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Le "joujou du prof" : expériences de l'utilisation d'une plateforme numérique pour l'enseignement à l'université

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Texte intégral

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L E « J OUJOU DU PROF » : E XPÉRIENCES DE L ’ UTILISATION D ’ UNE PLATEFORME NUMÉRIQUE POUR L ’ ENSEIGNEMENT À L ’ UNIVERSITÉ

Sylvie Lidolf et Denis Pasco, université de Bourgogne Franche-Comté, Besançon, Laboratoire ELLIADD (EA 4661)

R

ÉSUMÉ

L’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation de l’Université de Franche-Comté dispose depuis 2016 d’une plateforme numérique pour l’enseignement, appelée « classe laboratoire ». L’expérience d’étudiants1 utilisant pour la première fois ce dispositif dans le cadre de leur formation a été recueillie. Dans cette étude qualitative, l’approche de l’expérience-utilisateur a été mobilisée pour identifier les caractéristiques de l’environnement conduisant à un niveau optimal d’expérience. Les résultats révèlent que la « classe laboratoire » déclenche chez les étudiants un intérêt en situation, une appréciation de l’ergonomie du dispositif ainsi qu’une réflexion au sujet de l’impact de la plateforme sur le processus d’enseignement-apprentissage.

Mots-clés : classe laboratoire, numérique, expérience-utilisateur, enseignement supérieur

1 La forme masculine est utilisée dans cet article comme représentant les deux sexes, sans discrimination à l’égard des femmes et des hommes et dans le seul but d’alléger le texte.

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C

ONTEXTE DE LA RECHERCHE

: É

TUDIER L

IMPACT DE LA

«

CLASSE

LABORATOIRE

»

L’École Supérieure du Professorat et de l’Éducation (ESPÉ) de l’université de Franche-Comté (UFC) dispose depuis septembre 2016 d’une « classe laboratoire » : un dispositif mis au service des enseignants et des chercheurs pour la formation initiale et continue des enseignants, de la maternelle au supérieur, en lien avec le développement de processus d’enseignement intégrant le numérique. Cette toute première étude a servi d’étude exploratoire à un projet de recherche sous contrat doctoral financé dans le cadre d’un appel à projet de l’UFC dont l’objectif est d’étudier l’impact du dispositif sur le développement professionnel des formateurs d’enseignants.

La « classe laboratoire » est équipée de 30 chaises mobiles de trois couleurs différentes (orange, vert et bleu), pivotant à 360 degrés, et auxquelles sont fixées une tablette et un espace de rangement (sous l’assise) ; l’intégralité de l’espace apprenant peut ainsi être déplacé d’un bloc pour modifier rapidement et sans bruit, la configuration spatiale en fonction des objectifs d’apprentissage (îlots, cercles…). Un écran interactif de type Clevertouch Plus - l’interaction est de nature tactile ou tangible (stylet) - fait office de projecteur via un ensemble de connexions externes et permet l’accès à internet et à un store dans lequel l’enseignant et/ou les étudiants peuvent télécharger des applications gratuites. Il propose aussi une fonction d’annotation des contenus projetés sur l’écran (vidéos, power point, pdf…). Trois tableaux Velleda s’ajoutent à cet équipement. Une vitre sans tain sépare cette salle de la régie audiovisuelle d’où on peut commander les quatre caméras fixées au plafond, qui permettent de récupérer des traces des activités d’enseignement. Des technologies émergentes en éducation sont aussi mises à disposition comme des tablettes interactives ou encore un robot de télé-présence mobile. Attenante à ces deux salles, un espace de collaboration pouvant accueillir 8 personnes, dispose d’une table horizontale tactile, d’un tableau Velleda et d’un équipement vidéo mobile - une caméra, un fond uni et des éclairages studio. Le dispositif technologique, d’une superficie de 117 m2, comprend donc trois espaces reliés entre eux, aux fonctions complémentaires : un espace classe, une régie, et un espace de collaboration. Mais le dispositif inclut aussi des ressources humaines : une ingénieure pédagogique accompagne les projets pédagogiques et un technicien audiovisuel intervient en fonction des besoins. Du côté recherche, une doctorante a été recrutée en octobre 2017 sur contrat doctoral.

C

ADRE THÉORIQUE

:

L

EXPERIENCE

-

UTILISATEUR

L’objectif de cette étude était de recueillir l’expérience des premiers utilisateurs-étudiants de ce dispositif. La norme ISO (9241-210) définit l’expérience-utilisateur comme « les perceptions et les réponses (physiques et psychologiques) résultant de l’utilisation d’un produit, d’un système ou d’un service ». Cette définition initiale a été précisée dans la littérature, notamment par Hassenzahl (2001) qui suggère que c’est la qualité hédonique et la qualité ergonomique perçues dans l’expérience-utilisateur qui simultanément, conduisent

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l’utilisateur à porter un jugement d’attractivité qui va déterminer par la suite ses comportements et ses émotions. À ces dimensions émotionnelles et cognitives, Wu et ses collègues (2009) ajoutent la qualité de service considérée comme « un ensemble de facteurs de vivacité, d’interactivité et de cohérence de l’environnement, impactant l’expérience utilisateur » (Wu et al., 2009 : 482). La « vivacité » s’entend comme « la qualité des canaux sensoriels mobilisés », l’« interactivité » comme « le délai, le niveau de contrôle offert à l’utilisateur, la capacité d’adaptation aux changements opérés », et « la cohérence de l’environnement » comme la « synchronisation temporelle et spatiale ». L’objectif de notre étude était donc triple : (1) identifier les perceptions et les réponses des premiers utilisateurs de la « classe laboratoire » ; (2) vérifier que le dispositif peut générer un jugement d’attractivité et (3) comparer les caractéristiques du dispositif, relevées dans les discours des utilisateurs, avec celles identifiées dans la littérature.

M

ÉTHODE

Des étudiants (N = 42, moy. âge = 21.59, E-T : 0.87, 31 % de filles) en première année de formation du master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, Parcours EPS) ont participé à cette étude qualitative sur la base du volontariat. Juste après un cours d’anglais dans la « classe laboratoire », leur expérience d’utilisateur a été recueillie dans le cadre d’une approche de « focus group » (Corbin & Strauss, 2008). La discussion s’ouvrait ainsi : « Vous venez de vivre une première expérience d’enseignement dans la

« classe laboratoire ». Qu’en pensez-vous ? ». Ces séances de « focus group » (par groupes de trois), de 15 minutes chacune, ont été menées à la rentrée universitaire 2016 puis ont repris à la rentrée 2017 jusqu’à ce que les deux chercheurs estiment que les données étaient arrivées à saturation, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’aucune nouvelle information sur le dispositif ne soit donnée par les étudiants. Au total, 14 séances ont abouti à une retranscription intégrale de 262 verbatim. Les chercheurs ont vérifié entre eux leur compréhension des verbatim, en revenant si nécessaire auprès des étudiants concernés. Les données ont été analysées séparément par les deux chercheurs, à partir d’un codage ouvert jusqu’à l’insertion de tous les verbatim à l’intérieur d’au moins une des catégories identifiées à partir de ce travail de classification. Enfin, une discussion argumentée entre les chercheurs a permis de dégager un consensus sur les résultats.

P

RINCIPAUX RÉSULTATS

Les résultats révèlent que la classe laboratoire déclenche chez les étudiants un intérêt en situation, une appréciation de l’ergonomie du dispositif et un questionnement sur les processus d’enseignement-apprentissage mobilisés dans le cadre de cette plateforme.

U

N JUGEMENT D

ATTRACTIVITÉ AFFIRMÉ SANS AMBIGUÏTÉ

Une nette majorité des verbatim (194 sur 262) est positive (e. g. « c’est mieux… », « plus précis », « très fonctionnel pour les groupes », « on est bien assis dedans », « super convivial »). Ces commentaires affichent clairement une posture favorable à l’égard du

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dispositif dans son ensemble, ou par rapport à des éléments pris isolément. 56 verbatim sont négatifs (e. g. « les caméras me dérangent », « la tablette est trop petite pour les gauchers », ou « la chaise mobile est un objet de distraction plutôt que d’attention pour les plus jeunes ») et seuls 12 ont été classés neutres (e. g. « est-ce que ça change l’enseignement ? », « l’analyse de vidéo : tout dépend de pour quoi on s’en sert… »), aucun jugement n’étant perceptible.

D

EUX THÉMATIQUES IDENTIFIÉES

Le codage ouvert a abouti à la classification de la totalité des verbatim à l’intérieur de deux catégories : 154 commentaires se rapportent aux perceptions du dispositif technologique par les utilisateurs et 108 sont centrés sur des questionnements à propos des processus d’enseignement et d’apprentissage potentiellement impactés par ce nouvel environnement.

LES PERCEPTIONS DU DISPOSITIF TECHNOLOGIQUE PAR LES UTILISATEURS

Dans un premier temps, un relevé précis des mots utilisés pour désigner le dispositif a permis d’identifier ce qui a attiré l’attention des étudiants – ce qu’ils ont perçu - et dans un deuxième temps, une analyse plus fine a révélé les caractéristiques qu’ils associaient aux éléments du dispositif, dévoilant ainsi les critères à partir desquels ils percevaient le dispositif.

La terminologie utilisée par les étudiants pour se référer au dispositif révèle que les éléments retenus restent prioritairement les repères constitutifs d’un environnement d’apprentissage traditionnel (e. g. la classe, le tableau, les tables, les chaises) et émergent aussi les éléments qui « dérangent » ou hors cadre d’apprentissage familier (e.g. « les caméras », « la vitre sans tain »). Mais surtout les éléments sont toujours nommés à partir d’une terminologie très simple. À aucun moment le terme « technologie » ou « numérique » n’est utilisé. L’espace est désigné par « la classe », ses « murs blancs ». Le tableau interactif devient « LE » tableau, « L’écran », éventuellement « l’écran tactile ». Il est comparé avec le tableau blanc interactif (« le TBI ») et le vidéoprojecteur qu’ils ont l’habitude d’utiliser, et avec les tableaux « Velleda », dits aussi « tableaux blancs ». Les fonctions commentées du tableau interactif sont des fonctions traditionnelles dématérialisées (e.g. la gomme, la possibilité d’entourer, de souligner, d’annoter le document) mais aussi des fonctions nouvelles (e.g. le zoom, la capture d’écran, l’accès aux zones choisies du texte, la conservation des traces du cours). Les étudiants ont encore parlé de l’ « ordi(nateur) ». Ils ont apprécié le fait qu’ « il y a beaucoup de prises d’ordi » pour les recharger et l’aspect tactile du tableau par rapport à l’usage d’un « clavier ». Seul un étudiant a mentionné l’usage d’un « cahier », disant que « la prise de notes sur cahier est problématique » à cause de la taille de la tablette. L’évocation des caméras amène des références à « Secret Story » ou à

« Big Brother » : « la caméra est oppressante » ; on devrait mettre « un cache sur les caméras ou tourner les caméras » ; « les caméras me dérangent ». Enfin les « chaises », ou

« sièges », concentrent de nombreux commentaires associés aux sous-thématiques de mobilité, d’interactions, et de motivation. Ils ont aussi fait allusion aux « accoudoirs » et au

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« panier » pour ranger leurs affaires personnelles. Ils ont enfin beaucoup commenté, souvent négativement, la taille de la « tablette », aussi appelée « plateau » – « trop petite pour un ordi » -, l’orientation de l’ouverture - « pas pratique pour les gauchers » - et leur hauteur – « trop haute pour des primaires ».

Une analyse plus fine des perceptions des utilisateurs fait apparaître leur appréciation ergonomique et hédonique du dispositif. Les étudiants ont été attentifs aux relations entre individus et objets technologiques : ils apprécient de se sentir « reliés », « connectés » ; beaucoup mettent en avant le fait de pouvoir contrôler, d’avoir la maîtrise des outils : c’est

« fonctionnel », « simple », « facile », « réactif », « utile », « précis », « fluide ». Ils ont aussi souligné l’efficacité du dispositif par rapport aux objectifs d’enseignement/apprentissage.

Mais ce qui ressort surtout, c’est qu’ils ont « vécu une expérience » sensorielle. La place du corps humain est au cœur de leurs propos : l’écran tactile est « maniable » ; « la prise en main est facile » et ils disent avoir « envie de toucher l’écran ». Les pieds servent à

« pousser » pour faire bouger les chaises. Selon eux, l’apprentissage est plus centré sur l’audio et le visuel et ils sont sensibles au fait qu’on puisse déplacer chaises et tables sans bruit. Le corps humain est perçu plus actif : « mobile » est un terme récurrent, et on note une profusion de verbes d’action : « bouger », « se déplacer », « venir », « se reculer », « se retourner », « se lever ». Finalement sont exprimées des requêtes implicites sur la santé, le confort physique, voire le bien-être : les chaises sont « confortables » ; on est « bien assis dedans » ; « les accoudoirs sont ok » et ce qui peut causer ou diminuer une souffrance physique fait l’objet d’une attention particulière : il fait « chaud » dans la classe ; « les écrans sont fatigants pour les yeux », et peuvent provoquer « des migraines à force d’utiliser des écrans tout le temps » mais « la luminosité peut être réglée en fonction du moment de la journée » ; on n’a « pas mal au dos même après trois heures d’affilée ». Un mieux-être psychologique est même évoqué (« l’apprenant ressent moins de frustration parce qu’il est plus indépendant »), comme la dimension esthétique (« c’est beau ! »), ou encore onirique (« c’est vendeur de rêves »).

L’IMPACT SUR LE PROCESSUS DENSEIGNEMENT ET DAPPRENTISSAGE

La deuxième catégorie de verbatim regroupe les propos des étudiants sur les processus d’enseignement et d’apprentissage, potentiellement affectés par « la classe laboratoire ».

« Est-ce que cela change la pédagogie et l’apprentissage ? », demande un étudiant.

Pour parler du processus d’enseignement, les étudiants ont comparé la nouvelle approche pédagogique expérimentée dans la « classe laboratoire », avec des modalités plus traditionnelles : ce qui les a fortement marqués, ce sont les travaux de groupes, et les interactions entre groupes, ou entre individus. Selon eux, ces interactions sont fortement encouragées par ce nouvel environnement. Les « groupements » étaient facilités, plus rapides à organiser : les trois tableaux, la mobilité et les trois couleurs différentes de chaises, ont été perçus comme des éléments très positifs. La « classe laboratoire » a aussi été perçue comme permettant de « différencier la pédagogie ». Mais surtout la place et le rôle de l’enseignant se trouvent modifiés : « tous sont à la même hauteur, avec le même matos »,

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c’est « plus démocratique » ; « les rapports entre prof et élèves sont différents » : l’enseignant est « plus proche de nous ».

On a remarqué enfin que les activités - ou les modalités pédagogiques - proposées par l’enseignant, différentes selon les séances, ont eu une incidence sur l’expérience des utilisateurs-étudiants. Ainsi au cours d’une séance, l’enseignant a été le seul à utiliser le tableau interactif, conduisant un étudiant au cours d’un focus-group à parler de « joujou du prof » pour se référer à une modalité d’enseignement avec le numérique dans laquelle l’enseignant conserve toutes les prérogatives sur l’utilisation des outils technologiques de la classe. Cette conservation a été vécue par cet étudiant comme une confiscation. Ce verbatim suggère donc le fait que le dispositif ne permet sans doute pas de transformer à lui seul les pratiques pédagogiques. L’enseignant peut continuer à transmettre son savoir sous forme d’instruction directe, à travers une pratique pédagogique qualifiée de « transmissive ». La référence au « joujou du prof » évoque aussi une demande de participation à travers l’utilisation de l’écran tactile interactif.

Le processus d’apprentissage aussi est impacté par le dispositif : l’apprentissage devient

« ludique », « amusant » et non source d’ennui : « le temps passe plus vite ». Les étudiants remarquent que la qualité de leur attention est améliorée et leur motivation, accrue, grâce à un engagement davantage sollicité, tant cognitif que physique. Une dimension émotionnelle est perceptible dans leur discours : « j’aime venir dans cette classe », « je préfère quand ça bouge », « l’écran donne envie », « ça nous attire », « les couleurs sont accueillantes ». Selon eux, ce dispositif facilite aussi la construction du sens : c’est « plus clair pour comprendre » ;

« on voit la bonne réponse à l’écran ». Les nouveaux outils aident la compréhension, comme le zoom (« plus facile pour la compréhension »), ou l’outil d’annotation (« les notes sur le texte : c’est mieux pour comprendre »). Et on gagne du temps pour la réflexion : le « temps de réflexion de l’élève augmente parce que le temps de correction est plus rapide et le repérage du passage est facilité par le tableau » ; « plus rapide à mettre en route » ; « faire des groupes rapidement ».

Enfin certains verbatim, sous une forme un peu lapidaire, résument une première évaluation de l’intérêt du dispositif, par comparaison aux environnements d’enseignement- apprentissage traditionnels : un étudiant l’assimile à « un gadget » tandis que d’autres estiment que c’est « une grosse plus-value », un jugement nuancé par une minorité : « la plus-value n’est pas sûre : la possibilité de se déplacer dans une classe, l’écran… c’est plus du confort qu’une plus-value forte » ; mais le consensus sur l’aspect de nouveauté, de changement est là : « innovant, les chaises ! » ; « ludique ; découverte ; je ne connais pas » ;

« ça change ».

(7)

D

ISCUSSION

Deux résultats majeurs sont finalement discutés en rapport avec la littérature.

T

ENTATIVE DE DÉFINITION DE LA NOTION DE

«

TECHNOLOGIE

»

EN ÉDUCATION

Fishman et Dede (2016) proposent une définition de la technologie en éducation qu’il est intéressant de rapprocher des résultats de notre étude. Associée à l’éducation, la technologie est couramment assimilée au numérique, même si, soulignent ces auteurs, tous les aspects d’un système éducatif impliqué dans un processus de modernisation, peuvent être pensés comme une forme de technologie, dans la mesure où (1) ce sont des innovations, (2) qui lancent des défis aux pratiques éducatives existantes et (3) qui offrent de nouvelles opportunités, autrement dit qui permettent de faire des choses qu’on ne peut pas faire sans. Finalement, ils choisissent de restreindre leur synthèse sur la technologie en éducation aux seuls outils numériques remplissant ces trois critères. Seuls sont retenus les outils numériques ayant le potentiel de transformer l’éducation, sachant que leur intégration, pour être efficace, doit inciter à repenser dans son ensemble l’enseignement et l’apprentissage, dans un processus d’adaptation.

Dans notre étude, les étudiants-utilisateurs de la « classe laboratoire », n’ont pas limité le dispositif technologique aux seuls outils numériques (l’écran tactile, les captures numériques par caméra vidéo, le robot, ou les ordinateurs). Les chaises mobiles par exemple jouent un rôle central. Mais les outils retenant l’attention des étudiants, ont en commun avec ceux retenus par Fishman et Dede, le fait de générer un processus d’adaptation : c’est « un peu difficile les interactions au début, mais on s’est adapté », et les éléments du dispositif les ont surtout conduits à repenser l’enseignement/apprentissage, à envisager de possibles changements par rapport à leurs représentations initiales du processus d’enseignement- apprentissage.

Par ailleurs, Fishman et Dede (2016) adoptent une vision sociotechnique, autrement dit qui pense la technologie à partir des interactions. Cela fait écho à l’attention accordée par les étudiants (1) au niveau d’interactivité offert par le dispositif entre l’humain et la technologie, et (2) à la quantité et à la qualité des interactions humaines favorisées, selon eux, par ce dispositif.

Enfin Fishman et Dede (2016) énoncent deux conditions pour une utilisation transformatrice de la technologie : cela dépend du niveau atteint d’intégration technologique, et il est aussi nécessaire de former, et d’accompagner les enseignants pour transformer leur pédagogie.

Les résultats de notre étude permettent de situer l’expérience des utilisateurs-étudiants dans la « classe laboratoire » au niveau d’intégration minimale, avec une incursion au niveau intermédiaire non encore pleinement exploité. Car en se référant aux caractéristiques de ces niveaux d’intégration technologique (Fishman & Dede, 2016), le niveau minimal est surtout utilisé pour accroître la motivation et introduire de l’interactivité (deux résultats majeurs dans notre étude), tandis que le niveau intermédiaire favorise les projets de groupes (15

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verbatim), la pédagogie différenciée (3 verbatim) – avec à un stade avancé, l’utilisation des algorithmes d’intelligence artificielle pour suivre et guider l’apprentissage des étudiants de façon personnalisée - et intègre pleinement les outils de collaboration. Le premier levier pour une intégration efficace de la technologie en éducation, c’est donc bien la question de la motivation et la perspective vers laquelle s’orienter, celle de la collaboration qui atteint son maximum d’efficacité au niveau supérieur d’intégration, dans l’apprentissage dit

« connecté ».

L’

INTÉRÊT EN SITUATION

:

UN PREMIER LEVIER

Le concept d’intérêt a été conceptualisé comme une variable motivationnelle spécifique à un contenu qui peut nous informer sur les raisons pour lesquelles les individus sont motivés pour s’engager et étudier un contenu spécifique d’une discipline (Hidi, 2000). Il recouvre un intérêt individuel et un intérêt en situation. L’intérêt individuel se réfère à un état psychologique qui apparaît durant les interactions entre des personnes et des objets d’intérêt et qui se caractérise par une augmentation de l’attention, de la concentration et de l’affect. La perspective de l’intérêt en situation voit un état d’intérêt comme la conséquence immédiate de facteurs contextuels présents dans la situation (Harackiewicz & Knogler, 2017). Cette perspective s’apparente dans le cadre de l’expérience-utilisateur à un état de

« flow » dans lequel l’engagement dans quelque activité que ce soit, par le biais d’une motivation intrinsèque, se fait dans l’attente de vivre une expérience totale, de pleine conscience, s’accompagnant d’une perte de la notion de temps et d’espace (Csikszentmihaliyi, 1990).

Dans notre étude, les étudiants vivaient pour la première fois une expérience d’apprentissage dans la « classe laboratoire » et ne pouvaient de ce fait avoir encore développé un intérêt individuel pour un apprentissage dans le cadre de ce dispositif.

Plusieurs de leurs verbatim révèlent par contre un intérêt en situation, au contact d’un enseignement dispensé dans la « classe laboratoire », qui a été perçu à travers leur état psychologique (e.g. « 6 heures, la galère ! Mais là, non ! »). L’un de ces verbatim en particulier, « le temps passe plus vite », traduit parfaitement cet état psychologique dans lequel se trouve un étudiant pratiquant une activité qui génère de l’intérêt en situation pour lui.

L’analyse des verbatim fait également ressortir les caractéristiques jugées indispensables dans la littérature pour générer un intérêt en situation : les qualités hédonique et ergonomique (Hassenzahl, 2001), comme les « facteurs de vivacité, d’interactivité et de cohérence de l’environnement » (cf. notre cadre théorique ; Wu et al., 2006).

C

ONCLUSION

,

LIMITES ET PERSPECTIVES

Par cette étude exploratoire, on s’aperçoit qu’au-delà du fait de générer un intérêt en situation, la « classe laboratoire » impacte les perceptions qu’ont les étudiants des processus d’enseignement et d’apprentissage : elle les incite à convoquer leurs représentations

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initiales et à les engager dans un processus dynamique d’analogie (comparaisons entre environnement traditionnel et dispositif proposé) et elle les amène à se projeter mentalement dans d’autres contextes et dans d’autres postures (celle de futur enseignant ou celle de leurs futurs apprenants mais aussi celles vécues ou observées dans un passé plus ou moins lointain).

Notre étude exploratoire contient cependant une première limite, celle de ne pas dissocier clairement les facteurs humains des facteurs technologiques, dans la perception des causes de l’intérêt en situation généré dans l’expérience du dispositif technologique. Il conviendrait par exemple d’interroger l’émergence de l’intérêt en situation dans la « classe laboratoire », en fonction des différentes utilisations. Car l’environnement d’enseignement-apprentissage ne se limite pas au seul dispositif technologique, identique pour tous les utilisateurs. Il est aussi construit par l’enseignant en fonction de ses objectifs d’enseignement, des contenus disciplinaires et à partir de sa propre perception des ressources et des obstacles – tant technologiques qu’humains - contenus dans chacun des contextes d’enseignement qu’il propose. L’environnement d’enseignement situé inclut donc « la classe laboratoire » (donnée invariante) mais contient également tout un dispositif conçu par l’enseignant, sans oublier le facteur non négligeable des apprenants à qui il s’adresse. On peut donc se demander dans quelle mesure et jusqu’à quel degré ces deux facteurs (variables humaines) viennent affecter la part d’intérêt en situation générée par la « classe laboratoire » (invariant technologique). C’est en partie ce que nous suggère la critique contenue dans l’exclamation d’un étudiant - c’est « le joujou du prof » -, suite à une utilisation exclusive de l’écran interactif par l’enseignant au cours d’une séance. Car en effet les caractéristiques perçues du dispositif ont été identifiées dans notre étude, à partir des perceptions d’un échantillon particulier d’étudiants ayant fait l’expérience d’une certaine utilisation de « la classe laboratoire » par un enseignant en particulier. Et c’est une combinaison de caractéristiques, présente dans l’expérience de cet environnement au sens large (dispositif technologique + dispositif d’enseignement conçu par l’enseignant), qui a généré l’intérêt en situation. Alors peut-on dissocier les caractéristiques intrinsèques à la « classe laboratoire » de celles résultant d’une utilisation située faite par un enseignant ? Comment les enseignants dans leur diversité conçoivent-ils leur propre environnement d’enseignement-apprentissage à partir des mêmes ressources technologiques proposées, celles de la « classe laboratoire » ? Et dans cette diversité d’utilisations du dispositif par les formateurs d’enseignants, pourrait- on identifier les conditions nécessaires et suffisantes à la reproductibilité d’un intérêt en situation ?

Une deuxième limite qui ouvre aussi une perspective concerne la durabilité de cet état d’intérêt qui n’a pas été questionnée dans cette étude : nous n’avons en effet recueilli que la première expérience d’utilisation des étudiants. Or la dimension de nouveauté contient en soi une source motivationnelle forte. Et en plus, la dimension « innovante », liée au

« dérangeant » - c’est-à-dire à ce qui lance des défis aux pratiques éducatives existantes tout en offrant de nouvelles opportunités impossibles sans cela (Fishman & Dede, 2016) - semble

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favoriser une mobilité des représentations des processus d’enseignement-apprentissage.

Alors si cette dimension de nouveauté disparaît ou s’émousse sur un plus ou moins long terme, est-ce que la « classe laboratoire » conservera son potentiel (1) pour générer un intérêt en situation et (2) pour impacter les représentations des processus d’enseignement- apprentissage ? On peut aussi se demander si une expérience-utilisateur positive peut transformer durablement croyances, attitudes et comportements des utilisateurs jusqu’à impacter les futures pratiques professionnelles, même lorsque les enseignants retournent dans un contexte d’enseignement-apprentissage traditionnel ou tout simplement différent.

Dans le cas contraire, comment assurer la formation et l’accompagnement des formateurs d’enseignants tout au long de la vie, pour une intégration efficace de la technologie ?

Enfin le projet de recherche doctoral étant centré sur les formateurs d’enseignants, il serait intéressant de recueillir la première expérience-utilisateur des formateurs d’enseignants, placés eux-mêmes dans une posture d’apprenants, afin de vérifier l’impact du dispositif et de comparer cet impact en fonction des deux catégories de population : étudiants en MEEF et formateurs d’enseignants. Car, si un développement professionnel des formateurs d’enseignants répondant aux exigences du 21ème siècle passe par une intégration efficace de la technologie, une formation aux seules compétences techniques – vision techno-centrée – a révélé ses limites. Et pour accompagner les acteurs concernés à repenser l’éducation dans son ensemble, notre étude a tenté de montrer que l’intérêt en situation et l’expérience- utilisateur sont vraisemblablement des concepts utiles, et de puissants leviers.

R

ÉFÉRENCES

Corbin, J. M., & Strauss, A. L. (2008). Basics of Qualitative Research: Techniques and Procedures for Developing Grounded Theory (3rd ed.). Los Angeles, CA : Sage Publications.

Csikszentmihalyi, M. (1990). Flow: The Psychology of Optimal Experience. New York, USA : Harper & Row.

Fishman, B., & Dede, C. (2016). Teaching and Technology: New Tools for New Times. In Handbook of Research on Teaching (5th ed., pp. 1269-1334). Washington, DC, USA: Drew H.

Gitomer and Courtney A. Bell, American Educational Research Association.

Harackiewicz, J. M., & Knogler, M. (2017). Interest. Theory and Application. In Handbook of Competence and Motivation (2nd ed., chapter 18, pp. 334-352). New York, USA : Guilford Publications.

Hassenzahl, M., Beu, A., & Bumester, M. (2001). Engineering Joy. IEEE Software, 18 (Issue 1, pp. 70-76). Los Alamitos, CA, USA: IEEE Computer Society Press.

Hidi, S. (2000). An Interest Researcher’s Perspective: The Effects of Extrinsic and Intrinsic Factors on Motivation. In C. Sansone & J. M. Harackiewicz (Eds.), Intrinsic and Extrinsic

(11)

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Wu, W., Arefin, A., Rivas, R., Nahrstedt, K., Sheppard, R., & Yang, Z. (2009). Quality of Experience in Distributed Interactive Multimedia Environments: Toward a Theoretical Framework. MM'09 - Proceedings of the 2009 ACM Multimedia Conference, with Co-located Workshops and Symposiums (pp. 481-490). New York, USA : ACM.

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