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PIRES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS DE LA RUE ET LEUR PROTECTION JURIDIQUE DANS LE DISTRICT D’ABIDJAN. pp. 117-131.

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PIRES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS DE LA RUE ET LEUR PROTECTION JURIDIQUE DANS LE DISTRICT

D’ABIDJAN.

THE WORSE FORMS OF CHILD LABOR OF THE STREET AND THEIR LEGAL PROTECTION IN THE DISTRICT OF

ABIDJAN.

M. GOBA Boliga Zéphirin Maître de Conférences

UFR Criminologie. Université FHB-Abidjan Email : zephiringoba2006@gmail.com

RÉSUMÉ

L’étude porte sur les pires formes de travail des enfants de la rue et leur protection juridique. Elle aborde ce phénomène par la lecture critique des textes juridiques natio- naux et internationaux sur les mineurs et l’observation des conditions de vie des enfants rencontrés à Abobo. Malgré les efforts des organisations de protection des enfants, les conditions de vie et les pires formes de travail auxquels ces derniers sont soumis par certains individus, sont depuis de nombreuses années, objet de sérieuses inquiétudes.

Estimé à plus de 50.000 par le BICE, les enfants de la rue et des bars et maquis subissent des traitements cruels malgré l’arsenal juridique national et international en vigueur; ce qui pose le problème de l’application des textes et de compétences des acteurs publics et privés.

L’étude recommande une sensibilisation des acteurs à la connaissance et à l’appli- cation de ces textes juridiques pour mieux protéger les enfants.

Mots clés : Enfant ; protection ; droits ; pires formes ; travail.

ABSTRACT

He study concerns the worst forms of child labor of the street and their legal pro- tection. She approaches this phenomenon by the critical reading of the national and international legal texts on the minors and the observation of the living conditions of the children met to Abobo. In spite of the efforts of the organizations of protection of

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subjected by certain individuals, are for several years, object of severe concerns.

Considered at more than 50.000 by BICE, the children of the street and the bars and the scrubland undergo cruel treatments in spite of the current national and international legal arsenal; what causes the problem of the application of texts and skills of the public actors

Keywords: Child; protection; rights; worst forms; job.

I- INTRODUCTION

Les pires formes de travail des enfants concernent les enfants de la rue et ceux qui sont victimes de la maltraitance. Il s’agit d’un phénomène bien connu dans le District d’Abidjan et qui a fait l’objet d’un nombre important d’écrits et d’investigations de la part de nombreux enseignants et chercheurs dont Sissoko (2005) qui a dénoncé dans un ouvrage paru en 2005, les pires formes de travail dans les plantations de café et de cacao en Côte d’Ivoire.

Ce n’est donc pas un phénomène nouveau. Mais ce qui est nouveau, c’est l’impuissance et quelquefois l’apathie des pouvoirs publics nationaux et locaux, de certaines Organisations Non Gouvernementales, des populations, face aux pires formes de travail auxquels ces enfants de la rue sont soumis, les traite- ments inhumains qu’ils subissent de la part de certains individus (ONUCI, 2007) Il faut également souligner les conditions de vie dans lesquelles ces enfants vivent dans la rue et ailleurs, malgré la panoplie de textes tant internationaux que nationaux censés les protéger. L’enfant des rues, victime de maltraitance qui est par définition l’enfant de l’espace public urbain, conçu en opposition à l’enfant d’un foyer privé et protégé et soumis aux travaux forcés est un enfant en danger.

Pourquoi les pouvoirs publics ne réagissent-ils pas du tout ou lorsqu’ils réagissent, la réaction est molle, sans force juridique. ? En d’autres termes, pourquoi les auteurs ne sont-ils pas arrêtés et poursuivis devant les tribunaux, alors qu’il existe de nombreux textes au niveau international (convention relative aux droits de l’enfant, charte africaine du bien-être de l’enfant,…) et au niveau national (Droit Pénal et procédure pénale des mineurs,…)?

Les enfants de la rue ne sont pas en sécurité dans les différents endroits où ils vivent. Pour Tessier (1995), les enfants sont souvent pris dans une spirale d’évènements qui leur sont imposés par leurs conditions de vie et le phénomène des enfants de la rue est semblable à celui du travail des enfants

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dans les plantations, sur les chantiers (casseurs de cailloux, tapeurs de briques,…) ;toutes ces catégories d’enfants ne bénéficient pas de la protection des pouvoirs publics.

Selon Manier (2001), les trafics d’enfants qui alimentent les exploitations agricoles, la domesticité, les usines, les chantiers, les commerces ou les ate- liers, les réseaux de mendicités ou d’exploitation sexuelle, ont lieu à grande échelle entre continents, entre Pays et à l’intérieur de chaque Pays. Les Etats concernés (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali, Guinée) sont donc bien informés sur ces pratiques. Quel âge retenir pour l’enfant dans cette étude ?

Le Droit international notamment convention de l’ONU sur les droits de l’enfant 1980) considère que l’entrée dans l’âge adulte n’est pas avant 18 et les textes légaux de protection des enfants, ont en général été alignés sur le seuil.

Dans la plupart des pays du monde dont les Pays de l’Union Européenne, la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans. Donc l’acceptation socioculturelle de l’enfant varie selon les pays. En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la législation considère comme enfant, tout individu âgé de 18 ans non révolus. Selon le BIT (1996), d’une manière générale, l’enfant peut se définir comme une période de développement physique et psychologique qui nécessite la protection des adultes, et qui est plus naturellement consacrée au jeu qu’au travail mais qui admet l’apprentissage progressif d’un savoir.

Mais qu’est-ce que le travail des enfants ? Selon le BIT (2002), le travail des enfants évolue selon les Pays et dans des environnements très divers et sous d’innombrables formes.

Il peut s’agir d’une activité d’appoint de quelques heures par semaine, d’un travail saisonnier ou d’une occupation à plein temps. Cependant il faut distinguer le travail au sein de la famille qui consiste à aider à la tenue du Foyer ou à la culture d’une parcelle agricole pour que la famille puisse se nourrir. Ce travail est considéré comme une participation acceptable à la subsistance et à une formation à la vie d’adulte.

Le profil type de l’enfant exposé aux pires formes de travail selon le BIT (2002) est celui de « l›enfant qui cumule les deux vulnérabilités (être enfant et pauvre) ». Ce profil ouvre souvent la voie à des occupations insoutenables, catégorie que le BIT définit comme les pires formes d›activité, exploitation abusive par les employeurs, ou travaux pénibles (fouille de décharges, port de charges, travail dans les carrières, les mines, briqueteries).

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A tous ces éléments, il faut ajouter, selon l’organisation des Nations Unies, les trafics, le travail forcé, l’esclavage, l’exploitation sexuelle et pornographique (Rapport, 2008).

Les pires formes de travail des enfants et le phénomène des enfants de la rue ne peuvent être analysés en Côte d’Ivoire sans être confrontés au contexte socioéconomique dans lequel vivent les ménages Ivoiriens. Pour Manier(2011),

« les pires formes de travail des enfants relèvent avant tout d’une pauvreté massive à l’échelle mondiale et d’un système économique qui ne réduit pas les inégalités ». Au contraire, en 2008, le Directeur général du BIT, Juan Smavia qualifiait le processus de mondialisation de « déséquilibré, injuste et précaire » et rappelait « l’existence d’inégalités sociales croissantes avec un secteur informel et un travail précaire en plein essor ». Dans ce contexte général, pour Grootaert et Kanbur (1995), « plusieurs causes plus précises concernant le travail des enfants peuvent être distinguées ; la mise au travail des enfants repose en effet sur aucun facteur isolé mais sur plusieurs phénomènes qui agissent en synergie : vulnérabilité des familles, carences des politiques face aux inégalités, l’accès limité à l’école et comportements culturels locaux ».

Qui sont les enfants de la rue soumis aux pires formes de travail ? Quelles activités exercent-ils dans la rue ? Quelles sont les conditions de vie et de travail des enfants qui vivent dans la rue ? Quelles sont les réactions des pouvoirs publics ? Quelle est la responsabilité juridique des acteurs institutionnels et non institutionnels ? Quelles solutions peut-on attendre de ces acteurs, notamment des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales de protection des droits des enfants? Il s’agit dans ce travail d’identifier les facteurs liés aux pires formes de travail des enfants de la rue, de décrire les conditions de vie et les activités de subsistance qu’exercent les enfants de la rue soumis aux pires formes de travail, d’analyser les dysfonctionnements constatés dans la gouvernance urbaine à Abidjan au regard des problèmes auxquels ces enfants de la rue sont confrontés et de procéder à une relecture des instruments législatifs, institutionnels et règlementaires nationaux et internationaux régissant la protection des enfants ;

II-MÉTHODOLOGIE.

II-1-Terrain de l’étude

L’étude a été menée dans la Commune d’Abobo parce que cette Commune présente les conditions pouvant permettre d’atteindre les objectifs définis.

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Cependant, nous avons été quelquefois obligés d’aller dans les Communes du Plateau et d’Adjamé pour répondre à certaines interrogations ou trouver d’autres informations.

II-2-Population de l’étude.

Dans le souci de mieux appréhender l’objet de l’étude, nous avons trouvé nécessaire de diversifier les sources d’information. A cet effet, la population d’étude est composée de toutes les catégories d’enfants de la rue et de ceux soumis aux pires formes de travail et des personnes travaillant dans des struc- tures d’accueil et de protection d’enfance en danger, reparties en plusieurs groupes et susceptibles de nous fournir des informations pouvant éclairer la compréhension de l’objet d’étude,. Cette population comprend les quatre catégories sociales suivantes :

• Enfants victimes et non victimes de la maltraitance, des pires formes de travail et de la rue dans le District d’Abidjan ;

• Employés des centres d’accueil et d’écoute des enfants de la rue ;

• Élus locaux ;

• Magistrats et agents des tribunaux de mineurs et de droit commun ;

• Forces de l’ordre et de sécurité;

II-3-Échantillon

Afin de constituer de l’échantillon d’enquête de cette étude, nous avons choisi la méthode d’échantillonnage non-probabiliste à travers des choix rai- sonnés, au regard des dispositions et des différentes composantes de la popu- lation d’enfants de la rue. C’est une technique fondé sur les quotas parce que, bien que ne disposant pas de base de sondage, nous avions fixé un quota de personnes à interroger(50), appartenant aux différentes catégories sociales et présentant des profils relatifs à l’appréhension de notre objet d’étude.

• 20 enfants victimes et non victimes de la maltraitance, des pires formes de travail et enfants de la rue dans le District d’Abidjan ;

• 10 élus locaux (maires, conseillers,) ;

• 10 responsables de structures d’écoute et de protection des enfants victimes des pires formes de travail ;

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• 05 magistrats du tribunal du Plateau ;

• 05 agents des forces de l’ordre (policiers) de certains Commissariats d’Abobo.

Toutes ces personnes sont âgées de 8 ans et plus, des deux sexes dont 35 de sexe masculin et 15 de sexe féminin.

II-4.-Techniques de recueil des données.

La technique utilisée à consister à choisir des personnes cibles ou res- sources en fonction de l’objectif visé par notre sujet. Nous avons ensuite administré un questionnaire de trente(30) questions afin d’orienter l’entretien avec les cinquante (50) personnes rencontrées au cours de l’enquête sur le terrain d’étude. Dans ces différents lieux et quartiers, le questionnaire a été administré à des personnes adultes comme jeunes ayant manifesté leur dis- ponibilité à nous écouter et à répondre à nos questions

Cette méthode, bien qu’elle soit non aléatoire, a été utilisée dans un souci de représentativité de la population cible. On peut donc considérer que la sélection des unités a été faite de façon empirique. C’est donc cette technique qui nous a permis de faire la répartition de notre population d’étude.

II-5-Méthodes d’analyse des données.

Nous avons eu recours à deux méthodes pour analyser toutes données recueillies dans nos investigations, il s’agit des méthodes quantitative et qua- litative. La méthode quantitative a permis de faire le traitement statistique de toutes les données recueillies à partir du questionnaire. Les réponses aux questions nous ont révélé que les enfants de la rue étaient exposés à de pires formes de travail, c’est-à-dire, à de l’exploitation à cause des dysfonctionne- ments constatés dans la gouvernance urbaine.

Quant à la méthode qualitative, elle a été utilisée pour l’analyse des échanges avec la population cible de l’étude afin de ressortir l’interprétation et le sens des discours de ces enquêtés.

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III. RÉSULTATS OBTENUS

Les résultats de l’étude portent sur les caractéristiques des enfants de la rue, des réactions des pouvoirs publics, les textes juridiques en vigueur un certain nombre de facteurs pouvant favoriser le phénomène des enfants de la rue et de pires formes de travail.

III-1- Les caractéristiques des enfants maltraités .

En Côte d’Ivoire, les groupes sociaux contraints de faire travailler leurs enfants restent en effet les exclus de la prospérité, qui cumulent plusieurs handicaps sociaux, lesquels se conjuguent pour les enfermer dans une vulné- rabilité sociale d’ensemble. Les fruits de la croissance restent en Côte d’Ivoire comme dans les pays en développement, en effet très inégalement distribués et nulle part dans le pays, l’essor économique des années 2000, n’est venu à bout des poches de pauvreté profondes, qui sont des réservoirs d’enfants travailleurs et des enfants de la rue.

III-1-1-Présentation des enfants maltraités

A la lumière de nos observations de terrain, nous définirons les groupes sociaux victimes, par les caractéristiques suivantes :

Une précarité liée au travail (catégories sociales aux revenus aléatoires, chômeurs, migrants en quête de travail,…) et une pauvreté monétaire (absence d’épargne, insolvabilité en cas d’endettement, dépendance vis-à-vis des parents,…) ; auxquelles il faut ajouter un faible niveau de développement hu- main :accès précaire à l’eau, à la santé, à l’éducation et à la nourriture, lorsqu’ils vivent seul ; et un faible capital humain : analphabétisme ou faible niveau d’éducation et de formation, manque d’accès aux moyens d’information,… ;

Nous relevons aussi une appartenance à une catégorie située au bas de l’échelle sociale : paysans sans terre ou pauvre urbains sans travail, vivant dans les quartiers précaires à risques ou squattant des maisons inachevées ; vivant également dans une très faible protection contre les risques de la vie : perte de travail, maladie ou handicaps des parents, décès des parents (l’enfant doit alors subvenir aux besoins de la famille,…) ;

La situation familiale reste dérisoire : famille monoparentale, parents en situation de conflit, suite au divorce avec une insécurité de l’environnement

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personnel de l’enfant : violences ou ruptures familiales, marginalisation, pré- carité de l’habitat (expulsion, bidonvilles, vie dans la rue,…) et une Instabilité familiale? Des travailleurs pauvres du secteur informel vivant dans des bidon- villes, familles flottantes aux enfants déscolarisés.

Le point commun de tous ces groupes sociaux, selon monsieur M.B , un de nos enquêtés, « c’est d’être accaparés par leur survie quotidienne, d’avoir une capacité très limitée de réaction et de résilience aux crises et une probabilité très mince d’échapper à leur condition ».

III-1.2-Les conditions de vie et de travail des enfants victimes de maltraitance

Quand on parle du travail des enfants, il s’agit en grande majorité d’enfants pauvres et vivant dans des quartiers pauvres. Mais le travail et les activités dans lesquelles ces enfants sont présents recouvrent des situations très hétérogènes qui demandent d’éviter de faire une confusion. La majorité des enfants des rues ne sont pas orphelins. Beaucoup sont toujours en contact avec leur famille et travaillent dans la rue pour arrondir le revenu familial.

Beaucoup d’autres enfants ont fui la maison, souvent pour échapper à des sévices psychologiques, physiques ou sexuels.

La majorité sont des garçons car les filles semblent endurer plus longtemps les mauvais traitements ou l’exploitation dans leur foyer (mais quand elles quittent la maison et leur famille, elles n’y retournent généralement pas). Une fois dans la rue, les enfants sont exposés à toutes les formes d’exploitation et de sévices, et leur vie quotidienne n’a rien de commun avec l’enfance idéale dépeinte par la Convention relative aux Droits de l’Enfant.

III-2.-Facteurs explicatifs des pires formes de travail des enfants.

III-2.1-Pauvreté et conditions de vie difficiles des parents.

En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, le bureau de l’Unicef à Abidjan a estimé, dans un Rapport paru en 2005, à 2,3 millions le nombre d’enfants concernés par le travail des enfants et le phénomène des enfants de la rue.

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A Abidjan par exemple, un de nos enquêtés nous laissait entendre que « pour les familles pauvres, le travail des enfants fait simplement partie des stratégies de survie, car chacun des membres doit contribuer à réunir le minimum vital en participant à la production alimentaire ou en apportant un peu d’argent » ; c’est le cas des petits cireurs de chaussures, des « balanceurs », des ferronniers, des fouilleurs de décharges publiques, des vendeurs ambulants, etc.

Le document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP, 2009) du gouvernement ivoirien estimait en 2009 que, «le nombre de pauvres avait été multiplié par 10 en l’espace d’une génération ». Une personne sur deux était pauvre en 2009 contre une personne sur dix en 1985. En effet, le taux de pauvreté est passé de 10% en 1985 à 48,9% en 2009 ; ce qui correspondait à un effectif de pauvres estimé à environ un million en 1985 et à dix millions en 2009, selon ce document. A Abidjan, la Capitale économique, le taux de pauvreté, selon un Rapport du Programme des Nations Unies pour le Déve- loppement Humain(PNUDH)est passé de 49% en 2010 à 56% en 2016, soit une augmentation de 7% en 6 ans(PNUDH, 2017).

Monsieur T. Jean, éducateur dans l’ONG « enfant de la rue », à Abidjan Cocody, apporte un éclairage sur la situation des enfants de la rue : « Dans ma pratique personnelle et depuis quelques années, je suis en contact avec les jeunes que je dirais de la rue d’Abidjan. Ce sont des jeunes en grande difficulté sociale et familiale et qui ont presque tous été en échec scolaire. Je peux au moins parler de 50 d’entre eux sur ces 10 dernières années. A peu près la totalité ont été en échec scolaire, ce qui ne veut pas dire qu’ils y sont restés. Certains d’entre eux en sont sortis, d’autres beaucoup moins bien ».

III-2-2-L’échec du système éducatif ivoirien

L’école qui s’est imposée à toutes les sociétés comme un lieu indispensable de formation, comme une institution indispensable des jeunes et comme l’endroit où on forme des citoyens, a eu l’effet paradoxal en Côte d’Ivoire de retirer les enfants de la société (des adultes) en les déversant dans la rue. Pour Monsieur P. Adams, « ce n’est pas normal que les enfants soient renvoyés de l’école alors qu’ils n’ont que 9 ans parce qu’ils ont triplé la même classe ». En milieu urbain, un enfant, déscolarisé va forcément dans la rue et c’est ce qu’exprime le petit Paul, 10 ans, enfant portefaix au marché central d’Abobo ; « j’étais à l’école primaire, en classe de CE2, mais comme je ne travaillais pas bien, le maître m’a renvoyé.

Maintenant je suis ici tous les jours avec Sorø mon ami ».

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Sur les 20 enfants interrogés dans le cadre de cette étude, 16 n’étaient jamais allés à l’école, soit 80% des enquêtés, tandis que les 4 autres, soit 20% de l’effectif avaient seulement le niveau du cours primaire. Pourtant, tous les enfants ont le droit d’aller à l’école selon l’article 28 de la convention relative aux droits de l’enfant. L’échec scolaire et la pauvreté alimentent donc dans la Commune d’Abobo, le phénomène d’enfants de la rue et du travail des enfants. Un officier de police du Commissariat du 14ème Arrondissement d’Abobo, monsieur M.B. nous disait ceci à ce propos : « La plupart des enfants qui trainent dans les rues d’Abobo et sont exposés à toutes sortes d’infractions (vol, agression,…) n’ont jamais mis pieds à l’école. Ceux qui ont fréquenté une école parmi eux n’ont pas dépassé le niveau Cepe, on a du mal à les défendre quand nous les prenons dans les bars ou maquis ou à comprendre leur motiva- tion lorsque nous les interpellons dans une affaire de avec agression. Il faudra peut-être obliger les parents à scolariser les enfants sous peine de sanction».

Le problème actuel du système éducatif ivoirien est qu’il a du mal à affirmer l’école républicaine qu’il est censé construire et qui est portée par la Constitution de Côte d’Ivoire. Sur ce point, Monsieur A. Timothée, en service à la direction des examens et concours exprime son étonnement : « Nous ne comprenons pas pourquoi alors qu’on parle de la laïcité de l’école ivoirienne, les pouvoirs publics organisent des examens de l’école coranique, c’est incompréhensible ; notre école régresse chaque jour, elle pousse certains des enfants vers l’école coranique».

Pour messieurs J.K. et D.P. ,agents au centre d’écoute et de protection des enfants victimes des pires formes de travail des enfants, « le principal obstacle auquel nous sommes confrontés dans notre travail de protection des enfants victimes d’exploitation et de maltraitance, est l’impossibilité d’échanger avec ces enfants qui ont du mal à s’exprimer.

III-3-1- Insuffisance des textes juridiques nationaux relatifs aux enfants

Malgré l’arsenal juridique étendu, l’application effective des lois reste souvent aléatoire à tous les niveaux dans le pays. Le premier obstacle (qui est commun à de nombreux pays), est la résignation générale : L’opinion (les classes moyennes et dirigeantes en particulier) juge normal que les enfants pauvres aident leur famille à survivre.

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Par ailleurs, en Côte d’Ivoire les lois sur la scolarisation restent tout simple- ment impuissantes ou faible face aux conditions de vie des enfants. Au niveau juridique, de nombreux textes sont pris pour protéger les enfants en général et les enfants en grande difficulté mais ces textes restent insuffisants au regard de l’ampleur du phénomène.

Il s’agit par exemple des articles 114 et 116 du code pénal, des articles 756, 757, 758 du code de procédure pénale et de l’article 6 de la Constitution. Toutes ces dispositions ne sont pas appliquées comme même s’il faut reconnaître que des moyens sont déployés sur le terrain.

Au niveau de la police par exemple, les unités qui sont les plus actives en ce qui concerne les enfants de la rue ou ceux qui travaillent dans les bars et maquis, sont la brigade des mineurs et la brigade mondaine. Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan car ces forces de l’ordre sont très insuffisantes face au nombre d’enfants de la rue. Il faut plus de personnes et de moyens pour inspecter les centaines de maquis, de bars, les dizaines de marchés ou d’établissements concernés.

En appliquant pas les textes relatifs aux droits des enfants, le gouverne- ment ivoirien ne respecte pas ses engagements internationaux, notamment la convention relative aux droits de l’enfant. de vivre dans un cadre protecteur où tout est mis en place pour les protéger contre la violence, les mauvais traite- ments et la négligence, ainsi que contre l’exploitation et la discrimination. Sans cette protection des autorités publiques, les enfants courent le risque de souffrir d’exclusion, car c’est à l’Etat qu’il incombe d’assumer cette responsabilité.

Si le respect des lois se heurte en général à l’absence de volonté politique, l’influence des familles est également décisive car nombre d’employeurs bénéfi- cient d’une impunité due à leur position sociale, achètent le silence des autorités locales avec de l’argent et, en cas de poursuites, s’arrangent pour faire traîner les procédures. Il arrive d’ailleurs que ceux qui sont censés faire respecter la loi (juges ou élus locaux) emploient eux-mêmes des enfants, notamment comme domestique, comme nous le révèle monsieur J. G., éducateur au centre d’écoute du Bureau International Catholique de l’Enfance(B.I.C.E), « Nous sommes chaque jour confrontés à d’énormes difficultés liées au fait que les autorités censées protégées les enfants agissent souvent comme les bourreaux de ces enfants ». Il est pourtant du devoir des autorités de préserver la dignité et la valeur de la personne humaine des enfants en général et de ceux qui ont enfreint la loi ou qui sont en conflit avec la loi en particulier. Sur ce point, la

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Constitution Ivoirienne d’Août 2000 stipule, à son article 6 : « l’Etat assure la protection des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées ».

Nous pouvons dire que cette disposition constitutionnelle n’est pas respectée, quand on observe les conditions de vie des enfants en Côte d’Ivoire en général à Abobo en particulier. Sur ce point nous avons échangé avec deux juges dont un juge pour enfants du tribunal d’Abidjan Plateau qui nous ont exprimé leur point de vue sur la question de l’application des textes : « les textes existent bel et bien en matière de protection des enfants en Côte d’Ivoire et leur application ne pose pas de problème ; par contre ce qui pose problème, c’est le manque ou l’insuffisance des structures qui accompagnent cette application. Par exemple, le centre d’observation des mineurs qui est logé à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) est l’unique centre où les enfants sont placés dans l’attente des résultats des enquêtes les concernant, qu’ils soient victimes, auteurs ou témoins, c’est insuffisant. C’est cela le vrai problème qui nous accable tous en tant que magistrats pour enfants ».

III-3-2- Laxisme, corruption et incompétence des acteurs institutionnels

L’expression « enfants des rues » pose problème en Côte d’Ivoire car cette étiquette est aussi synonyme d’exclusion. Ces enfants sont « diabolisés » par la société comme s’ils constituaient une menace ou étaient forcement des délinquants sans que l’Etat ne fasse quoi que ce soit.

Pour mieux comprendre le comportement des pouvoirs publics ivoiriens à l’égard des enfants de la rue, nous avons échangé avec quelques responsables administratifs au cours de nos enquêtes ; voici ce que nous dit par exemple monsieur D.M., chef de service à la Mairie d’Adjamé : « monsieur laissez ces enfants là où ils sont, ils ont choisis d’être dans la rue, sinon leurs camarades vont à l’école. Les gens disent qu’il y a trop de vols commis à Adjamé, mais ce sont eux qui commettent ces vols et qui gâtent le nom de notre Commune ».

Ces comportements traduisent le risque d’invisibilité encouru par trois grands groupes d’enfants auxquels l’Etat de Côte d’Ivoire est pourtant tenu d’accor- der une protection juridique spéciale mais qui ne bénéficient pas souvent de la protection nécessaire : les enfants des rues, les enfants soumis aux pires formes de travail et les enfants détenus en prison. Il s’agit là tous des enfants victimes de maltraitance. La catégorie d’enfants des rues soumis aux pires formes de travail est bien visible puisque ces enfants vivent et travaillent dans la rue et sur les places publiques des Communes d’Abidjan.

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Mais paradoxalement, ces enfants font partie des plus difficiles à intégrer dans les services vitaux comme l’éducation et les soins médicaux, et la catégorie la plus difficile à protéger. Même s’ils vivent sous nos yeux, les enfants des rues sont souvent ignorés, marginalisés et exclus de la société ivoirienne dans l’indiffé- rence totale de la part des pouvoirs publics et des populations. Quant aux enfants détenus en prison et ceux soumis aux pires formes de travail dans des endroits clos, ils sont complètement invisibles et dans les oubliettes des pouvoirs publics.

DISCUSSION

La situation précaire des enfants de la rue et de ceux soumis aux pires formes de travail est-elle due aux dysfonctionnements constatés dans la gouvernance urbaine à Abidjan ? Où s’agit-il de la mauvaise ou faible applica- tion des textes nationaux et internationaux relatifs à la protection des enfants auxquels la Côte d’Ivoire est Etat partie ? Les lois relatives à la protection et aux droits de l’enfant pourtant ratifiées par le gouvernement ivoirien, ne sont pas appliquées, ou quand elles le sont, c’est faiblement.

Les textes juridiques existant en la matière sont gracieusement ignorés, même si nous reconnaissons que la répression, seule, est peu efficace. Sur ce point il est vrai que de nombreuses unités d’inspecteurs du travail, de police ainsi que des responsables d’ONG retirent quelques dizaines d’enfants des maquis. Mais il s’agit des cas isolés et c’est insuffisant au regard du nombre d’enfants qui arpentent les rues d’Abidjan ou sont victimes de maltraitance.

Les résultats de l’étude révèlent que les pires formes de travail et la maltrai- tance dont sont victimes les enfants sont dues aux conditions de vie difficiles des parents, la faible application des textes juridiques, l’insuffisance des moyens humains et l’apathie des pouvoirs publics. Ces facteurs cités peuvent-ils à eux seuls expliquer les conditions de vie des enfants en Côte d’Ivoire ?

Les législations nationales, c’est-à-dire, les lois ivoiriennes doivent refléter les engagements internationaux pris en matière d’éducation en faveur des enfants. Par exemple, aux termes de la Convention relative aux droits de l’enfant, les gouvernements s’engagent à garantir les droits de tous les enfants à l’éducation (article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

Le système éducatif de Côte d’Ivoire laisse de nombreux enfants qui sont encore en âge d’aller à l’école dans la rue sans solution, car il n’existe pour l’instant aucune loi qui fixe jusqu’à un certain âge, l’école obligatoire.

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Pourtant pour éviter aux enfants d’aller dans la rue, le système éducatif doit être exigeant sur la transmission d’un certain nombre de savoirs, et sur l’aide à la construction de ces savoirs chez l’enfant (Unicef, 2013). Il ne faut pas non plus que l’école de Côte d’Ivoire se diversifie dans le sens de l’école de quartiers pauvres et l’école de quartiers riches. Elle doit s’intéresser aux enfants dans leur ensemble tout en accordant une attention particulière aux quartiers et aux enfants en échec par un certain nombre de procédures d’ouverture.

La responsabilité des parents est déterminante dans le comportement et les conditions de vie des enfants de la rue.

Sur ce point, selon Blatier(2002), l’adolescent qui se sent rassuré dans une famille où règne la communication développe un attachement qui va lui permettre de percevoir plus justement les attentes des parents et de mieux accepter les contraintes, les règlements qu’ils édictent ou négocient avec lui.

Pour cet auteur, « la famille a donc un rôle décisif dans l’engagement et la persistance d’un comportement délinquant chez le mineur, repérable en pre- mier lieu à travers ses pratiques éducatives (particulièrement la supervision, les punitions et les règlements), en second lieu à travers la dynamique d’atta- chement qu’elle met en œuvre ».

CONCLUSION

Le

phénomène de pires formes de travail des enfants de la rue est une réalité en Côte d’Ivoire. Pour s’en rendre compte, il suffit de parcourir les rues, visiter les maquis –restaurants des quartiers populaires d’Abidjan. La Com- mune d’Abobo choisie pour mener cette étude nous a permis de voir de plus près, les conditions de vie et les pires formes de travail auxquels ces enfants sont soumis au quotidien malgré les efforts inlassables des organisations de protection des droits des enfants (BICE, Amigo Doume, Remar). Dans cette situation, les pouvoirs publics, acteurs principaux dans le processus de construction et de protection des enfants, ont une lourde responsabilité, celle de l’application rigoureuse des textes juridiques nationaux et internationaux mis en place par le législateur.

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