196 | La Lettre de l'Hépato-gastroentérologue • Vol. XIX - n° 4 - juillet-août 2016
DOSSIER
Les MICI
Anti-TNF, védolizumab, ustékinumab : comment choisir ?
Anti-TNF, vedolizumab, ustekinumab: how can we choose?
Arnaud Bourreille*
* CHU de Nantes,
Institut des maladies de l’appareil digestif, université de Nantes.
Depuis 2 ans, le nombre de molécules utilisables pour la prise en charge des patients atteints de maladie inflammatoire chronique intesti- nale (MICI) augmente, sans atteindre, malgré tout, l’éventail dont disposent nos confrères rhumatologues pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde ou des spondylarthropathies. Après avoir longtemps eu à notre disposition des anticorps anti-TNFα, nous avons la possibilité d’utiliser des anticorps dirigés contre les intégrines α4β7 (védolizumab) ou contre l’interleukine (IL)-12/-23 (ustékinumab).
L’arrivée de nouvelles biothérapies dont les cibles sont différentes du TNFα soulève le problème de leur place dans la prise en charge des patients atteints de maladie de Crohn (MC) et de rectocolite hémor ragique (RCH). La succession des lignes de traitement est dictée par les résultats des essais thérapeutiques et par les recommandations de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS), qui fixe les indications et les condi- tions de prise en charge par la solidarité nationale en fonction du service médical rendu (SMR). Cepen- dant, même si les règles permettent l’encadrement de l’utilisation de ces médicaments en fonction des résultats objectifs des essais thérapeutiques, il per- siste de très nombreuses interrogations quant à leur positionnement optimal et à leur utilisation dans des cas particuliers d’associations pathologiques.
Quelles sont les indications et les conditions
de remboursement
par notre système de santé ?
Les indications et les conditions de prise en charge sont résumées dans le tableau I. Les indications du védolizumab et des anti-TNF sont assez proches pour la prise en charge des patients adultes atteints de MICI. Les 2 classes thérapeutiques sont indiquées
chez les patients atteints de MC ou de RCH modérée à sévère en cas de réponse insuffisante, perte de réponse ou intolérance à un traitement conven- tionnel. En revanche, le SMR chez les patients adultes naïfs d’anti-TNF a été considéré comme insuffisant pour obtenir le remboursement par l’assurance maladie du védolizumab en première ligne des biothérapies. Ce défaut de prise en charge conduit à réserver le védolizumab pour la seconde ligne de traitement après avoir testé au moins un anti-TNF. La situation est différente dans d’autres pays européens ou nord-américains, où le védoli- zumab peut être utilisé chez des patients naïfs de biothérapie. Concernant l’ustékinumab, une seule indication a été retenue et concerne les patients adultes atteints de MC en échec primaire ou secon- daire ou intolérants aux 2 lignes de biothérapie anti-TNF et anti-intégrine. Des essais sont en cours chez les patients atteints de RCH, et le dossier per- mettant de définir les indications de l’ustékinumab est en cours de discussion à l’échelon européen.
Actuellement, la prise en charge par l’assurance maladie entre dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) débutée en novembre 2015, permettant la traçabilité de l’efficacité et de la sécurité d’emploi de la molécule.
Concernant l’utilisation des biothérapies chez les enfants, seuls les anti-TNF ont obtenu une indica- tion dans certaines situations précises (tableau I).
Les résultats des essais thérapeutiques
chez les patients naïfs de biothérapie
Les résultats des essais thérapeutiques sont résumés dans les tableaux II (MC) et III (RCH). L’infliximab, l’adalimumab et le védolizumab sont efficaces pour induire une rémission chez des patients atteints de
temporaire d’utilisation. Un dossier d’enregistrement a été déposé auprès de l’Agence européenne des
médicaments pour préciser ses indications. Stratégie
thérapeutique
Highlights
»Anti-TNF are given and reim- bursed by our health system in patients failing or intolerant to conventional treatment.
»Vedolizumab has obtained a European indication in first- line or second-line biological therapy after failure of one TNF inhibitor. The reimburse- ment by our health system is possible only in second line of biotherapy.
»Ustekinumab is available since late 2015 as third-line biotherapy following a tempo- rary recommendation of use. A registration dossier was filed with the European Medicines Agency to specify its indica- tions.
Keywords
Anti-TNF Anti-integrin Crohn disease Ulcerative colitis Therapeutic strategy Tableau I. Résumé des indications des biothérapies chez les patients atteints de MICI.
Infliximab Adalimumab Golimumab Védolizumab Ustékinumab MC modérée à sévère de l’adulte
en échec ou intolérant à un traitement
conventionnel Oui1 Oui1 Non Oui1, 2 Non
MC sévère de l’enfant en échec ou
intolérant à un traitement conventionnel Oui3 Oui3 Non Non Non
RCH modérée à sévère de l’adulte en échec ou intolérant à un traitement
conventionnel Oui1 Oui1 Oui1 Oui1, 2 Non
RCH modérée à sévère de l’enfant en échec ou intolérant à un traitement
conventionnel Oui1 Non Non Non Non
MC active fistulisée en échec ou
intolérant à un traitement conventionnel Oui4 Non précisée Non Non précisée Non MC de l’adulte en échec ou intolérant
à un anti-TNF Non Non Non Oui Non
RCH de l’adulte en échec ou intolérant
à un anti-TNF Non Non Non Oui Non
MICI de l’adulte en échec ou intolérant
à anti-TNF et au védolizumab Non Non Non Non Oui
1 Échec des corticoïdes et/ou immunosuppresseurs ou contre-indication ou intolérance.
2 Le service médical rendu est insuffisant pour justifier un remboursement par la solidarité nationale chez les patients naïfs d’anti-TNF.
3 Le traitement conventionnel de première intention comprend un corticoïde, un immunosuppresseur et un traitement nutritionnel.
4 Le traitement conventionnel comprend un antibiotique, un drainage et un immunosuppresseur.
Tableau II. Résumé des résultats des essais thérapeutiques dans la maladie de Crohn.
Induction Maintenance Rattrapage*
Anti-TNF Infliximab Adalimumab Golimumab
Oui Oui ND
Oui Oui ND
ND Oui ND Anti-intégrines
Védolizumab Oui Oui Oui
Autre
Ustékinumab Oui Oui Oui
ND : non déterminé. * En cas d’échec d’une première ligne de biothérapie.
Tableau III. Résumé des résultats des essais thérapeutiques dans la rectocolite hémorragique.
Induction Maintenance Colite aiguë grave Anti-TNF
Infliximab Adalimumab Golimumab
Oui Oui Oui
Oui Oui Oui
Oui ND ND Anti-intégrines
Védolizumab Oui Oui ND
Autre
Ustékinumab ND ND ND
ND : non déterminé. * En cas d’échec d’une première ligne de biothérapie.
MC naïfs d’anti-TNF et pour le maintien en rémis- sion (1-5). Les données concernant l’ustékinumab chez les patients naïfs d’anti-TNF ont été présentées dans différents congrès, mais les résultats complets n’ont pas encore été publiés ; l’ustékinumab semble être aussi efficace chez les patients naïfs d’anti-TNF en échec ou intolérants à un traitement conven- tionnel (6). Aucun essai comparatif n’a été réalisé qui permettrait de guider le choix en première ligne de telle ou telle biothérapie en fonction de son effi- cacité. Les méta-analyses qui ont tenté de répondre à cette question confirment les résultats des essais pivots de chacune des molécules, mais il est diffi- cile, compte tenu de l’hétérogénéité et du nombre limité des essais, d’avoir une appréciation objective de l’efficacité des biothérapies les unes par rapport aux autres (7).
Par ailleurs, dans une population de patients naïfs de biothérapie, nous ne savons pas s’il existe des patients non répondeurs à une classe médicamen- teuse et répondeurs à une autre ou si les patients sont globalement répondeurs ou non répondeurs quelle que soit la cible de la biothérapie. Il n’existe pas de biomarqueurs prédictifs de l’efficacité et de
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Anti-TNF, védolizumab, ustékinumab : comment choisir ?
DOSSIER
Les MICI
l’inefficacité des biothérapies qui permettraient de choisir en première intention celle qui est la plus susceptible d’être efficace. Quelques études ont identifié des biomarqueurs prédictifs d’efficacité des anti-TNF dans la MC, mais qui soit n’ont pas été confirmés, soit ne sont pas assez performants pour justifier leur utilisation (8, 9).
Chez les patients naïfs atteints de RCH modérée à sévère, les anti-TNF (infliximab, adalimumab, golimumab) et le védolizumab sont efficaces pour induire et maintenir une rémission clinique et/ou endoscopique en cas d’échec ou d’intolérance à un traitement conventionnel. Il n’y a pas de donnée avec l’ustékinumab.
Il a été suggéré que les biothérapies intraveineuses étaient plus efficaces que les biothérapies sous- cutanées (10), ce qui soulève le problème des concentrations résiduelles des anti-TNF, parfois insuffisantes pour contrôler la maladie. Un essai est en cours, testant de fortes doses d’adalimumab dans la perspective d’améliorer son efficacité.
Comme pour la MC, l’absence de comparaison des biothérapies entre elles ne permet pas de choisir en première ligne celle qui serait potentiellement la plus efficace. Les méta-analyses ne permettent pas non plus de faire un choix fondé sur le critère de l’efficacité. Elles confirment l’efficacité de chaque biothérapie pour induire et maintenir une rémis- sion et suggèrent une supériorité de l’infliximab sur l’adalimumab, sans autre différences signifi- catives (10).
Comme pour la MC, nous ne savons pas quelle est la proportion de patients susceptibles de répondre à une classe de biothérapie et non à une autre.
Nous n’avons pas à notre disposition de biomar- queurs prédictifs permettant d’identifier préci- sément les patients et permettant de choisir en première ligne la classe thérapeutique la mieux adaptée. Des pistes sont en cours d’évaluation, notamment concernant les anticorps anti-inté- grines ; il a été démontré, dans une analyse post hoc d’un essai de phase II, que les patients répondeurs à l’étrolizumab (anticorps dirigés contre l’inté- grine β7) exprimaient dans la muqueuse intestinale de plus fortes quantités d’ARNm du granzyme A et de l’intégrine αE (11). Il est concevable que, dans un avenir proche, des biomarqueurs puissent nous aider à identifier des patients répondeurs à certaine classe de biothérapie.
Dans le cas particulier des colites aiguës graves, seul l’infliximab a démontré son efficacité et peut être utilisé (12). Les autres biothérapies n’ont pas d’in- dication dans cette situation particulière.
Les résultats des essais thérapeutiques
chez les patients non naïfs de biothérapie
Dans la quasi-totalité des cas, l’utilisation d’une seconde ligne de biothérapie se discute en pré- sence d’une perte de réponse ou d’une intolérance à un ou plusieurs anti-TNF. Il est important de rappeler, à ce stade, qu’il ne faut pas changer d’anti-TNF pour un autre anti-TNF lorsque la maladie est contrôlée, sous peine d’exposer les patients à un surrisque de perte d’efficacité et d’intolérance.
Chez les patients atteints de MC, en cas de perte de réponse à l’infliximab ou en cas d’intolérance, l’efficacité de l’adalimumab a été démontrée dans l’essai GAIN. De façon plus générale, il a été démontré dans une méta-analyse que l’ef- ficacité d’un second anti-TNF dépend dans la MC de l’indication du changement, avec une efficacité supérieure en cas d’intolérance à celle observée en cas de perte de réponse secondaire ou primaire (13).
En cas de perte de réponse à un ou plusieurs anti-TNF, le védolizumab est efficace pour induire une rémission et la maintenir chez les patients atteints de MC et de RCH (14, 15). Il s’agit pro- bablement d’une bonne alternative en cas de non-réponse primaire suggérant une inflammation indépendante du TNFα, et ce d’autant que, dans cette situation particulière, l’efficacité d’un second anti-TNF est faible.
Chez les patients atteints de MC, l’ustékinumab est également efficace en cas de perte de réponse ou d’intolérance à un ou plusieurs anti-TNF pour induire une réponse et une rémission (6). Comme pour le védolizumab, il s’agit aussi d’une probable bonne alternative en cas de non-réponse primaire à un anti-TNF pour changer de cible thérapeutique.
La place de l’ustékinumab est actuellement limitée dans la MC en troisième ligne après un anti-TNF et le védolizumab. Il est possible que, dans un futur proche, l’ustékinumab soit disponible plus préco- cement.
Dans de rares situations où les anti-TNF n’ont pas été utilisés en première ligne, aucune donnée n’existe en cas de perte de réponse ou d’intolérance au védolizumab pour choisir un anti-TNF plutôt que l’ustékinumab. De façon similaire, il n’existe pas de données en cas de perte de réponse à l’ustékinumab pour choisir un anti-TNF ou le védolizumab.
Quel est l’apport des dosages pharmacologiques
des biothérapies ?
De nombreuses études ont démontré la faisabilité des dosages des taux résiduels et des anticorps dirigés contre les anti-TNF, et nous avons théori- quement la possibilité de doser les taux résiduels de chacune des biothérapies actuellement disponibles pour le traitement des patients atteints de MC ou de RCH. Les études, le plus souvent rétrospectives, suggèrent que le dosage des taux résiduels et des anticorps dirigés contre les anti-TNF peuvent nous aider à adapter nos stratégies thérapeutiques.
De façon simplifiée, en cas de perte de réponse ou d’in- tolérance, la persistance de taux résiduels élevés sans immunisation plaide pour un changement de classe thérapeutique, l’existence de taux résiduels faibles sans immunisation, pour une optimisation, et l’exis- tence de taux faibles avec des anticorps bloquants élevés, pour un changement de biothérapie, soit dans la même classe soit dans une classe différente (16).
Existe-t-il des situations
particulières pouvant influencer la place des biothérapies
dans les stratégies thérapeutiques ?
Actuellement, il n’existe pas assez de données per- mettant l’utilisation du védolizumab et de l’ustéki- numab chez les femmes enceintes. Seuls quelques cas cliniques ont été rapportés concernant l’utilisa- tion de l’ustékinumab chez des femmes enceintes traitées pour un psoriasis. Ces biothérapies restent contre-indiquées en cas de grossesse.
Chez les patients en perte de réponse à un anti-TNF et ayant un psoriasis ou un rhumatisme psoria-
sique, l’utilisation de l’ustékinumab en seconde ligne peut être justifiée par son efficacité derma- tologique démontrée, contrairement au védoli- zumab (17).
Chez les patients ayant une association entre MICI et spondylarthropathie, le védolizumab est inefficace sur l’atteinte rhumatologique, pouvant justifier l’utilisation en seconde ligne de l’usté- kinumab.
Nous ne disposons pas d’assez de données concer- nant le choix des biothérapies chez les patients ayant un antécédent récent de cancer. Toutes les bio thérapies sont théoriquement contre-indiquées.
Les données des études rétrospectives, même si elles semblent rassurantes concernant l’utilisation des anti-TNF, restent malgré tout insuffisantes pour infirmer de façon définitive un risque augmenté de récidive ou de survenue d’un nouveau cancer (18).
Le mécanisme d’action du védolizumab, plus spéci- fique du tube digestif, plaiderait pour son utilisation, excepté pour les cancers digestifs, mais il s’agit d’un raisonnement purement théorique.
Conclusion
Les anti-TNF restent le fer de lance du traitement des patients atteints de RCH ou de MC en échec ou intolérants aux traitements conventionnels. Les nouvelles biothérapies ont démontré leur effica- cité, mais les résultats des essais thérapeutiques et l’évaluation du service médical rendu par la HAS les placent pour l’instant en seconde ou en troisième ligne des biothérapies. L’identification de bio marqueurs d’efficacité et d’inefficacité des différentes biothérapies chez des patients naïfs pourrait permettre de modifier les stratégies thé- rapeutiques actuelles. L’association des MICI à des pathologies dermatologiques ou rhumatologiques influence le choix des secondes lignes de traite-
ments biologiques. ■
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Références bibliographiques
Arnaud Bourreille déclare avoir des liens d’intérêts avec Abbvie, MSD, Ferring, Covidien, Takeda.
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Anti-TNF, védolizumab, ustékinumab : comment choisir ?
DOSSIER
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Références bibliographiques