­

mation et de prévention semblent malheureusement ici vouées à l’échec, reconnaissent aujourd’hui ces deux médecins. Les statistiques sont cependant éloquentes : le nom­

bre de cancers de la peau double pratiquement tous les dix ans.

Parmi eux figurent les mélanomes qui sont toujours les tumeurs cu­

tanées les plus graves et les plus inaccessibles aux possibilités thé­

rapeutiques actuelles. Un facteur très regrettable, bien que compré­

hensible, est l’insouciance du va­

cancier qui oublie le port de vête­

ments protecteurs, les applica tions de crèmes solaires ou qui ne les utilise pas de façon correcte. Mais

il y a surtout l’inconscience de la personne qui s’expose aux rayons ultraviolets artificiels de lampes dites solaires ou de cabines à bronzer.»

Nous arrivons ici, en 2012, à un palier d’un processus cohérent. Il y eut les joies des corps offerts au soleil, la mode qui vit faire une croix sur la blancheur des chairs pour vanter le mordoré plus que prononcé. Puis les dermatologues­

vénérologues commencèrent à s’inquiéter de tout ceci ; parfois sous leurs deux espèces. En 2009, les rayons ultraviolets artificiels émis en cabine de bronzage fu rent classés dans la catégorie la plus élevée des agents cancérogènes

Bronzer est désormais un acte politique

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Revue Médicale Suisse

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pour toute information

1 Ory P. L’invention du bronzage. Paris : Editions Complexe, 2008.

Claude Péclet Le MatinDimanche du 27 mai 2012

par le Centre international de re­

cherches sur le cancer. En 2010, une étude est venue confirmer le fait que les personnes souffrant de mélanomes cutanés avaient plus que d’autres utilisé (de ma­

nière plus fréquente, plus intense et plus prolongée) des rayons ul­

traviolets artificiels.

Aujourd’hui dans le BEH français, un groupe dirigé par Mathieu Bo­

niol et Pascal Empereur­Bissonnet (Institut de veille sanitaire) estime prudemment que près de 5% de ces lésions malignes (soit 347 cas annuels) sont attribuables à l’utili­

sation des cabines de bronzage.

«Les femmes sont les plus nom­

breuses à supporter ce risque et

représentent environ 76% des cas, écrivent­ils. Entre 566 et 2288 dé­

cès peuvent être attendus dans les trente prochaines années si les ex­

positions des Français aux cabines UV ne changent pas.» Qu’en est­il ailleurs, en Suisse par exemple ? Pourquoi n’y a­t­il pas, ici non plus, de politique coordonnée de la part d’une Union européenne qui se targue tant de ses «plans cancer» ?

Que faut­il penser, sujet voisin, de l’hypothèse d’une dépendance bio­

logique aux rayons ultraviolets ? Une étude menée sur 229 étudiants ayant régulièrement recours au bronzage artificiel a ainsi récem­

ment montré qu’un participant sur trois montre des critères élo­

quents d’addiction à cette pra­

tique : ils deviennent bientôt vic­

times d’un incontrôlable besoin de s’exposer à ces rayonne­

ments, un phénomène pouvant aller jusqu’à nécessiter une prise en charge psychiatrique. Evo­

quera­t­on bientôt l’existence de mélanomes induits par une nou­

velle dépendance et qui sera alors tenu pour responsable ? D’autres agissent et s’engagent dans une politique d’interdic­

tion des cabines de bronzage.

C’est le cas du Brésil depuis 2009. C’est également le cas de l’Etat de Nouvelle Galles du Sud en Australie. Ce ne sera pas, à court terme, le cas de la France.

La nouvelle ministre, Marisol Touraine, a ainsi annoncé qu’un décret viendrait simplement dur­

cir la réglementation encadrant cette activité. On va protéger les utilisateurs, renforcer la qualifica­

tion des personnels, développer les contrôles des instal lations et l’information du public. Le gou­

vernement français réfléchit égale­

ment aux moyens de restrein dre la possibilité d’acheter via internet des appareils délivrant ces dange­

reux rayons.

Il y a quatre ans déjà, sans doute à l’approche de l’été, nous chroni­

quions ici même un ouvrage 1 con­

sacré à ce mystère contemporain qu’est le bronzage (Rev Med Suisse 2008;4:1777). Nous reprenions alors le célèbre mot de Paul Valéry (1871­1945) ; un mot qui date aujour d’hui de quatre­vingts ans.

Il est extrait de L’Idée fixe ou Deux hommes face à la mer (1931) : «Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau». Seule la surface compte semble annoncer Valéry. Un Valéry que l’on peine à imaginer bronzé ; hâlé peut­être, et face à la mer bien sûr. Victime d’héliotropisme, sans doute. Mais libre, certainement.

Jean­Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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